Annulation 27 février 2025
Rejet 2 octobre 2025
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Sur la décision
| Référence : | TA Montreuil, 8e ch. (j.u), 27 févr. 2025, n° 2408242 |
|---|---|
| Juridiction : | Tribunal administratif de Montreuil |
| Numéro : | 2408242 |
| Type de recours : | Excès de pouvoir |
| Dispositif : | Satisfaction partielle |
| Date de dernière mise à jour : | 30 mai 2025 |
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 juin 2024 et le 12 février 2025, M. G A, représenté par Me Itsouhou-Mbadinga, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d’annuler l’arrêté du 7 mai 2024 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l’a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de douze mois ;
2°) d’enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale ».
Il soutient que :
— les décisions attaquées sont entachées d’incompétence ;
— elles sont entachées d’un défaut de motivation ;
— elles ont été prises alors qu’il n’a pas été mis en mesure de présenter ses observations ;
— elles sont entachées d’une erreur manifeste d’appréciation et méconnaissent les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
— la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale dès lors qu’il justifie de circonstances humanitaires faisant obstacle au prononcé d’une telle mesure, et dès lors qu’il n’a jamais fait l’objet d’une précédente mesure d’éloignement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2024, le préfet de la Seine-Saint-Denis conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
— la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile,
— le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné M. F pour statuer sur les requêtes relevant de la procédure prévue à l’article L. 614-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile alors en vigueur en application de l’article R. 776-13-3 du code de justice administrative, alors en vigueur.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique tenue le 12 février 2025 à 14h00, en présence de Mme Boudekak-Bouanani, greffière d’audience :
— le rapport de M. F ;
— et les observations de Me Itsouhou-Mbadinga, représentant M. A, assisté de M. B, interprète en langue bengali. M. A conclut aux mêmes fins que celles de sa requête et de son mémoire complémentaire par les mêmes moyens et soutient, en outre que sa situation n’a pas été effectivement examinée.
Le préfet de la Seine-Saint-Denis n’était ni présent, ni représenté.
La clôture de l’instruction a été prononcée après appel de l’affaire en application de l’article R. 776-26 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. M. A, ressortissant bangladais né le 1er janvier 1978 à Moulvibazar (Bangladesh), demande l’annulation de l’arrêté du 7 mai 2024 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l’a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d’une durée de douze mois.
2. Par un arrêté du 3 mai 2024 n°2024-1329, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Seine-Saint-Denis le 6 mai suivant, le préfet de la Seine-Saint-Denis a donné délégation à Mme D C, attachée d’administration de l’Etat, cheffe du bureau de l’asile, signataire de l’arrêté contesté, pour signer, notamment, les décisions concernant le refus des demandes d’asile, les obligations de quitter le territoire relatives aux demandeurs déboutés du droit d’asile, les interdictions de retour sur le territoire français et les décisions fixant le pays vers lequel sera éloigné l’étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement, en cas d’absence ou d’empêchement d’autorités dont il n’est pas établi qu’elles n’auraient pas été absentes ou empêchées. Il suit de là que le moyen tiré du vice d’incompétence doit être écarté.
3. Les décisions portant obligation de quitter le territoire et fixant le pays de renvoi visent les articles L. 611-1 et L. 721-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle mentionnent également différents éléments de la situation de M. A notamment qu’il a fait une demande d’asile rejetée le 9 juin 2023 par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), que cette décision a été confirmée par une décision du 3 avril 2024 de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), que, par ailleurs, il ne justifie pas en France d’une situation personnelle et familiale à laquelle il serait porté une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi par la mesure prise à son encontre et qu’il n’établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires aux stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ces décisions sont donc suffisamment motivées en droit et en fait. En revanche, il n’en va pas de même, s’agissant de la décision faisant interdiction à M. A de retourner sur le territoire français, laquelle vise l’article L. 612-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, applicable au cas des personnes auxquelles aucun délai de départ volontaire n’a été accordé alors que le requérant se trouve dans le cas prévu à l’article L. 612-8 du même code et est, dès lors, entachée d’un défaut de motivation en droit.
4. Aux termes du paragraphe 1er de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : « Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l’Union » ; le paragraphe 2 de ce même article indique que : « Ce droit comporte notamment : / – le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre () ».
5. Lorsqu’il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit national de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, le préfet doit être regardé comme mettant en œuvre le droit de l’Union européenne. Il lui appartient, dès lors, d’en appliquer les principes généraux, dont celui du droit à une bonne administration ; parmi les principes que sous-tend ce dernier, figure celui du droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre, tel qu’il est énoncé notamment au 2 de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
6. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne C-383/13 PPU du 10 septembre 2013, une atteinte au droit d’être entendu n’est susceptible d’affecter la régularité de la procédure à l’issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision. Le requérant, qui se borne à soutenir que son droit d’être entendu a été méconnu, ne précise pas en quoi il disposait d’informations pertinentes tenant à sa situation personnelle qu’il a été empêché de porter à la connaissance de l’administration avant que ne soit prise la mesure d’éloignement et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à la décision l’obligeant à quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait les stipulations de l’article 41 de la charte susvisée, le principe général des droits de la défense et celui du droit à une bonne administration ne peut qu’être écarté.
7. En se bornant à produire une attestation d’hébergement, datée du 11 juin 2024, postérieurement à l’édiction de l’arrêté litigieux, le requérant ne justifie d’aucune attache personnelle ou familiale en France. Il n’est pas dépourvu d’attaches familiales dans son pays d’origine où, selon les termes de sa requête, résident notamment son épouse et leurs enfants. Par ailleurs, il n’établit ni même n’allègue avoir développé une activité professionnelle en France. Dans ces conditions, les décisions litigieuses n’ont pas, au regard des buts en vue desquels elles ont été prises, porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations précitées de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté. Il en va de même du moyen tiré de ce que ces décisions seraient entachées d’une erreur manifeste d’appréciation des conséquences qu’elles emportent sur la vie personnelle de M. A.
8. Aux termes de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». M. A, dont la demande d’asile a été examinée et rejetée à deux reprises par l’OFPRA puis la CNDA et qui ne produit aucune pièce au soutien de ses allégations, n’établit dès lors pas qu’il risquerait d’être exposé à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour au Bangladesh, son pays d’origine à raison de ce qu’il ferait l’objet d’un mandat d’arrêt dans son pays, de ce qu’il serait activement recherché par les forces de police, lesquelles feraient pression sur sa femme et ses enfants par des interventions nocturnes à son domicile, ce qui les aurait obligés à quitter leur habitation et de ce qu’il risquerait d’être tué par ses « ennemies » en cas de retour dans son pays. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne peut qu’être écarté.
9. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la décision d’interdiction de retour sur le territoire français édictée à l’encontre du requérant doit, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens articulés à son encontre, être annulée. En revanche, il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d’annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et de celle fixant le pays à destination de M. A doivent être rejetées. Il en va de même par voie de conséquence des conclusions aux fins d’injonction.
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêté du 7 mai 2024 est annulé en tant seulement qu’il porte interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de douze mois.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. G A et au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 février 2025.
Le magistrat désigné,
L. F La greffière,
Y. Boudekak-Bouanani
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
N°2408242
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