Annulation 20 mars 2025
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Sur la décision
| Référence : | TA Nancy, ch. 3, 20 mars 2025, n° 2402607 |
|---|---|
| Juridiction : | Tribunal administratif de Nancy |
| Numéro : | 2402607 |
| Importance : | Inédit au recueil Lebon |
| Dispositif : | Satisfaction partielle |
| Date de dernière mise à jour : | 30 mai 2025 |
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er septembre 2024 et 13 février 2025, M. B D, représenté par Me Chaïb, demande au tribunal :
1°) d’annuler l’arrêté du 17 juin 2024 par lequel la préfète de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l’a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné ;
2°) d’enjoindre à la préfète de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour l’autorisant à travailler, dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat les entiers dépens ainsi que la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
— la décision portant refus de titre de séjour est entachée d’incompétence ;
— elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article L. 423-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dès lors qu’il remplit les conditions posées par cet article et que son comportement ne constitue pas une menace pour l’ordre public ;
— la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée en raison de l’illégalité du refus de titre de séjour et par voie de conséquence de l’annulation de cette décision ;
— elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
— la décision fixant le pays à destination duquel il pourra être éloigné doit être annulée par voie de conséquence de l’annulation des décision portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ;
— elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 février 2025, la préfète de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. D ne sont pas fondés et sollicite une substitution de motifs, dès lors qu’il ne remplit pas les conditions posées par l’article L. 423-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour se voir délivrer une carte de séjour temporaire, en particulier en ce qu’il ne justifie pas de son isolement dans son pays d’origine.
M. D a été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par une décision du 29 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
— la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
— le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l’audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
— le rapport de M. Bastian, conseiller,
— les observations de Me Chaïb, avocate de M. D.
La préfète de Meurthe-et-Moselle n’était ni présente, ni représentée.
Une note en délibéré a été enregistrée le 2 mars 2025 pour M. D et n’a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. M. D, ressortissant tunisien né le 7 octobre 2005, est entré en France le 10 juillet 2021 et a été confié à l’aide sociale à l’enfance de Meurthe-et-Moselle. Il a sollicité le 19 janvier 2024 la délivrance d’un titre de séjour. Par un arrêté du 17 juin 2024, dont M. D demande l’annulation, la préfète de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l’a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. Aux termes de l’article L. 423-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s’il entre dans les prévisions de l’article L. 421-35, l’étranger qui a été confié au service de l’aide sociale à l’enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention » vie privée et familiale « d’une durée d’un an, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l’étranger avec sa famille restée dans son pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française. » Aux termes de l’article L. 412-5 de ce code : « La circonstance que la présence d’un étranger en France constitue une menace pour l’ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire (). »
3. Il est constant que M. D a, le 16 octobre 2023, tenu au sein de son établissement scolaire des propos légitimant l’assassinat du professeur C A. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu’il a, dès le 19 octobre 2023, dans une lettre adressée à la proviseure de son lycée, reconnu la gravité de ses propos et indiqué qu’ils avaient été tenus sous l’influence de camarades. Dans ce courrier, M. D a indiqué regretter la teneur de ses propos et a tenu à présenter ses excuses. Il a écopé, le 24 octobre 2023, d’une sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de l’établissement de seulement cinq jours, dont trois fermes, et n’a fait l’objet d’aucune poursuite pénale. Il ressort en outre des différents rapports de sa structure d’accueil qu’aucun autre incident n’a été recensé depuis que l’intéressé a été confié aux services de l’aide sociale à l’enfance en 2021. Ces rapports font notamment état de la bonne intégration de M. D, de son respect des règles, de ce qu’il ne fait pas preuve de communautarisme en ayant des contacts avec les jeunes de toutes origines et d’une bonne appréhension des règles et normes sociétales françaises. Dès lors, les propos tenus ne suffisent pas à caractériser une menace pour l’ordre public que représenterait la présence en France de M. D. Dans ces conditions, M. D est fondé à soutenir que la préfète de Meurthe-et-Moselle a inexactement appliqué les dispositions citées au point précédent en refusant de lui délivrer un titre de séjour.
4. Toutefois, l’administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir que la décision dont l’annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l’auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d’apprécier s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif. Dans l’affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu’elle ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué.
5. Pour établir que la décision du 17 juin 2024 était légale, la préfète de Meurthe-et-Moselle indique qu’elle aurait pu être fondée sur la circonstance que M. D ne remplit pas les conditions posées par l’article L. 423-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en particulier en ce qu’il ne justifie pas de son isolement dans son pays d’origine. Toutefois, il est constant que M. D a été confié à l’aide sociale à l’enfance avant ses seize ans et qu’il suivait, à la date de la décision attaquée, une formation. Il ressort des pièces du dossier, et notamment d’une attestation d’un professeur et d’une lettre de recommandation d’un maître de stage, qu’il suit sa formation avec sérieux. Il ne ressort d’aucune pièce du dossier qu’il aurait toujours des liens avec sa famille de son pays d’origine. Enfin, les avis de la structure d’accueil sont très positifs quant à son intégration sur le territoire français, attestée notamment par sa participation au club de football de Maxéville et son intégration dans sa belle-famille de nationalité française. Par suite, il n’y a pas lieu de procéder à la substitution de motifs sollicitée en défense.
6. Il résulte de ce qui précède que M. D est fondé à demander l’annulation de la décision par laquelle la préfète de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour ainsi que, par voie de conséquence, des décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai d’un mois et fixant le pays à destination duquel il pourra être éloigné.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
7. Le présent jugement implique nécessairement que la préfète de Meurthe-et-Moselle délivre à M. D un titre de séjour. Il y a lieu, par suite, d’enjoindre à cette autorité de délivrer un titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement et, dans cette attente, de lui délivrer immédiatement, en application de l’article L. 614-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais liés au litige :
8. En premier lieu, la présente instance n’ayant donné lieu à aucun frais susceptible d’être qualifié de dépens, au sens de l’article R. 761-1 du code de justice administrative, les conclusions formées à ce titre par M. D ne peuvent qu’être rejetées.
9. En deuxième lieu, M. D a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Chaïb, avocate de M. D, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État, de mettre à la charge de l’Etat le versement à Me Chaïb d’une somme de 1 200 euros.
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêté du 17 juin 2024 par lequel la préfète de Meurthe-et-Moselle a refusé de délivrer un titre de séjour à M. D, l’a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné est annulé.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de Meurthe-et-Moselle de délivrer à M. D un titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L’Etat versera à Me Chaïb une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Chaïb renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. B D, à Me Chaïb et à la préfète de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l’audience du 27 février 2025, à laquelle siégeaient :
— Mme Samson-Dye, présidente,
— M. Bastian, conseiller,
— Mme Philis, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mars 2025.
Le rapporteur,
P. Bastian
La présidente,
A. Samson-Dye
Le greffier,
P. Lepage
La République mande et ordonne à la préfète de Meurthe-et-Moselle en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
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