Tribunal administratif d'Orléans, 2ème chambre, 24 janvier 2023, n° 2003136

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www.avocats-vl.fr · 11 avril 2023

Dans un intéressant arrêt de tribunal administratif, le juge a annulé la décision d'une administration refusant la demande de détachement formulée par un de ses agents. Ce qui pêche en l'espèce, d'après le juge, est que l'administration a avancé les nécessités du service mais sans les justifier précisément et les appliquer au cas de l'intéressé. Dans cet arrêt (TA Orléans, 24 janv. 2023, n° 2003136), une surveillante pénitentiaire, agent du ministère de l'Intérieur, avait demandé son détachement vers la police municipale de la ville d'Orléans. Tout était réglé, et elle avait même une …

 

Maître Sylvain Bouchon · LegaVox · 5 avril 2023
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Sur la décision

Référence :
TA Orléans, 2e ch., 24 janv. 2023, n° 2003136
Juridiction : Tribunal administratif d'Orléans
Numéro : 2003136
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Dispositif : Satisfaction totale
Date de dernière mise à jour : 25 septembre 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 7 septembre 2020 et le 2 décembre 2022, Mme A B, représentée par Me Saada-Dusart, demande dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner le garde des sceaux, ministre de la justice à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation des préjudices qu’elle a subis du fait du fait de l’illégalité de la décision de refus de détachement qui lui a été opposée, somme assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation à compter de la date de sa demande indemnitaire préalable ;

2°) de mettre à la charge du garde des sceaux, ministre de la justice une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— le garde des sceaux, ministre de la justice a commis une erreur de fait et une erreur manifeste d’appréciation en refusant son détachement dans l’intérêt du service et de sécurité en n’apportant pas de précisions suffisantes et de preuves concernant le taux de couverture et de surpopulation carcérale  ; les chiffres 2021 avancés ne correspondent pas à sa situation particulière ni à l’année du refus porté à son détachement ; en outre, le centre pénitencier d’Orléans-Saran n’a pas d’accessoires de traitement au titre de la surpopulation ;

— il a méconnu le principe d’égalité entre agents de même corps dès lors que d’autres collègues ont obtenu un détachement ; elle n’occupait pas un poste particulier, n’avait pas de compétence particulière et avait une ancienneté réduite ;

— la commission administrative paritaire n’a pas été régulièrement saisie ce qui entraine un vice d’une particulière gravité et a nécessairement eu une influence sur le sens de le décision prise, entachant la décision prise d’illégalité ;

— elle a subi un préjudice financier et moral par la perte de son emploi de policier municipal dès lors qu’elle aurait perçu des revenus financiers plus élevés ; elle avait le projet de devenir maitresse-chien, s’était impliquée dans ce projet et avait formé son chien à ce titre ;

— elle a subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence en raison d’un syndrome dépressif et d’insomnies ; elle suit un traitement médicamenteux concernant son syndrome dépressif et elle a été placé en congé maladie ordinaire ;

— le montant des préjudices doit être fixé à la somme de 15 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 21 novembre 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.

Par ordonnance du 23 novembre 2022, la clôture de l’instruction a été fixée au 14 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

— la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme C,

— les conclusions de Mme Dumand, rapporteure publique,

— et les observations de Me Saada-Dusart, représentant Mme B.

L’Etat n’étant ni présent, ni représenté.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A B est surveillante pénitentiaire au centre pénitentiaire d’Orléans-Saran depuis le 3 mars 2019. Le 18 novembre 2019, elle a demandé à être détachée au sein de la police municipale à compter du 1er mars 2020, se prévalant d’une promesse d’embauche à temps complet du maire d’Orléans en date du 19 novembre 2019. Par une décision en date du 9 décembre 2019, la garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté la demande de Mme B. Le 17 mars 2020, Mme B a formé une demande, reçue le 27 mars 2020, tendant au versement d’une somme de 15 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du refus de détachement. Par le silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice lors de la période de confinement sur sa demande, une décision implicite de rejet est née le 24 août 2020. Mme B demande de condamner l’Etat à lui verser une indemnité à titre de dommages-intérêts d’un montant total de 15 000 euros.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. D’une part, aux termes de l’article 45 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat : « Le détachement est la position du fonctionnaire placé hors de son corps (). Il est prononcé sur la demande du fonctionnaire. Le détachement est de courte ou de longue durée () ». D’autre part, aux termes de l’article 14 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : « L’accès des fonctionnaires de l’Etat, des fonctionnaires territoriaux et des fonctionnaires hospitaliers aux deux autres fonctions publiques, ainsi que leur mobilité au sein de chacune de ces trois fonctions publiques, constituent des garanties fondamentales de leur carrière. A cet effet, l’accès des fonctionnaires de l’Etat, des fonctionnaires territoriaux et des fonctionnaires hospitaliers aux deux autres fonctions publiques s’effectue par la voie du détachement () ». Aux termes de l’article 14 bis de cette loi : « Hormis les cas où le détachement et la mise en disponibilité sont de droit, une administration ne peut s’opposer à la demande de l’un de ses fonctionnaires tendant, avec l’accord du service, de l’administration ou de l’organisme public ou privé d’accueil, à être placé dans l’une de ces positions statutaires () dans une autre administration qu’en raison des nécessités du service () ».

3. Il résulte de ces dispositions que si le possible détachement au sein de la fonction publique territoriale de Mme B, au sein de de la police municipale d’Orléans, constitue une garantie fondamentale de sa carrière, il n’en constitue pas pour autant un droit automatiquement accordé, mais sous réserve notamment de l’appréciation, par l’administration d’origine, des nécessités de son service.

4. En l’espèce, il résulte de l’instruction que la garde des sceaux, ministre de la justice a refusé le détachement pour raison des nécessités du service établis par « un taux de couverture () de 94,56 % et () un taux de surpopulation carcérale de 118,3 % » en précisant que le départ de Mme B « entrainerait une aggravation de cette situation et augmenterait le risque d’incidents mettant en période la sécurité et l’ordre public ». Toutefois, pour confirmer la nécessité de « la continuité du service public et le souci de maintenir un effectif strictement nécessaire à l’accomplissement des missions dans des conditions de sécurité adaptées », elle se borne à donner le chiffre global de 95 % du taux d’occupation du centre pénitencier sans apporter les précisions nécessaires à apprécier la situation particulière de l’intéressée et le risque lié à une surpopulation carcérale. En outre, il résulte également de l’instruction que les chiffres communiqués pour justifier ce refus concernent l’année 2021 alors que le refus du détachement de Mme B a été opposé en 2019. Par suite, en ne justifiant pas les nécessités du service, et notamment les risques liés au respect de la sécurité et à l’ordre public, la garde des sceaux, ministre de la justice a entachée sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation.

5. En refusant le détachement de Mme B, la garde des sceaux, ministre de la justice a commis une faute qui est de nature à engager sa responsabilité, dont les conséquences sont directement liées à l’illégalité fautive qui l’entache.

6. En premier lieu, la requérante soutient qu’en raison du refus de son détachement dans la police municipale, elle a été privée d’une rémunération supérieure. Elle fait également valoir qu’elle a été privée de son projet professionnel de devenir maitresse-chien et qu’elle avait une chance sérieuse d’intégrer la brigade cynophile de la police municipale d’Orléans. La perte de cette affectation lui aurait faire perdre le bénéfice d’une prime de 380 euros par mois.

7. D’une part, en refusant le détachement de Mme B, à compter du 1er mars 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice l’a privée du droit de percevoir une rémunération supérieure. La rémunération proposée par le maire d’Orléans pour le poste de gardien-brigadier, à temps complet et pour un an, correspondait au 1er échelon du grade détenu par Mme B lors de sa demande de détachement soit 1 537,01 euros, l’indemnité spéciale d’agent de police de 307,40 euros, l’indemnité d’absence temporaire de 130 euros alors qu’elle percevait au titre de son emploi actuel 1 451,24 euros, prime de détention incluse, soit une différence de 523,17 euros par mois, chiffres non contestés en défense . Il sera fait une juste évaluation de ce préjudice en condamnant l’Etat à lui verser une somme de 6 365 euros.

8. D’autre part, si la requérante se prévaut d’un préjudice financier consistant en la perte d’une chance sérieuse d’exercer le métier de maitresse-chien au sein de la brigade cynophile de la police municipale d’Orléans et d’une augmentation de rémunération correspondante, elle ne justifie toutefois pas de la réalité de cette perte de chance. La demande formulée au titre de ce chef de préjudice ne peut qu’être écartée.

9. En second lieu, il résulte de l’instruction et notamment des attestations des collègues de Mme B, que cette dernière présente un état moral dégradé depuis l’annonce du refus de son détachement dans la police municipal d’Orléans. Cet état moral est également décrit dans un courriel daté du 18 février 2020 de la psychologue des personnels pénitentiaires exprimant sa vive inquiétude. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d’existence de Mme B en condamnant l’Etat à lui verser une somme de 2 000 euros.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

10. Mme B a droit aux intérêts de la somme de 8 365 euros à compter du 27 mars 2019, date de réception par l’administration de sa réclamation indemnitaire ainsi qu’à la capitalisation de ces intérêts à chaque échéance annuelle à compter du 27 mars 2020.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme B et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er  : L’Etat versera à Mme B la somme de 8 365 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2019. Les intérêts échus à la date du 27 mars 2020 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : L’Etat versera à Mme B une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme A B et au garde des sceaux, ministre de la justice .

Délibéré après l’audience du 6 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Anne-Laure Delamarre, présidente,

Mme Bertrand, première conseillère,

Mme Anne-Laure Pajot, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 janvier 2023.

La rapporteure,

Valérie C

La présidente,

Anne-Laure DELAMARRELa greffière,

Aurore MARTIN

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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