Tribunal administratif de Paris, 31 janvier 2014, n° 1216457

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PARIS

No 1216457/6-1

___________

Mme Y X

Société d’édition de Médiapart

___________

M. Rohmer

Rapporteur

___________

Mme Baratin

Rapporteur public

___________

Audience du 17 janvier 2014

Lecture du 31 janvier 2014

___________

26-06-01-02

C

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de Paris,

(6e section – 1re chambre),

Vu la requête, enregistrée le 11 septembre 2012, présentée pour Mme Y X, demeurant XXX à XXX et la société d’édition de Médiapart, représentée par son président M. A B, dont le siège est situé 8 passage Brulon à XXX, par Me Terel et Schor ; les requérants demandent au tribunal :

1°- avant-dire droit, d’enjoindre à la Commission nationale des comptes de campagne et de financements politiques (CNCCFP) de communiquer au tribunal les documents dont la communication a été refusée par décision du 12 juillet 2012 ;

2°- d’annuler la décision du 12 juillet 2012 par laquelle le président de la CNCCFP a refusé de communiquer à Mme X des documents relatifs à la procédure de contrôle des comptes de campagne de M. C D pour les élections présidentielles de 2007 ;

3°- d’enjoindre à la CNCCFP de communiquer à Mme X les documents demandés dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°- de condamner l’Etat aux entiers dépens, comprenant notamment la somme de 35 euros acquittée pour l’introduction de la requête ;

5°- de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative à verser solidairement à Mme X et à la société Médiapart ;

Les requérants font valoir que :

— ils ont intérêt à agir contre la décision en litige ;

— la décision en litige est insuffisamment motivée au regard des exigences de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

— les motifs que semble retenir la CNCCFP pour refuser la communication sont entachés d’erreur de droit car ils ne constituent pas des motifs légaux de refus de communication aux termes de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;

— ces motifs sont également entachés d’erreur manifeste d’appréciation car ils ne sauraient justifier un refus de communication pour l’application de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;

— la décision attaquée est entachée d’un détournement de pouvoir dès lors que le refus de communication est motivé par la volonté de ne pas donner d’éléments susceptibles de remettre en cause la procédure de validation des comptes de M. C D ;

Vu le mémoire, enregistré le 28 novembre 2012, présenté par le président de la Commission nationale des comptes de campagne et de financements politiques (CNCCFP), par lequel celui-ci conclut au rejet de la requête ;

Le président de la CNCCFP soutient que :

— la décision est suffisamment motivée par référence à une décision antérieure du

30 mars 2012 opposée à Mme X ;

— le refus de communication est à bon droit motivé, en application de la loi du

17 juillet 1978, par la nécessité de protéger le secret des délibérations de la commission, par le risque d’atteinte à la réputation du candidat concerné et par le risque d’interpellation de la commission concernant la décision rendue sur les comptes de campagne ;

Vu les mémoires, enregistrés les 18 juin 2013 et 2 octobre 2013, par lesquels Mme X et la société d’édition de Médiapart concluent aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens ;

Vu les mémoires, enregistrés les 9 septembre 2013 et 22 octobre 2013, par lesquels le président de la Commission nationale des comptes de campagne et de financements politiques persiste dans ses précédentes écritures ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code électoral ;

Vu la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel ;

Vu la loi no 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public ;

Vu le décret no 2005-1755 du 30 décembre 2005 relatif à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques, pris pour l’application de la loi no 78-753 du 17 juillet 1978 ;

Vu l’avis de la commission d’accès aux documents administratifs rendu lors de sa séance du 7 juin 2012 à la suite d’une saisine enregistrée le 9 mai 2012 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience :

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 17 janvier 2014 :

— le rapport de M. Rohmer, rapporteur,

— les conclusions de Mme Baratin, rapporteur public,

— et les observations de Me Terel, pour les requérants ;

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, par courriel du 7 mars 2012, Mme Y X, journaliste au site d’information Médiapart, a saisi la Commission nationale des comptes de campagne et de financements politiques (CNCCFP) d’une demande de communication de documents relatifs au compte de campagne de M. C D, candidat à l’élection du Président de la République des 22 avril et 6 mai 2007, à savoir le questionnaire adressé par les rapporteurs de la CNCCFP le 10 septembre 2007 à M. C D et à son représentant, M. E F, président de son association de financement électorale, les réponses à ce questionnaire, datées des 2, 23 et 25 octobre 2007, et la lettre d’observations adressée par les rapporteurs le 31 octobre 2007 à M. C D et à M. E F ainsi que la réponse à cette lettre, datée du 12 novembre 2007 ; qu’en l’absence de réponse de la CNCCFP, Mme X, pour le site d’information Médiapart, a saisi, le 9 mai 2012, la commission d’accès aux documents administratifs, laquelle a rendu le 7 juin un avis favorable, sous certaines réserves, à la communication des pièces mentionnées ci-dessus ; que par la décision du 12 juillet 2012, le président de la CNCCFP a confirmé le rejet de la demande de communication des documents sollicités ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 susvisée : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent […] » ; qu’aux termes de l’article 3 de cette même loi : « La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. » ; que, par la décision en litige du 12 juillet 2012, le président de la CNCCFP a indiqué à Mme X que le refus de communication de documents relatifs à la procédure d’examen des comptes de campagne de M. C D était fondée, en application de la loi du 17 juillet 1978, sur des raisons identiques à celles qui lui avaient été exposées dans un précédent courrier du 30 mars 2012, par lequel la commission avait rejeté la demande de Mme X se rapportant à des pièces similaires concernant les comptes de campagne de M. I-J Le Pen ; que ce dernier courrier, que Mme X reconnaît avoir reçu, exposait les motifs pour lesquelles la CNCCFP considérait que, par principe, les documents relevant de la procédure contradictoire conduite par la commission en matière d’examen des comptes de campagne ne pouvaient être communiqués aux tiers en application de la loi du 17 juillet 1978 ; qu’ainsi, le président de la CNCCFP a mis à même les requérants de connaître le fondement en droit et en fait de la décision en litige ; que, dès lors, le moyen tiré de l’insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté ;

3. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 52-14 du code électoral : « Il est institué une autorité administrative indépendante dénommée Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. / Cette commission comprend neuf membres nommés, pour cinq ans, par décret : / – trois membres ou membres honoraires du Conseil d’Etat, désignés sur proposition du vice-président du Conseil d’Etat, après avis du bureau ; / – trois membres ou membres honoraires de la Cour de cassation, désignés sur proposition du premier président de la Cour de cassation, après avis du bureau ;/ – trois membres ou membres honoraires de la Cour des comptes, désignés sur proposition du premier président de la Cour des comptes, après avis des présidents de chambres. / Elle élit son président. / Les crédits et les emplois nécessaires au fonctionnement de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques sont inscrits au budget général de l’Etat […] Les personnels des services de la commission, qu’ils soient fonctionnaires ou contractuels, sont tenus au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont ils ont pu avoir connaissance en raison de leurs fonctions […] » ; que l’article L. 52-15 du même code dispose que : « La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Elle arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu à l’article L. 52-11-1 […] » ; qu’enfin, aux termes de l’article de la loi du 6 novembre 1962 susvisée, relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel : « […] La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve, rejette ou réforme, après procédure contradictoire, les comptes de campagne et arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu au V du présent article. Elle se prononce dans les six mois du dépôt des comptes […] Par dérogation au quatrième alinéa de l’article L. 52-12 du code électoral, les comptes de campagne des candidats sont publiés par la commission au Journal officiel dans le mois suivant l’expiration du délai prévu au deuxième alinéa du même article L. 52-12 […] » ;

4. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 1er de la loi no 78-753 du 17 juillet 1978 susvisée : « […] Sont considérés comme documents administratifs, au sens des chapitres Ier, III et IV du présent titre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions […] » ; qu’aux termes de l’article 2 du même texte : « Sous réserve des dispositions de l’article 6, les autorités mentionnées à l’article 1er sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent titre. Le droit à communication ne s’applique qu’à des documents achevés. Il ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu’elle est en cours d’élaboration. Il ne s’exerce plus lorsque les documents font l’objet d’une diffusion publique […] » ; que l’article 6 de la même loi dispose que : « I.-Ne sont pas communicables : […] 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : a) Au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif ; […] II.-Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / -portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable/ – faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice […] III.-Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application du présent article mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. » ;

5. Considérant, en premier lieu, qu’en vertu des dispositions de l’article L. 52-14 du code électoral, la Commission nationale des comptes de campagne et de financements politiques est une autorité administrative indépendante ; que tant les documents émanant de la CNCCFP que ceux qu’elle reçoit dans le cadre de la procédure contradictoire prévue à l’article L. 52-15 du code électoral qui n’a pas de caractère juridictionnel, présentent un caractère administratif et entrent dans le champ d’application de la loi du 17 juillet 1978 ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que la CNCCFP ne peut être qualifiée d’autorité responsable relevant du pouvoir exécutif, au sens des dispositions précitées du a) du 2° du I de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978 ; que le défendeur ne saurait donc se prévaloir de ces dispositions pour soutenir que les documents réclamés par les requérants ne pouvaient leur être communiqués au motif que leur divulgation porterait atteinte au secret des délibérations de la CNCCFP ;

7. Considérant, en troisième lieu, qu’il appartient au juge administratif de requérir des administrations compétentes la production de tous les documents nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis, à la seule exception des documents couverts par un secret garanti par la loi ; que, si le caractère contradictoire de la procédure impose que chaque partie reçoive communication de toutes les pièces produites au cours de l’instance, cette exigence est nécessairement exclue s’agissant des documents dont le refus de communication constitue l’objet même du litige ;

8. Considérant que l’état de l’instruction ne permet pas de déterminer si, comme le soutient le défendeur, les documents demandés, dont l’existence n’est pas contestée, relèvent, entièrement ou pour partie, des exceptions posées par les dispositions précitées de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, notamment en ce que leur communication porterait atteinte à la protection de la vie privée ou ferait apparaître le comportement d’une personne, dont la divulgation pourrait lui porter préjudice ; qu’ainsi, il y a lieu d’ordonner avant dire droit, tous droits et moyens des parties sur lesquels il n’est pas expressément statué par le présent jugement étant réservés, la production de la version intégrale de ce rapport au Tribunal, sans que cette pièce soit communiquée à Mme X et à la société d’édition de Médiapart, pour être ensuite statué ce qu’il appartiendra sur les conclusions de la requête ;

D É C I D E :

Article 1er : Est ordonnée avant dire droit la production au Tribunal par la Commission nationale des comptes de campagne et de financements politiques, et selon les conditions précisées dans les motifs du présent jugement, des documents suivants relatifs à l’examen par la commission nationale des comptes de campagne et de financements politiques du compte de campagne de M. C D, candidat à l’élection du Président de la République des 22 avril et 6 mai 2007 : le questionnaire adressé par les rapporteurs de la commission le 10 septembre 2007 à M. C D et à son représentant, M. E F, président de son association de financement électorale, les réponses à ce questionnaire, datées des 2, 23 et 25 octobre 2007, et la lettre d’observations adressée par les rapporteurs le 31 octobre 2007 à M. C D et à M. E F ainsi que la réponse à cette lettre, datée du 12 novembre 2007. Cette production devra intervenir dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 2 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n’est pas expressément statué par le présent jugement, sont réservés jusqu’en fin d’instance.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme Y X, à la société d’édition de Médiapart, et au président de la commission nationale des comptes de campagne et de financements politiques.

Délibéré après l’audience du 17 janvier 2014, à laquelle siégeaient :

M. Wurtz, président,

M. Rohmer, premier conseiller,

Mme David, conseiller.

Lu en audience publique le 31 janvier 2014.

Le rapporteur, Le président,

B. ROHMER Ch. WURTZ

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur, en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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