Tribunal administratif de Paris, 12 avril 2018, n° N° 1609810/4-3 N°1613427/4-3

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Sur la décision

Référence :
TA Paris, 12 avr. 2018, n° N° 1609810/4-3 N°1613427/4-3
Juridiction : Tribunal administratif de Paris
Numéro : N° 1609810/4-3 N°1613427/4-3

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF Sommaire

DE PARIS

N° 1609810/4-3

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE N° 1613427/4-3

Société Duhamel Fine Art et autres

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Mme X

Rapporteur Le Tribunal administratif de Paris,

(4ème section – 3ème chambre) Mme Y

Rapporteur Public

Audience du 29 mars 2018

Lecture du 12 avril 2018

41-03-02

41-01-05-03

68-03-01-01

C+

Vu la procédure suivante :

I. Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 juin 2016, le 27 février 2017 et le 17 mai 2017, sous le n° 1609810, la société Duhamel Fine Art, la société Millon et associés,
Mme A., M. B., Mme C., M. D., Mme E., et M. F., représentés par le cabinet Simon associés, Me Robert-Védie, demandent au tribunal:

1°) d’annuler l’arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010 par lequel le préfet de la région Ile-de-France a inscrit au titre des monuments historiques, en totalité, la tombe de J

K, avec le groupe sculpté « Le Baiser » de I G, et son socle formant stèle, sise au cimetière Montparnasse, […] à […]);

2°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les requérants soutiennent que :

-la requête est recevable; la qualité et l’intérêt pour agir des propriétaires ayants droit est établie, ainsi que la qualité pour agir des sociétés requérantes ;



- l’arrêté litigieux n’ayant pas été notifié aux ayants droit propriétaires, et cet arrêté ne faisant pas mention des voies et délais de recours, la requête est recevable sans condition de délai ;

- l’arrêté attaqué est entaché d’incompétence, le signataire de cet arrêté ayant agi pour le compte du préfet de région, alors que le préfet de département était seul compétent en vertu de l’article 35 du décret n° 2007-487 relatif aux monuments historiques; en outre, la délégation de compétences octroyée au signataire de l’arrêté attaqué est trop large et insuffisamment précise sur les matières qui lui sont déléguées; enfin, l’absence ou

l’empêchement du préfet n’est pas établie ;

- l’arrêté attaqué est entaché de vice de procédure, en ce qu’il n’a pas été pris après accord du propriétaire, en méconnaissance des dispositions de l’article 74 du décret n° 2007 487 du 31 mars 2007; l’absence de recherche de l’accord des ayants droit caractérise une manoeuvre frauduleuse ; la procédure prévue par l’article 76 du décret n° 2007-487 du 30 mars 2007 a été méconnue ;

- le préfet de la région Ile-de-France a commis une erreur de qualification juridique et une erreur de droit en appliquant à la sépulture de J K le régime juridique applicable aux immeubles en lieu et place du régime applicable aux objets mobiliers, qui inclut les immeubles par destination en vertu des articles L. 622-1 et L. 622-20 du code du patrimoine ; c’est à tort que le préfet a écarté l’application de la circulaire du ministre de la culture du 31 mai 2000, qui présente un caractère réglementaire ;

- à supposer que le préfet de la région Ile-de-France ait entendu inscrire la tombe de

J Rachewskaya en tant qu’immeuble par nature, il a commis une erreur de droit en procédant à l’inscription aux monuments historiques de la tombe dans son intégralité, alors que seule la sculpture présente un intérêt artistique et historique ;

- l’arrêté attaqué est entaché de détournement de pouvoir et de procédure ;

- l’arrêté attaqué méconnaît le droit de propriété garanti par l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 1er du premier protocole à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 25 janvier 2017 et le 28 mars 2017, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- à titre principal, la requête est irrecevable, l’intérêt pour agir des requérants en tant qu’ils sont propriétaires du monument funéraire n’étant pas démontré, de même que la qualité pour agir de la société Duhamel Fine Art et de la société Millon et associés; en outre, la requête est tardive;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 18 mai 2017, la clôture de l’instruction a été fixée au 19 juin 2017.

II. Par une requête et des mémoires, enregistrés le 30 août 2016, le 27 février 2017, et le 17 mai 2017, sous le n° 1613427, la société Duhamel Fine Art, la société Millon et associés,
Mme A., M. B., Mme C., M. D., Mme E., et M. F., représentés par le cabinet Simon associés, Me Robert-Védie, demandent au tribunal :

1°) d’annuler la décision du 28 juin 2016 par laquelle le préfet de la région Ile-de France, préfet de Paris, a rejeté le recours gracieux formé contre la décision du 17 mars 2016 par laquelle il a refusé de se prononcer sur la déclaration préalable de travaux déposée le 8


mars 2016, et visant l’enlèvement de la sculpture « Le Baiser » de I G, de la tombe de J K, sise au cimetière Montparnasse, […]), ainsi que la décision du 17 mars 2016 précitée;

2°) d’ordonner au préfet de procéder au réexamen de la déclaration de travaux à intervenir sur la sculpture « Le Baiser », dans un délai de 15 jours suivant la notification du jugement, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que : la requête est recevable; les décisions attaquées sont entachées d’incompétence de leurs signataires ; ceux ci ne disposaient pas d’une délégation de signature suffisamment précise et régulièrement publiée ; les décisions attaquées sont entachées d’erreur de droit compte tenu de l’illégalité de l’arrêté du 21 mai 2010, qui constitue le support des deux décisions d’opposition à travaux attaquées ; celui-ci est entaché d’erreur de qualification juridique, la sculpture en cause relevant de la catégorie des immeubles par destination ; il est entaché d’erreur de droit, en ce que l’inscription aurait dû être effectuée, avec l’accord des propriétaires, sur le fondement des articles L. 622-20 et suivants du code du patrimoine, selon la procédure prévue aux articles 74 et suivants du décret n° 2007-487 du 30 mars 2007; à supposer que le préfet de la région Ile de-France, préfet de Paris, ait entendu procéder à l’inscription de la sculpture apposée sur la tombe de J K en tant qu’immeuble par nature, aucun intérêt d’histoire ou d’art suffisant ne justifiait l’inscription de la tombe dans son intégralité ; l’arrêté du 21 mai 2010 est entaché de détournement de pouvoir et de procédure et méconnaît le droit de propriété.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 25 janvier 2017 et le 27 mars 2017, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

à titre principal, le moyen tiré de l’incompétence des signataires des décisions attaquées n’est pas fondé et l’administration était en situation de compétence liée pour rejeter la demande en ce qu’elle était présentée comme portant sur un objet mobilier;

à titre subsidiaire, le moyen tiré de l’illégalité par voie d’exception de l’arrêté n° 2010-480 est irrecevable;

à titre très subsidiaire, le moyen tiré de l’illégalité par voie d’exception de l’arrêté n° 2010-480 n’est pas fondé.

Par une ordonnance du 18 mai 2017, la clôture de l’instruction a été fixée au 19 juin 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu: la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

- le code civil;

- le code du patrimoine ; le code de l’urbanisme ;


le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à

l’organisation et à l’action des services de l’Etat dans les régions et les départements ;

- le décret n° 2007-487 du 30 mars 2007 relatif aux monuments historiques et aux zones de protection du patrimoine architectural;

- le décret n° 2010-633 du 8 juin 2010 relatif à l’organisation et aux missions des directions régionales des affaires culturelles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience;

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 29 mars 2018:

- le rapport de Mme X,

- les conclusions de Mme Y, rapporteur public,

- les observations de Me Robert-Védie, représentant les requérants, et les observations de M. D, représentant le préfet de la région Ile-de-France.

1. J K, de nationalité russe, décédée à Paris le […], à

l’âge de 23 ans, a été inhumée au cimetière de Montparnasse, dans une concession funéraire à titre perpétuel acquise le 12 décembre 1910 par son père, G. Sur sa sépulture a été installée une sculpture dénommée « Le Baiser » réalisée par I G en 1909. Mme C., M. D., Mme E., M. F., Mme A., et M. B., qui se sont vu délivrer des attestations d’ayants droit de la concession perpétuelle par la ville de Paris au cours de l’année 2005, ont sollicité un certificat de libre circulation de la sculpture, sur le fondement des articles L. 111-1 et suivants du code du patrimoine. Par arrêté du 4 octobre 2006, le ministre de la culture a rejeté cette demande et classé la sculpture parmi les trésors nationaux. En outre, par arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, estimant que « la conservation du groupe sculpté: 'Le Baiser’ réalisé par I G en 1909 et installé sur la tombe de J K à son décès en 1910 présente au point [de vue] de l’histoire et de l’art un intérêt public en raison d’une part, de sa place essentielle dans l’œuvre de G et de sa qualité intrinsèque qui en fait une oeuvre majeure, d’autre part, de son intégration à l’ensemble de la tombe avec son socle constituant la stèle funéraire portant

l’épitaphe gravé et signé par G », a inscrit au titre des monuments historiques, en totalité, la tombe de J K, avec le groupe sculpté 'Le Baiser’ et son socle formant stèle. Le 8 mars 2016, les intéressés, par l’intermédiaire des sociétés Duhamel Fine

Art et Millon et associés, qui exercent les activités d’expert et de marchand d’art, ont déposé auprès des services de la préfecture de la région Ile-de-France une déclaration de travaux sur le fondement des dispositions de l’article L. 622-22 du code du patrimoine en vue de la dépose de la sculpture. Par courrier du 17 mars 2016, cette demande a été rejetée comme irrecevable au motif que, « la tombe de J Rachevskaïa, avec le groupe sculpté Le Baiser’ de

I G et son socle formant stèle est un immeuble inscrit en totalité parmi les monuments historiques par arrêté du 21 mai 2010. En conséquence, les travaux projetés doivent faire l’objet d’une demande de permis de construire, à déposer auprès des services de l’urbanisme de la ville de Paris ». Cette décision a fait l’objet d’un recours gracieux en date du

26 avril 2016, rejeté par le préfet de la région Ile-de-France le 28 juin 2016, au motif que le monument en cause « ne relève pas des dispositions relatives aux objets [mobiliers] mais des dispositions relatives aux immeubles inscrits parmi les monuments historiques et notamment de l’article L. 621-27 du code du patrimoine ». Par leurs requêtes, les requérants demandent

l’annulation, d’une part, de l’arrêté du 21 mai 2010 portant inscription de la tombe au titre des monuments historiques, et, d’autre part, des décisions des 17 mars 2016 et 28 juin 2016 rejetant leur demande d’autorisation de travaux sur cette tombe.



Sur la jonction :

2. Les requêtes susvisées concernent les mêmes parties, présentent à juger les mêmes questions, et ont fait l’objet d’une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu’il y soit statué par un même jugement.

Sur les conclusions dirigées contre l’arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010:

En ce qui concerne la qualification juridique de la sculpture :

3. D’une part, aux termes de l’article L. 621-25 du code du patrimoine, dans sa rédaction applicable à la date de l’arrêté attaqué : « Les immeubles ou parties d’immeubles publics ou privés qui, sans justifier une demande de classement immédiat au titre des monuments historiques, présentent un intérêt d’histoire ou d’art suffisant pour en rendre désirable la préservation peuvent, à toute époque, être inscrits, par décision de l’autorité administrative, au titre des monuments historiques. »>. Aux termes de l’article L. 621-27 du même code : « L’inscription au titre des monuments historiques est notifiée aux propriétaires et entraînera pour eux l’obligation de ne procéder à aucune modification de l’immeuble ou partie de l’immeuble inscrit, sans avoir, quatre mois auparavant, avisé l’autorité administrative de leur intention et indiqué les travaux qu’ils se proposent de réaliser. / Lorsque les constructions ou les travaux envisagés sur les immeubles inscrits au titre des monuments historiques sont soumis à permis de construire, à permis de démolir, à permis

d’aménager ou à déclaration préalable, la décision accordant le permis ou la décision de non opposition ne peut intervenir sans l’accord de l’autorité administrative chargée des monuments historiques. ». La procédure d’inscription applicable aux immeubles et parties d’immeubles est régie par les articles 34 à 39 et 42 à 47 du décret n° 2007-487 du 30 mars

2007 relatif aux monuments historiques et aux zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), applicables à la date de l’arrêté attaqué.

4. D’autre part, aux termes de l’article L. 622-20 du même code: « Les objets mobiliers, soit meubles proprement dits, soit immeubles par destination qui, sans justifier une demande de classement immédiat, présentent, au point de vue de l’histoire, de l’art, de la science ou de la technique, un intérêt suffisant pour en rendre désirable la préservation, peuvent, à toute époque, être inscrits au titre des monuments historiques. Les objets mobiliers appartenant à une personne privée ne peuvent être inscrits qu’avec son consentement. ». La procédure d’inscription applicable aux objets mobiliers est régie par les articles 74 à 87 du décret du 30 mars 2007.

5. A l’appui de leur requête, les requérants soutiennent que le préfet a commis une erreur dans la qualification juridique du bien en estimant qu’il s’agissait d’un immeuble par nature et non d’un immeuble par destination.

6. Aux termes de l’article 516 du code civil : « Tous les biens sont meubles ou immeubles ». Aux termes de l’article 517 du même code : « Les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination, ou par l’objet auquel ils s’appliquent ». Aux termes de l’article 518 du même code : « Les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur nature »>. Aux termes du dernier alinéa de l’article 524 du même code : « Sont aussi immeubles par destination, tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle demeure »>.

7. Il ressort des pièces du dossier que si la sculpture intitulée « Le Baiser » a été créée


par I G en 1909, antérieurement au décès de J K, et n’a pas été conçue spécialement pour lui rendre hommage, elle a été placée sur la tombe de cette dernière en 1911 à l’initiative de H., fiancé de celle-ci et ami de G, avec l’accord du sculpteur, à titre de monument funéraire. Alors que la famille de J K, qui avait payé la sculpture, fut choquée par la modernité de celle-ci, qu’elle proposa de remplacer, il n’est pas contesté que le sculpteur lui-même souhaita son maintien sur la tombe. La sculpture fait corps avec la stèle, qui a été conçue de manière à la recevoir et qui porte l’épitaphe de la défunte gravé par le sculpteur, ainsi que sa signature, et avec le tombeau lui-même, qui constitue une construction adhérant au sol. Si la dépose de la sculpture de la tombe est techniquement possible, elle impliquerait un descellement de celle-ci qui porterait atteinte à l’intégrité du monument funéraire dont elle constitue l’un des éléments constitutifs.

8. Si les requérants produisent des avis et extraits d’ouvrages émanant de plusieurs critiques d’art selon lesquels la sculpture formerait à elle seule un tout et exclurait tout socle spécifique pour la présenter, cette appréciation n’est pas de nature à remettre en cause

l’intention du sculpteur, au moment du décès de la fiancée de son ami, de déposer sa sculpture intitulée « Le Baiser » sur la tombe de celle-ci, et de l’incorporer à cette tombe à titre de monument funéraire. Au demeurant, la sculpture en cause, réalisée en 1909, constitue la troisième d’une série réalisée par I G sur ce thème mais diffère des autres sculptures réalisées de par ses dimensions et est la seule à avoir été choisie pour prendre place sur un monument funéraire.

9. Pour soutenir que la sculpture en cause relèverait des immeubles par destination, les requérants se prévalent en outre de la circulaire n° 2000/022 du ministre de la culture et de la communication du 31 mai 2000 relative à la protection des tombes et cimetières au titre des monuments historiques, et à la gestion des tombes et cimetières protégés, qui a pour objet de

< clarifier les procédures de protection des tombes et des cimetières et leurs conséquences juridiques, et de dégager des orientations opérationnelles pour assurer la conservation des parties protégées en liaison avec les communes et les ayants-droit », et qui indique que : « Les tombes sont composées de trois éléments constitutifs distincts:/- le fonds, immeuble par nature, est propriété de la commune qui peut le concéder; /- le caveau et le monument funéraire, également immeubles par nature, sont des constructions incorporées au fonds par le concessionnaire et qui lui appartiennent. (…) les signes et emblèmes funéraires (statues, pierres tombales, stèles funéraires), immeubles par destination, appartiennent aux concessionnaires. (…) » et que « -les fonds, les caveaux et monuments funéraires relèvent de la procédure régionale de protection des immeubles, conduite par le préfet de région (…)- les signes et emblèmes funéraires relèvent de la procédure départementale de protection des objets mobiliers et immeubles par destination ». Toutefois, cette circulaire, à supposer qu’elle soit impérative, n’a pu avoir légalement pour effet d’énoncer des règles de droit nouvelles dont il serait possible de se prévaloir. En outre, à supposer que l’administration ait entendu fixer des critères, auxquels il reste possible de déroger, en indiquant qu’un monument funéraire, immeuble par nature, relève de la procédure régionale de classement des immeubles, tandis que les signes et emblèmes funéraires, immeubles par destination, relèvent de la procédure départementale, elle ne fait pas légalement obstacle à la qualification d’une sculpture, incorporée, comme en l’espèce, à un monument funéraire, comme immeuble par nature. Dès lors, les requérants ne sont pas fondés à se prévaloir de cette circulaire, qui au demeurant n’est pas reprise sur le site mentionné à l’article R. 312-8 du code des relations entre le public et l’administration, à l’encontre de cet arrêté.

10. Enfin, la circonstance que le bien en cause ait été élevé au rang de « trésor national » par arrêté du ministre de la culture du 4 octobre 2006 est par elle-même sans


incidence sur sa qualification d’immeuble par nature.

11. Dès lors, en se fondant, pour prendre l’arrêté attaqué, sur la circonstance que le groupe sculpté « Le Baiser » de I G et son socle formant stèle constituait un immeuble par nature, le préfet de la région Ile-de-France n’a pas commis d’erreur dans la qualification juridique des faits. Au demeurant, par jugement du 27 février 2013, le tribunal de grande instance de Paris a également qualifié cette sculpture d’immeuble par nature.

En ce qui concerne la compétence du signataire de l’arrêté attaqué :

12. D’une part, aux termes de l’article 34 du décret du 30 mars 2007 alors applicable :

« L’inscription d’un immeuble au titre des monuments historiques est prononcée par arrêté du préfet de région après avis de la commission régionale du patrimoine et des sites réunie en formation plénière. (…)».

13. Il résulte de ces dispositions et de ce qui a été dit au point 11 du présent jugement que le préfet de la région Ile-de-France était compétent, après avis de la commission régionale du patrimoine et des sites, pour prononcer l’inscription du bien en cause, immeuble par nature, au titre des monuments historiques.

14. D’autre part, aux termes de l’article 38 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’Etat dans les régions et les départements, le préfet de région peut donner délégation de signature: < 1° En toutes matières, et notamment pour celles qui intéressent plusieurs chefs de services déconcentrés des administrations civiles de l’Etat dans la région, au secrétaire général pour les affaires régionales et, en cas d’empêchement de celui-ci, aux agents de catégorie A placés sous son autorité ». Aux termes de l’article 39 de ce même décret, dans sa version modifiée par le décret n° 2010-146 du 16 février 2010: < En cas d’absence ou d’empêchement, le préfet de région est suppléé par le secrétaire général pour les affaires régionales. (…)».

15. M. L M, secrétaire général de la préfecture de la région d’Ile-de-France, signataire de l’arrêté attaqué, avait reçu délégation du préfet de la région Ile-de-France par arrêté du 22 avril 2010, régulièrement publié aux recueil des actes administratifs de la région Ile-de-France n° 2010-13 des 19 au 23 avril 2010, à l’effet de signer au nom du préfet de la région d’Ile-de-France, préfet de Paris, en toutes matières, à l’exception des ordres de réquisition du comptable, tous arrêtés, décisions, pièces et conventions. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, cette délégation de signature, qui n’est pas une délégation de pouvoir et n’a pas pour effet de départir le préfet de sa compétence, est conforme aux dispositions précitées du décret du 29 avril 2004 modifié. De plus, il résulte des dispositions précitées que le secrétaire général supplée de plein droit le préfet de région et il n’est pas établi que le préfet de la région Ile de France, préfet de Paris, n’aurait pas été absent ou empêché à la date de l’arrêté attaqué.

16. Dès lors, le moyen tiré de l’incompétence du signataire de l’arrêté attaqué du 21 mai 2010 doit être écarté.

En ce qui concerne les vices de procédures tirés de la méconnaissance des dispositions des articles L. 622-20 et suivants du code du patrimoine et 74 à 87 du décret n°

2007-487 du 30 mars 2007 :


17. Compte tenu de ce qui a été dit au point 11 du présent jugement, le moyen tiré de ce que la procédure applicable à l’inscription des objets mobiliers, prévue aux articles L. 622

20 et suivants du code du patrimoine et 74 à 87 du décret n° 2007-487 du 30 mars 2007 relatif aux monuments historiques et aux zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, aurait été méconnue, doit être écarté comme inopérant.

En ce qui concerne l’erreur de droit consistant à avoir procédé à l’inscription de la tombe de J K dans son intégralité :

18. Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 621-25 du code du patrimoine que l’autorité administrative peut procéder à l’inscription au titre des monuments historiques

d’immeubles ou, le cas échéant, de parties d’immeubles qui présentent un intérêt d’art ou

d’histoire suffisant pour en justifier la préservation. Si l’inscription peut également porter sur certaines parties de l’immeuble qui ne présentent pas par elles-mêmes cet intérêt, c’est à la condition, compte tenu des limitations ainsi apportées à l’exercice du droit de propriété, que cette mesure apparaisse nécessaire afin d’assurer la cohérence du dispositif de protection de cet immeuble au regard des objectifs poursuivis par la législation des monuments historiques.

19. Si le socle et la stèle de la tombe de J K ne présentent pas en tant que tel un intérêt patrimonial suffisant pour justifier leur inscription au titre des monuments historiques, ils forment un tout avec la sculpture installée sur cette tombe, en tant que composante du monument funéraire. Leur inscription est nécessaire afin d’assurer la cohérence du dispositif de protection de cet immeuble au regard des objectifs poursuivis par la législation des monuments historiques. Dès lors, en inscrivant au titre des monuments historiques, en totalité, la tombe de J K, comprenant le groupe sculpté « Le Baiser » de I G et son socle formant stèle, gravé et signé par le sculpteur, le préfet de la région d’Ile-de-France, préfet de Paris, n’a pas commis d’erreur de droit.

En ce qui concerne la violation du droit de propriété :

20. Aux termes de l’article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international./ Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ». Si ces stipulations ne font pas obstacle à l’édiction, par l’autorité compétente, d’une réglementation de l’usage des biens, dans un but d’intérêt général, ayant pour effet d’affecter les conditions d’exercice du droit de propriété, il appartient au juge, pour apprécier la conformité aux stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales d’une décision individuelle prise sur la base d’une telle réglementation, d’une part, de tenir compte de l’ensemble de ses effets juridiques,

d’autre part, et en fonction des circonstances concrètes de l’espèce, d’apprécier s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l’exercice du droit de propriété et les exigences d’intérêt général qui sont à l’origine de cette décision.

21. L’inscription sur l’inventaire supplémentaire a pour effet, notamment, en vertu de l’article 621-27 du code du patrimoine, de soumettre l’exécution des travaux sur le bien en cause au contrôle du service des monuments historiques. Ainsi, la décision d’inscription a pour


effet, par elle-même, de limiter l’exercice du droit de propriété.

22. L’arrêté attaqué a été pris afin de protéger la sculpture « Le Baiser » ainsi que la stèle comportant l’épitaphe gravée par le sculpteur et sa signature. Il ne fait pas obstacle à l’accomplissement de travaux de restauration de la tombe, qui devront être soumis à autorisation de travaux au titre de la législation sur le patrimoine. Une telle telle atteinte portée au droit de propriété des ayants-droit de la concession perpétuelle, qui n’équivaut pas à une privation totale du droit de propriété, se justifie au regard de l’intérêt patrimonial et artistique du groupe sculpté, tenant, d’une part, à sa qualité d’oeuvre majeure de la sculpture du 20ème siècle, et plus particulièrement de l’Ecole de Paris, et, d’autre part, à son intégration à un monument funéraire au sein du cimetière du Montparnasse. Dès lors, dans les circonstances de

l’espèce, l’arrêté attaqué ne peut être regardé comme portant au droit de propriété des requérants une atteinte disproportionnée au but d’intérêt général poursuivi par l’arrêté attaqué. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales auraient été méconnues.

23. En outre, l’arrêté attaqué ayant été pris en application des dispositions législatives prévues à l’article L. 621-25 du code du patrimoine, les requérants ne peuvent utilement soutenir qu’il méconnaîtrait le droit de propriété tel que garanti par l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

En ce qui concerne le détournement de pouvoir et le détournement de procédure :

24. Aux termes des dispositions de l’article L. 111-6 du code de patrimoine, relatives au certificat d’exportation : « En cas de refus du certificat, toute demande nouvelle pour le même bien est irrecevable pendant une durée de trente mois à compter de la date du refus.

Après ce délai, le refus de délivrance du certificat ne peut être renouvelé que dans le cas prévu pour la procédure d’offre d’achat au sixième alinéa de l’article L. 121-1, sans préjudice de la possibilité de classement du bien en application des dispositions relatives aux monuments historiques ou aux archives, ou de sa revendication par l’Etat en application des dispositions relatives aux fouilles archéologiques ou aux biens culturels maritimes. »>

25. Il résulte de ces dispositions que le classement d’un bien comme trésor national et le refus de délivrance d’un certificat d’exportation sont sans préjudice de la mise en œuvre

d’une procédure d’inscription ou de classement du même bien au titre des monuments historiques. Alors qu’il ressort des pièces du dossier que l’inscription du bien en cause en tant qu’immeuble par nature est justifiée par un intérêt d’art suffisant pour en rendre désirable la préservation au sens des dispositions précitées de l’article L. 621-25 du code du patrimoine, l’existence du détournement de pouvoir et de procédure allégué n’est pas établi.

26. Il résulte de ce qui précède que les conclusions dirigées contre l’arrêté n° 2010

480 du 21 mai 2010 doivent être rejetées, sans qu’il soit besoin de statuer sur leur recevabilité.

Sur les conclusions dirigées contre la décision du 17 mars 2016, ainsi que la décision du 28 juin 2016 rejetant le recours gracieux formé contre cette décision :

En ce qui concerne la compétence des signataires des décisions attaquées :

27. D’une part, par arrêté n° 2015097-0008 du 7 avril 2015, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de région d’avril 2015, spécial n° 63, délégation de


signature a été donnée par le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, à Mme N O-S, directrice régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France, pour les décisions relevant des attributions de la direction régionale des affaires culturelles. Par arrêté n° 2015-140 du 18 décembre 2015, délégation de signature a été donnée par la directrice régionale des affaires culturelles à M. P D, conservateur régional des monuments historiques, à l’effet de signer, notamment, les décisions en matière d’autorisation de travaux sur les objets mobiliers et les immeubles inscrits ou classés au titre des monuments historiques. Cet arrêté réglementaire a été régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de région, recueil régional spécial n° NV421 du 18 décembre

2015, comme l’indiquait l’article 8 de l’arrêté. Dès lors, le moyen tiré de l’incompétence du signataire de la décision du 17 mars 2016 doit être écarté.

28. D’autre part, par le même arrêté du 18 décembre 2015, publié au recueil des actes administratifs régional spécial n° NV421 du 18 décembre 2015, délégation de signature a été donnée pour l’ensemble des matières administratives à M. Q-R H, directeur régional adjoint des affaires culturelles, en cas d’absence ou d’empêchement de Mme

N O-S. Dès lors que l’arrêté du 18 décembre 2015 vise le décret n° 2010

633 du 8 juin 2010 relatif à l’organisation et aux missions des directions régionales des affaires culturelles qui définissent les attributions de la direction régionale des affaires culturelles et que la délégation de signature n’est consentie à M. H, directeur régional adjoint, qu’en cas d’absence ou d’empêchement de Mme N O-S, une telle délégation de signature doit être regardée comme suffisamment précise. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence du signataire de la décision du 28 juin 2016, qui se borne d’ailleurs à confirmer la décision du 17 mars 2016, doit être écarté.

En ce qui concerne l’erreur de droit :

29. L’arrêté n° 2010-480 du 21 mai 2010 n’étant entaché d’aucune illégalité au regard des moyens soulevés par les requérants, ainsi qu’il a été jugé au point 26 du présent jugement,

l’exception d’illégalité de cet arrêté doit être écartée, sans qu’il soit besoin de statuer sur sa recevabilité.

30. Dès lors, les conclusions dirigées contre les décisions du 17 mars et 28 juin 2016 par lesquelles le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a rejeté la demande

d’autorisation de travaux présentée par les sociétés Duhamel Fine Art et Millon et associés doivent être rejetées.

31. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes n° 1609810 et n° 1613427 et doivent être rejetées, y compris les conclusions à fin d’injonction et les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE:

Article 1er : Les requêtes n° 1609810 et 1613427 sont rejetées.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société Duhamel Fine Art, la société Millon et associés, Mme A., M. B., Mme C., M. D., Mme E., et M. F. Copie en sera adressée, pour information, à la ville de Paris.

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Tribunal administratif de Paris, 12 avril 2018, n° N° 1609810/4-3 N°1613427/4-3