Tribunal administratif de Paris, 5 juin 2020, n° 2007394/1-3

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Sur la décision

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS

N°2007394/1-3 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ___________

Recteur de la région académique Ile-de France Recteur de l’académie de Paris AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Chancelier des Universités ___________
Mme Dominique Z Le Tribunal administratif de Paris, Président rapporteur ___________ (1re Section – 3e Chambre)
Monsieur Xavier Pottier Rapporteur public ___________

Audience du 3 juin 2020 Lecture du 5 juin 2020 _________ 30-02-05-01-01-01 C

Vu la procédure suivante :

Par un déféré, enregistré le 22 mai 2020, et un mémoire complémentaire, enregistré le 27 mai 2020, le recteur de la région académique Île-de-France, recteur de l’académie de Paris, chancelier des universités de Paris, (ci-après dénommé le recteur) demande au tribunal :

1°) d’annuler les délibérations du 16 avril 2020 et du 5 mai 2020 par lesquelles la commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU) du conseil académique de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne a déterminé les conditions de contrôle des connaissances des étudiants de l’université dans le cadre de la crise sanitaire de l’épidémie de covid-19 ;

2°) d’enjoindre, à titre principal, au président de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne de faire usage des pouvoirs dont il dispose en application du deuxième alinéa de l’article 3 de l’ordonnance n°2020-351 du 27 mars 2020 pour arrêter les règles relatives aux examens et les règles d’évaluation des enseignements pour l’année universitaire 2019-2020, dans le délai de huit jours à compter de la notification du jugement à intervenir ;

3°) d’enjoindre, à titre subsidiaire, à l’université Paris I, Panthéon Sorbonne d’adopter les règles relatives aux examens et les règles d’évaluation des enseignements pour l’année universitaire 2019-2020, dans le délai de huit jours à compter de la notification du présent jugement.



N° 2007394/1-3 2

Il soulève les moyens suivants :

- sa requête en déféré est recevable dès lors que ni les dispositions L. 719-7 du code de l’éducation ni aucune autre disposition ne font obstacle à ce que s’appliquent les règles de droit commun du premier alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice administrative, lesquelles ont été respectées ;

- la délibération de la CFVU du 16 avril 2020, dans sa totalité, tout comme les dispositions figurant aux points 3, 4 et 10 de la délibération adoptée le 5 mai 2020, en supprimant toute épreuve et donc tout contrôle et en généralisant les dispenses, violent frontalement les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 613-1 du code de l’éducation qui prévoient que les diplômes nationaux délivrés par les établissements ne peuvent être délivrés qu’au vu des résultats du contrôle des connaissances et des aptitudes, appréciées par les établissements accrédités à cet effet par le ministre ;

- les délibérations contestées conduisent, ainsi, à supprimer toute épreuve et à valider un semestre voire à délivrer un diplôme sans aucun contrôle réel des connaissances, en violation du principe de l’obligation d’un contrôle, auquel il ne peut être dérogé (CE Ass., 12 juillet 1969, n° 76089 ) ;

- les points 3, 4 et 10 de la délibération du 5 mai 2020 sont également entachés d’illégalité en ce qu’ils prévoient un régime de dispense selon, respectivement, que la moyenne d’une matière ou d’une UE est inférieure à 10, ou qu’il aura été jugé par l’équipe pédagogique qu’il n’y a pas eu de continuité pédagogique ou un contrôle continu suffisant et représentatif ou encore que l’étudiant, « en mobilité entrante » n’aura pu en raison de son éloignement suivre les cours de Paris I ;

- par ses délibérations du 16 avril 2020 et du 5 mai 2020 la CFVU a excédé sa compétence, notamment en instituant par le biais des dispenses une évaluation indirecte, et a, ainsi, méconnu les dispositions de l’ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020 ;

- ces délibérations méconnaissent, également, le dernier alinéa de l’article 1er de l’ordonnance, en vertu duquel les adaptations ne sont mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires et proportionnées ;

- en outre, l’article 2 de la délibération du 5 mai 2020 est erroné en fait en ce qu’il se fonde sur « l’impossibilité pour toutes les composantes et les enseignants de mettre en place des partiels ou des rattrapages en ligne en temps imparti et de façon synchronisée », alors que, après enquête, l’université a déployé des efforts considérables pour offrir des aides à l’achat de matériel ou à la connexion, et qu’elle pouvait recourir également, comme l’ont fait les autres établissements qui ne sont pas soumis à des contraintes différentes des siennes, à la prise en compte du contrôle continu ou encore au report des épreuves ;

- ces délibérations méconnaissent, également, le principe d’indépendance et de souveraineté des jurys (CE, 17 février 2016, n° 371453), notamment au point 7 de la délibération du 5 mai 2020 qui, par le régime de la dispense, prive de tout effet l’appréciation du jury ;

- elles méconnaissent, encore, le principe d’égalité entre les étudiants, notamment au même point 7 de la délibération du 5 mai 2020 qui prévoit que « toute notion de « défaillance » sera supprimée et remplacée par une dispense de l’UE ou élément concerné lorsque les étudiants n’ont pu participer aux épreuves alors que des étudiants présents verront leur note prise en compte pour la délivrance de leur diplôme ;

- le tribunal doit statuer en urgence dès lors qu’il reste moins de deux mois pour organiser le contrôle des connaissances des étudiants de Paris I, période à laquelle il faut soustraire un délai minimum de quinze jours afin de porter à la connaissance des candidats les conditions de déroulement des examens et que ces examens concernent un grand nombre d’étudiants.



N° 2007394/1-3 3

Par un mémoire enregistré le 28 mai 2020, le président et représentant de l’université Paris 1, Panthéon-Sorbonne, s’en remet à la sagesse du tribunal.

Il souligne l’urgence induite par la situation, dès lors que l’établissement dispose d’un délai de moins de deux mois pour organiser le contrôle des connaissances.

Par un mémoire en intervention volontaire en défense, enregistré le 29 mai 2020, l’association Fédé Paris 1 (Fédération des Associations de l’Université Paris 1) conclut, à titre principal à ce que les conclusions à fin d’annulation de la délibération du 5 mai 2020 soient rejetées, à titre subsidiaire, à ce que soient conservés les éléments de la délibération du 5 mai 2020 qui ne sont pas entachés d’illégalité, et à ce qu’il ne soit pas fait droit à la demande d’injonction au Président d’Université de déterminer seul les modalités de contrôle des connaissances pour le semestre en cours, la CFVU pouvant se réunir dans un délai bref et ayant déjà été convoquée pour le 9 juin 2020, de façon à lui permettre d’exercer sa compétence.

L’association Fédé Paris 1 fait valoir les moyens suivants :

- la Fédé Paris 1 a intérêt à intervenir dès lors qu’elle a pour objet de défendre les droits et intérêts des étudiants de l’université Paris I et qu’elle est représentée dans toutes les UFR et à tous les conseils centraux de l’université, dont la commission de la formation et de la vie universitaire ;

- la délibération du 5 mai 2020 respecte les dispositions de l’ordonnance du 27 mars 2020 dès lors qu’elle prévoit le remplacement d’une évaluation terminale par un travail à rendre dans un délai de deux semaines au minimum afin de diminuer les inégalités liées à la fracture numérique ; en outre, elle permet le maintien de certaines épreuves du second semestre en sorte que la dispense des notes en dessous de dix n’est pas assimilable à une attribution automatique des crédits européens ; enfin, ces modalités de contrôle de connaissance ne concernent qu’un semestre et non pas l’intégralité des semestres d’un diplôme (six semestres pour la licence et quatre semestres pour le master) ; par conséquent, elles permettent de respecter l’égalité de traitement entre les candidats ;

- contrairement à ce que soutient le recteur, il n’est pas possible d’organiser des examens en ligne en temps imparti et de façon synchronisée dès lors que les conditions posées par l’article D. 611-2 du code de l’éducation, soit des moyens techniques suffisants, la vérification de l’identité des candidats et la surveillance de l’épreuve, ne sont pas réunies ;

- le nombre d’étudiants qui ne peuvent passer des examens en ligne est beaucoup plus élevé que celui avancé par le recteur ;

- à titre subsidiaire, le principe de sécurité juridique commande, en cas d’annulation des délibérations, que les étudiants disposent du temps nécessaire pour s’organiser ; en outre, la modification des modalités d’examen méconnaîtrait ce principe dès lors qu’elle interviendrait à la fin de l’année universitaire.

Par un mémoire en intervention volontaire en défense enregistré le 29 mai 2020, l’association Le Poing Levé, représentée par Me J K conclut, à titre principal, à ce que la requête en déféré soit regardée comme irrecevable par le tribunal et, à titre subsidiaire, à ce qu’elle soit rejetée.

Elle fait valoir les moyens suivants :

- Le Poing Levé a intérêt à intervenir dans la procédure dès lors qu’il a pour objet de défendre les intérêts des étudiants de l’Université Paris 1, Panthéon Sorbonne et que certains de ses membres sont également membres de la CFVU ;



N° 2007394/1-3 4

- l’usage par le recteur de l’article L. 719-1 porte atteinte au droit à un procès équitable dès lors que l’Université Paris I, Panthéon Sorbonne, le défendeur, n’a pas produit de mémoire en défense et que ce sont les associations qui doivent intervenir pour soutenir les délibérations ;

- les mesures prises respectent l’ordonnance du 27 mars 2020 dans la mesure où elles interviennent dans un contexte exceptionnel de crise sanitaire, qu’elles ont pour objet d’assurer le principe d’égalité de traitement des candidats dès lors qu’un certain nombre d’étudiants ne disposent pas du matériel informatique nécessaire et qu’elles prévoient un mode alternatif d’évaluation des étudiants par un devoir à rendre sous quinze jours. Par ailleurs, les dispenses visent à éviter de pénaliser les étudiants n’ayant pu bénéficier d’une continuité pédagogique ;

- ces mesures sont adaptées et proportionnées dès lors qu’elles laissent la possibilité aux enseignants d’évaluer le niveau des étudiants ou de s’appuyer sur les notes de contrôle continu ;

- l’Université ne dispose pas des moyens suffisants pour assurer l’égalité de traitement entre les étudiants en cas d’examen en ligne dès lors que les aides n’ont été mises en place qu’au mois d’avril et au mois de mai, ce qui n’a pas permis d’assurer le suivi des cours en ligne.

Par un mémoire en intervention volontaire en défense, enregistré le 30 mai 2020, Mme X et l’association Générale des Etudiants (S-T), représentées par Me Tcholakian, concluent au rejet du déféré de l’université et font valoir que :

- les intervenants ont intérêt à agir dans le présent litige dès lors que Mme X est membre de la CFVU et que l’S-T a pour objet de défendre les droits des étudiants de l’Université Paris I, Panthéon Sorbonne ;

- il est impossible d’organiser des examens en ligne dès lors que l’enquête faite par les services universitaires montrent que de nombreux étudiants ne disposent pas des ressources informatiques nécessaires, que les mesures permettant d’octroyer des aides ont été adoptées un mois après la fermeture de l’université et que ces aides n’ont pas encore été intégralement versées ; par ailleurs, la tenue d’examen en présentiel en septembre est incertaine et ne garantit pas le respect des règles sanitaires.

- la délibération du 5 mai 2020 est conforme aux dispositions de l’ordonnance du 27 mars 2020 et au principe d’indépendance des jurys dès lors que ses termes ne font pas obstacle à que soit garantie l’appréciation des équipes pédagogiques et que les dispenses ne permettent pas de valider automatiquement un semestre ; par ailleurs, le dispositif prévu pour annuler les défaillances permet de tenir compte du contexte exceptionnel, comme cela a déjà été le cas par le passé ;

- les délibérations contestées ne violent pas les dispositions du code de l’éducation dès lors qu’elles se bornent à adapter les modalités de contrôle des connaissances pour faire face à la crise sanitaire et que des mesures similaires ont été adoptées dans d’autres universités ;

- la demande d’injonction au président ne peut être retenue dans la mesure où une nouvelle délibération de la CFVU est prévue le 9 juin pour tenir compte de la décision du Tribunal.

Par un mémoire en intervention volontaire en défense, enregistré le 30 mai 2020, le SNESUP-FSU, représenté par Mme Y, conclut au rejet du déféré en faisant valoir les moyens suivants :

- le SNESUP-FSU a intérêt à agir au regard de son objet, qui est la défense des personnels et du nombre de ses adhérents à Paris I ;

- l’utilisation par le recteur de l’article L. 719-7 du code de l’éducation est constitutive d’un détournement de pouvoir dès lors qu’elle permet de contourner l’ordonnance de référé du 20 mai 2020 et méconnaît ainsi le principe d’indépendance de la juridiction administrative ainsi que le droit d’accès à une juridiction indépendante et impartiale ;

- la motion du 16 avril 2020 n’est pas un texte réglementaire pouvant être déféré par le recteur au tribunal en vertu de l’article L. 719-7 du code de l’éducation ;



N° 2007394/1-3 5

- la tenue d’examens en ligne n’est pas possible dès lors qu’un certain nombre d’étudiants ne disposent pas du matériel informatique nécessaire et que l’université n’est pas en mesure de fournir celui-ci rapidement. Par ailleurs, la continuité pédagogique n’a ainsi pas pu être assurée ;

- contrairement à ce que soutient le recteur, les étudiants n’ont toujours pas accès aux services de prêts d’ouvrages ;

- les mesures prévues sont conformes à l’ordonnance du 27 mars 2020 dans la mesure où elles ne permettent pas la délivrance automatique d’un diplôme ; en effet, elles ne portent que sur un semestre. De surcroît, elles transforment seulement la nature des épreuves conformément à l’article 4 qui permet des adaptations sur le nombre des épreuves et leur coefficient et à l’article 10 qui laisse au jury le choix de délivrer des ECTS ;

- l’article 7 de la délibération du 5 mai 2020 permet de tenir compte du contexte et de la précarité de certains étudiants : il s’inscrit donc dans le respect du principe d’égalité de traitement entre étudiants.

- la suspension des délibérations attaquées a pour conséquence de porter gravement atteinte au fonctionnement de l’établissement car certaines composantes de formation et de l’UFR ont déjà adopté des modalités d’examen sur leur fondement ;

Par un mémoire en intervention volontaire en défense, enregistré le 30 mai 2020, Mme AB W-AA conclut au rejet du déféré.

Elle fait valoir que :

- la CFVU n’a pas excédé sa compétence ;

- les examens et contrôles ont déjà commencé, hors de tout cadre juridique depuis la suspension prononcée par le recteur et il y a urgence à fixer des règles ;

- les inégalités évoquées sont réelles, en dépit des efforts de l’université pour fournir une aide à l’équipement et une aide matérielle et du fait du retard pris dans les achats ou la mise à disposition d’abonnements.

Par un mémoire en intervention volontaire en défense enregistré le 30 mai 2020, les collectifs enseignants administratifs, représentés par M. L M et autres, concluent au rejet du déféré en faisant valoir que :

- les intervenants ont intérêt à agir car ils sont membres de la CFVU ;

- les délibérations en litige ont été prises pour assurer l’égalité de traitement entre les étudiants dès lors que plusieurs étudiants n’ont pas pu bénéficier d’une continuité pédagogique ;

- elles résultent d’un compromis entre l’impossibilité d’organiser un semestre « blanc » et le principe d’égalité de traitement entre étudiants ;

- les délibérations ne méconnaissent pas le principe d’indépendance des jurys dès lors que ceux-ci doivent se soumettre aux dispositions légales et réglementaires en matière d’évaluation des compétences ;

- des modalités de contrôle de connaissance similaires ont été adoptées dans d’autres universités ; celles-ci pourraient être remises en cause si les délibérations litigieuses venaient à être annulées, ce qui méconnaîtrait le principe de sécurité juridique ;

- les délibérations ne méconnaissent pas les dispositions du code de l’éducation dès lors que le cadrage adopté ne dispense pas l’étudiant d’examens mais permet l’octroi de dispenses lorsque les examens n’ont pas été organisés dans des conditions satisfaisantes ou lorsque la note de 10/20 n’a pas été atteinte ; en outre, l’article L. 613-1 ne prévoit pas l’organisation dans le temps du contrôle de connaissances et aptitudes ;

- il existe une inégalité des étudiants concernant l’accès aux outils numériques.



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Par un mémoire en intervention volontaire en défense enregistré le 30 mai 2020, le Syndicat CGT de l’Université Paris I, Panthéon Sorbonne conclut au rejet du déféré en faisant valoir que :

- le syndicat a intérêt à agir dès lors que le personnel administratif et enseignant doit tirer les conséquences des mesures prises quant aux modalités des examens ;

- le recteur de l’académie de Paris intervient tardivement dans la mesure où le cadrage a déjà commencé à être mis en œuvre et où il avait eu connaissance des débats relatifs aux délibérations attaquées ; l’urgence n’est donc pas établie ;

- le dispositif mis en place par les délibérations contestées a été adopté par d’autres universités ; une annulation du cadrage que constitue la délibération du 5 mai 2020 entraînerait des conséquences excessives et une rupture d’égalité ; en outre, elle aurait pour conséquence de remettre en cause des cadrages similaires mis en place dans d’autres universités ;

- la motion du 16 avril 2020 a été abrogée par la délibération du 5 mai 2020, ce qui rend inopérants tous moyens relatif à cette décision ;

- l’article L. 613-1du code de l’éducation ne prévoit pas l’organisation dans le temps des connaissances et aptitudes et l’université est accréditée pour délivrer des diplômes sur le contenu de sa formation et non sur ses modalités de contrôle des connaissances et sur le déroulement des partiels ;

- le cadrage ne conduit pas à l’annulation des épreuves ou à la suppression de toute modalité d’appréciation des aptitudes des candidats ;

- la délibération du 5 mai 2020 ne méconnaît pas le principe d’indépendance des jurys dès lors que son article 3 ouvre la possibilité au conseil de gestion de la composante de limiter le nombre de dispenses et que son article 10 laisse au jury le soin de délivrer ou non des ECTS ;

- une annulation du cadrage que constitue la délibération du 5 mai 2020 entraînerait des conséquences excessives et une rupture d’égalité ;

- en outre, elle aurait pour conséquence de remettre en cause des cadrages similaires mis en place dans d’autres universités.

Par un mémoire en intervention volontaire en défense enregistré le 30 mai 2020, l’association Solidaires Étudiant-e-s conclut au rejet du déféré en faisant valoir que :

- l’association a intérêt à agir eu égard à son objet et dès lors qu’elle est représentée dans les différents conseils gestionnaires de l’Université ;

- l’action en justice du recteur peut s’apparenter à un abus de procédure dans la mesure où le cadrage mis en place avait commencé à être appliqué au moment de la suspension des délibérations, l’ordonnance du juge des référés rendu dans le cadre de cette même affaire prouve qu’il n’y avait pas de doute sérieux sur la légalité de ce cadrage et le recteur avait connaissance des débats conduisant à l’adoption des délibérations et qu’il n’a pas réagi rapidement ; dès lors, l’urgence n’est pas établie ;

- les enseignants et les enseignants-chercheurs ayant contesté ce cadrage représentent une minorité de personnes au regard du nombre d’élus enseignants, de personnels administratifs, d’étudiants et de personnalités extérieures, qui ont voté majoritairement pour les délibérations attaquées ;

- le recteur ne peut invoquer le fait que seulement 543 personnes ont répondu ne pas être connectés à un ordinateur ou à internet dans le cadre du sondage réalisé par l’envoi de SMS aux étudiants alors que le moyen utilisé ne permet pas de garantir la réalité de ce chiffre ;

- la neutralisation ou dispense d’une unité d’enseignement est laissée à l’appréciation de l’équipe pédagogique et est motivée par l’absence de continuité pédagogique ou l’impossibilité d’effectuer une évaluation. La neutralisation d’un semestre lorsque ce dernier est consacré à un stage a d’ailleurs été autorisée par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation ainsi que la neutralisation d’un enseignement à titre exceptionnel. Cette neutralisation ou dispense est également permise par l’ordonnance du 27 mars 2020. Enfin, la



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neutralisation des notes inférieures à dix tient compte du contexte de crise sanitaire et de la rupture d’égalité dans la continuité pédagogique qu’elle a entrainé. L’Université a donc dérogé de manière raisonnable au cadre réglementaire tous en s’inscrivant dans la logique des dispositions de l’ordonnance du 27 mars 2020.

- l’organisation d’examens en ligne de façon synchronisée et en temps imparti conduirait à une rupture d’égalité de traitement entre étudiants, compte tenu de la fracture numérique ;

- les aides invoquées par le recteur ont été versées tardivement ;

- une annulation des délibérations entrainerait des conséquences excessives sur le fonctionnement de l’université et sur les mesures similaires prises par d’autres universités, ce qui méconnaitrait le principe de sécurité juridique.

Par un mémoire en intervention volontaire en défense, enregistré le 30 mai 2020, M. N C conclut au rejet du déféré en faisant valoir que :

- il a intérêt à agir car il est élu à la CFVU, vice-président du conseil académique de l’Université Paris I, Panthéon Sorbonne et étudiant de cette même université ;

- la continuité pédagogique n’a pu être assurée, faute du versement des aides pour l’acquisition d’un matériel informatique en temps voulu ;

- la CFVU est seule compétente pour autoriser et encadrer les règles relatives aux examens et à l’obtention des diplômes ;

- l’article L. 613-1 ne prévoit pas l’organisation dans le temps des contrôles des connaissances et des aptitudes. Par ailleurs, l’Université est accréditée pour délivrer des diplômes sur le contenu de ses formations et non sur ses modalités de contrôle de connaissances ni sur le déroulement de ses examens. Enfin les diplômes sont composés de plusieurs semestres et les mesures prises par les délibérations ne concernent qu’un semestre ;

- le cadrage issu de la délibération du 5 mai 2020 ne conduit ni à l’annulation de toutes les épreuves des examens ni à la suppression de toute modalité d’appréciation des aptitudes des candidats ;

- l’ordonnance du 27 mars 2020 permet de transformer la nature des épreuves. Dès lors, la prise en compte des notes de contrôle continu du semestre et l’organisation de devoirs maisons sont conformes à ces dispositions ;

- la neutralisation ou dispense d’une unité d’enseignement est laissée à l’appréciation de l’équipe pédagogique et est motivée par l’absence de continuité pédagogique ou l’impossibilité d’effectuer une évaluation. La neutralisation d’un semestre lorsque ce dernier est consacré à un stage a d’ailleurs été autorisée par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation ainsi que la neutralisation d’un enseignement à titre exceptionnel. Cette neutralisation ou dispense est également permise par l’ordonnance du 27 mars 2020. Enfin, la neutralisation des notes inférieures à dix tient compte du contexte de crise sanitaire et à la rupture d’égalité dans la continuité pédagogique qu’elle a entrainé. L’Université a donc dérogé de manière raisonnable au cadre réglementaire tous en s’inscrivant dans le cadre des dispositions de l’ordonnance du 27 mars 2020, de mêmes modalités d’examen ayant été adoptés dans d’autres universités ;

- la CFVU a entendu garantir le principe d’égalité de traitement entre les étudiants dans un contexte de fracture numérique ;

- l’annulation des délibérations aurait des conséquences excessives sur le fonctionnement de l’université.



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Par un mémoire en intervention volontaire en défense, enregistré le 30 mai 2020, M. O F et Mme P G concluent au rejet du déféré en faisant valoir que:

- ils ont intérêt à agir dès lors qu’ils représentent les étudiants au sein du Conseil de Gestion de l’École d’Économie de la Sorbonne ;

- le déféré rectoral intervient de manière tardive, à la suite de l’ordonnance rendue par le juge des référés dans le cadre de la même affaire. Par ailleurs, il a de graves conséquences sur l’organisation des examens. Enfin, le recteur ne fait état d’aucun élément nouveau par rapport à l’instance de référé.

- les instances de l’Université ont favorisé la situation de blocage ;

- la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’innovation a, par un communiqué du 20 mai 2020, encouragé les enseignants-chercheurs à se pourvoir en cassation contre l’ordonnance du juge des référés ; elle méconnaît de ce fait l’indépendance de la justice administrative ainsi que celle des universités ;

- le Conseil d’UFR d’Économie était incompétent pour délibérer sur des modalités d’examen dont la fixation revient à la CFVU ;

- les directions d’UFR, en appliquant leurs propres modalités de contrôle de connaissances, contournent les mesures prises par les autorités compétentes dans ce domaine.

- les changements de situations relatives aux examens ont eu des conséquences graves pour les étudiants en économie dès lors que leur UFR est le seul à maintenir des examens en temps réel.

Par un mémoire en intervention volontaire en défense, enregistré le 30 mai 2020, l’association Communauté Juridique des Etudiants de la Sorbonne (CJES) conclut au rejet du déféré en faisant valoir les moyens suivants :

- elle a intérêt à agir dès lors que le déféré porte atteinte aux intérêts des étudiants de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne qu’elle a pour charge de défendre ;

- le déféré rectoral est irrecevable dans la mesure où le recteur n’a saisi la juridiction administrative qu’à la suite de l’ordonnance rendue par le juge des référés. Or, les délibérations lui avaient été transmises bien avant. L’urgence n’est donc pas établie. En outre, la légalité des délibérations ne pose pas sérieusement question. Le déféré préfectoral constitue un détournement de procédure car il a été mis en œuvre à la demande de plusieurs directeurs de département. Enfin, il existe une urgence à maintenir les délibérations litigieuses dès lors que la fin de l’année approche et que les étudiants doivent constituer leurs dossiers pour les formations sélectives ;

- les adaptations prévues par les délibérations permettent de répondre à la situation de crise sanitaire, conformément à l’ordonnance du 27 mars 2020. Par ailleurs, il n’est pas possible d’organiser des partiels en ligne de manière synchrone, les aides mises en place pour les étudiants précaires étant insuffisantes ;

- la continuité pédagogique n’a pas pu être assurée pour toutes les composantes ;

- le cadrage voté par la CFVU est proportionné dans le contexte de crise sanitaire dès lors que d’autres universités ont adopté un cadrage similaire et qu’il ne prévoit pas la suppression des épreuves et la validation automatique d’un semestre. En outre, il laisse une marge d’appréciation aux Conseils de gestion et aux équipes pédagogiques et ne prévoit pas la délivrance automatique d’un diplôme ;

- concernant le dispositif prévu pour le contrôle continu et les dispenses, celui-ci tient compte des conséquences graves de la crise sanitaire sur la situation des étudiants et sur la continuité pédagogique ;

- les autres aménagements prévus par le cadrage sont proportionnés à la situation ;

- il n’est pas porté atteinte au principe d’indépendance des jurys et leur souveraineté dès lors que ceux-ci doivent respecter le cadre défini par les instances compétentes et que le corps professoral est représenté au sein de la CFVU ;



N° 2007394/1-3 9

- le principe d’égalité de traitement entre les étudiants est respecté dès lors que des aménagements étaient nécessaires en l’absence de continuité pédagogique pour tous les étudiants et que les Conseils de gestion et les équipes pédagogiques fixent les notes lorsqu’elles sont suffisantes et représentatives.

Un mémoire en réplique a été présenté le 31 mai 2020 par le recteur, après la clôture de l’instruction.

Un mémoire a été présenté le 2 juin 2020 par Mme Q H après la clôture de l’instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l’éducation,

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020,

- l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée,

- l’ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020,

- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 modifié,

- le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020,

- le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020,

- et le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de Mme Z,

- les conclusions de M. Pottier, rapporteur public,

- les observations de Me Prosper, représentant de Mme X et S-T,

- les observations de M. A pour l’association CJES,

- les observations de M. B d’Abusco pour la CGT Paris 1 et les collectifs enseignants de Paris 1,

- les observations de M. C, membre de la CFVU,

- les observations de Me Kouzmine, représentant Le Poing Levé,

- les observations de Mme D, représentant le SNESUP-FSU,

- les observations de Mme E, représentant Solidaires étudiants,

- et les observations de M. U-V, représentant la fédération des associations étudiantes.

Une note en délibéré a été présentée pour Mme R X et l’Association générale des étudiants (S-T) de Paris 1, enregistrée le 4 juin 2020.

Une note en délibéré a été présentée pour Mme W-AA, enregistrée le 4 juin 2020.

Une note en délibéré a été présentée pour le syndicat SNESUP-FSU, enregistré le 4 juin 2020.



N° 2007394/1-3 10

Considérant ce qui suit :

1. Par deux délibérations du 16 avril 2020 et du 5 mai 2020, la commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU) du conseil académique de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne, a arrêté, au regard de l’ordonnance du 27 mars 2020 portant sur l’organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19 et permettant les « adaptations » nécessitées par la situation, les règles relatives aux examens au titre de l’année universitaire 2019-2020.

2. Le recteur de la région académique Ile-de-France, recteur de l’académie de Paris, chancelier des universités, a déféré au tribunal, le 22 mai 2020, sur le fondement de l’article L. 719-7 du code de l’éducation, ces délibérations, dont il demande l’annulation.

Sur les interventions au soutien de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne :

3. L’association Fédé Paris 1, l’association le Poing Levé, Madame R X et l’Association Générale des Étudiants (S T) de Paris, Mme AB W-AA, le SNESUP-FSU, la CGT université Paris I, les collectifs enseignants administratifs élus enseignants, l’association Communauté Juridique des Etudiants de la Sorbonne – CJES, l’association Solidaires Etudiant-E-S Paris I, M. C, M. F et Mme G justifient, eu égard à la nature et à l’objet du litige, d’un intérêt suffisant à l’annulation des délibérations attaquées. Ainsi, leurs interventions au soutien de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne sont recevables.

Sur la recevabilité du déféré :

4. En premier lieu, en application de l’article L. 719-7 du code de l’éducation, le recteur, en sa qualité de chancelier des universités, peut saisir le tribunal des « décisions ou délibérations des autorités » universitaires. En l’espèce, si la première délibération, du 16 avril 2020, est intitulée « Motion » tandis que la seconde, du 5 mai 2020, se présente comme une « Proposition de cadrage », l’une et l’autre fixent des règles générales concernant l’organisation des examens. Emanant d’un organe collégial de l’université, elles constituent par leur nature et leurs effets des délibérations de caractère décisoire et sont en conséquence susceptibles d’être déférées au tribunal.

5. En second lieu, la circonstance que des recours en référé ou des recours en annulation des délibérations contestées ont été formés devant le tribunal ne fait pas obstacle, dès lors que ces recours relèvent d’une procédure distincte de celle suivie dans le présent litige, à ce que le recteur, chancelier des universités, use de la possibilité qui lui est conférée par l’article L. 719-7 du code de l’éducation de déférer au tribunal les délibérations contestées.

Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre la délibération du 16 avril 2020 :

6. Si elle n’a pas été retirée, la délibération du 16 avril 2020 a été implicitement mais nécessairement abrogée par la délibération suivante, en date du 5 mai 2020, qui se substitue à elle et ne reprend pas la disposition principale relative à la suppression générale des examens. Cette délibération du 5 mai 2020 n’est pas devenue définitive dès lors qu’elle est également attaquée dans le présent litige. Par suite, les conclusions du recteur contre la délibération du 16 avril 2020 ne sont pas dépourvues d’objet et sont, en conséquence, recevables.



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Sur les conclusions à fin d’annulation :

Le cadre légal :

7. En premier lieu, l’article L. 613-1 du code de l’éducation, après avoir rappelé le monopole de l’Etat pour « la collation des grades et titres universitaires » énonce, à son deuxième alinéa, que les diplômes nationaux qui confèrent ces grades et titres, « ne peuvent être délivrés qu’au vu des résultats du contrôle des connaissances et des aptitudes, appréciés par les établissements accrédités à cet effet ».

8. Il résulte de ces dispositions que la délivrance des diplômes est obligatoirement subordonnée à un contrôle, nécessairement individuel, des connaissances et des aptitudes des élèves, avec les mêmes garanties d’égalité et d’impartialité pour chacun, ce qui exclut toute validation générale et indifférenciée ou une validation qui ne sanctionnerait pas des connaissances et des aptitudes suffisantes.

9. De cette exigence d’un contrôle dépend la validité des diplômes nationaux lesquels, ainsi que le précise le dernier alinéa de l’article L. 613-1 du code de l’éducation, confèrent « les mêmes droits » à tous leurs titulaires, quel que soit l’établissement qui les a délivrés.

10. En deuxième lieu, aux termes de l’article 1 de l’ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020 relative à l’organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19 : « Sauf mentions contraires, les dispositions de la présente ordonnance sont applicables du 12 mars au 31 décembre 2020 à toutes les modalités d’accès aux formations de l’enseignement supérieur et de délivrance des diplômes de l’enseignement supérieur, y compris le baccalauréat, et à toutes les voies d’accès aux corps, cadres d’emplois, grades et emplois de la fonction publique. / Elles ne sont mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation ». Aux termes de l’article 2 de cette même ordonnance : « Nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire, les autorités compétentes pour la détermination des modalités d’accès aux formations de l’enseignement supérieur dispensées par les établissements relevant des livres IV et VII du code de l’éducation ainsi que pour la détermination des modalités de délivrance des diplômes de l’enseignement supérieur, y compris le baccalauréat, peuvent apporter à ces modalités les adaptations nécessaires à leur mise en œuvre. / S’agissant des épreuves des examens ou concours, ces adaptations peuvent porter, dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats, sur leur nature, leur nombre, leur contenu, leur coefficient ou leurs conditions d’organisation, qui peut notamment s’effectuer de manière dématérialisée. / Les adaptations apportées en application du présent article sont portées à la connaissance des candidats par tout moyen dans un délai qui ne peut être inférieur à deux semaines avant le début des épreuves ».

11. Ces dispositions donnent une grande latitude aux établissements pour déterminer les adaptations qui peuvent être apportées aux modalités d’organisation des examens et concours eu égard à la situation particulière créée par l’état d’urgence sanitaire.

12. Toutefois les adaptations ainsi prévues, permettant notamment, de déroger à la règle selon laquelle il ne peut être apporté de modifications au calendrier et aux programmes des épreuves des examens et concours en cours d’année, ne peuvent porter sur le principe fondamental du contrôle des résultats des élèves, ou méconnaître le principe d’égalité et celui de l’indépendance et de l’autorité souveraine des jurys.



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13. En outre, en renvoyant expressément aux « autorités compétentes » le pouvoir de définir les adaptations nécessaires à la limitation de la propagation de l’épidémie de covid-19, l’ordonnance du 27 mars 2020 exclut que les établissements modifient « le cadre national des formations » mentionné au 5e alinéa de l’article L. 613-1 du code de l’éducation ou « les conditions d’obtention des titres et diplômes » faisant l’objet du 7e alinéa du même article, lesquels relèvent de la seule compétence du ministre de l’enseignement supérieur.

14. En troisième lieu, en vertu du I de l’article L. 712-6-1 du code de l’éducation, issu de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, la commission de la formation et de la vie universitaire du conseil académique (CFVU) est consultée sur les programmes de formation des composantes. Elle est compétente en application du 2° du I de cet article, pour adopter les « règles relatives aux examens ». Cette compétence ne saurait, cependant, empiéter sur les règles communes qu’il revient au seul ministre de fixer, ni sur le pouvoir souverain des jurys, ainsi qu’il ressort des travaux parlementaires préalables à l’adoption de la loi.

L’examen des moyens :

15. Le recteur conteste la légalité des deux délibérations du 16 avril 2020 et du 5 mai 2020, par des moyens tirés de ce que ces délibérations méconnaissent le principe fondamental du contrôle des connaissances, excédant ainsi le champ de compétence dévolu à la CFVU, de ce que les mesures prévues ne sont ni nécessaires ni proportionnées au sens des articles 1er et 2 de l’ordonnance du 27 mars 2020 précité et, enfin, de ce qu’elles méconnaissent le principe d’égalité et celui de l’indépendance et de la souveraineté des jurys.

16. Ces moyens ne portent pas indistinctement sur les deux délibérations, lesquelles sont différentes ainsi qu’il a été dit au point 5, et doivent, en conséquence, faire l’objet d’un examen séparé.

En ce qui concerne la délibération du 16 avril 2020 :

17. Par la délibération contestée, la CFVU a décidé que les rattrapages du premier semestre seraient annulés et que tous les élèves concernés valideraient ce semestre avec la note de 10/20. Elle a énoncé ensuite que, « suivant le renvoi de la moyenne du premier semestre sur le second », ce dernier serait « validé également à 10/20 ». Elle a arrêté, en outre, que, sur toute l’année, aucune défaillance ne pourrait être constatée, et ce pour tous les étudiants de l’université́ et, enfin, que « tous les stages participant à la diplomation seraient neutralisés dans toutes les composantes ».

18. En décidant ainsi la suppression des examens de rattrapage, la validation par une note moyenne de 10 des résultats du premier et du second semestre, que les élèves aient été ou non présents, et la neutralisation de tous les stages, de façon générale et indifférenciée, la CFVU a méconnu le principe de l’obligation d’un contrôle des connaissances et des aptitudes.

19. Il résulte de ce qui précède que la délibération du 16 avril 2020, dont les dispositions sont indivisibles, est entachée de violation de la loi et d’excès de pouvoir dans sa totalité. Par suite, le recteur est fondé à en demander l’annulation.



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En ce qui concerne la délibération du 5 mai 2020 :

S’agissant de la violation de la loi :

20. Aux termes de la dernière phrase de l’article 3 de cette délibération : « Si la moyenne d’une matière ou d’une UE est inférieure à 10, une dispense sera accordée à l’étudiant ». Le deuxième tiret de l’article 4 prévoit les mesures suivantes : « (…) Les enseignements dans lesquels l’équipe pédagogique juge qu’il n’y a pas eu de continuité pédagogique ou un contrôle continu jugé insuffisant et non représentatif feront l’objet d’une dispense. / Seules les notes supérieures à 10 obtenues par le biais de ces travaux seront intégrées à la note finale. Des dispenses devront être accordées pour les notes inférieures à 10/20. Les jurys sont autorisés, selon leurs prérogatives habituelles, à accorder des points supplémentaires pour répondre à la situation exceptionnelle. Les étudiants pourront demander à faire indiquer sur leur relevé de notes les moyennes obtenues dans les matières dispensées. Dans le cas où l’étudiant demande à ce que les notes dispensées figurent sur le relevé de notes officiel, la moyenne du semestre reste calculée à partir des notes supérieures à la moyenne, comme pour l’ensemble des étudiants. ». Enfin, aux termes de l’article 10-1 de la même délibération: « Les dispositions exposées dans les articles précédents s’appliquent aux étudiants en mobilité entrante. / De plus, du fait de l’éloignement géographique et du cas particulier de ces étudiants, la CFVU permet au jury de délivrer les ECTS correspondants à leur cursus effectué à Paris 1 à ces étudiants en mobilité entrante, afin qu’ils puissent s’inscrire pour la rentrée prochaine dans leur université d’origine, facilitant ainsi les échanges internationaux et ne bloquant pas le dossier d’un étranger d’une université externe dans son université d’accueil ».

21. En instaurant par les dispositions précitées un régime général de dispenses, que les résultats des élèves aient pu, ou non, être appréciés, la CFVU a méconnu le principe du contrôle des connaissances et des aptitudes et commis un excès de pouvoir. Elle a, en outre, privé ainsi les jurys d’exercer effectivement leur pouvoir d’appréciation et méconnu le principe d’égalité. Il en résulte que le recteur est fondé à demander l’annulation de ces dispositions.

S’agissant de la nécessité des mesures prévues :

22. L’article 1 de la délibération énonce à sa troisième et dernière phrase que (…) « Les examens en présentiels du semestre pair qui devaient se tenir du 5 mai au 20 mai 2020 sont annulés, les sessions en présentiel de rattrapage initialement prévues du 15 juin au 4 juillet 2020 sont également annulées, et toutes ces sessions ne sont pas reconductibles à une date ultérieure. ». Aux termes, par ailleurs, de l’article 2 de la même délibération du 5 mai 2020 : « Dans le cadre de la crise sanitaire du COVID 19, et des inégalités qu’elle révèle entre les étudiants de l’université, certains ne disposant pas ou de peu d’accès à internet, la CFVU statue sur l’impossibilité pour toutes les composantes et les enseignants de mettre en place des partiels ou des rattrapages en ligne en temps imparti et de façon synchronisée, que ceux-ci se fassent par écrit ou à l’oral. Quant aux partiels, la CFVU affirme que seuls des travaux pour lesquels l’étudiant dispose d’un délai de deux semaines minimum seront acceptés dans la note finale ». Aux termes de l’article 2 de la délibération du 5 mai 2020 : « Dans le cadre de la crise sanitaire du COVID 19, et des inégalités qu’elle révèle entre les étudiants de l’université, certains ne disposant pas ou de peu d’accès à internet, la CFVU statue sur l’impossibilité pour toutes les composantes et les enseignants de mettre en place des partiels ou des rattrapages en ligne en temps imparti et de façon synchronisée, que ceux-ci se fassent par écrit ou à l’oral. Quant aux partiels, la CFVU affirme que seuls des travaux pour lesquels l’étudiant dispose d’un délai de



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deux semaines minimum seront acceptés dans la note finale ». Enfin, en vertu du premier tiret de l’article 4, tous les examens terminaux sont supprimés et remplacés par des travaux à rendre dans un délai de deux semaines minimum, selon un calendrier qui fixe un délai de trois semaines à compter du 8 juin 2020, date de la fin de la première session du semestre pair pour les corrections.

23. Sans méconnaître les difficultés de l’organisation de l’enseignement et des examens à distance, au demeurant établies par une enquête réalisée à l’instigation de l’université, les mesures prises par cette dernière, qui présentent un caractère général et absolu et ne réservent aucune possibilité d’aménagement ou ne tiennent pas compte de la spécificité des différentes formations, n’apparaissent ni nécessaires ni proportionnées au sens des dispositions précitées de l’article 1er de l’ordonnance du 27 mars 2020.

24. Les dispositions de l’article 5, qui sont indissociables de celles des articles 1, 2 et 4, sont également entachées d’illégalité.

25. Il résulte de ce qui précède que le recteur est fondé à soutenir que les mesures contestées méconnaissent l’ordonnance du 27 mars 2020. Il est en conséquence fondé à en demander l’annulation.

S’agissant de la méconnaissance du principe d’égalité :

26. L’article 7 de la même délibération du 5 mai 2020 dispose qu’étant donné « la situation exceptionnelle que les étudiants et l’université Paris 1 ont rencontré́, et rencontrent encore, tout au long de l’année scolaire 2019/2020 (grèves, pandémie, changements fréquents de calendrier), l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne décide d’adopter des mesures toutes aussi exceptionnelles en annulant les défaillances de tous ses étudiants afin de ne pas les plonger dans des difficultés – qui peuvent être financières pour les boursiers notamment – supplémentaires. Toute notion de « défaillance » sera supprimée et remplacée par une dispense de l’UE ou élément concerné ».

27. Par ces dispositions, qui suppriment toute notion de défaillance, pour tous les étudiants, de façon générale et absolue, sans ménager la possibilité d’une appréciation individuelle des situations, la CFVU a, en plus de méconnaître l’obligation du contrôle des connaissances et des aptitudes, méconnu le principe d’égalité. Le recteur est, par suite, fondé à en demander l’annulation.

28. Les autres dispositions de la délibération du 5 mai 2020, qui ne sont pas contraires à ce qui a été indiqué ci-dessus et qui ne sont, au demeurant ni explicitement ni implicitement contestées par le recteur, ne peuvent être regardées comme entachées d’illégalité. Par suite, le surplus des conclusions du recteur contre la délibération du 5 mai 2020 doit être rejeté.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

29. Aux termes de l’article 3 de l’ordonnance du 27 mars 2020: « Lorsque l’autorité compétente mentionnée au premier alinéa de l’article 2 est un organe collégial d’un établissement et qu’il peut délibérer dans des délais compatibles avec la continuité du service, cet organe collégial peut décider de déléguer au chef d’établissement sa compétence pour apporter les adaptations mentionnées au même article. / Lorsque cet organe collégial ne peut



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délibérer dans des délais compatibles avec la continuité du service, les adaptations mentionnées à cet article sont arrêtées par le chef d’établissement. Ce dernier en informe alors, par tout moyen et dans les meilleurs délais, l’organe collégial compétent ».

30. Il y a lieu de faire injonction au président de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne de prendre, dans le délai de huit jours à compter de la notification de présent jugement, les mesures nécessaires pour que soient arrêtées les adaptations aux modalités de délivrance des diplômes, notamment aux modalités de contrôle des connaissances, dans le respect des règles rappelées ci-dessus, le cas échéant, s’il s’y croit fondé, en faisant application des dispositions précitées du deuxième paragraphe de l’article 3 de l’ordonnance du 27 mars 2020.

D E C I D E :

Article 1er : Les interventions de l’association Fédé Paris 1, de l’association le Poing Levé, de Mme R X et de l’Association Générale des Étudiants (S T) de Paris, de Mme AB W-AA, du SNESUP-FSU, de la CGT université Paris I, des collectifs enseignants administratifs élus enseignants, de l’association Communauté Juridique des Etudiants de la Sorbonne – CJES, de l’association Solidaires Etudiant-E-S Paris I, de M. C, de M. F et de Mme G sont admises.

Article 2 : La délibération du 16 avril 2020 de la commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU) du conseil académique de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne est annulée.

Article 3 : Les dispositions de la dernière phrase de l’article 1, celles de l’article 2, de la dernière phrase de l’article 3, de l’article 4, à l’exception du dernier alinéa, de l’article 5, de l’article 7 et de l’article 10-1 de la délibération du 5 mai 2020 sont annulées.

Article 4 : Il est fait injonction au président de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne, de prendre, dans le délai de huit jours à compter de la notification de présent jugement, les mesures nécessaires pour que soient arrêtées les adaptations aux modalités de délivrance des diplômes, notamment aux modalités de contrôle des connaissances, dans le respect des règles rappelées ci-dessus, le cas échéant, s’il s’y croit fondé, en faisant application des dispositions précitées du deuxième paragraphe de l’article 3 de l’ordonnance du 27 mars 2020.

Article 5: Le surplus des conclusions du déféré est rejeté.



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Article 6 : Le présent jugement sera notifié au recteur de la région académique Île-de-France, recteur de l’académie de Paris, chancelier des universités de Paris, au président de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne, à l’association Fédé Paris 1, à l’association le Poing Levé, à Mme R X et à l’Association Générale des Étudiants (S T) de Paris, à Mme AB W-AA, au SNESUP-FSU, à la CGT université Paris I, aux collectifs enseignants administratifs, à l’association Communauté Juridique des Etudiants de la Sorbonne – CJES, à l’association Solidaires Etudiant-E-S Paris I, à M. C, à M. F, à Mme G et à Mme H.

Délibéré après l’audience du 3 juin 2020, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Christophe Duchon-Doris, président du tribunal, président, Mme Dominique Z, président rapporteur, M. Khalil Aggiouri, premier conseiller.

Lu en audience publique le 5 juin 2020.

Le président rapporteur, Le président,

D. Z J. C. DUCHON-DORIS

Le greffier,
M. I

La République mande et ordonne à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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Tribunal administratif de Paris, 5 juin 2020, n° 2007394/1-3