Tribunal administratif de Versailles, 16 janvier 2018, n° 1703192

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE VERSAILLES

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N°s 1703192, 1703332 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ___________

Préfet des Yvelines et Association des musulmans de Mantes Sud AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS ___________
M. X Rapporteur Le tribunal administratif de Versailles ___________ (3ème chambre) Mme Boukheloua Rapporteur public ___________

Audience du 11 décembre 2017 Lecture du 16 janvier 2018 ___________ 68-03-03-02 68-03-03-03 68-06-05 54-06-07 C

Vu la procédure suivante :

I. – Par un déféré et un mémoire, enregistrés sous le numéro 1703192 le 9 mai 2017 et le 1er septembre 2017, le préfet des Yvelines, représenté par Me Benech, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler l’arrêté du 10 mars 2017 par lequel le maire de la commune de Mantes-la-Ville a refusé de délivrer le permis de construire demandé par l’association des musulmans de Mantes Sud (AMMS), sous le numéro PC 78 36214 0005, aux fins de réaliser des travaux, sur construction existante, pour le changement de destination d’un bâtiment situé […] sur le territoire de cette commune, en vue de créer le nouveau centre cultuel musulman de Mantes-la-Ville ;

2°) d’enjoindre au maire de la commune de Mantes-la-Ville, à titre principal, de délivrer, à titre définitif, le permis de construire sollicité par l’AMMS et mentionné ci-dessus, dans un délai de 7 jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;

3°) d’enjoindre au maire de la commune de Mantes-la-Ville, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de la demande de permis de construire déposée par l’AMMS et mentionnée ci-dessus, dans un délai de 7 jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ; Le préfet soutient que :



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- la décision contestée est insuffisamment motivée, en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l’administration ;

- le motif fondé sur la méconnaissance de l’article UB.12 du règlement du plan local d’urbanisme est dépourvu de base légale, en raison de l’illégalité, invoquée par la voie de l’exception, de ces dispositions ; en effet, en premier lieu, le nombre de places de stationnement aurait dû être fixé en fonction de la surface autorisée et non du nombre de personnes accueillies ; en deuxième lieu, la destination « restaurants, cafés/salles de réunions » ne fait pas partie des destinations limitativement définies par l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme ; en troisième lieu, en méconnaissance de l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme, aucun nombre maximum de places de stationnement n’a été fixé pour la catégorie en cause ; en dernier lieu, le nombre de places exigé est excessif au regard de l’impératif de consommation économe de l’espace et de l’esprit des textes fixant des plafonds pour le nombre de places maximum ;

- en tout état de cause l’assimilation à la catégorie « restaurants, cafés/salles de réunion » est abusive et aurait dû conduire à solliciter une étude particulière des questions de stationnement ;

- le motif fondé sur la méconnaissance des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme est entaché d’erreur manifeste d’appréciation, dès lors qu’en raison tant de la configuration des lieux que de l’environnement du bâtiment et des dispositions prises par le pétitionnaire, aucun risque de stationnements gênants, de circulations dangereuses ou de difficultés d’accès pour les engins de lutte contre l’incendie n’existe ;

- en l’absence de nouvelles circonstances de fait, la décision contestée méconnait l’autorité de la chose jugée qui s’attache aux motifs du jugement n°1502832 du 16 décembre 2016 du tribunal administratif de Versailles ;

- cette décision est entachée d’un détournement de pouvoir, dès lors que le maire de la commune de Mantes-la-Ville a publiquement et constamment affirmé sa volonté d’empêcher l’implantation d’une salle de culte musulman sur le site de l’ancienne trésorerie, a reconnu son intention de recourir au droit de l’urbanisme à cette fin et a ainsi eu recours à des motifs artificiels pour prendre la décision contestée ;

- l’intérêt public qui s’attache au respect du jugement du 16 décembre 2016 du tribunal qui a retenu le moyen tiré d’un détournement de pouvoir pour annuler un premier refus du permis de construire et les dispositions nouvelles de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme introduites par l’article 108 de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 justifient que l’annulation du second refus soit assortie d’une injonction de délivrer le permis sollicité et à titre définitif.

La requête a été communiquée à la commune de Mantes-la-Ville qui n’a pas présenté de mémoire en défense.

II. – Par une requête, enregistrée sous le numéro 1703332 le 14 mai 2017, l’association des musulmans de Mantes Sud (AMMS), représentée par Me Suffern, demande au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté du 10 mars 2017 par lequel le maire de la commune de Mantes-la-Ville a refusé de lui délivrer le permis de construire, sous le numéro PC 78 36214 0005, aux fins de réaliser des travaux, sur construction existante, pour le changement de destination d’un bâtiment situé […] sur le territoire de cette commune, en vue de créer le nouveau centre cultuel musulman de Mantes-la-Ville ;

2°) d’enjoindre au maire de la commune de Mantes-la-Ville, à titre principal, de lui délivrer le permis de construire sollicité et mentionné ci-dessus, dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;



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3°) d’enjoindre au maire de la commune de Mantes-la-Ville, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande de permis de construire mentionnée ci-dessus, dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Mantes-la-Ville une somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

L’AMMS soutient que :

- la décision contestée est insuffisamment motivée, en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l’administration ;

- elle est dépourvue de base légale, en raison de l’illégalité, invoquée par la voie de l’exception, des dispositions de l’article UB.12 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Mantes-la-Ville ;

- à supposer que les dispositions de l’article UB.12 soient légales, ces dispositions sont méconnues par la décision contestée :

- à titre principal, dès lors que l’augmentation du nombre d’aires de stationnement pour un bâtiment existant et changeant de destination n’est exigée qu’en cas d’agrandissement, conformément aux dispositions du paragraphe 4 de cet article ;

- à titre subsidiaire, au regard, d’une part, de la destination de la construction projetée qui n’est assimilable à aucune des destinations prévues par les dispositions du 1 de cet article et, d’autre part, de ce que le maire n’a pas réalisé l’étude particulière qu’il était tenu de réaliser dans ces circonstances et en vertu des dispositions du 2 de l’article UB.12 ;

- à titre très subsidiaire, en ce que la décision contestée retient à tort, d’une part, que les concessions obtenues par le pétitionnaire pour une durée de dix ans dans un parc public de stationnement existant, pour compenser son incapacité à réaliser le nombre d’aires de stationnement exigé par les dispositions du paragraphe 1 de l’article UB.12, ne satisfont pas la condition de long terme exigée par les dispositions du paragraphe 3 du même article et, d’autre part, que ces concessions ne satisfont pas une condition d’exclusivité ;

- à titre encore plus subsidiaire, dès lors qu’il appartenait au maire, en vertu des dispositions du 2 de cet article, d’assortir la délivrance du permis de construire du versement à la commune d’une participation fixée par le conseil municipal en vue de la réalisation de parcs publics de stationnement ;

- elle est entachée d’erreur manifeste d’appréciation et d’une erreur de droit pour l’application des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, dès lors, d’une part, qu’il n’y a pas lieu de redouter des désordres dans le stationnement des véhicules et que l’accès au bâtiment projeté par les engins de lutte contre l’incendie est assuré et, d’autre part, que la circonstance que la réalisation du projet litigieux, à la supposer alléguée, accroitrait la circulation automobile ne peut utilement fonder une mesure restrictive au titre de l’article R. 111-2 ;

- elle est entachée d’un détournement de pouvoir, dès lors qu’il ressort du comportement et des déclarations du maire de la commune de Mantes-la-Ville depuis 2014 que ses rapports avec le pétitionnaire sont uniquement déterminés par sa volonté d’empêcher l’implantation d’un lieu de culte musulman sur le territoire de la commune, à l’exclusion de tout motif d’urbanisme ;

- les circonstances de l’espèce, marquées par la mauvaise volonté du maire de la commune de Mantes-la-Ville, qui prive les habitants de cette commune de confession musulmane d’un accès à un lieu de culte digne, justifient que l’annulation du second refus de permis de construire soit assortie d’une injonction de délivrer le permis sollicité et non d’une injonction de procéder à un nouvel examen de la demande du pétitionnaire.

La requête a été communiquée à la commune de Mantes-la-Ville qui n’a pas présenté de mémoire en défense.



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Vu :

- l’article 108 de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 ;

- le jugement du Tribunal administratif de Versailles du 16 décembre 2016, n°1502832 ;

- l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Versailles du 7 juin 2017, n°1703214 ;

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l’urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. X,

- les conclusions de Mme Boukheloua, rapporteur public,

- les observations de Me Benech, représentant le préfet des Yvelines,

- et les observations de Me Suffern, représentant l’AMMS,

- la commune de Mantes-la-Ville n’étant ni présente ni représentée.

1. Considérant que le déféré du préfet des Yvelines et la requête de l’association des musulmans de Mantes Sud sont dirigées contre la même décision et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement ;

2. Considérant que, par un arrêté du 23 octobre 2014 et une décision du 16 février 2015 rejetant un recours gracieux formé par l’association des musulmans de Mantes Sud (AMMS), le maire de Mantes-la-Ville a refusé de délivrer à l’AMMS un permis de construire, n° PC 78 362 14 0005, pour le changement de destination d’un bâtiment situé rue des Merisiers sur le territoire de cette commune, en vue d’y installer un centre cultuel musulman comportant notamment deux salles de prière ; que, par un jugement du 16 décembre 2016, n°1502832, le Tribunal administratif de Versailles, d’une part, a annulé l’arrêté du 23 octobre 2014 et la décision du 16 février 2015 et, d’autre part, a enjoint à la commune de se prononcer sur la demande de permis de construire dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement ; qu’en exécution de ce jugement, par un arrêté du 10 mars 2017, le maire de Mantes-la-Ville a refusé, pour la seconde fois, de délivrer à l’AMMS le permis de construire n° PC 78362 14 0005 ; que par une ordonnance du 7 juin 2017, n°1703214, le juge des référés du Tribunal administratif de Versailles, d’une part, a prononcé la suspension de l’exécution de l’arrêté 10 mars 2017 et, d’autre part, a enjoint à la commune de délivrer provisoirement à l’AMMS le permis de construire refusé par la décision suspendue, avant le 30 juin 2017, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; que, par un arrêté du 26 juin 2017, le maire de la commune de Mantes-la-Ville a délivré, à titre provisoire, à l’AMMS le permis de construire n° PC 78362 14 0005 ; que ce permis de construire, qui a été délivré pour l’exécution de l’ordonnance du juge des référés du 7 juin 2017, revêt un caractère provisoire jusqu’à ce qu’il soit statué sur le déféré préfectoral et le recours en annulation dans le cadre du présent jugement ;



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Sur les conclusions à fin d’annulation :

3. Considérant que, pour prendre la décision contestée, le maire de Mantes-la-Ville s’est fondé sur deux motifs ; qu’en premier lieu, il a retenu que le projet du pétitionnaire méconnaissait les dispositions de l’article UB.12 du règlement du plan local d’urbanisme, après avoir assimilé la construction projetée à la catégorie « salles de réunions » mentionnée au paragraphe 1 de l’article UB.12, en avoir déduit que ce projet devait comporter la réalisation de 69 places de stationnement, relevé que le projet ne comportait la réalisation d’aucune place de stationnement et refusé de prendre en compte les deux concessions produites par le pétitionnaire et portant sur des parcs publics de stationnement ; qu’en second lieu, le maire a également retenu que le projet du pétitionnaire méconnaissait l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, dès lors que la construction projetée, par sa situation ou ses dimensions, était de nature à engendrer des nuisances et des dangers pour la sécurité des usagers et des riverains ;

En ce qui concerne la légalité du premier motif de la décision attaquée :

4. Considérant qu’en vertu de l’article L. 123-1 du code de l’urbanisme, dans sa version applicable au litige, repris désormais à l’article L. 151-9 du même code, les plans locaux d’urbanisme peuvent définir, en fonction des situations locales, les règles concernant la destination et la nature des constructions autorisées ; qu’aux termes de l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme, dans sa version applicable : « Le règlement peut comprendre tout ou partie des règles suivantes : (…) / 12° Les obligations imposées aux constructeurs en matière de réalisation d’aires de stationnement compatibles, lorsque le plan local d’urbanisme ne tient pas lieu de plan de déplacements urbains, avec les obligations définies par le schéma de cohérence territoriale en application des deuxième à quatrième alinéas de l’article L. 122-1-8 ; (…) / Le règlement fixe un nombre maximum d’aires de stationnement à réaliser lors de la construction de bâtiments à usage autre que d’habitation. (…) / Les règles édictées dans le présent article peuvent être différentes, dans une même zone, selon que les constructions sont destinées à l’habitation, à l’hébergement hôtelier, aux bureaux, au commerce, à l’artisanat, à l’industrie, à l’exploitation agricole ou forestière ou à la fonction d’entrepôt. En outre, des règles particulières peuvent être applicables aux constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif. (…) » ;

5. Considérant qu’il résulte des dispositions précitées de l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme que les obligations imposées aux constructeurs par le règlement du plan local d’urbanisme en matière de réalisation d’aires de stationnement peuvent être différentes, dans une même zone, selon que les constructions sont destinées à l’habitation, à l’hébergement hôtelier, aux bureaux, au commerce, à l’artisanat, à l’industrie, à l’exploitation agricole ou forestière ou à la fonction d’entrepôt ; que s’il est loisible aux auteurs des plans locaux d’urbanisme de préciser, pour des motifs d’urbanisme et sous le contrôle du juge, le contenu des catégories énumérées à l’article R. 123-9, les dispositions de cet article ne leur permettent, toutefois, ni de créer de nouvelles catégories de destination pour lesquelles seraient prévues des règles spécifiques, ni de soumettre certains des locaux relevant de l’une des catégories qu’il énumère aux règles applicables à une autre catégorie ;

6. Considérant, en premier lieu, d’une part, que les dispositions du paragraphe 1 de l’article UB.12 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Mantes-la-Ville fixent, pour toute opération de construction, un nombre d’aires de stationnement à réaliser qui diffère selon la destination de la construction dont il s’agit ; qu’aux termes des dispositions de cet article, les destinations retenues sont : « Logements locatifs financés avec prêt aidé de l’Etat », « Logements », « Logements individuels », « Foyers et résidences collectives pour personnes



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âgées étudiants, jeunes travailleurs », « Activités artisanales, locaux industriels, laboratoires », « Dépôts, Entrepôts », « Commerces inférieurs à 700 m2 de surface de vente », « Commerces supérieurs à 700 m2 de surface de vente », « Commerces soumis à CDEC », « Restaurants, cafés

/ Salles de réunions », « Hôtels, hôpitaux, cliniques, établissements de soins », « Etablissements d’enseignement Primaire », « Etablissements d’enseignement Secondaire du 1er degré », « Etablissements d’enseignement Secondaire du 2nd degré », « Etablissements d’enseignement Secondaire 2 roues » ; que, par ces dispositions, le règlement ne s’est pas borné à préciser le contenu des catégories de destination énumérées à l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme, mais a créé de nouvelles catégories de destination pour lesquelles sont prévues des règles spécifiques ainsi qu’en atteste la circonstance que la catégorie du plan local d’urbanisme « Restaurants, cafés / salles de réunion », dont relève le projet en litige, comporte des règles distinctes de celles concernant les « Commerces inférieurs à 700 m2 de surface de vente », les « Commerces supérieurs à 700 m2 de surface de vente », ou les « Commerces soumis à CDEC », alors que l’article R. 123-9 ne prévoit qu’une unique catégorie pour les constructions destinées au commerce ; qu’en outre, les « salles de réunion » sont soumises aux règles applicables aux commerces de restauration ou de débit de boisson sans prise en compte de leur fonctionnalité urbaine propre ; que toutes les autres dispositions de l’article UB.12, énoncées dans ses paragraphes 2 à 4, renvoient aux dispositions du paragraphe 1 pour leur application ; que, par suite, l’article UB.12 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Mantes-la-Ville méconnaît les dispositions de l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme, sans que le préfet des Yvelines ne puisse utilement faire valoir l’illégalité des valeurs retenues par le paragraphe 1 de l’article UB.12, dès lors que ces valeurs se rattachent à des catégories de destination illégales ;

7. Considérant, d’autre part, que si un permis de construire ne constitue pas un acte d’application de la réglementation d’urbanisme en vigueur et si, par suite, un requérant demandant son annulation ne saurait utilement se borner à soutenir, pour l’obtenir, qu’il a été délivré sous l’empire d’un document d’urbanisme illégal, mais doit faire valoir, en outre, que ce permis méconnaît les dispositions d’urbanisme pertinentes remises en vigueur, cette règle ne s’applique pas au refus de permis de construire, lorsqu’il trouve son fondement dans un document d’urbanisme ; que, dans ce cas, l’annulation ou l’illégalité de ce document d’urbanisme entraîne l’annulation du refus de permis de construire pris sur son fondement, sauf au juge à procéder à une substitution de base légale ou de motifs dans les conditions de droit commun ;

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le moyen, invoqué par la voie de l’exception, et tiré de l’illégalité des dispositions de l’article UB.12 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Mantes-la-Ville doit être accueilli ;

9. Considérant, en second lieu, que, dès lors que les dispositions de l’article UB.12 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Mantes-la-Ville sont illégales, le préfet des Yvelines et l’AMMS ne sauraient utilement faire valoir que la décision contestée a été prise en méconnaissance des dispositions de cet article ; qu’il suit de là que ce moyen est inopérant en toutes ses branches ;

En ce qui concerne la légalité du second motif de la décision attaquée :

10. Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme : « Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations.» ; qu’il appartient à l’autorité d’urbanisme compétente et au



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juge de l’excès de pouvoir, pour apprécier si les risques d’atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement de ces dispositions, de tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences tant pour les occupants de la construction projetée que pour les tiers, s’ils se réalisent ;

11. Considérant que la commune de Mantes-la-Ville s’est bornée, dans la motivation de la décision attaquée, à mentionner que l’absence d’aire de stationnement sur le terrain d’assiette et à proximité de la construction projetée, dont la capacité d’accueil est de 692 personnes, « pose de sérieuses difficultés pour accéder au bâtiment et circuler en toute sécurité le long de la voie publique », ce qui serait « de nature à engendrer des nuisances et des dangers pour la sécurité des usagers et des riverains » ; qu’il ressort cependant des pièces du dossier que la notice descriptive du dossier de demande de permis de construire indique que le projet a pour vocation de s’adresser essentiellement aux habitants de la commune, dont la majorité vient des quartiers voisins en sorte qu’ils n’auront pas besoin de véhicule pour s’y rendre ; que cette notice relève également que le terrain est desservi par quatre lignes d’autobus ; qu’il ressort d’une étude de circulation et de stationnement réalisée pour la commune en juillet 2010 que la rue des Merisiers, sur laquelle se trouve le projet, faisait partie des trois zones « jamais saturées » de la ville, au sein desquelles elle présentait le taux d’occupation le plus faible, à savoir 39% d’occupation maximum ; qu’il ressort également des pièces du dossier que le stationnement est autorisé soit d’un côté soit, ponctuellement, des deux côtés de cette rue sous le régime de la zone bleue et que quatre parkings sont situés à moins de 300 mètres du terrain d’assiette ; qu’en outre, le pétitionnaire a conclu avec la commune, en 2014, une concession pour l’utilisation non exclusive, le vendredi et, après concertation, les jours de fêtes religieuses, de deux parkings situés au sud de cette rue, de part et d’autre de la salle Y Z, totalisant 87 places et distants de moins de 200 mètres du projet ; que dans ces conditions, alors que le lieu n’a vocation à être occupé en permanence que par son seul personnel composé de 42 personnes, et que la commune de Mantes-la-Ville n’a pas présenté d’observations en défense, ne sont établies ni la probabilité de réalisation d’un risque pour la sécurité publique aux abords du terrain d’assiette de la construction projetée ni, au demeurant, la gravité des conséquences en cas de réalisation d’un tel risque ; que, dès lors, en estimant que le projet méconnaissait l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, le maire Mantes la Ville a porté une appréciation erronée sur les faits de l’espèce ; que, par suite, le motif fondé sur la méconnaissance de ces dispositions ne pouvait légalement fonder la décision contestée ;

En ce qui concerne le détournement de pouvoir :

12. Considérant que le maire de la commune de Mantes-la-Ville a, par la décision contestée, refusé, pour la seconde fois, la délivrance du permis de construire sollicité par l’AMMS, sans invoquer de changement dans les circonstances de droit ou de fait qui prévalaient à la date du premier refus datant du 23 octobre 2014, lequel avait été annulé pour excès de pouvoir par un jugement du tribunal du 16 décembre 2016 ; que ce premier jugement est notamment fondé sur le motif, soutien nécessaire de son dispositif, tiré du détournement de pouvoir, en raison des déclarations publiques du maire de la commune, notamment celles effectuées le 16 décembre 2014 au journal télévisé de France 2 faisant état de sa vive opposition à l’installation d’un centre cultuel musulman, ainsi qu’en raison des mentions du magazine municipal de juillet-août 2014 faisant état du soutien des habitants de la commune aux actions et projets de l’équipe municipale en place, au premier rang desquelles « l’opposition au projet de mosquée de la rue des Merisiers » ; qu’il ressort des pièces du dossier que, postérieurement à ce premier refus, selon une information relayée par le journal Le Parisien, le 18 mai 2015, le maire de la commune de Mantes-la-Ville a affirmé : « j’ai dit qu’il n’y aurait pas de lieu de culte musulman à cet endroit de la ville et le droit de préemption est la solution qui nous permettra



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d’empêcher cela » ; que selon un article publié dans Le Courrier de Mantes, le 27 mai 2015, le maire a déclaré : « j’aurai encore la possibilité de refuser le permis de construire qui sera obligatoire pour effectuer les transformations nécessaires dans l’ancienne trésorerie. Encore une fois je le rappelle : je suis opposé au projet de mosquée dans l’ancienne trésorerie, mais pas à ce que Mantes-la-Ville ait son propre lieu de culte. » ; que, dans un article publié dans le numéro 102 de juillet-août 2015 du journal municipal « La note de Mantes-la-Ville », le maire a confirmé les finalités et les moyens de sa démarche en indiquant : « nous nous opposons toujours à ce projet de lieu de culte à cet endroit (…), nous avons choisi une destination à ce bien (…). Nous avons ainsi décidé d’user de notre droit de préemption. » ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le maire de la commune de Mantes-la-Ville serait, depuis le jugement du 16 décembre 2016, revenu publiquement sur ses déclarations récentes dont la teneur n’est pas contestée ; qu’il en ressort que le maire de cette commune a entendu recourir à des procédures relevant du droit de l’urbanisme aux fins d’entraver l’ouverture d’un lieu de culte musulman rue des Merisiers ; qu’il résulte de ce qui précède, qu’à l’instar du premier refus de permis de construire, la décision contestée a été prise dans le seul but de faire obstacle à l’installation d’un centre cultuel musulman rue des Merisiers à Mantes-la-Ville ; que le véritable motif de la décision attaquée est ainsi tiré de considérations étrangères à un but d’intérêt général ; qu’il suit de là que le moyen tiré du détournement de pouvoir doit être accueilli ;

13. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Yvelines et l’AMMS sont fondés à demander l’annulation de l’arrêté du 10 mars 2017 ; que, pour l’application de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme aucun des autres moyens de la requête n’est susceptible de fonder l’annulation de la décision contestée ;

Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :

14. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de l’article 108 de la loi du 6 août 2015 : « Lorsque la décision rejette la demande ou s’oppose à la déclaration préalable, elle doit être motivée. / Cette motivation doit indiquer l’intégralité des motifs justifiant la décision de rejet ou d’opposition, notamment l’ensemble des absences de conformité des travaux aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l’article L. 421-6. / Il en est de même lorsqu’elle est assortie de prescriptions, oppose un sursis à statuer ou comporte une dérogation ou une adaptation mineure aux règles d’urbanisme applicables. » ;

15. Considérant, d’autre part, qu’aux termes des dispositions de l’article L. 600-4-1 du même code : « Lorsqu’elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d’urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l’ensemble des moyens de la requête qu’elle estime susceptibles de fonder l’annulation ou la suspension, en l’état du dossier. » ; qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. » ; qu’aux termes de l’article L. 911-2 du même code : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. » ;



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16. Considérant que, si l’AMMS et le préfet des Yvelines entendent se prévaloir des dispositions précitées de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme pour obtenir une injonction à la délivrance du permis sollicité et non une injonction au seul réexamen de la demande de permis de construire, il ressort clairement de leurs termes mêmes que ces dispositions, qui se bornent à édicter une règle de forme des décisions refusant un permis de construire ou s’opposant à une déclaration préalable, n’ont pas par elles-mêmes la portée qui leur est ainsi prêtée, et ce, quelle qu’ait pu être l’intention du législateur en les adoptant ;

17. Considérant toutefois, qu’alors même que le juge administratif ne statue que dans la limite des moyens dont il est saisi, la combinaison des dispositions précitées de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme, avec celles de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, avec celles de l’article L. 911-1 du code de justice administrative et enfin avec la possibilité de solliciter ou non une demande de substitution de motifs conduit à se poser la question de l’étendue du pouvoir d’injonction du juge administratif lorsqu’après avoir annulé un refus de permis de construire, il est saisi de conclusions tendant à ce qu’il enjoigne la délivrance du permis de construire sollicité ; qu’à cet égard, il ressort de l’exposé des motifs de l’amendement n°2687 adopté à l’Assemblée nationale ayant créé les dispositions précitées du deuxième alinéa de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme, que l’objectif recherché par le législateur était au départ, de permettre au juge, statuant sur une demande en ce sens et sur le fondement des dispositions déjà en vigueur du code de justice administrative, d’enjoindre au maire de délivrer le permis ; qu’il ressort en outre des travaux préparatoires au Sénat que, par ces dispositions, le législateur a entendu « lutter contre certaines manœuvres dilatoires dans l’octroi des autorisations de construire » « moyennant une modification circonscrite du droit en vigueur » ; que, toutefois, au cours des mêmes travaux parlementaires, le législateur a refusé d’habiliter le Gouvernement à procéder par ordonnance pour renforcer les pouvoirs du juge administratif à cet égard ; qu’enfin les dispositions finalement adoptées de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme n’évoquent pas les pouvoirs d’injonction du juge administratif ; qu’ainsi, au regard des travaux préparatoires à l’adoption de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme, la question posée au point précédent, relative à la portée du pouvoir d’injonction du juge revêt un caractère sérieux ;

18. Considérant qu’aux termes de l’article L. 113-1 du code de justice administrative : « Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel peut, par une décision qui n’est susceptible d’aucun recours, transmettre le dossier de l’affaire au Conseil d’Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu’à un avis du Conseil d’Etat ou, à défaut, jusqu’à l’expiration de ce délai » ;

19. Considérant que les conclusions à fins d’injonction du déféré du préfet des Yvelines et de la requête de l’AMMS posent les questions suivantes :

1°) la combinaison des dispositions des articles L. 911-1 du code de justice administrative et des articles L. 600-4-1 et L. 424-3 du code de l’urbanisme et de la possibilité de présenter ou non une demande de substitution de motifs conduit-elle à ce que l’annulation d’un refus de permis de construire opposé après l’entrée en vigueur de l’article 108 de la loi du 6 août 2015 implique nécessairement que le juge administratif enjoigne à l’administration d’accorder le permis de construire demandé, le cas échéant en l’assortissant de prescriptions ? Dans l’affirmative, avant d’exercer son pouvoir d’injonction, le juge administratif est-il préalablement tenu de demander spécifiquement aux parties de lui faire part de toute autre circonstance de droit ou de fait s’opposant à la délivrance du permis ? La solution est-elle différente selon la nature



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des moyens d’annulation retenus, notamment si le jugement accueille un moyen d’annulation tiré du détournement de pouvoir ?

2°) dans l’hypothèse d’une réponse négative aux questions précédentes, les dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative limitant le pouvoir d’injonction du juge à la prescription d’une mesure d’exécution dans un sens déterminé permettent-elles au juge d’enjoindre à l’administration de « ne pas » rejeter la demande de permis de construire, alors qu’une telle injonction laisse ouverte la possibilité pour l’administration de choisir entre autant de décisions qu’existent de possibilités de prescriptions ?

3°) dans l’hypothèse d’une réponse négative aux questions précédentes, le juge peut-il, en vertu des dispositions de l’article L. 911-2 du code de justice administrative, prescrire le réexamen de la demande de permis de construire, le cas échéant sous astreinte, en assortissant les motifs de son jugement d’une mention selon laquelle l’autorité administrative ne saurait, sauf circonstances de fait ou de droit nouvelles, rejeter de nouveau la demande sans méconnaitre l’autorité de la chose jugée qui s’attache à la décision d’annulation et aux motifs qui en constituent le soutien nécessaire ?

20. Considérant que ces questions constituent des questions de droit nouvelles présentant une difficulté sérieuse et susceptibles de se poser dans de nombreux litiges ; que, dans ces conditions, il y a lieu de surseoir à statuer sur les conclusions à fins d’injonction et d’astreinte du déféré du préfet des Yvelines et de la requête de l’AMMS et de transmettre pour avis sur ces questions les dossiers des deux affaires au Conseil d’Etat ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision du maire de Mantes-la-Ville du 10 mars 2017 est annulée.

Article 2 : Les dossiers du déféré du préfet des Yvelines et de la requête de l’association des musulmans de Mantes Sud sont transmis au Conseil d’Etat pour examen des questions posées au point 19 du présent jugement.

Article 3 : Il est sursis à statuer sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte du déféré préfectoral et de la requête jusqu’à l’avis du Conseil d’Etat ou, à défaut, jusqu’à l’expiration du délai de trois mois à compter de la transmission du dossier prévue à l’article 2.

Article 4 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n’est pas expressément statué par le présent jugement sont réservés jusqu’en fin d’instance.



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Article 5 : Le présent jugement sera notifié au préfet des Yvelines, à l’association des musulmans de Mantes Sud, à la commune de Mantes-la-Ville et au président de la section du contentieux du Conseil d’Etat.

Délibéré après l’audience du 11 décembre 2017, à laquelle siégeaient :

Mme Grand d’Esnon, président, Mme Marc, premier conseiller, M. X, premier conseiller.

Lu en audience publique le 16 janvier 2018.

Le rapporteur, Le président,

Signé Signé

P. X J. Grand d’Esnon

La greffière,

Signé

S. Lamarre

La République mande et ordonne au préfet des Yvelines en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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Tribunal administratif de Versailles, 16 janvier 2018, n° 1703192