Tribunal de grande instance de Paris, 1re chambre responsabilité des professionnels du droit, 5 avril 2017, n° 15/12742

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 1re ch. responsabilité des professionnels du droit, 5 avr. 2017, n° 15/12742
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 15/12742

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

1/1/2 resp profess du drt

N° RG :

15/12742

N° MINUTE :

Assignation du :

5 août 2015

DEBOUTE

C. R.

(footnote: 1)

JUGEMENT

rendu le 5 avril 2017

DEMANDEUR

Monsieur Y Z

« It Heeghus » Midstrjitte 1,

8551 PG

WOUDSEND

[…]

représenté par Maître D DUMONT BEGHI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0272

DÉFENDEUR

Monsieur M-N O, Notaire

Office Notarial

[…]

[…]

représenté par Maître Thomas RONZEAU de la SCP RONZEAU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0499

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Michel X, 1er Vice-Président Adjoint

Président de la formation

Madame A B, Juge

Monsieur P Q-R, Juge

Assesseurs

assistés de Hédia SAHRAOUI, Greffière, lors des débats

DÉBATS

A l’audience du 8 mars 2017

tenue en audience publique

JUGEMENT

— Contradictoire.

— En premier ressort.

— Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— Signé par M. Michel X, Président et par Mme Hédia SAHRAOUI, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu l’assignation délivrée le 5 août 2015 à Maître M-N O à la demande de Monsieur Y Z enregistrée sour les n° RG15/12742 et RG15/12743 ;

Vu la décision de jonction du 17 décembre 2015 ;

Vu les dernières conclusions de Monsieur Y Z notifiées par voie électronique le 30 août 2016 ;

Vu les dernières conclusions de Maître M-N O notifiées par voie électronique le 15 septembre 2016 ;

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 1er décembre 2016.

***

D Z, né le […], est décédé à Londres le 13 décembre 2010.

Il a laissé pour lui succéder deux enfants, Monsieur Y Z, présent demandeur, et Madame E Z, ainsi que sa quatrième épouse, Madame F G, avec laquelle il a contracté mariage le 19 avril 1986 à Paris, suivant contrat de mariage aux termes duquel ils ont adopté le régime de la séparation de biens pure et simple.

D Z a établi un testament authentique, reçu par Maître M-N O, sous la dictée, le 2 décembre 2005 dans la brasserie “Royal Villiers”, située dans le 17e arrondissement de Paris, et ce en présence de deux témoins, Maître H I, avocat de D Z, et Madame J K, retraitée.

Aux termes de ce testament authentique, D Z a institué pour :

— légataires à titre universel conjoints ses deux enfants, Monsieur Y Z et Madame E Z, de « l’ensemble de mes biens immobiliers français ou ce qui en serait la représentation, le compte joint avec mon épouse ouvert dans les livres de la banque Clariden à Zurich. 26 Claridenstrasse (Suisse) d’un montant approximatif à ce jour de six millions d’euros.»,

— légataire à titre particulier, son épouse, Madame F G, de « l’ensemble de mes meubles, tableaux, objets, papiers, en un mot l’ensemble du contenu mobilier de mes propriétés immobilières françaises ».

Le défunt a distingué sa succession française de sa succession anglaise, qu’il a, sous la forme d’un legs, organisé a posteriori, par la création d’un trust testamentaire anglais établi à Londres le 8 mai 2008.

Maître M-N O a été chargé en janvier 2011 par Madame F G, Monsieur Y Z et Madame E Z du règlement de la succession.

Par acte du 23 juillet 2015, Monsieur Y Z a fait assigner Madame F G et Madame E Z devant le présent tribunal, autrement composé, aux fins de voir déclarer nul le testament du 2 décembre 2005 et les donations qui auraient été consenties par le défunt.

Par ordonnances du 12 mai 2016, le juge de la mise en état de ce tribunal a déclaré la juridiction incompétente pour connaître de la succession mobilière de D Z et incompétente, au profit du tribunal de grande instance de Saint-Malo, pour connaître de sa succession immobilière française.

Par acte en date du 5 août 2015, Monsieur Y Z a fait assigner Maître M-N O aux fins de voir engager sa responsabilité civile professionnelle aux motifs qu’il aurait irrégulièrement reçu le testament de son père et que l’acte serait entaché de nullité, ce qui lui causerait des préjudices matériel et moral importants.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 30 août 2016, Monsieur Y Z demande au tribunal de condamner Maître M-N O, sous le bénéfice de l’exécution provisoire et outre sa condamnation aux dépens, à lui verser les sommes de :

—  2.000.000 € en réparation de son préjudice matériel,

—  1.500.000 € en réparation de son préjudice moral,

—  30.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, il fait grief au notaire :

— d’avoir recueilli sous la dictée le testament de son père sans avoir exigé la production d’un certificat médical alors qu’il avait par ailleurs des raisons de douter de sa capacité à tester,

— d’avoir recueilli ledit testament dans une brasserie parisienne plutôt qu’en son office,

— d’avoir omis de réaliser un inventaire des biens immobiliers du testateur situés en France alors qu’il n’ignorait pas qu’il en détenait plusieurs.

Il soutient qu’en raison de la nullité du testament, il a subi un préjudice matériel et moral lié à son exclusion de la succession de son père, à l’existence d’un litige successoral complexe et à un sentiment d’humiliation et de trahison.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 15 septembre 2016, Maître M-N O demande au tribunal de :

— débouter Monsieur Y Z de l’ensemble de ses demandes,

— le condamner à lui verser la somme de 50.000 € pour procédure abusive,

— le condamner à lui verser la somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens, avec faculté de distraction.

Il soutient qu’il appartient au demandeur de démontrer l’incapacité du défunt au jour de l’établissement du testament ainsi que les éléments extérieurs qui auraient pu le conduire à douter de la capacité à tester du défunt, ce qu’il ne fait pas. De plus, il expose qu’aux termes du règlement intercours du conseil supérieur du notariat pris par arrêté du 22 juillet 2014, le notaire peut, sous certaines conditions, recevoir un acte hors de son office, et qu’en tout état de cause, en l’espèce, la validité de l’acte n’a pas été affectée par le lieu de signature qui répondait à la seule volonté du défunt. Enfin, il fait valoir que le demandeur ne rapporte pas la preuve de la nullité du testament, de l’atteinte invoquée à la réserve héréditaire, ni d’éventuels éléments qui auraient dû le conduire à avoir connaissance de l’existence d’autres biens immobiliers appartenant au défunt au jour de la signature du testament, étant rappelé qu’il n’était chargé que du volet français de la succession. En tout état de cause, il conteste l’existence d’un préjudice direct et certain.

MOTIFS

Sur la responsabilité du notaire

En droit, par sa qualité d’officier public, le notaire est tenu d’assurer l’efficacité et la sécurité des actes qu’il instrumente et il lui appartient d’éclairer les parties et d’appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets de ceux-ci. La preuve du conseil donné incombe au notaire et celle-ci peut résulter de toute circonstance ou de toute pièce établissant l’exécution de son obligation. Reste que l’étendue du devoir de conseil auquel le notaire est tenu doit s’analyser au regard de la mission qui lui était confiée.

Aux termes de l’article 895 du code civil, “le testament est un acte par lequel le testateur dispose, pour le temps où il n’existera plus, de tout ou partie de ses biens ou de ses droits et qu’il peut révoquer”.

Il résulte de l’article 926 du même code que “si le testament est reçu par deux notaires, il leur est dicté par le testateur ; l’un de ces notaires l'écrit lui-même ou le fait écrire à la main ou mécaniquement.

S’il n’y a qu’un notaire, il doit également être dicté par le testateur ; le notaire l'écrit lui-même ou le fait écrire à la main ou mécaniquement.

Dans tous les cas, il doit en être donné lecture au testateur”.

En l’espèce, il est d’abord fait grief au notaire d’avoir reçu le testament de D Z le 2 décembre 2005, alors qu’il avait subi une intervention chirurgicale la veille et sortait d’hospitalisation, et ce sans avoir exigé la production d’un certificat médical. Or, il résulte de la lecture du dossier médical produit aux débats que les troubles de santé dont souffrait le défunt étaient purement somatiques et n’entraînaient ni trouble cognitif ni altération du discernement. Il s’ensuit qu’il ne saurait être fait grief au notaire de ne pas s’être entouré de la production d’un certificat médical alors même que l’incapacité du défunt à tester le 2 décembre 2005 n’est pas démontrée par la production d’éléments médicaux exhaustifs, ce qui permet d’en déduire que le notaire a fait une juste appréciation de la capacité de D Z. Ce premier grief sera en conséquence écarté.

Il est ensuite reproché au notaire d’avoir recueilli le testament de D Z dans un établissement de restauration, contrevenant ainsi au règlement intercours du conseil supérieur du notariat aux termes desquelles : “pour la dignité et l’indépendance de ses fonctions, le notaire ne peut, sauf cas exceptionnel, accueillir sa clientèle et recevoir ses actes que dans son office, dans les locaux accessoires et dans un ou des bureaux annexes ou dans les locaux d’un confrère, au domicile, à la résidence ou au siège social de l’une des parties, dans les locaux d’une administration, d’une mairie, les tribunaux, les établissements hospitaliers ou les locaux des instances professionnelles”.

Or, il résulte de ces dispositions que l’obligation du notaire de recevoir les actes en son office, ou dans les autres lieux limitativement énumérés, souffre une exception, le notaire ayant pu considérer que les circonstances de l’espèce, à savoir l’importance du patrimoine, la volonté en ce sens exprimée par D Z ou encore les commodités du lieu invoquées par ce dernier, revêtaient le caractère exceptionnel requis par le texte précité. De plus, et en tout état de cause, il convient de distinguer les faits qui sont susceptibles de porter atteinte aux usages d’une profession, si bien fondés soient-ils, de ceux qui sont susceptibles d’être considérés comme un fait dommageable entraînant la responsabilité civile professionnelle d’un notaire, ce qui ne saurait être le cas en l’espèce s’agissant du lieu d’établissement de l’acte dès lors qu’il n’est pas démontré qu’il ait entaché la régularité ou l’efficacité de l’acte. Il s’ensuit que ce second grief sera écarté.

S’agissant enfin du troisième grief tiré du défaut de diligences du notaire pour connaître la consistance du patrimoine immobilier du défunt, il convient d’abord de relever que le notaire, lorsqu’il reçoit un testament sous la dictée du testateur n’a pas à intervenir pour obtenir davantage de précisions sur l’étendue de ses biens, étant rappelé que le rôle du notaire à cet égard, tel qu’il ressort des dispositions légales, consiste à reproduire avec exactitude la volonté du testateur, et ensuite, s’agissant des diligences accomplies au moment de la déclaration de succession, de constater qu’il n’est pas démontré que le notaire disposait d’éléments lui permettant de douter de l’étendue du patrimoine immobilier français de D Z décrite par ses héritiers. Il s’ensuit que ce dernier grief n’est pas davantage établi.

En conséquence, Monsieur Y L, qui ne démontre pas le manquement du notaire devra être débouté de l’ensemble de ses demandes.

Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts

L’exercice d’une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de faute tenant notamment à la malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équivalente au dol.

En l’espèce, la partie défendresse sera déboutée de sa demande à ce titre, faute pour elle de rapporter la preuve d’une quelconque intention de nuire ou légèreté blâmable de la part de la partie demanderesse, laquelle a pu légitimement se méprendre sur l’étendue de ses droits et faute d’établir l’existence d’un préjudice autre que celui subi du fait des frais exposés pour sa défense.

Sur les frais et dépens

Il y a lieu de condamner Monsieur Y L, partie perdante, aux dépens.

En outre, il doit être condamné à verser à Maître M-N O, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 3.500 €.

Conformément aux dispositions de l’article 515 du code de procédure civile et eu égard aux circonstances de l’espèce, le prononcé de l’exécution provisoire est justifié.

P A R C E S M O T I F S

Le Tribunal,

— REJETANT toutes prétentions plus amples ou contraires des parties,

— DEBOUTE Monsieur Y Z de ses demandes ;

— DEBOUTE Maître M-N O de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;

— CONDAMNE Monsieur Y Z à payer à Maître M-N O la somme de trois mille cinq cents euros (3.500 €) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— CONDAMNE Monsieur Y Z aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

— ORDONNE l’exécution provisoire de la décision.

Fait et jugé à Paris le 5 avril 2017

Le Greffier Le Président

[…] M. X

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Textes cités dans la décision

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Tribunal de grande instance de Paris, 1re chambre responsabilité des professionnels du droit, 5 avril 2017, n° 15/12742