Tribunal de grande instance de Paris, 5 juillet 2019, n° 18/04220

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 5 juill. 2019, n° 18/04220
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 18/04220

Texte intégral

T R I B U N A L D E GRANDE I N S T A N C E D E P A R I S1

3ème chambre 2ème JUGEMENT section rendu le 05 juillet 2019

N° RG 18/04220 – N° Portalis 352J-W-B7C-CMWF 5

N° MINUTE :

Assignation du : 05 avril 2018

DEMANDERESSE

E.U.R.L. JOSEPHINE P. […]

représentée par Maître Y-Z A de la SELARL

@MARK, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J0150

DÉFENDERESSE

S.A.S. NOUS CAMBON […]

représentée par Maître Claude-Etienne ARMINGAUD du PARTNERSHIPS K & L GATES LLP, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J120

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Florence BUTIN, Vice-Président Guillaume DESGENS, Juge Elise MELLIER, Juge

assisté de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier,

DÉBATS

A l’audience du 23 mai 2019, tenue en audience publique devant Florence BUTIN et Guillaume DESGENS, juges rapporteurs qui sans opposition des avocats, ont tenu seuls l’audience et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du Code de Procédure Civile.

Expéditions exécutoires délivrées le:

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JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

L’EURL JOSEPHINE P., immatriculée le 26 novembre 2014 et ayant pour activités déclarées la commercialisation d’objets de la maison et d’équipements divers ainsi que la conception et création d’articles de mode, exploite sous le nom commercial NOUS une boutique de décoration et des arts de la table située à PARIS 75009. Elle dispose par ailleurs d’un site de vente en ligne accessible à l’adresse www.nousparis.com, ce depuis le 15 octobre 2015.

Elle est titulaire de deux marques verbales françaises « nous » n°4141676 et n°4419385, respectivement déposées :

-le 12 décembre 2014 en classes 14, 25 et 35 pour désigner des produits de « joaillerie, bijouterie, pierres précieuses, horlogerie et instruments chronométriques, métaux précieux et leurs alliages, objets d’art en métaux précieux, coffrets à bijoux, boîtes en métaux précieux, boîtiers, bracelets, chaînes, ressorts ou verres de montre, porte-clefs de fantaisie, statues ou figurines (statuettes) en métaux précieux, étuis ou écrins pour l’horlogerie, médailles » (classe 14), des « vêtements, chaussures, chapellerie, chemises, vêtements en cuir ou en imitation du cuir, ceintures (habillement), fourrures (vêtements), gants (habillement), foulards, cravates, bonneterie, chaussettes, chaussons, chaussures de plage, de ski ou de sport, sous-vêtements » (classe 25), et des services de « gestion des affaires commerciales, administration commerciale, présentation de produits sur tout moyen de communication pour la vente au détail, conseils en organisation et direction des affaires, organisation d’expositions à buts commerciaux ou de publicité, audits d’entreprises (analyses commerciales), services d’intermédiation commerciale (conciergerie) » (classe 35).

-le 12 janvier 2018 en classes 8, 20, 21, 24, 28 et 42 pour désigner des « outils et instruments à main entraînés manuellement, coutellerie, fourchettes, cuillers, armes blanches, rasoirs, appareils et instruments pour l’abattage d’animaux de boucherie, outils à main actionnés manuellement ; tondeuses (instruments à main) » (classe 8), des « Meubles, glaces (miroirs), cadres (encadrements), objets d’art en bois, cire, plâtre ou en matières plastiques, cintres pour vêtements, commodes, coussins, étagères, récipients d’emballage en matières plastiques, fauteuils, sièges, literie à l’exception du linge de lit, matelas, vaisseliers, boîtes en bois ou en matières plastiques » (classe 20), des « ustensiles de ménage, ustensiles de cuisine, récipients à usage ménager, récipients pour la cuisine, peignes, éponges, brosses (à l’exception des pinceaux), matériaux pour la brosserie, instruments de nettoyage actionnés manuellement, paille de fer, verre brut ou mi-ouvré à l’exception du verre de construction, porcelaines, faïence, bouteilles, objets d’art en porcelaine, en céramique, en faïence ou en verre, statues en porcelaine, en céramique, en faïence ou en verre, figurines (statuettes) en porcelaine, en céramique, en faïence ou en verre,

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ustensiles de toilette nécessaires de toilette, poubelles, verres (récipients) vaisselle » (classe 21), des « tissus, couvertures de lit, tissus à usage textile, tissus élastiques, velours, linge de lit, linge de maison, linge de table non en papier, linge de bain à l’exception de l’habillement ; sacs de couchage » (classe 24), des « jeux, jouets, jouets pour animaux de compagnie, tapis d’éveil, commandes pour consoles de jeu, décorations de fête et arbres de Noël artificiels, appareils de culture physique, appareils de gymnastique, attirail de pêche, balles et ballons de jeux, tables de billard, queues de billard, billes de billard, jeux de cartes, jeux de table, patins à glace, patins à roulettes, trottinettes [jouets], planches à voile, planches pour le surf, raquettes, raquettes à neige, skis, rembourrages de protection (parties d’habillement de sport), maquettes [jouets], figurines [jouets], robots en tant que jouets » (classe 28) et enfin des services de « évaluations techniques concernant la conception (travaux d’ingénieurs), recherches scientifiques, recherches techniques, conception d’ordinateurs pour des tiers, développement d’ordinateurs, conception de logiciels, développement de logiciels, recherche et développement de nouveaux produits pour des tiers, conduite d’études de projets techniques, architecture, décoration intérieure, élaboration (conception) de logiciels, installation de logiciels, maintenance de logiciels, mise à jour de logiciels, location de logiciels, programmation pour ordinateurs, analyse de systèmes informatiques, conception de systèmes informatiques, services de conseillers en matière de conception et de développement de matériel informatique, numérisation de documents, logiciel-service (SaaS), informatique en nuage, conseils en technologie de l’information, hébergement de serveurs, contrôle technique de véhicules automobiles, services de conception d’art graphique, stylisme (esthétique industrielle), authentification d’œuvres d’art, audits en matière d’énergie, stockage électronique de données » (classe 42).

La société NOUS CAMBON SAS, immatriculée le 24 novembre 2017, se présente comme spécialisée dans le commerce de vêtements dits « urbains » et de produits high tech. Elle revendique l’héritage de la boutique COLETTE en tant que référence de la mode parisienne, et se prévaut d’une forte notoriété.

Ayant découvert l’existence d’une boutique de vêtements et accessoires de décoration à l’enseigne « nous » située au 48, rue Cambon à PARIS 75001 ainsi que l’exploitation d’un site internet accessible à l’adresse www.nous.paris, la société JOSEPHINE P. a le 19 janvier 2018 adressé à la société NOUS CAMBON une lettre recommandée l’invitant à modifier sa dénomination sociale, ce qui a donné lieu à une réponse d’attente datée du 6 février 2018 sans qu’aucune suite ne soit réservée à ces réclamations.

C’est dans ces conditions que par acte d’huissier en date du 5 avril 2018, la société JOSEPHINE P. a fait assigner la société NOUS CAMBON SAS sur le fondement des dispositions relatives à la contrefaçon de marques et à la concurrence déloyale et parasitaire, présentant aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 janvier 2019 les demandes suivantes :

Vu le Livre VII du code de la propriété intellectuelle, et notamment l’article L .717-4,

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Vu l’article 1240 du code civil et l’article 10 bis de la Convention de l’Union de Paris,

DIRE ET JUGER que l’exposition, l’offre en vente, la mise sur le marché, la détention et la commercialisation de produits et services par la société NOUS CAMBON imitant les marques nous n°144141676 et 184419385 de la société JOSEPHINE P. constituent des actes de contrefaçon de droits de marques, conformément aux dispositions du Livre VII du code de la propriété intellectuelle et notamment des articles L 713.1 et suivants, L 716.1 et suivants et L 716.9 et L 716.10 CPI, L 717.1 et suivants et L 716.7 et suivants CPI, ainsi que des actes de concurrence déloyale et de parasitisme en application de l’article 1240 du code civil et de l’article 10 bis de la Convention de l’Union de Paris et ce au préjudice de la société JOSEPHINE P. ,

EN CONSEQUENCE :

REJETER les demandes, fins et conclusions de la société NOUS CAMBON, INTERDIRE à la société NOUS CAMBON de tels actes illicites, et ce sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée et de 10.000 euros par jour de retard, lesdites astreintes devant être liquidées par le tribunal de céans, X la confiscation de tous les produits et supports promotionnels reproduisant le signe nous illicites et ce notamment aux fins de leur destruction aux frais de la société NOUS CAMBON, CONDAMNER la société NOUS CAMBON à payer à société JOSEPHINE P. une indemnité de 75.000 euros à titre de dommages- intérêts, X, à titre de complément de dommages-intérêts, la publication du jugement à intervenir dans trois (3) journaux ou périodiques au choix de la société JOSEPHINE P., et aux frais avancés de la société NOUS CAMBON, dans la limite d’un budget de 10.000 euros HT par publication, X la publication permanente du dispositif de la décision à intervenir sur la page d’accueil de tous les sites Internet de la société NOUS CAMBON pendant 3 mois, et ce dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard, DIRE que ces publications devront s’afficher de façon visible en lettres de taille suffisante, aux frais de la société NOUS CAMBON, en dehors de tout encart publicitaire et sans mention ajoutée, dans un encadré de 468x120 pixels : le texte qui devra s’afficher en partie haute et immédiatement visible de la page d’accueil devant être précédé du titre AVERTISSEMENT JUDICIAIRE en lettres capitales et gros caractères, DIRE que les condamnations porteront sur tous les faits illicites commis jusqu’au jour du prononcé du jugement à intervenir, CONDAMNER la société NOUS CAMBON à payer à société JOSEPHINE P. la somme de 15.000 euros à titre de remboursement des peines et soins du procès, conformément à l’article 700 du code de procédure civile, X en raison de la nature de l’affaire l’exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel et sans caution,

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CONDAMNER la société NOUS CAMBON aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de Maître Y-Z A, Avocat aux offres de droit, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

La société NOUS CAMBON SAS présente, aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 février 2019, les demandes suivantes:

Vu les articles L. 714-3 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ; Vu l’article 1240 du code civil,

CONSTATER A TITRE PRINCIPAL, l’absence de distinctivité des marques n°4141676 et n°4419385 enregistrées par la société JOSEPHINE P. ;

CONSTATER A TITRE PRINCIPAL, le dépôt frauduleux des marques n°4141676 et n°4419385 par la société JOSEPHINE P.;

CONSTATER A TITRE SUBSIDIAIRE que la marque n°4419385 enregistrée par la société JOSEPHINE P. a été déposée ultérieurement à l’immatriculation de la société NOUS SAS et à l’ouverture de son enseigne ;

CONSTATER A TITRE SUBSIDIAIRE l’absence d’actes de contrefaçon imputables à la société NOUS SAS ;

CONSTATER l’absence d’actes de concurrence déloyale et parasitaire imputables à la société NOUS SAS ;

CONSTATER que les pièces adverse n°18 et n°19 ne revêtent aucune valeur probante ;

CONSTATER que la société JOSEPHINE P. n’a subit aucun préjudice résultant du comportement de la société NOUS SAS.

En conséquence, ANNULER les marques n° 4141676 et n° 4419385 enregistrées par la société JOSEPHINE P. ; DIRE que la marque n°4419385 enregistrée par la société JOSEPHINE P. est inopposable à la société NOUS SAS ; ÉCARTER DES DÉBATS les pièces adverses n°18 et 19 ; DÉBOUTER la société JOSEPHINE P. de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ; CONDAMNER la société JOSEPHINE P. à payer la somme de 15.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ; X l’exécution provisoire de la décision.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 mars 2019 et l’affaire a été plaidée le 23 mai 2019.

Pour un exposé complet de l’argumentation des parties il est, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées.

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MOTIFS DE LA DECISION:

1- Validité des marques invoquées (caractère distinctif):

La société NOUS CAMBON fait valoir que la demanderesse indique elle-même que les deux signes « NOUS » enregistrés à titre de marque sont la description naturelle de son activité de création d’un collectif réuni autour d’un intérêt commun à savoir les arts de la table, et que l’emploi du terme « nous » n’est pas un usage à titre de marque mais une banale formule descriptive et courante qui ne sert pas à identifier les produits ou services proposés par la société JOSEPHINE P. au public parisien. Elle ajoute que l’enregistrement du signe « nous » pour une multitude de classes ne reflétant pas l’activité réelle du titulaire de la marque lui confère un monopole inacceptable, faussant ainsi le jeu de la concurrence.

La société JOSEPHINE P. répond que la société NOUS CAMBON SAS ne démontre pas en quoi le terme « nous » serait nécessaire et générique pour désigner les produits et services visés à l’enregistrement des marques, qu’elle n’entend évidemment pas s’opposer à toute forme d’utilisation du terme « nous » mais à ceux générant une confusion avec sa propre activité, laquelle est au cas d’espèce parfaitement établie par de nombreuses pièces versées aux débats montrant les erreurs commises par des clients et fournisseurs.

Sur ce,

L 'article L.711-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés. Selon ce texte « sont dépourvus de caractère distinctif :

a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;

b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service ;

c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.

Le caractère distinctif d’une marque s’apprécie au jour de son dépôt et au regard de l’impression d’ensemble qu’elle procure. Cette règle a pour objectif d’éviter que tout opérateur susceptible de proposer dans l’avenir des produits ou des services concurrents de ceux pour lesquels l’enregistrement est demandé, soit privé en raison d’un monopole acquis de la faculté d’utiliser librement les signes ou indications pouvant servir à décrire leurs caractéristiques.

Dans le cas d’espèce, il n’est aucunement démontré que le terme « nous

» serait la désignation nécessaire, générique ou usuelle des produits et

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services visés au dépôt des marques en cause ni qu’il permettrait d’en désigner une caractéristique, ce qui ne peut évidemment se déduire de la manière dont la société JOSEPHINE P présente ses activités. A cet égard et à supposer même que cette démarche puisse être décrite par le terme « nous », l’argument selon lequel la demanderesse fait état d’une « mise en relation » des consommateurs avec des artisans ou créateurs est donc parfaitement inopérant.

Ce moyen ne peut en conséquence qu’être écarté.

2- Dépôt frauduleux invoqué par la société NOUS CAMBON SAS:

En l’absence de toute précision sur ce point, les demandes de ce chef seront considérées par le tribunal comme présentées sur le fondement de la théorie générale de la fraude et non en application de l’article L.712-6 du code de la propriété intellectuelle.

La société NOUS CAMBON fait valoir qu’un dépôt est considéré comme frauduleux lorsque le droit de marque est détourné de sa fonction dans la seule intention de nuire aux intérêts d’un tiers en le privant intentionnellement d’un signe qu’il utilise ou s’apprête à utiliser, et qu’au cas d’espèce cette intention est caractérisée par le choix d’enregistrer deux marques « NOUS » dans des classes qui ne correspondent ni à l’activité réelle, ni même à une activité future de la société JOSEPHINE P. alors que précisément, elles font référence aux articles commercialisés par la défenderesse.

La société JOSEPHINE P. ne présente pas d’observation sur ce grief.

Sur ce,

Il est de principe que l’action en nullité fondée sur la théorie générale de la fraude peut toujours être exercée indépendamment d’une action en revendication.

La fraude se définissant comme l’utilisation d’une règle de droit de façon à nuire aux intérêts d’un tiers au moyen d’actes d’apparence régulière, il peut s’agir dans l’hypothèse du dépôt d’une marque, de l’intention par ce moyen de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité ou de s’approprier indûment le bénéfice d’une opération légitimement entreprise. L a caractérisation de la fraude suppose d’une part la connaissance des droits fraudés et d’autre part la recherche d’un profit indûment obtenu, la réunion de ces conditions étant appréciée in concreto au regard des circonstances de l’espèce dont notamment le fait de savoir qu’un tiers utilise un signe identique ou similaire dans un contexte prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est sollicité, l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser le signe, et le degré de protection juridique dont bénéficient respectivement le signe du tiers et le signe objet du dépôt.

La demanderesse ayant en 2014 déposé une première marque « nous » pour désigner notamment des produits de joaillerie et instruments chronométriques, vêtements, chaussures, et des services de gestion des affaires commerciales, le fait d’étendre le champ de ses droits privatifs

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à des meubles, ustensiles de cuisine, jeux – qui sont en relation avec l’aménagement intérieur et la décoration de la maison – et à la conception de logiciels susceptibles de se rattacher à différentes activités, ne peut suffire à démontrer l’intention de priver la société NOUS CAMBON de l’usage de ce signe et ce, même si le dépôt litigieux est intervenu après que la société JOSEPHINE P a été informée de l’existence de la défenderesse dont le « concept store » à l’enseigne NOUS a été ouvert en janvier 2018 (pièce NC 3).

Les produits et services visés par le second enregistrement sont d’ailleurs pour partie sans aucun rapport avec les articles proposés au sein de ce nouvel espace, ce qui est par exemple le cas pour les « contrôle technique de véhicules automobiles », « services de conception d’art graphique », « authentification d’œuvres d’art », ou encore « audits en matière d’énergie ».

La fraude alléguée n’est dans ces conditions pas démontrée.

3- Actes de contrefaçon :

La société JOSEPHINE P. fait valoir que la société NOUS CAMBON exploite une boutique à l’enseigne « nous » et commercialise des vêtements, des produits high-tech, de l’optique, de l’horlogerie, des livres, des bougies ou encore des mugs et des assiettes. Elle estime qu’ajoutée à l’identité ou tout au moins à la similitude des produits et services concernés, l’identité des signes « nous » est de nature à générer un risque de confusion sur leur origine, ce qui caractérise les actes de contrefaçon allégués. Elle invoque à cet égard de nombreux messages de la part de clients qui la contactent dans le cadre d’un service après-vente ou de la participation à un événement organisé par la société NOUS CAMBON, de fournisseurs ou encore de candidats à un poste proposé par la défenderesse.

La société NOUS CAMBON répond qu’aucun produit ou service visé à l’enregistrement de la marque n°4141676 ni aucune classe de la marque n°4419385, n’est identique ou similaire à l’activité effectivement exercée par la société NOUS CAMBON sous le signe « NOUS » et que les pièces communiquées n’établissent pas le risque de confusion allégué.

Sur ce,

Il est indiqué à titre liminaire que les critiques visant les pièces 18 et 19 de la société JOSEPHINE P ne portant pas sur les conditions de leur communication mais sur leur valeur probante qu’il appartient le cas échéant au tribunal d’apprécier, les documents en cause n’ont pas lieu d’être écartés des débats.

En application des articles L.713-2 et L.713-3 du code de la propriété intellectuelle sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :

a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que : « formule, façon, système, imitation, genre, méthode », ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement;

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b) La suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée (L.713-2) et s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public :

a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ;

b) L’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement (L.713-3).

L 'appréciation de la contrefaçon implique de rechercher si, au regard des degrés de similitude entre les signes et entre les produits et/ou services désignés, il existe un risque de confusion comprenant un risque d’association dans l’esprit du public concerné.

La similitude entre les produits ou les services est évaluée en tenant compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport existant entre eux et en particulier leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire (CJCE, 28 sept. 1998, aff. C-39/97, Canon).

L’identité des signes en conflit n’est pas discutée.

Il est rappelé que dans le cas d’une marque déposée en cours de validité, le risque de confusion est apprécié par référence au champ de la protection conférée par le titre et non à l’activité effectivement exercée par le titulaire des droits, laquelle est en effet susceptible d’évoluer dès lors que le délai écoulé depuis l’enregistrement ne l’expose pas au risque de déchéance pour défaut d’usage sérieux du signe, pour tout ou partie des produits et services visés à l’enregistrement.

Il ressort des pièces communiquées que contrairement à ce qu’elle soutient, la société NOUS CAMBON SAS commercialise au sein de la boutique à l’enseigne « nous » des vêtements, des chaussures, des accessoires pour la maison, le jeu ou le sport, ainsi que des articles d’horlogerie ou des lunettes, lesquels sont selon les cas identiques ou similaires à ceux visés à l’enregistrement des marques « nous » et ce, peu important qu’il s’agisse de produits « rares » ou « high tech » dès lors qu’ils remplissent la même fonction (pièces NC 3 à 5). Dans ces conditions, le public pertinent – qui est ici une clientèle parisienne s’intéressant aux tendances de la mode, au design et à la décoration intérieure – sera susceptible d’attribuer aux produits distribués par les deux entités une origine commune, ou supposer que la seconde enseigne apparue sur le marché constitue une déclinaison de la première proposant des articles rares ou de haute technologie orientés vers l’habillement, la décoration ou le loisir. Ce risque de confusion n’est pas écarté par la description que font les sociétés NOUS CAMBON et JOSEPHINE P. de leurs activités respectives, au demeurant toutes deux centrées sur un choix sélectif d’objets produits en série limitée et s’adressant à un public exigeant, et n’est pas non plus remis en cause par la force probante très relative des pièces versées aux débats en vue d’établir la réalité de cette confusion. Les extraits de comptes de réseaux sociaux sont en effet inexploitables, en ce qu’ils ne permettent pas d’identifier l’environnement des messages transmis (pièces CAJ 25 à 32). Il est en revanche démontré que des candidatures

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à des emplois diffusés sur le site FashionJobs.com ont été par erreur adressées à la messagerie bonjour@nousparis.com de la société JOSEPHINE P (pièces CAJ 20 et 21).

Le risque de confusion caractérisant la contrefaçon est ainsi constitué.

4- Actes de concurrence déloyale :

La société JOSEPHINE P. fait valoir que des actes de concurrence déloyale ont également été commis par la société NOUS CAMBON en ce qu’il a été porté atteinte à son nom commercial et à son enseigne.

La société NOUS CAMBON répond qu’un consommateur parisien d’attention moyenne fera parfaitement la distinction entre une entité qui commercialise des produits « relevant de la high tech et du street wear

» et la société JOSEPHINE P. qui propose des articles relevant des arts de la table. Elle ajoute bénéficier d’une excellente réputation qui exclut tout avilissement du signe revendiqué.

Sur ce,

La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité édicté par l’article 1382 devenu 1240 du code civil, consiste dans des agissements s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur, ceux parasitaires visant à s’approprier de façon injustifiée et sans contrepartie une valeur économique résultant d’un savoir-faire, de travaux ou d’investissements ou encore, ceux constitutifs d’actes de dénigrement ou de désorganisation d’une entreprise.

Pour les raisons précédemment exposées dans le cadre de l’appréciation de la contrefaçon des marques « nous », l’enseigne « nous » de la boutique exploitée par la société NOUS CAMBON porte atteinte aux droits de la société JOSEPHINE P. sur son nom commercial.

La demanderesse n’établit en revanche absolument pas utiliser ce terme en tant qu’enseigne, les pièces communiquées montrant au contraire que la boutique ouverte par la demanderesse est « baptisée JOIE DE VIVRE

» (pièce CAJ 4).

Elle ne développe par ailleurs aucun argument précis au soutien de sa demande au titre de prétendus actes parasitaires en ce qu’elle ne démontre ni sa particulière notoriété, ni la réalisation d’investissements représentant une valeur économique que la société NOUS CAMBON se serait indûment appropriée.

Il est enfin relevé qu’aucune demande n’est présentée s’agissant du nom de domaine exploité par la société NOUS CAMBON.

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5- Mesures réparatrices et indemnitaires :

La société JOSEPHINE P. estime qu’en application de l’article L.716- 14 du code de la propriété intellectuelle, le tribunal doit prendre en considération toutes les conséquences économiques négatives dont notamment le risque de voir sa clientèle se détourner de ses produits et services au bénéfice de ceux d’un concurrent disposant d’un puissant réseau de communication. Elle sollicite, outre une indemnité de 75.000 euros, le prononcé de mesures de publication et d’interdiction.

La société NOUS CAMBON répond que le préjudice allégué est inexistant est qu’à le supposer établi, il ne concernerait qu’un public restreint aux clients parisiens potentiellement intéressés par les arts de la table.

Sur ce,

L’article L716-14 du code de la propriété intellectuelle définit les modalités suivant lesquelles il est procédé à l’évaluation du préjudice matériel et moral résultant des actes de contrefaçon au regard notamment de leurs conséquences économiques pour la partie lésée et des bénéfices réalisés par le contrefacteur.

La société JOSEPHINE P. sollicitant des dommages et intérêts à hauteur de 75.000 euros sans même distinguer ses postes de préjudice ni apporter le moindre élément susceptible de justifier le quantum réclamé, sa demande indemnitaire ne peut qu’être rejetée.

La mesure d’interdiction étant justifiée par les atteintes relevées, elle sera ordonnée selon les modalités précisées au dispositif sans qu’il y ait lieu de faire droit aux demandes de publication réclamées à titre de réparation complémentaire. Les mesures de confiscation et de destruction qui sont disproportionnées au regard du contexte du litige doivent de même être rejetées.

6- Autres demandes relatives au coût du procès et aux conditions d’exécution de la décision :

La société NOUS CAMBON SAS, partie perdante, supportera la charge des dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Elle doit en outre être condamnée à verser à la société JOSEPHINE P., qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 5.000 euros.

L’exécution provisoire n’étant pas justifiée au cas d’espèce, elle n’a pas lieu d’être ordonnée.

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Décision du 05 juillet 2019 3ème chambre 2ème section N° RG 18/04220 – N° Portalis 352J-W-B7C-CMWF5

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

DIT n’y avoir lieu d’écarter des débats les pièces 18 et 19 de la société JOSEPHINE P. ;

REJETTE la demande de nullité des marques NOUS n°4141676 et n°4419385 pour absence de caractère distinctif ; REJETTE la demande de nullité des marques NOUS n°4141676 et n°4419385 pour dépôt frauduleux ;

DIT qu’en offrant à la vente au sein d’une boutique à l’enseigne « NOUS » et sous le signe “nous” des vêtements, chaussures, accessoires vestimentaires et de décoration pour la maison, produits d’horlogerie, de joaillerie et d’optique, jeux et produits dits « high tech », la société NOUS CAMBON commet des actes de contrefaçon des marques nous n°144141676 et 184419385 au préjudice de la société JOSEPHINE P.;

DIT qu’en offrant à la vente au sein d’une boutique à l’enseigne « NOUS » et sous le signe « NOUS » des vêtements, chaussures, accessoires vestimentaires et de décoration pour la maison, produits d’horlogerie, de joaillerie et d’optique, jeux et produits dits « high tech

», la société NOUS CAMBON commet des actes de concurrence déloyale par atteinte au nom commercial de la société JOSEPHINE P.;

FAIT INTERDICTION à la société NOUS CAMBON de poursuivre les agissements précités à sa voir, la vente au sein d’une boutique à l’enseigne « NOUS » et sous le signe “nous” des vêtements, chaussures, accessoires vestimentaires et de décoration pour la maison, produits d’horlogerie, de joaillerie et d’optique, jeux et produits dits « high tech

», ce sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé un délai de 2 mois à compter de la signification du jugement ;

Se réserve la liquidation de l’astreinte ;

REJETTE les demandes tendant à la confiscation et à la destruction de tous les produits et supports promotionnels reproduisant le signe ;

DEBOUTE la société JOSEPHINE P. de sa demande indemnitaire ;

REJETTE les demandes de publication ;

CONDAMNE la société NOUS CAMBON à payer à la société JOSEPHINE P. la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

DIT n’y avoir lieu d’X l’exécution provisoire de la décision ;

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Décision du 05 juillet 2019 3ème chambre 2ème section N° RG 18/04220 – N° Portalis 352J-W-B7C-CMWF5

CONDAMNE la société NOUS CAMBON aux dépens de l’instance qui pourront être recouvrés par Maître Y-Z A conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 05 juillet 2019

Le Greffier Le Président

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Tribunal de grande instance de Paris, 5 juillet 2019, n° 18/04220