Tribunal d'instance de Paris, 6 février 2018

  • Absence de déclaration sur l'honneur·
  • Obligation de déclaration préalable·
  • Plateforme de mise en relation·
  • Obligation d'information·
  • Locataire temporaire·
  • Obligation de veille·
  • Filiale française·
  • Manquements·
  • Immobilier·
  • Bailleur

Sur la décision

Texte intégral

Par acte d’huissier en date du 28 juin 2017, Monsieur X. a fait assigner Monsieur Y., la société Airbnb France et la société Airbnb Irland Unlimited Company devant ce Tribunal à l’effet d’obtenir, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :

– la communication des relevés de transactions, sous astreinte de 500 euros par jour de retard,

– la condamnation de Monsieur Y. à la restitution des loyers illicitement perçus du fait de la sous-location illicite, outre les intérêts,

– la condamnation de Monsieur Y. au remboursement d’une somme de 1 014,18 euros au titre des frais engagés, outre les intérêts,

– la condamnation in solidum des défendeurs au paiement :

– de la somme de 7 500 euros en réparation du préjudice moral résultant de la faute,

– d’une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que des entiers dépens.

La cause a été appelée à l’audience du 3 octobre 2017 et renvoyée à la demande des défenderesses au 5 décembre 2017 date à laquelle elle a ‘été retenue pour plaidoiries.

A cette audience, Monsieur X. est représenté par son conseil qui s’est désisté de ses demandes et de son action à l’encontre de Monsieur Y. et a modifié ses demandes en réclamant désormais la condamnation in solidum des défenderesses au paiement :

– de la somme de 6 500 euros en réparation du préjudice moral résultant des fautes,

– d’une somme de 1 664,86 euros au titre du préjudice matériel,

– d’une somme de 1 869,07 euros au titre des fruits illicites perçus,

– d’une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que des entiers dépens.

Il a développé ses conclusions auxquelles il sera référé pour plus amples exposé des faits et des moyens et a fait valoir :

– que Monsieur Y. a sous-loué son appartement malgré les dispositions contractuelles, un refus d’autorisation de son bailleur en date du 3 janvier 2017 et de multiples avertissements,

– qu’il aurait dû obtenir une autorisation de changement d’usage et effectuer une déclaration préalable auprès de la Mairie, le logement étant loué plus de 4 mois dans l’année,

– que les relevés de transactions ont démontré qu’il avait perçu 49 301,37 euros pour 119 sous­ locations illicites entre le 31 mars 2016 et le 24 septembre 2017,

– que quatre constats d’huissier effectués le 26 janvier, 22 mars, 29 juillet et 18 octobre 2017 le confirment,

– que ces faits constituent une faute lourde et des manquements graves et répétés malgré de nombreux avertissements,

– que Monsieur Y. a violé un droit fondamental au préjudice du propriétaire,

– que le bailleur, qui est une personne âgée, s’est senti trahi, les sous-locataires étant de véritables étrangers,

– que les voisins se sont plaints,

– qu’un constat d’accord est intervenu entre le bailleur et son locataire et Monsieur Y. a quitté les lieux le 30 octobre 2017,

– que les articles 1240 et 1241 du Code civil sont applicables ainsi que l’article L.324-2-1 du Code du tourisme et la délibération du Conseil municipal de Paris en date du 4 juillet 2017,

– que les défenderesses ont commis de fautes,

– qu’elles auraient dû vérifier que le loueur dispose d’une autorisation valable,

– qu’elles n’ont pas obtenu d’attestation sur l’honneur,

– qu’elles n’ont pas informé Monsieur Y. de ses obligations de déclaration ou d’autorisation préalable instaurées par la loi du 7 octobre 2016,

– que la plateforme.aurait dû vérifier, à compter du 9 octobre 2016, que le seuil des 120 jours n’avait pas été dépassé, même pour la période antérieure,

– qu’en 2017, le seuil a été dépassé le 20 juin 2017,

– que ces obligations se distinguent de l’autorisation préalable par télédéclaration mise en place par la Marie de Paris à compter du 1er décembre 2017,

– que bien qu’alertées dès le 2 mai 2017, le compte de Monsieur Y. n’a pas été suspendu et aucune action n’a été entreprise,

– qu’entre le 18 mai et le 24 septembre 33 sous-locations ont été effectuées, avec 634 euros de frais d’hôte perçus, 1 869 euros au total,

– que ces frais s’analysent en fruits issus du bien appartenant au demandeur,

– que les défenderesses ne peuvent prétendre ignorer le risque de sous-location,

– que 20 000 logements seraient ainsi loués illégalement grâce à Airbnb,

– que la procédure interne est invoquée en toute mauvaise foi et ne ressort pas des pièces produites,

– que Monsieur Y. a bénéficié d’une récompense »Superhost » attribuée aux meilleurs

hôtes, sans aucune vérification,

– que par négligence et abstentions, les défenderesses ont fourni à Monsieur Y. le moyen de s’affranchir du cadre légal,

– que le préjudice moral résulte du fait que le locataire a profité du bien mis à sa disposition non pas pour l’habiter mais afin de gagner de l’argent,

– que Monsieur X. n’a eu d’autre solution que de parvenir à un accord pour récupérer son bien,

– que les constats d’huissier ont aussi permis d’établir l’absence de suspension du compte,

– que les défenderesses ont sciemment laissé une action illicite se commettre.

La société Airbnb France et la société Airbnb Irland Unlimited Company sont représentées par leur conseil qui a soulevé l’irrecevabilité des demandes à l’encontre de Airbnb France et sollicité le débouté des demandes et la condamnation du demandeur au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et des entiers dépens.

Il a développé ses conclusions auxquelles il sera référé pour plus ample exposé des faits et a fait valoir :

– que l’accord intervenu entre le bailleur et son locataire n’a pas été produit et fait craindre une collusion, à tout le moins une connivence,

– que le demandeur ne justifie pas de son intérêt à agir à l’encontre de Airbnb France qui n’a qu’une activité de support et n’intervient pas dans l’exploitation et la gestion de la plateforme Airbnb, ce qui lui a été précisé dans un courrier du 16 mai 2017,

– que les défenderesses n’ont commis aucune faute,

– que rien ne leur impose de réclamer une autorisation de sous-louer ni de vérifier l’autorisation,

qu’Airbnb alerte régulièrement ses hôtes qui doivent préalablement accepter les conditions de service d’Airbnb et qui sont redirigés vers une rubrique « Les réglementations de votre ville » insistant notamment sur les sous-locations,

qu’Airbnb n’est ni négligente ni passive face à la problématique des sous-locations,

– que la vérification d’identité de l’hôte n’est pas systématique,

– que le qualificatif de « Superhost » est octroyé automatiquement,

qu’Airbnb est une plateforme de mise en relation proposant 450 000 hébergements qui ne sont ni gérés ni contrôlés,

– que la procédure interne impose une autorisation pour effectuer une réclamation à un hôte,

– qu’en l’espèce, le conseil de Monsieur X. n’a pas donné d’autorisation,

– que le locataire ne peut décemment prétendre qu’il ignorait l’illicéité des sous-locations qu’il effectuait, au vu des nombreux avertissements reçus et du refus exprès de son bailleur,

qu’Airbnb n’a pas à assister les locataires dans la compréhension de leur bail,

– que Monsieur Y. a publié son annonce sous’ un nom d’emprunt pour être plus difficilement identifiable,

qu’Airbnb n’est pas responsable de son non respect du contrat de bail,

– que le Code du tourisme n’impose pas de vérifier si les hôtes disposent d’une autorisation,

– que les locations effectuées par Monsieur Y. entre le 31 mars 2016 et le 24 septembre 2017 ne sont donc pas concernées par les obligations du Code de tourisme,

qu’Airbnb informe régulièrement ses hôtes et leur délivre une information mise à jour,

– qu’une information a été donnée sur le mise en place de la procédure de déclaration par la ville de Paris,

– que les hôtes doivent régulièrement renouveler leur acceptation,

– que l’obligation pour les plateformes d’effectuer un décompte annuel du nombre de location est entrée en vigueur le 9 octobre 2016,

– qu’en 2017, la limite de 120 jours n’a été dépassée que le 20 juin 2017,

– que Monsieur Y. a lui-même désactivé son compte le 30 septembre 2011,

– qu’il est curieux que le demandeur n’est introduit aucune demande à l’encontre du locataire,

– qu’il n’existe aucun lien directe entre les frais engagés et les fautes reprochées,

– que seule l’obstination du locataire à sous-louer et ses fautes lourdes sont à l’origine du préjudice invoqué,

– que la preuve du lien de causalité n est pas rapportée,

– qu’il est curieux que la réparation de ce préjudice ne soit pas réclamée au locataire,

– que les préjudices allégués sont contestables,

– que le désistement signifie que le demandeur s’estime rempli de ses droits concernant le préjudice lié aux sous-locations,

– que si le demandeur avait autorisé la réclamation, la suspension aurait pu intervenir dès le 20 juin 2016,

– que le profit tiré par le locataire qui sous-loue n’est pas un préjudice matériel.

Sur ce, il a été indiqué au.parties que le jugement serait rendu le 6 février 2018, par mise

à disposition au greffe de ce Tribunal.

DISCUSSION

Sur la recevabilité des demandes à l’encontre de Airbnb France

Il ressort des pièces produites et des débats que la société Airbnb France n’exerce qu’une activité de support aux activités d’Airbnb Ireland et n’intervient pas dans l’exploitation et la gestion de la plateforme Airbnb.

Le demandeur ne justifie pas de son intérêt à agir à l’encontre de la société Airbnb France. Les demandes portées à son encontre seront en conséquence déclarées irrecevables pour défaut d’intérêt à agir.

Sur les manquements de la société Airbnb Ireland Unlimited Company

En application de l’article 1240 du Code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En application de l’article 1241 du Code civil, chacun est responsable du dommage qu’il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Si la faute peut consister aussi bien dans une abstention que dans un acte positif, la responsabilité délictuelle pour faute suppose un rapport de causalité certain entre la faute et le dommage.

Aux termes de l’article L.324-2-1 du Code du tourisme, modifié par la loi du 7 octobre

2016, une plateforme destinée à la mise en location de logement informe le loueur des obligations de déclaration ou d’autorisation préalables et obtient de lui, préalablement à la location du bien, une déclaration sur l’honneur attestant du respect de ces obligations, indiquant si le logement constitue ou non sa résidence principale, ainsi que le numéro de déclaration du logement. Elle veille à ce que le logement proposé à la location ou à la sous-location ne soit pas loué plus de 120 jours par an par son intermédiaire lorsque le logement constitue la résidence principale du loueur. A cette fin, lorsqu elle en a connaissance, elle décompte le nombre de nuits faisant l’objet d’une occupation et en informe, à sa demande, annuellement, la commune du logement loué. Au delà de 120 jours de location, le logement ne peut plus faire l’objet d’une offre de location par son intermédiaire jusqu’à la fin de l’année en cours.

En application de l’article 9 du Code de procédure civile, il appartient à celui qui allègue un fait d’en démontrer la réalité.

En application des textes susvisés, si le Code du tourisme n’impose pas une vérification

de l’existence d’une autorisation, la plateforme est tenue d’une obligation d’information du loueur sur ses obligations de déclaration ou d’autorisation préalable, d obtenir une déclaration sur l’honneur, de veiller à ce que le logement ne soit pas loué plus de 120 jours par an et, à compter du 1er décembre 2017, de publier le numéro d’enregistrement relatif à la déclaration préalable obligatoire effectuée par télé-déclaration.

En l’espèce, il ressort des pièces produites et des éléments du débat que la défenderesse ne justifie pas qu’elle aurait informé Monsieur Y. de ses obligations, les captures d’écran et les courriels produits ne suffisants pas à rendre compte que ce dernier aurait été informé, ce qu’il a contesté. Elle n’est en outre pas en mesure de produire une déclaration sur l’honneur concernant Monsieur Y.

De surcroît, les pièces produites établissent de façon indiscutable que le logement litigieux a été loué plus de 120 jours par an, en l’occurrence, 369 jours, soit 119 sous-locations entre le 31 mars 2016 et le 24 septembre 2017, ce qui n’est pas contesté.

Dès lors, l’obligation de veille, imposée à compter du 9 octobre 2016, aurait dû contraindre la société Airbnb à procéder à un décompte annuel, tant pour l’année 2016 que pour l’année 2017, ce qu’elle n’a pas fait.

Le tribunal note que pour se soustraire à cette obligation, la défenderesse soutient que la procédure interne exigeait une autorisation du bailleur pour faire une réclamation à l’encontre de son hôte. Outre qu’elle ne justifie nullement de cette « procédure interne », force est de constater que la société Airbnb a admis que la suspension du compte de Monsieur Y. aurait pu intervenir dès le 20 juin 2016.

Enfin, il ressort des pièces produites que la société Airbnb a été alertée du problème dès le 2 mai 2017, et que le compte a continué à fonctionner, même après l’assignation, jusqu’à sa désactivation, par Monsieur Y. le 30 septembre 2017 et que le logement était

toujours présenté en sous-location. le 18 octobre 2017, soir après la première audience.

En définitive, la société Airbnb a incontestablement manqué à ses obligations légales et a fourni à Monsieur Y. le moyen de s’affranchir de ses obligations contractuelles sans que les agissements illicites de ce dernier soient de nature à exclure sa propre responsabilité. Elle a de surcroît, avec une certaine mauvaise foi et peut-être en connivence avec Monsieur Y. laissé perdurer ces manquements.

Sur la réparation des préjudices

Le demandeur a justifié que les manquements avaient perduré en dépit des démarches amiables entreprises et de la présente procédure, que les nombreuses sous-locations, l’occupation par des tiers de son appartement et les plaintes des voisins lui ont occasionné un préjudice moral, qu’il a dû mandater quatre huissiers pour établir la sous-location et la mise sur le site Airbnb de son bien. Il est évident que la suspension du compte Airbnb de Monsieur aurait permis de mettre fin à ces manquements.

li sera jugé que ce préjudice moral découle des manquements imputables à la s0ciété Airbnb qui devra indemniser Monsieur X. Il lui sera alloué, en réparation de ce préjudice, une somme de 3 000 euros.

Le demandeur réclame par ailleurs, au titre de son préjudice matériel, une somme de

1 664,86 euros correspondant aux frais d’huissier, qui sont justifiés. La société Airbnb sera conséquence condamnée au paiement de cette somme en réparation du préjudice matériel.

Il est enfin réclamé, en application des articles 546 et 547 du Code civil, une somme de

1869,07 euros perçue par la société Airbnb du fait de la mise à disposition illicite de son bien. La défenderesse n’a fait valoir aucune contestation, ni sur le principe, ni sut le montant réclamé. Elle sera, en application de ces textes, condamnée à restituer cette somme au demandeur.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Il n’apparaît pas inéquitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, d’allouer au demandeur une somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure.

En application de l’article 696 du Code de procédure civile, la société Airbnb Irland

Unlimited Company, qui succombe, conservera la charge de ses frais et supportera les dépens.

Sur l’exécution provisoire

Les circonstances de la cause justifient le prononcé de l’exécution provisoire qui apparaît nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire.

DÉCISION

Le Tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et rendu par mise à disposition au greffe de la juridiction,

CONSTATE que le désistement d’instance et à action à l’encontre de Monsieur Y.,

DÉCLARE IRRECEVABLES les demandes à l’encontre de la société Airbnb France qui sera déclarée hors de cause,

DIT que la société Airbnb Irland Unlimited Company a manqué à ses obligations légales et doit être tenue pour responsable de ses manquements,

CONDAMNE la société Airbnb Irland Unlimited Company à payer à Monsieur­ X. :

– une somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral,

– une somme de 1 664,86 euros en réparation de son préjudice matériel,

– une somme de 1 869,07 euros en remboursement des fruits perçus de façon illicite,

– une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNE la société Airbnb Irland Unlimited Company aux entiers dépens,

ORDONNE l’exécution provisoire.

Le Tribunal : Fabienne Trouillet (présidente)



Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Tribunal d'instance de Paris, 6 février 2018