Tribunal de grande instance de Paris, 12 novembre 2020, 19/00850

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Résumé de la juridiction

Action relative à des actes de parasitisme et des pratiques commerciales trompeuses

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Sur la décision

Référence :
TJ Paris, ct0196, 12 nov. 2020, n° 19/00850
Numéro(s) : 19/00850
Importance : Inédit
Identifiant Légifrance : JURITEXT000043759839

Texte intégral

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre 1ère section

No RG 19/00850 – 
No Portalis 352J-W-B7D-COX3O

No MINUTE :

Assignation du :
15 janvier 2019

JUGEMENT
rendu le 12 novembre 2020
DEMANDERESSE

Syndicat PRODISS
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représenté par Me Etienne PAPIN de FERAL-SCHUHL / SAINTE-MARIE AARPI représentée par NEXT AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J106

DÉFENDERESSES

S.A.S. GLOBAL SERVICE CONCIERGE
[Adresse 2]
[Adresse 2]

S.A.S. OMEGA
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentées par Me Olivier LEGRAND, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1234, Me Catherine GUIGOU de la SELARL GUIGOU AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Gilles BUFFET, Vice président
Alix FLEURIET, Juge

assistés de Caroline REBOUL, Greffier

DEBATS

A l’audience du 21 septembre 2020
tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

Le syndicat national des producteurs, diffuseurs, festivals et salles de spectacle musical et de variété (PRODISS) est un syndicat professionnel fondé en 1984, regroupant les producteurs, diffuseurs, les exploitants de salles et les organisateurs de festivals.

La SAS OMEGA se présente comme un développeur de sites internet. Elle éditait en particulier la site « maestro-corporation.com », lequel n’est plus actif depuis le 1er juillet 2019.

Sa filiale, la SAS GLOBAL SERVICE CONCIERGE se présente quant à elle comme proposant des services innovants dans le domaine de l’industrie de la musique. Elle édite dans ce cadre les sites internet « next-concert.fr », « live-booker.com », dédiés à l’achat de billets de concerts, et « hey-alex.fr », dédié à l’information du public sur les artistes et les événements musicaux, et renvoyant les internautes vers les deux sites précédents.

A la fin de l’année 2017, le PRODISS a été alerté par un certain nombre de ses adhérents de la commercialisation, sur le site internet « next-concert.fr », de billets pour des concerts produits quoique non encore programmés.

Le PRODISS a de la même manière constaté que le site internet à l’adresse <www.live-booker.fr> proposait à la vente des billets pour des spectacles programmés, mais pour lesquels la billetterie n’était pas encore ouverte.

Après plusieurs échanges de courriels, le PRODISS a, par actes d’huissier du 15 janvier 2019, fait assigner les sociétés GLOBAL SERVICE CONCIERGE et OMEGA devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu le 1er janvier 2020 le tribunal judiciaire de Paris, afin d’obtenir la cessation de ces activités, selon lui contraires aux dispositions de l’article L.313-6-2 du code pénal, et parasitaires ainsi que leur condamnation au paiement de dommages-intérêts à ce titre.

Dans ses dernières conclusions signifiées électroniquement le 27 janvier 2020, le PRODISS demande au tribunal de :

Vu l’article 313-6-2 du code pénal,
Vu l’article 1240 du code civil,
Vu l’article L131-1 du code des procédures civiles d’exécution,
Vu les articles 70 et 515 du code de procédure civile,

— CONDAMNER les sociétés GLOBAL SERVICE CONCIERGE et OMEGA in solidum à verser au PRODISS la somme de 1.756.027,91 euros à titre de dommages et intérêts, sauf à parfaire pour ce qui concerne le chiffre d’affaires de l’année 2019 ;

— ORDONNER à la société GLOBAL SERVICE CONCIERGE de retirer des sites internet qu’elle édite et notamment les sites accessibles aux adresses next-concert.fr, live-booker.com et hey-alex.fr, ou à toutes autres adresses qui pourraient leur être substituées par la société, toutes
offres de service portant sur des billets ou des titres d’accès, et notamment leur acquisition, leur cession ou leur réservation, quelle que soit la qualité de la société GLOBAL SERVICE CONCIERGE, et notamment en qualité d’acquéreur, de cédant, de mandant, de mandataire, de commettant, de commissionnaire ou de courtier, des spectacles pour lesquels elle ne justifie pas être autorisée par le producteur concerné pour publier de telles offres et ce sous astreinte provisoire de 10.000 euros par jour de retard, à compter de la date de signification du jugement à intervenir ;

— INTERDIRE à la société GLOBAL SERVICE CONCIERGE de publier sur les sites internet qu’elle édite et notamment les sites accessibles aux adresses next-concert.fr, live-booker.com et hey-alex.fr, ou à toutes autres adresses qui pourraient leur être substituées par la société, toutes offres de service portant sur des billets ou des titres d’accès, et notamment leur acquisition, leur cession ou leur réservation, quelle que soit la qualité de la société GLOBAL SERVICE CONCIERGE, et notamment en qualité d’acquéreur, de cédant, de mandant, de mandataire, de commettant, de commissionnaire ou de courtier, des spectacles pour lesquels elle ne justifie pas être autorisée par le producteur concerné pour publier de telles offres et ce sous astreinte provisoire de 10.000 euros par jour de retard, à compter de la date de signification du jugement à intervenir ;

— DIRE que le tribunal de céans se réservera le pouvoir de liquider les astreintes prononcées conformément à l’article L131-3 du code des procédures civiles d’exécution ;

— DIRE que les sociétés GLOBAL SERVICE CONCIERGE et OMEGA seront tenues in solidum au paiement de ces astreintes ;

— CONDAMNER les sociétés GLOBAL SERVICE CONCIERGE et OMEGA à publier le dispositif du jugement à intervenir, ainsi que des extraits des motifs de celui-ci choisis par le PRODISS, sur la partie immédiatement accessible des pages d’accueil des sites internet édités respectivement par de GLOBAL SERVICE CONCIERGE et OMEGA, et notamment les sites accessibles aux adresses next-concert.fr, live-booker.com, hey-alex.fr et maestro-corporation.com, ou à toutes autres adresses qui pourraient leur être substituées par les sociétés GLOBAL SERVICE CONCIERGE et OMEGA, en caractères de taille 12, de couleur noire sur fond blanc, sur une surface égale à au moins 50% de la surface de la page d’accueil, dans la partie supérieure de celle-ci dans un encadré parfaitement visible et immédiatement visible dès le chargement de la page, pendant une durée de six mois et ce dans un délai de cinq jours à compter de la signification de la décision à intervenir, le tout sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard ;

— DECLARER irrecevable la demande des sociétés GLOBAL SERVICE CONCIERGE et OMEGA formée à titre reconventionnel, sur le fondement de l’article 70 du code de procédure civile ;

En tout état de cause,

— DEBOUTER les sociétés GLOBAL SERVICE CONCIERGE et OMEGA de leurs demandes formées à titre reconventionnel ;

— CONDAMNER les sociétés GLOBAL SERVICE CONCIERGE et OMEGA, in solidum, aux entiers dépens ;

— CONDAMNER les sociétés GLOBAL SERVICE CONCIERGE et OMEGA, in solidum, à la somme de 30.000 euros au titre des frais irrépétibles, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

Dans leurs dernières conclusions signifiées par la voie électronique le 28 février 2020, les sociétés GLOBAL SERVICE CONCIERGE et OMEGA demandent quant à elles au tribunal de:

Vu les articles 111-4, 121-1, 313-1 et 313-6-2 du code pénal,
Vu les articles 1984 et suivants du code civil,
Vu l’article 1240 du code civil,
Vu l’article 70 du code de procédure civile,
Vu les articles L. 121-2 et L. 121-4 9o du code de la consommation,

À titre principal,

— CONSTATER que les sites internet accessibles aux adresses www.next-concert.fr et www.live-booker.fr sont des services de conciergerie, reposant sur le mécanisme juridique et opérationnel du mandat,

— CONSTATER que le site d’information internet accessible à l’adresse <www.maestro-corporation.com> désactivé depuis le 1er juillet 2019 n’a pas fourni les moyens pour la vente et la cession de billets,

— CONSTATER que le site d’information internet accessible à l’adresse <www.hey-alex.fr> , ne fournit pas les moyens pour la vente et la cession des billets,

En conséquence,

— CONSTATER que les éléments constitutifs de l’infraction réprimée par l’article 313-6-2 du code pénal ne sont pas réunis ;

En outre,

— CONSTATER que les sites Next Concert et Live Booker, en facilitant l’achat de billets par leurs mandants grâce à la mise à disposition de leurs propres bases de données et outils informatiques, fruits d’investissements conséquents, ne commettent pas d’actes de parasitisme,

— CONSTATER que les activités des sites Live Booker et Next Concert étant licites et régies par des conditions de mandat claires et loyales, les infractions de pratiques commerciales déloyales et trompeuses réprimées par les articles L.121-4, L.121-2 et L.124-17 et suivants du code de la consommation ne sont pas constituées,

— CONSTATER que les activités des sites Live Booker et Next Concert ne sont pas constitutives d’infraction d’escroquerie,

— CONSTATER que le site Hey Alex informe clairement les consommateurs sur son lien avec les sites Next Concert et Live Booker et que l’infraction au titre de l’article L.121-2 2o du code de la consommation n’est pas constituée,

En conséquence,

— DEBOUTER le PRODISS de l’ensemble de ses demandes fondées sur des infractions pénales non réalisées ;

En tout état de cause,

— CONSTATER que le PRODISS ne démontre l’existence d’aucun préjudice,

— CONSTATER que les demandes visant à ordonner le retrait des sites internet des défenderesses et à leur faire interdiction de développer de nouveaux sites sont excessives;

A titre reconventionnel,

— CONSTATER qu’en dénonçant auprès de la presse grand public le site Live Booker comme étant frauduleux et illégal, puis poursuivi en justice sans qu’une décision définitive ait été rendue, le PRODISS s’est rendu coupable de dénigrements, de nature à engager sa responsabilité délictuelle,

En conséquence,

— CONDAMNER le PRODISS à verser aux sociétés GLOBAL SERVICES CONCIERGE et OMEGA les somme de 1.126.484 ? et 50.000 ? à titre de dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices économiques et de réputation résultant du comportement fautif du PRODISS;

— CONDAMNER le PRODISS à publier le dispositif du jugement à intervenir, ainsi que des extraits des motifs de celui-ci choisis par les sociétés GLOBAL SERVICE CONCIERGE et OMEGA sur la partie immédiatement accessible des pages d’accueil du site internet édité par le PRODISS, accessible à l’adresse « prodiss.org », en caractères de taille 12, de couleur noire sur fond blanc, sur une surface égale à au moins 50 % de la surface de la page d’accueil, dans la partie supérieure de celle-ci dans un encadré parfaitement visible et immédiatement visible dès le chargement de la page, pendant une durée de six mois et ce dans un délai de cinq jours à compter de la signification de la décision à intervenir, le tout sous astreinte de 1.000 ? par jour de retard ;

Enfin et en tout état de cause,

— CONDAMNER le PRODISS à payer aux sociétés GLOBAL SERVICE CONCIERGE et OMEGA la somme de 44.444 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— CONDAMNER le PRODISS aux entiers dépens ;

— ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans caution, vu l’urgence et le péril en la demeure.

L’instruction de l’affaire a été clôturée par une ordonnance du 3 mars 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1o) Sur la licéité de l’activité des sociétés OMEGA et GLOBAL SERVICE CONCIERGE

Le PRODISS indique que ses demandes sont principalement fondées sur les dispositions de l’article L.313-6-2 du code pénal dans sa rédaction issue de la Loi du 12 mars 2012 qui incrimine l’activité habituelle de vente et celle de fourniture de moyens en vue de la vente, de billets de concerts et de spectacles, sans disposer de l’accord du ou des producteurs de ce spectacle.

Elle rappelle que la conformité de ce texte à la Constitution a été retenue par le Conseil constitutionnel et soutient que l’activité des sociétés défenderesses tombe sous le coup de ses dispositions. Le PRODISS fait à cet égard valoir que les règles du mandat invoquées par les sociétés OMEGA et GLOBAL SERVICE CONCIERGE ne sont que l’habillage juridique et marketing d’une activité illicite, ainsi d’ailleurs que l’ont déjà retenu de précédentes décisions.

Le syndicat ajoute que l’activité des défenderesses participe au renchérissement significatif du coût des billets, ainsi qu’à l’insatisfaction des consommateurs lorsqu’ils ne parviennent pas à obtenir leurs billets, ainsi d’ailleurs que le démontrent les pièces produites, que le législateur a précisément entendu faire cesser en incriminant cette activité lorsqu’elle est réalisée sans l’accord du producteur du spectacle.

Le PRODISS soutient encore qu’en tirant profit sans bourse délier des lourds investissements assumés par les producteurs de spectacles, les sociétés OMEGA et GLOBAL SERVICE CONCIERGERIE se rendent coupables d’actes de parasitisme. De même, en donnant à leurs activités l’apparence de la licéité, ces mêmes sociétés sont à l’origine de pratiques commerciales trompeuses sanctionnées par le code de la consommation.

En réplique, les sociétés OMEGA et GLOBAL SERVICE CONCIERGERIE exposent proposer aux internautes un service assumant, pour leur compte, la complexité de l’obtention de billets de spectacles. Elles font valoir qu’elles n’achètent pour le compte de leurs clients que des billets officiels et n’agissent pas comme mandataires des vendeurs de billets, mais comme mandataires des acheteurs.

Elles précisent que le site Next Concert propose, de manière parfaitement transparente, aux internautes, des mandats de recherche d’informations sur des concerts et, dès l’annonce du prix des places, des mandats de recherche de billets. Le site Live Boocker propose quant à lui aux internautes de les décharger de la réservation de billets en lui confiant un mandat à cette fin.

Les sociétés OMEGA et GLOBAL SERVICE CONCIERGERIE ajoutent que ces activités sont distinctes de celles incriminées et visées par les dispositions de l’article L.313-6-2 du code pénal dont elles rappellent qu’elles doivent être interprétées strictement. Elles indiquent à cet égard que le mandat n’est en aucun cas assimilable à une vente, non plus qu’à la fourniture de moyens en vue d’une vente, de billets de concerts.

S’agissant du site Hey Alex, les sociétés OMEGA et GLOBAL SERVICE CONCIERGERIE indiquent qu’il s’agit d’un site ayant un contenu purement rédactionnel et d’ailleurs référencé en tant que tel par Google News. Elles ajoutent que ce site renvoie, certes vers Live Boocker, mais également vers Digitick, distributeur agréé.

Les sociétés OMEGA et GLOBAL SERVICE CONCIERGERIE en déduisent qu’elles ne commettent aucune pratique commerciale trompeuse, non plus que des actes de parasitisme. Elles indiquent à cet égard consacrer à budget significatif à la promotion de leurs sites internet.

Sur ce,

a – Aux termes de l’article 313-6-2 du code pénal, "Le fait de vendre, d’offrir à la vente ou d’exposer en vue de la vente ou de la cession ou de fournir les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d’accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant, de manière habituelle et sans l’autorisation du producteur, de l’organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation de cette manifestation ou de ce spectacle, est puni de 15 000 ? d’amende. Cette peine est portée à 30 000 ? d’amende en cas de récidive.
Pour l’application du premier alinéa, est considéré comme titre d’accès tout billet, document, message ou code, quels qu’en soient la forme et le support, attestant de l’obtention auprès du producteur, de l’organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation du droit d’assister à la manifestation ou au spectacle."

Les travaux parlementaires ayant précédé l’adoption de ce texte renseignent sur l’objectif poursuivi par le législateur :
"Depuis quelques années, les pratiques de revente massive de billets ou de titres d’accès à des manifestations tant sportives que culturelles, dans le but d’en tirer un bénéfice, ont tendance à s’amplifier.
Il est fréquent que, dès les premiers jours de mise en vente de billets par un producteur ou un organisateur de spectacle ou de manifestation sportive, la pénurie soit créée : une grande partie, voire la totalité des titres d’accès à la manifestation est achetée par une poignée d’individus, qui les revendent ensuite à un prix qui leur permet d’en tirer un substantiel bénéfice.
Lors des événements très courus, cette pratique est devenue? très courante. À voir le nombre de sites de revente de billets sur Internet, on est conduit à penser qu’il s’agit d’une activité des plus lucratives ! Les contentieux fleurissent entre les sociétés qui se sont spécialisées dans cette activité et les organisateurs, producteurs ou institutions proposant des spectacles, concerts, matchs et compétitions sportives, voire des expositions. (…)
Je ne peux donc que me réjouir du consensus que je constate pour légiférer de façon large et définitive afin de réprimer ces abus. (…)
Le dispositif ainsi adopté permet de satisfaire aux exigences posées par le Conseil constitutionnel: tout lieu, tout support et toutes modalités de vente étant désormais appréhendés, la notion de bénéfice réalisé n’est plus prise en compte pour fonder l’infraction. Ce nouveau texte assurera aussi une protection des consommateurs et la gestion intégrale, par les détenteurs des droits sur les manifestations concernées, de la vente de leurs prestations." (Compte-rendu des débats au Sénat du 1er mars 2012 – intervention de M. [A] [N])

Il y a lieu en outre de rappeler que ces dispositions légales ont été validées en ces termes par le Conseil constitutionnel :

« 6. D’autre part, le législateur a également souhaité garantir l’accès du plus grand nombre aux manifestations sportives, culturelles, commerciales et aux spectacles vivants. En effet, l’incrimination en cause doit permettre de lutter contre l’organisation d’une augmentation artificielle des prix des titres d’accès à ces manifestations et spectacles.

7. En deuxième lieu, la vente de titres d’accès et la facilitation de la vente ou de la cession de tels titres, ne sont prohibées que si elles s’effectuent sans l’autorisation du producteur, de l’organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation de la manifestation ou du spectacle.

8. En dernier lieu, il résulte des travaux parlementaires qu’en ne visant que les faits commis «de manière habituelle», le législateur n’a pas inclus dans le champ de la répression les personnes ayant, même à plusieurs reprises, mais de manière occasionnelle, vendu, cédé, exposé ou fourni les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d’accès à une manifestation ou à un spectacle.

9. Il résulte de ce qui précède que l’infraction ainsi définie ne méconnaît ni le principe de nécessité des délits et des peines, ni celui de légalité des délits et des peines.

10. Il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la Déclaration de 1789, ainsi qu’à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

11. Compte tenu, d’une part, des objectifs de valeur constitutionnelle et d’intérêt général énoncés aux paragraphes 5 et 6 et, d’autre part, de ce que le législateur a réprimé la seule revente de titres d’accès, sa facilitation et celle de la cession de tels titres, uniquement lorsqu’elles sont réalisées à titre habituel et sans l’accord préalable des organisateurs, producteurs ou propriétaires des droits d’exploitation, le législateur n’a méconnu ni la liberté d’entreprendre ni la liberté contractuelle ni le droit de propriété.

12. L’article 313-6-2 du code pénal, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution."

(Décision no 2018-754 QPC du 14 décembre 2018, Société Viagogo et autres)

Ainsi, l’article 313-6-2 du code pénal incrimine l’offre à la vente, la fourniture de moyens en vue de la vente, ou de la cession de billets de spectacles, réalisées de manière habituelle, et sans l’autorisation du producteur ou de l’organisateur du spectacle.

Il résulte en l’occurrence des pièces produites que le site « Live Boocker » (pièce no22 des défenderesses) propose aux internautes d’acquérir des billets moyennant la rémunération de ce service. Les concerts sont présentés sur le site sous la forme de visuels de l’artiste mentionnant les dates et lieux de ses concerts, sur lequel clique l’internaute, qui est alors dirigé vers les différentes catégories de places disponibles, ainsi que leur prix, incluant le prix estimatif du billet et celui du service.

L’internaute choisit son billet et, pour finaliser sa commande, est invité à remplir les champs permettant de commander à son nom les billets, ainsi qu’à accepter les conditions générales du service, aux termes desquelles le service est payable à la commande et n’est pas annulable en dehors de cas limitativement énumérés et correspondant au cas où les billets ne peuvent être obtenus par le « mandataire ».

Or, le tribunal observe que la qualification de mandat donnée par les défenderesses à ce service est douteuse dès lors que dans le cadre d’un mandat, aux termes de l’article 2004 du code civil, et sous réserve de la faute, « Le mandant peut révoquer sa procuration quand bon lui semble (…). »

L’internaute est ensuite informé du prix du service (en l’occurrence 57,92 ? HT soit 69,50 ? TTC, pour un billet dans le carré or d’un concert de [N] [L] évalué à 155 ?) et peut alors finaliser sa commande. A l’ouverture de la billetterie, le billet est acquis auprès d’un vendeur agréé (ici Ticketnet – pièce no23.1 des défenderesses) et expédié au « mandant ».

Force est de constater que, sous le couvert d’un « mandat d’achat », le site « Live Boocker » est en réalité une plate-forme proposant un service payant de mise en relation de vendeurs agréés avec des acquéreurs de billets. La société GLOBAL SERVICE CONCIERGERIE fournit donc de manière habituelle des moyens en vue de la vente de billets pour des spectacles vivants et ce, sans l’accord des producteurs de ces spectacles.

La plate-forme Next Concert propose exactement le même service en y ajoutant celui, payant, d’information sur la date de programmation du concert.

Ces activités sont illicites au regard des dispositions de l’article L.313-6-2 du code pénal précitées.

Il n’en va pas de même pour le site Hey Alex qui se borne à renvoyer vers les deux sites précédents.

Les entreprises de production et d’organisation de spectacles, auprès de qui les billets ont été régulièrement acquis par les défenderesses, n’ont pas subi un préjudice équivalent aux gains générés par l’activité de revente de ces billets.

La demande aux fins de réparation d’un préjudice économique basé sur les gains générés par cette activité sera donc rejetée.

Les entreprises de production et d’organisation de spectacles, représentées par leur syndicat professionnel, ont en revanche subi un préjudice d’image résultant de l’augmentation substantielle et artificielle des prix des titres d’accès à leurs spectacles à laquelle aboutit cette activité, dont le consommateur est amené à croire qu’elle bénéficie aux producteurs de spectacles.

Ce préjudice sera réparé par le versement de la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts, cette somme tenant compte de l’ampleur des faits constatés, et étant à la charge de la société GLOBAL SERVICE CONCIERGERIE seule éditrice des sites internet en cause.

b – Aux termes des articles 1240 et 1241 du code civil, « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » et « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

Au visa de ces deux textes, il est constamment jugé que la liberté du commerce autorise tout acteur économique à attirer vers lui la clientèle de son concurrent. Aussi, l’imitation d’un concurrent n’est, en tant que telle, pas fautive, à moins que ne soient utilisés des procédés illicites ou contraires aux usages loyaux du commerce.

Est à cet égard fautif le fait, pour un professionnel, de s’immiscer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier (Cass. Com. 26 janvier 1999, pourvoi no96-22.457 ; Cass. Com. 10 septembre 2013, pourvoi no12-20.933), ce qui constitue un acte de parasitisme.

Il est par ailleurs admis que le non-respect par un opérateur économique des règles du droit de la consommation créé une distorsion dans le jeu de la concurrence constitutive, en soi, d’un acte de concurrence déloyale par désorganisation du marché de nature à ouvrir un droit à réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle, ce dont il résulte qu’une partie est fondée à se prévaloir de pratiques commerciales réalisées en méconnaissance de la réglementation prescrite par le code de la consommation, dès lors qu’elles lui ont causé un préjudice.

Même en supposant que les défenderesses ont commis des actes de parasitisme et des pratiques commerciales trompeuses, il n’est en l’occurrence justifié d’aucun préjudice distinct du préjudice d’image déjà indémnisé, de sorte que les demandes de ces chefs seront rejetées.

Il sera fait droit à la demande d’interdiction.

La demande de publication du présent jugement sera rejetée, les autres dispositions du jugement réparant suffisamment le préjudice subi.

3o) Sur les demandes reconventionnelles

Les sociétés OMEGA et GLOBAL SERVICE CONCIERGERIE reprochent au PRODISS de s’être rendu coupable de faits de dénigrements à leur encontre auprès de médias grand public. Ainsi, des articles intitulés « STOP AUX ARNAQUES » ont présenté leurs sites commes étant « sous surveillance ». En octobre 2019, a été diffusé sur la chaîne BFM TV un reportage présentant une interview d’une cliente de Live Boocker suivie d’une présentation trompeuse d’un autre site internet, une voix off ajoutant que le site Live Boocker était « dans l’illégalité ». Les sociétés OMEGA et GLOBAL SERVICE CONCIERGERIE soutiennent que ces faits engagent la responsabilité du PRODISS.

Le PRODISS conclut en premier lieu à l’irrecevabilité des demandes comme ne se rattachant pas aux prétentions originaires par un lien suffisant (article 70 du code de procédure civile).

Le syndicat indique qu’en tout état de cause aucun propos dénigrant ne peut lui être imputé à l’occasion d’une interview de l’un de ses membres et en particulier de sa directrice générale. S’agissant du reste du reportage et de l’ensemble des articles de presse versés aux débats, le PRODISS rappelle qu’ils sont le fait de journalistes indépendants.

Sur ce,

Force est en l’occurrence de constater que la demande de dommages-intérêts fondée sur le dénigrement imputé au PRODISS se rattache aux demandes originaires par un lien suffisant. Cette demande doit donc être déclarée recevable.

Il est en outre constamment jugé que « même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure. » (Cass. Com., 9 janvier 2019, pourvoi no 17-18.350, FS-P+B)

Au cas particulier cependant, les faits invoqués sont le fait de journalistes relatant certes la campagne du syndicat, mais selon un contenu élaboré sous leur seule responsabilité, qui ne peut être imputé au PRODISS.

Les demandes reconventionnelles en paiement de dommages-intérêts et publication du présent jugement, présentées par les sociétés défenderesses, seront donc rejetées.

4o) Sur les autres mesures

Partie perdante au sens de l’article 696, la société GLOBAL SERVICE CONCIERGERIE sera condamnée aux dépens, ainsi qu’à payer au PRODISS la somme de 30.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, l’exécution provisoire sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

LE TRIBUNAL,

CONDAMNE la société GLOBAL SERVICE CONCIERGE à payer au PRODISS la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice causé à la profession et résultant de la violation de l’article 313-6-2 du code pénal ;

FAIT DÉFENSE à la société GLOBAL SERVICE CONCIERGE de publier sur les sites internet qu’elle édite et notamment les sites accessibles aux adresses <www.next-concert.fr> et <www.live-booker.com>, toutes offres de service portant sur des billets ou des titres d’accès à des spectacles, et notamment leur acquisition, leur cession ou leur réservation, quelle que soit la qualité de la société GLOBAL SERVICE CONCIERGE, et notamment en qualité de mandataire, offres de service pour lesquelles elle ne justifie pas être autorisée par le producteur concerné à publier de telles offres et ce, sous astreinte provisoire de 1.000 euros par infraction constatée, courant à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la signification de la présente décision ;

SE RÉSERVE la liquidation de l’astreinte ;

REJETTE les demandes du PRODISS fondées sur la concurrence déloyale et les pratiques commerciales trompeuses, et aux fins de publication de la présente décision ;

DIT recevables les demandes formées à titre reconventionnel par les sociétés GLOBAL SERVICE CONCIERGE et OMEGA ;

Les REJETTE ;

CONDAMNE la société GLOBAL SERVICE CONCIERGE à payer au PRODISS la somme de 30.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société GLOBAL SERVICE CONCIERGE aux dépens ;

ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement.

Fait et jugé à Paris le 12 novembre 2020.

Le GreffierLa Présidente

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Tribunal de grande instance de Paris, 12 novembre 2020, 19/00850