Tribunal Judiciaire de Rennes, 10 mai 2021, n° 17/04478

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Commentaires10

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Blip · 14 décembre 2022

Dans le cadre d'une action intentée par la succession de l'auteur de bandes dessinées Hergé à l'encontre d'un artiste commercialisant des œuvres de « pop art », les juges de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ont précisé les critères de l'applicabilité de l'exception de parodie en droit d'auteur (CA Aix-en-Provence, chambre 1-2, 24 novembre 2022, RG n° 22/04302). L'action avait été initiée par la société Moulinsart, devenue Tintinimaginatio, détentrice des droits dérivés relatifs à l'œuvre « Les aventures de Tintin », à l'exception de l'édition des albums. Les œuvres arguées de …

 

J.P. Karsenty & Associés · 31 janvier 2022

TJ Rennes, 10 mai 2021, n°17/04478 Le Tribunal Judiciaire de Rennes applique l'exception de parodie aux peintures de l'artiste-peintre M. Marabout qui placent les personnages d'Hergé dans des situations saugrenues. A partir de 2012, M. Marabout, un artiste-peintre parodiste, a choisi comme nouveau sujet de son œuvre le personnage de bande-dessinée Tintin. Il le met en scène sur ses toiles dans des situations inspirées de l'univers du peintre américain Hopper. Ses toiles sont exposées au public et mises en vente sur son site internet. Nuit d'été (2016) Visite estivale en Bugatti Torpédo …

 

Bersay & Associés · 13 juillet 2021

L'exercice de l'exception de parodie en droit d'auteur La société belge Moulinsart est titulaire des droits d'exploitation de l'œuvre d'Hergé, auteur des aventures de Tintin. Un artiste-peintre a divulgué des œuvres dans lesquelles il met en scène Tintin dans des situations inspirées des toiles d'Edward Hopper. La société belge a assigné en contrefaçon, ainsi qu'en concurrence déloyale et parasitaire l'artiste-peintre après que ce dernier ait refusé de retirer de la vente les œuvres concernées. Les juges ont rappelé que plusieurs critères devaient être remplis pour que l'atteinte aux …

 
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Sur la décision

Référence :
TJ Rennes, 10 mai 2021, n° 17/04478
Numéro(s) : 17/04478

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES

10 Mai 2021 DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

2ème Chambre civile COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE 79A

N° RG 17/04478 – N° PRESIDENT : G H, P o r t a l i s DBYC-W-B7B-HLHH ASSESSEUR : Mélanie FRENEL, Vice-Présidente,

ASSESSEUR : Sabine MORVAN, Vice-Présidente, AFFAIRE :

GREFFIER : Philippe LE BOUDEC lors des débats et lors du prononcé qui a signé Société MOULINSART la présente décision.

C/ DEBATS

D Y A l’audience publique du 08 Mars 2021, par l’intermédiaire du système de visio- conférence entre le Tribunal Judiciaire de RENNES et le domicile de Maître E F en Belgique. V W I J épouse X JUGEMENT

En premier ressort, contradictoire, prononcé par Monsieur G H par sa mise à disposition au Greffe le 10 Mai 2021, date indiquée à l’issue des débats. Jugement rédigé par Monsieur G H,

ENTRE :

DEMANDERESSE :

La Société MOULINSART, Société de Droit Belge, immatriculée à la Banque-carrefour des Entreprises de Belgique sous le numéro 430-246-468, prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège, […]) Représentée par la SELARL d’Avocats Interbarreaux Cornet-Vincent-Ségurel, Me Benoît BOMMELAER, avocat au barreau de RENNES, avocat postulant, et par la SELARL d’Avocats Interbarreaux Cornet-Vincent-Ségurel, Me François HERPE, avocat au barreau de PARIS, et Me Alain BERENBOOM et Me E F, avocats au Barreau de BRUXELLES, avocats plaidants,

ET :



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DEFENDEUR :

M. D Y […] Représenté par la SELARL AVOXA RENNES, Me Bertrand ERMENEUX et Me Anne-Cécile LE BOUDEC, avocats au barreau de RENNES

V W

Mme I J épouse X, légataire universelle de Monsieur K L, O B Châlet Rosenthal, […]) Représentée par la SELARL d’Avocats Interbarreaux Cornet-Vincent-Ségurel, Me Benoît BOMMELAER, avocat au barreau de RENNES, avocat postulant, et par la SELARL d’Avocats Interbarreaux Cornet-Vincent-Ségurel, Me François HERPE, avocat au barreau de PARIS, et Me Alain BERENBOOM et Me E F, avocats au Barreau de BRUXELLES, avocats plaidants,

EXPOSE DU LITIGE :

La Société MOULINSART est une société de droit belge dont le siège social est situé […], immatriculée à la Banque-carrefour des Entreprises de Belgique sous le numéro 430-246-468
Madame I J, épouse X est la légataire universelle de Monsieur K L, O B, demeurant à […].

Celle-ci a chargé la société anonyme MOULINSART de l’exploitation de l’œuvre d’B.

La société MOULINSART expose être titulaire exclusive dans le monde entier de l’ensemble des droits d’exploitation de l’œuvre d’B et notamment des droits de reproduction, d’adaptation et de représentation de l’œuvre “Les Aventures de Tintin” à l’exclusion de l’édition des albums
Monsieur D Y est né le […]. Il est artiste-peintre parodiste depuis 2004.

À partir de 2005, Monsieur Y décide d’assumer son patronyme comme marque de fabrique. Sa démarche artistique sera donc fondée sur le fait de «marabouter» des éléments de sa vision de la société et de sa propre culture.

Il a réalisé une série de tableaux DALIBERTY mélangeant l’oeuvre de DALI et la statue de la Liberté, puis une série de “billets d’amour” (mélange de représentation de billets de banque et de références érotiques), ou encore des cartes postales mêlant



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des créations de maîtres et des illustrateurs de bandes dessinées ou des créations de photographes.

A partir de 2012, il s’est intéressé à l’oeuvre de B, au personnage de Tintin, à divers ouvrages s’interrogeant sur la vie amoureuse de ce personnage, ce qui l’a déterminé à mettre Tintin en scène dans des situations inspirées des toiles du peintre américain HOPPER.

Ses travaux ont été rendus publics dès 2014 à travers diverses expositions, notamment une intitulée TINTINTAMARRE.

Au mois de mai 2015, la société MOULINSART a découvert que D Y mettait en vente via son site Internet www.art-Y.com des peintures constituant selon elle des adaptations, sans autorisation, de différents éléments extraits de l’œuvre d’B.

Elle le mettait en demeure le 1 juin 2015 de retirer de la vente les articles qu’elleer estimait contrefaisants et le sommait de lui rendre compte du nombre d’articles, de leur prix de vente, de la période de commercialisation, afin d’apprécier son préjudice.

D Y lui opposait l’exception de parodie et ne donnait pas suite, il poursuivait ses expositions et travaux.

La société MOULINSART, aux côtés de laquelle intervenait Madame X le faisait assigner selon acte du 6 juillet 2017.

***

Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 8 septembre 2020, les demanderesses sollicitent du tribunal de juger que les reproductions sans autorisation des personnages de l’oeuvre Les aventures de Tintin constituent une contrefaçon des droits d’auteur patrimoniaux dont la société MOULINSART est titulaire et portent atteinte au droit moral exercé par Madame X, sa légataire universelle.

Madame X demande la somme de 1 € symbolique au titre de l’atteinte au droit moral.

La société MOULINSART sollicite l’interdiction de reproduction, représentation, adaptation et d’exploitation des personnages originaux de l’œuvre Les Aventures de Tintin ou de toute autre œuvre créée par B, et ce sous astreinte de 1.000€ par infraction.

Elle sollicite que Monsieur Y justifie avoir adressé à toutes personnes à qui il a vendu une toile de son caractère contrefaisant et de l’impossibilité d’en faire un usage commercial.

Subsidiairement, elle fonde sa demande sur la notion de parasitisme et sollicite, avant dire droit une expertise comptable, une provision de 12.500 € à valoir sur son préjudice étant mise à la charge de D Y.

Elle demande la destruction des toutes les contrefaçons sous astreinte.

Chacune des demanderesses sollicite une somme de 8.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et le bénéfice de l’exécution provisoire.

Au soutien de leurs prétentions, elles rappellent les personnages créés par B:



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Elles ont fait réaliser des constats les 25 novembre et 2 décembre 2016, et décrivent et énumèrent les oeuvres contrefaisantes de D Y :

- Hôtel Osborne, Chambre 379 (2017)

- Psychologie (2017)

[…]

- Rupture à Cap Cod (2017)

- Baiser sous le pont de Queensboro (2016)

- En motocyclette dans le Vermont (2016)

- Instant de solitude (2016)

- La Triumph de Mademoiselle Z (2016)

- Le petit café du matin (2016)

- Nuit d’été (2016)

- Travatia Hôtel (2016)

- Un soir à le fenêtre (2016)

- Voltige rouge (2016)

- Ballade amoureuse en Lincoln Zéphir (2015)

- Moulinsart au soleil (2015)

- Psychose sur la voie ferrée (2015)

- Rédaction de nuit (2015)

- […] (2015)

- […] (2015)

- […] (2014)

- Taxi pour noctambules (2014)

- Dimanche matin en Cadillac (2013)

- Tintin & Yoko Tsuno. […]

- L’Affaire Haskell

Par exemple :

Taxi pour noctambules 2014 qui évoque également la toile Nighthawks (1942) de […]).



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Sur la titularité de droits d’auteurs.
Mme I X est intervenue à la cause pour confirmer qu’elle a bien cédé les droits dérivés et secondaires relatifs à l’ensemble des œuvres d’B, à l’exception des droits d’édition des albums de BD « Les aventures de Tintin » (logés chez l’éditeur Casterman).

La titularité résulte d’actes de cessions de droits, cette titularité a été reconnue par de nombreuses décisions judiciaires et permettent à la société MOULINSART de poursuivre les adaptations d’éléments originaux de l’œuvre d’B.

Sur l’originalité du personnage de Tintin

Elle souligne qu’il s’agit du personnage le plus célèbre de la bande dessinée, et que celui-ci est représenté en tant que tel et avec les autres personnages du monde des aventures de Tintin, de sorte qu’il importe peu que le personnage créé par M N ait inspiré B :

B a marqué la bande dessinée de l’originalité de son trait, graphisme qualifié de “ligne claire” son oeuvre est incontestablement originale.

Sur le caractère contrefaisant des toiles peintes de D Y.

Le défendeur a reproduit et adapté sans autorisation les éléments principaux d’œuvres protégées, à savoir plusieurs personnages de la série Les aventures de Tintin en violation de l’article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle, cette protection s’étend aux personnages créés selon une jurisprudence établie.



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L’exception de parodie.

Cette exception est strictement encadrée, notamment par les dispositions de l’article L.122-5, 4° du Code de la propriété intellectuelle. Selon la jurisprudence, elle doit présenter des différences perceptibles par rapport à l’œuvre d’origine et constituer une manifestation d’humour ou une raillerie.

Les demanderesses reprennent en détail les toiles citées de D Y pour conclure qu’elles sont dépourvues d’humour ou de critique, le fait de confronter le personnage de Tintin à un personnage féminin sexy ne faisant pas rire, ni même sourire.

Le fait de sexualiser une représentation qui ne comportait pas de telle évocation dans l’œuvre originelle ne répond pas à la condition de caractère humoristique de l’exception de parodie.

La parodie ne doit pas créer un risque de confusion entre les œuvres en cause ni conduire à s’approprier le travail d’autrui, ce qui est le cas puisque les personnages de B sont reproduits de manière servile avec tous leurs éléments caractéristiques (traits du visage, coiffure, habillement). Il n’existe pas de distanciation avec l’oeuvre de B ce qui induit une certaine confusion, les personnages de Tintin sont en avant plan, les autres références sont plus accessoires.

Ainsi, ne peuvent relever de l’exception de parodie les œuvres qui empruntent les ressorts d’œuvres premières pour s’attribuer le bénéfice de leur notoriété et vivre ainsi de leur rayonnement. Le contrefacteur s’arroge alors indûment une sorte de droit d’adaptation qui porte atteinte au droit d’auteur et surtout aux droits du titulaire de l’exploitation commerciale de l’oeuvre et de ses produits dérivés. Il s’agit d’une démarche commerciale à grande échelle qui ne répond pas à la loi du genre de la parodie, nécessairement ponctuelle.

Par ailleurs, la pratique du mash up c’est-à-dire d’œuvres qui empruntent et combinent des éléments d’œuvres préexistantes, ainsi que le revendique D Y, est interdite et sanctionnée par la jurisprudence qui rappelle que les créateurs d’œuvres transformatrices doivent obligatoirement demander l’autorisation des auteurs des œuvres préexistantes, faute de quoi ils se rendent coupables de contrefaçon.

En outre, il y a atteinte au droit à l’intégrité et au respect de l’œuvre dès lors que des modifications apportées par un tiers portent atteinte à l’esprit de l’œuvre.

La “parodie” contrevient précisément en l’espèce à la volonté de l’auteur qui s’exprimait ainsi au sujet de l’absence de présence féminine dans ses oeuvres C’est exact qu’il y en a peu [de femmes], mais ce n’est pas par misogynie. Non, simplement, pour moi, la femme n’a rien à faire dans un monde comme celui de Tintin : c’est le règne de l’amitié virile, et elle n’a rien d’équivoque cette amitié ! Bien sûr, il y a peu – ou pas – de femmes ; ou alors, ce sont des caricatures, comme la Q… Si je créais un personnage de jolie fille, que ferait-elle dans ce monde où tous les êtres sont des caricatures ? J’aime trop la femme pour la caricaturer ! Et d’ailleurs, jolies ou pas, jeunes ou pas, les femmes sont rarement des éléments comiques.

Sur la concurrence déloyale et le parasitisme.

L’utilisation des caractéristiques des personnages de l’univers d’B, largement connues du grand public, vise à attirer le public concerné et à permettre à Monsieur Y de vendre certaines de ses toiles en s’inscrivant dans le sillage du célèbre auteur.



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Ce dernier s’en vante sur ses sites où il fait expressément référence à B ou à Tintin et utilise la notoriété de son modèle pour assurer sa promotion et son profit.

Évaluation du préjudice.

Les demanderesses rappellent les dispositions de l’article L 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, soulignent la banalisation générée par la contrefaçon et le préjudice économique lié à la perte de redevances, pour solliciter, sur ce point qu’une expertise comptable soit ordonnée, elles demandent qu’il soit enjoint à D Y de fournir à ce titre tous éléments comptables.

Elles fournissent la facture de leurs conseils (22.750 €) et forment une demande sur le fondement de l’article 700 à hauteur de 8.000 € chacune.

Dénigrement

Elles sollicitent le rejet des prétentions de D Y au titre du dénigrement, rappelant que les conclusions jouissent d’une immunité, en application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (Article 41) et que ces conclusions ne présentent par un caractère public, ne contiennent pas d’appréciations péjoratives à l’égard d’un “concurrent” avec une intention malveillante, en tout cas restent dans les limites de l’exercice des droits de la défense.

***

Monsieur D Y s’oppose aux demandes ainsi formulées, il conteste la titularité de la société MOULINSART, évoque l’absence d’originalité du personnage de Tintin et invoque l’exception de parodie, les principes de la liberté d’expression, il estime qu’il fait l’objet d’un dénigrement pour lequel il sollicite une indemnisation.

Au soutien de sa position, il rappelle sa démarche artistique, ses sources d’inspiration, la reconnaissance dont il fait l’objet, son intérêt pour l’oeuvre de HOPPER qu’il a rapprochée du personnage de Tintin, à une période où était questionnée la vie sexuelle de cet aventurier il a choisi de lui faire rencontrer des personnages féminins célèbres de la bande dessinée comme Yoko Tsuno.

Il estime que la société MOULINSART ne justifie pas de la titularité des droits qu’elle invoque en produisant un acte de cession où la zone d’exploitation, l’identification des oeuvres cédées, la rémunération de la cédante ne sont pas précisées. Or en matière de droit d’auteur, les contrats sont d’interprétation stricte. Il n’est donc pas précisément établi que les droits de cette société puissent être invoqués en France, ni au titre de la protection de telle ou telle oeuvre.

La teneur de la cession des “Aventures de Tintin” questionne en ce qui concerne sa portée à l’ensemble des personnages de l’oeuvre.

Il discute de l’originalité des personnages, clairement inspirés de l’oeuvre de M N ou encore d’un personnage d’une bande dessinée japonaise créé en 1923 Shochan no Boken.

Il invoque essentiellement l’exception de parodie, laquelle est considérée comme étant un des aspects du principe à valeur constitutionnelle de la liberté d’expression en droit d’auteur.

Son oeuvre invoque indubitablement l’oeuvre préexistante d’B tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci et constitue une manifestation d’humour ou une raillerie au sens de la jurisprudence de la CJUE.



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Il n’y a pas de risque de confusion mais une distanciation recherchée qui vise à travestir ou à subvertir l’œuvre dans une forme humoristique. Les attestations du public démontrent cette absence de confusion : l’oeuvre première est bien identifiée du fait de son immense notoriété et l’oeuvre parodique s’en distingue en particulier à cause de la présence de personnages féminins et de l’évocation de l’univers de HOPPER. L’aspect parodique est parfaitement discerné.

Cet humour est clairement perçu par le public ainsi que le démontrent les commentaires laissés sur le site, dans des ouvrages critiques, journaux ou par des attestations. Il correspond à la démarche de l’auteur qui fait ainsi vivre des personnages imaginaires dans un contexte différent de leur monde d’origine, amenant des questionnements par exemple sur l’expression de leur sentiment amoureux avec une intention humoristique indubitable. Cet humour n’est jamais ressenti comme vulgaire ou dégradant mais comme empreint d’une certaine poésie, d’une finesse, d’un esprit décalé manifestant une liberté d’expression, d’un sens critique.

L’ambiance “Hopperienne” domine toutefois, même si Tintin y apparaît, l’oeuvre de HOPPER apparaît avant celle de B et le décalage entre les deux cré l’amusement.

Il s’agit d’un hommage que l’auteur rend au créateur de Tintin auquel il permet de rencontrer des femmes, absentes de son univers originel et ce travail s’apparente à une forme de critique de l’oeuvre d’B qui indiquait ne pas savoir dessiner ou

“caricaturer les belles femmes.”

Il reprend la description de ses oeuvres pour y montrer toute la tonalité humoristique.

Il conteste avoir dénaturé l’oeuvre de B en “imposant” des personnages féminins sexy à un personnage qui n’en fréquentait pas. B indiquait trop aimer les femmes pour les caricaturer. Lui-même a souhaité que Tintin voyage dans l’univers de HOPPER, faisant grandir TINTIN dans un monde adulte, sans aucune pornographie ou vulgarité mais avec délicatesse et subtilité, au contraire par exemple de Jan BUCQUOY auteur de La vie sexuelle de Tintin et condamné à ce titre pour dénigrement de l’oeuvre de B, mais non pour contrefaçon.

Il cite également la jurisprudence ALHBERG, auteur représentant Tintin dans un univers à connotation sexuelle inspiré de A, la Cour d’appel de Bruxelles a retenu le caractère parodique notant en particulier que l’humour ne peut être réduit à la qualité de ce qui provoque le rire. Il est la forme d’esprit qui consiste à présenter les choses de manière à en dégager les aspects plaisants et insolites. L’humour peut-être noir et froid.

Il rappelle qu’il appartient à la juridiction de rechercher un juste équilibre entre la liberté d’expression artistique et la protection des oeuvres dont la création est dérivée, alors que la liberté d’expression est un principe constitutionnel auquel il ne peut être fait exception que de manière restreinte.

Il a ainsi pu être jugé que l’intérêt de l’artiste doit prévaloir sur les intérêts financiers des titulaires des droits, le juste équilibre conduisant à privilégier la liberté d’expression de l’artiste.

Cette jurisprudence est d’autant plus applicable que la société MOULINSART n’a d’autre but que d’exploiter commercialement l’oeuvre de B.

Si le tribunal ne retenait pas l’exception de parodie, D Y estime qu’il ne pourrait retenir la contrefaçon en raison de la distinction très claire qu’il est possible de faire entre ses représentations et l’oeuvre de B.



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Il conteste faire des oeuvres transformistes (qui ne sont pas nécessairement prohibées) ou mash up puisqu’il ne se contente pas de copier et de juxtaposer mais effectue une véritable mise en scène permettant de créer son propre univers singulier, même s’il est inspiré d’autres artistes qu’il ne manque pas de citer.

L’exploitation commerciale de ses oeuvres ne lui interdit nullement d’opposer l’exception de parodie.

Il note que les faits présentés au titre de la contrefaçon sont les mêmes que ceux présentés au titre de la concurrence déloyale, il conteste s’inscrire en concurrence avec l’exploitation commerciale que fait la société MOULINSART, ses clients cherchent à acquérir des oeuvres de Y et ne sont pas nécessairement des amateurs de B, les supports sont différents, sa clientèle est composée d’amateurs d’art éclairés qui ne sont pas acheteurs de bandes dessinées.

La mention d’B est nécessaire puisqu’il s’agit d’une oeuvre parodique mais elle est secondaire et les tableaux sont signés Y et lui sont très clairement attribués.

La jurisprudence considère que lorsque l’exception de parodie est retenue il n’est pas possible, sans vider de son sens cette exception, de condamner sur le fondement de la concurrence déloyale, ce qui retirerait toute portée à l’exception retenue.

En l’absence d’atteinte au droit moral sur l’oeuvre de B, l’intervention de Madame X sera rejetée.

Il appartient à la société MOULINSART de justifier de son préjudice et une expertise ne saurait être ordonnée pour pallier sa carence puisque la contrefaçon n’est pas démontrée.

Il n’est pas possible d’interdire de manière générale à un artiste de faire référence à un autre artiste, une telle interdiction porterait une atteinte disproportionnée au droit de création et d’expression. De même la destruction sollicitée serait une sanction extrême pour l’artiste qui ne peut qu’être contraint à cesser une commercialisation, ce qui est impossible puisqu’il n’y a plus de toiles en stock.

Monsieur Y se porte reconventionnellement demandeur en indemnisation pour dénigrement, constitué par le fait que la société MOULINSART a exercé une certaine pression sur le marché, le site de vente d’oeuvres ARTSPER a ainsi rejeté la commercialisation des travaux de l’artiste suite à des menaces de poursuites pour contrefaçon.

Il est couramment jugé que la divulgation à la clientèle d’une action en contrefaçon n’ayant pas donné lieu à une décision de justice pouvait constituer un dénigrement fautif.

Il réclame 20.000 € du chef de dénigrement et 20.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

DISCUSSION

Sur la titularité.

Au termes de l’article L 131-5 du code de la propriété intellectuelle, la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.



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L’inobservation des conditions ainsi posées par l’article L. 131-5 étant sanctionnée par une nullité relative, seuls les auteurs peuvent se prévaloir de la nullité d’une cession de leurs droits.

En effet, sans avoir à prouver son titre, toute personne qui exploite une œuvre a qualité et intérêt pour poursuivre en contrefaçon un tiers qui ne revendique aucun droit sur elle. Le principe d’interprétation stricte ne gouverne que les rapports de l’auteur et du cessionnaire.

Par ailleurs, l’intervention à l’instance de la veuve de B, dont le droit n’est pas contesté et qui seule pourrait invoquer les nullités relevées, ce qu’elle ne fait pas, permet au tribunal de considérer que la procédure est parfaitement recevable en ce que les demanderesses ont bien qualité pour agir, Madame X en sa qualité de légataire universelle de Monsieur K L, O B, disposant sans conteste du droit moral sur l’ensemble de l’oeuvre.

Il se déduit suffisamment des actes de cession des droits que la société MOULINSART dispose seule du droit d’exploiter l’oeuvre de B, à l’exception de la publication des albums “les aventures de Tintin”.

Elle agit bien dans le cadre des droits qui lui ont été cédés, puisqu’en l’espèce il ne s’agit pas d’une reproduction des albums mais bien des éléments créatifs de l’univers d’B, en particulier les personnages qu’il a fait vivre dans les aventures qu’il a illustrées.

L’exception d’irrecevabilité sera donc rejetée.

Sur l’originalité.

Il est suffisamment établi que le personnage Tintin est inspiré de l’oeuvre de M N, ainsi que l’a déclaré B lui même, le personnage de Tintin lutin, garçon roux au visage ovale, avec une houppette et porteur d’un pantalon de golfe, comporte en effet des éléments reproduits dans le personnage de Tintin, néanmoins, B faisant usage de son propre génie créatif en a fait un homme adulte, qui s’en distingue désormais et constitue un personnage original en ce qu’il est rattaché à son auteur dont l’oeuvre est caractérisée par la ligne claire :



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Enfin, le tribunal constate que le grief de contrefaçon porte sur d’autres personnages originaux créés par B puisqu’il est possible d’identifier dans les oeuvres considérées comme contrefaisantes les personnages du capitaine Haddock, de Milou, de P Q, de Nestor ([…]) du professeur Tournesol (Moulinsart au soleil) dont le caractère original n’est pas dénié.

Il est en effet généralement jugé que les personnages illustrant les bandes-dessinées peuvent être regardés en eux-mêmes comme des oeuvres protégées distinctes de l’oeuvre originelle, les personnages cités sont clairement attribués à l’oeuvre de B par Monsieur Y lui-même et par tout public nécessairement baigné dans cet univers créé par K L.

Ces personnages sont originaux et bénéficient de la protection au titre du droit d’auteur.

L’exception de parodie.

Aux termes de l’article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle, lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : (…)

3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source :

[…], le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre »

D Y invoque cette exception au monopole du droit d’auteur, sans contester avoir reproduit et adapté sans autorisation les éléments principaux d’œuvres protégées, à savoir les personnages de la série «Les aventures de Tintin » dont la société MOULINSART possède les droits d’auteur patrimoniaux et sur lesquels Mme X exerce le droit moral d’B.

La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée, ce qui est manifestement le cas en l’espèce en ce que les personnages se rattachant aux albums de B et reproduits dans les travaux de D Y s’identifient sans peine.

L’oeuvre parodique doit se distinguer de l’oeuvre originale, ce qui est le cas en l’espèce puisque D Y a fait le choix d’un support (tableau acrylique) différent du support de la bande dessinée, d’une composition qui évoque également l’oeuvre de HOPPER assez différente de celle de B, les personnages de l’auteur pastiché se trouvent dans des situations qui leurs sont habituellement inconnues et où ils apparaissent visiblement déplacés, les créations de Monsieur Y comportent sa signature, de sorte que l’observateur même très moyennement attentif ne peut se méprendre lorsqu’il regarde un travail de D Y sur l’auteur de la peinture ou de la reproduction de cette peinture. Le personnage de Tintin apparaît dans un ensemble sur lequel porte le premier regard et qui évoque l’oeuvre de HOPPER. Il existe ainsi une distanciation suffisante avec l’oeuvre protégée de B. En aucun cas l’oeuvre de B ne peut être considérée comme dominante et dans l’esprit du public il est clair qu’il s’agit d’une composition de D Y.

L’intention humoristique est elle-même exprimée par D Y mais surtout par les personnes ayant consulté son travail et dont les témoignages sont versés en abondance qui confirment que cette intention humoristique est décelée : « La Provence » de mai 2017 : on a en revanche adoré l’humour talentueux des Tintins de D Y, qui fusionne l’univers d’B avec celui d’Hopper -

“Les cahiers de la BD” n°8 juillet 2019 : En plongeant Tintin dans les décors du peintre américain Edward HOPPER, D Y met le doigt là où ça fait rire : notre petit reporter est incapable d’aimerC’est décalé, c’est frais comme de la peinture et ce n’est pas triste ».



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Cette intention humoristique est également ressentie par le tribunal qui constate que l’oeuvre austère d’Edward HOPPER se trouve réinterprétée dans un sens plus animé, plus vivant par l’inclusion de personnages (et de véhicules) notamment issus de l’oeuvre de B qui viennent y vivre une relation sans doute teintée d’affection et d’attirance sexuelle.

Ainsi dans “instant de solitude” (acrylique sur toile 100x150 cm) :

Le spectateur reconnaît Tintin et son chien Milou circulant dans un véhicule américain des années trente, l’environnement évoque HOPPER et se distingue des paysages d’B à la

“ligne claire”. L’ajout propre à l’auteur d’une jeune femme au décolleté profond et à la jupe retroussée vient surprendre et faire sourire.

Il est retrouvé le même type de mise en scène de l’oeuvre de HOPPER dans laquelle figure Tintin et où est ajouté une jeune femme : Rencontre sur Great Hills Road, Rupture à […], Baiser sous le pont de Queenboro, En motocyclette dans le Vermont, La Triumph de Melle C, Petit café du matin, Nuit d’été, Un soir à la fenêtre, […], Balade amoureuse en […], Rédaction de nuit, […], […], […], […].

Le nom des oeuvres est également évoqué dans le cadre de l’approche parodique, avec un effet humoristique :Moulinsart au soleil, l’affaire Hasquell, […] évoquent ainsi directement l’oeuvre de B par une transformation des titres ou éléments de ceux-ci (le château de Moulinsart, Tintin sur la lune ou l’affaire Tournesol).

L’effet humoristique est constitué par l’incongruité de la situation au regard de la sobriété sinon la tristesse habituelle des oeuvres de HOPPER et de l’absence de présence féminine au côté de Tintin, à l’exception des personnages caricaturaux de P Q et Irma, cet effet invite le spectateur à imaginer une suite qui provoque le sourire.

- le but critique, la jurisprudence à ce titre a considéré par exemple que la volonté de relever l’absence de sexe et de violence dans l’univers des personnages des «Peanuts», traduisait un esprit critique, à la condition qu’il n’existe pas de volonté de nuire.

Or ce propos n’est pas vulgaire ou pornographique, il s’inscrit dans une tradition de la représentation de la “bimbo” figurant un corps féminin fantasmatique à la manière de la tendance de l’alter retrato où ce qui est donné à voir est une représentation falsifiée, virtuelle, le fake se servant d’éléments artificiels pour représenter la réalité et capter l’attention d’un interlocuteur réel.

La critique est du reste exprimée de diverses façons :



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Intitulée “psychose près de la voie ferrée” cette toile 100x100 évoque Hopper (House du railroad).

Dans cette représentation, Tintin est présenté dans un cadre, dont s’est inspiré Hitchcock, assis sur des rails le front ensanglanté.

Il se trouve dans une situation inconnue de lui puisque dans l’oeuvre de B le sang n’apparaît pas et Tintin est un héros qui montre peu son désarroi.

D’autres aspects critiques du personnage sont interrogés : dans la toile Moulinsart au soleil (100x150), la revue Têtu est représentée au pied de Tintin, dans la toile […] (80x100), il fume et est assis à coté d’une jolie femme, face à une évocation d’une toile érotique de Picasso.

Ainsi, ces travaux expriment les interrogations que peuvent susciter l’oeuvre d’B et la vie de son personnage Tintin : est-il sans addiction, peut-il se trouver déprimé, dans une situation véritablement sanglante et plus généralement, quel est son rapport avec les femmes, les hommes, quelle est son orientation sexuelle ? Cette critique a du reste été faite à B qui s’est exprimé sur l’absence de femmes dans ses albums et a indiqué qu’il n’avait exclu les femmes que parce qu’il les aimait trop, ne savait pas les dessiner et ne voulait pas les caricaturer.

Ainsi, le tribunal considère que les toiles citées entrent dans le cadre de l’exception de parodie en ce qu’elles citent l’oeuvre de B de manière à la fois reconnaissable et distincte, dans un but humoristique ou de critique.

Le fondement de l’exception de parodie est la liberté d’expression, laquelle se traduit pour l’auteur d’oeuvres peintes par une liberté de l’inspiration, de sorte que D Y peut faire usage de cette liberté à la condition de ne pas porter une atteinte à l’oeuvre originale.

En l’espèce, il n’est pas retrouvé d’élément caractérisant un dénigrement ou un avilissement de l’oeuvre de B, en particulier il ne s’agit pas de représentations à caractère pornographique en ce que les scènes sont seulement sexualisées par la présence de femmes sans doute suggestives du désir mais à l’exclusion de toute représentation d’un acte sexuel, certaines créations sont du reste très peu allusives ou ne le sont pas du tout (Psychologie, Rencontre sur Great Hills Road, Rupture à […], […], Moulinsart au soleil, Psychose près de la voie ferrée, […], L’affaire Haskell).



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- l’absence de risque de confusion : la parodie exige une distanciation comique, un travestissement et ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux oeuvres de l’auteur.

En l’espèce, l’oeuvre de B est connue dans son ensemble par un public familiarisé depuis des décennies par la lecture de ses albums qui ont connu une diffusion mondiale considérable (230 millions d’exemplaires), de sorte que cette oeuvre est parfaitement identifiée :Tintin est « aussi connu que Jésus Christ et les Beatles réunis » (magazine L’Express) .

Les travestissements auxquels procède D Y sont évidents et, ainsi qu’indiqué plus haut, les oeuvres sont signées Y et vendues comme telles sous forme de tableaux acryliques sur toile ou reproduction de ces tableaux en format important se distinguant de la vignette de bande dessinée et des formats utilisés par B.

A l’examen de ces tableaux, le propos parodique est d’emblée perçu à la lecture du titre qui fait référence à l’oeuvre de HOPPER (Hôtel Osborne, chambre 379 référence à la toile Hôtel Room, Rupture à […] parodie de la toile […] evening, Baiser sous le pont de Queenboro, rappelant la toile Queenborough Bridge, Instant de solitude évoquant la toile Solitude, La Triumph de Melle C inspirée de C’s House, Nuit d’été pour Summer evening, Un soir à la fenêtre qui traduit le titre Night window, […] pour Chop Suey, Dimanche matin en Cadillac pour […], L’affaire Haskell pour Haskell’s house) et par les citations des personnages de B, une juxtaposition de deux univers renseignant immédiatement sur la volonté de l’auteur de travestir et de détourner les images avec le dessein de constituer une oeuvre “à la manière de HOPPER” où sont transportés Tintin et d’autres personnages de B.

Le tribunal considère en conséquence qu’il n’existe aucun risque de confusion.

La comparaison entre les oeuvres de HOPPER et celle de D Y démontre que la première source d’inspiration est celle du peintre américain :

Ainsi, la chambre d’hôtel est représentée dans l’ensemble de sa composition, avec un lit à montants arrondis dans une alcôve, un fauteuil vert, des voilages tirés sur une fenêtre ne laissant voir aucun paysage, la scène évoque une voyageuse partiellement déshabillée qui n’a pas pris le temps d’ouvrir ses valises et qui a laissé son manteau



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sur le bras du fauteuil, son chapeau sur une commode et ses chaussures sur un revêtement de sol vert, tous ces éléments sont réinterprétés et si le personnage de Tintin y est transposé, il est parfaitement discernable que ce Tintin, torse-nu laissant apparaître ses pectoraux après avoir retiré son costume de cow-boy (revolver compris) n’est pas le personnage d’B. La signature est parfaitement apparente en rouge en bas à droite du tableau. Cette image ici représentée sous forme de vignette n’évoque aucune image de Tintin dans l’un des albums de B.

Le tribunal note que le tableau se trouve au musée de Madrid Thyssen-Bornemisza où il est présenté comme figurant la solitude de la ville moderne, un thème central dans l’oeuvre de HOPPER où “ une femme se trouve au bord d’un lit dans une chambre d’hôtel anonyme. C’est la nuit et elle est fatiguée. Elle a enlevé son chapeau, sa robe et ses chaussures et, trop épuisée pour déballer ses valises. Elle vérifie l’horaire de son train le lendemain.”

Pour Y, Tintin lit une “lettre d’amour”, effectivement il semble que sa main gauche est posée sur un courrier manuscrit mais son contenu n’est pas discernable et Tintin, au contraire de la femme dans le tableau de HOPPER n’est pas plongé dans la lecture,( il pourrait tout aussi bien regarder un écran de télévision) et ne paraît pas recroquevillé dans l’expression d’une profonde solitude.

Le tribunal ne discerne pas d’atteinte disproportionnée à l’image de Tintin du fait que ce dernier est présenté torse-nu sur un lit dans une chambre d’hôtel même si cette situation est différente de celles où il est habituellement représenté.

HOPPER s’est inspiré de DEGAS (l’automate 1927) , a été copié par HITCHCOCK (qui s’est approprié l’image de la maison au bord de la voie ferrée [peinte en 1925] dans son film Psychose réalisé en 1960 ou de la vue sur les fenêtres des appartements en vis-à-vis [chambre sur cour]). HOPPER, dans ses oeuvres finales s’est rapproché de A (chambre au bord de la mer 1951) de même B a reconnu avoir été inspiré par M N, D Y a créé des oeuvres originales portant la marque de ses inspirateurs et traduisant ainsi plutôt une forme d’hommage à HOPPER et à B.

Le tribunal en conclut que l’inspiration artistique tient toujours compte des oeuvres précédentes, avec parfois des imitations, des reproductions, lesquelles ne peuvent être interdites par principe, au cas d’espèce les citations sont claires, le risque de confusion est nul, l’exception de parodie est parfaitement recevable et fondée.

Reste toutefois à analyser si D Y ne s’est pas, de cette manière inscrit dans une démarche purement commerciale et mercantile, s’appropriant ainsi la valeur économique de l’oeuvre de B en portant atteinte aux droits patrimoniaux que défend la société MOULINSART.

Le tribunal ne peut qu’effectuer un calcul très sommaire et approximatif des enjeux économiques puisque les parties fournissent peu de détail à ce sujet.

A ce titre, le nombre de toiles considérées comme contrefaisantes par les demanderesses est de 23, le site Artsper proposait à la vente des reproductions, limitées à 20 exemplaires par tableau au prix de 1.100 à 1.600 € par reproduction, soit un volume de 460 exemplaires pour un chiffre d’affaires qui serait de l’ordre de 598.000 € outre les ventes des toiles originales qu’il est possible d’estimer à 5.000€ l’unité soit 115.000 €.

Ces tableaux ont été réalisés entre 2012 et 2017soit sur une période de six années pour un chiffre d’affaires théorique de l’ordre de 115.000 € par an, et un bénéfice qui ne devrait pas excéder le tiers de cette somme soit moins de 40.000 € par an, en prenant pour hypothèse que tous les exemplaires ont été vendus, ce que semble



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affirmer D Y.

Cette somme apparaît extrêmement modeste au regard des revenus que génèrent pour la société MOULINSART les produits “dérivés” de l’oeuvre de B qu’elle exploite.

Or l’exception de parodie est destinée à garantir la liberté d’expression des artistes, ce principe a donc valeur constitutionnelle et impose au juge de vérifier qu’il existe un juste équilibre entre cette liberté et les droits de l’auteur source de l’inspiration du parodiste.

Se trouve donc en balance, une oeuvre largement divulguée et entrée dans une postérité majeure qui est celle d’B(230 millions d’albums vendus) et quelques 23 tableaux, reproduits à 20 exemplaires pour lesquels, ainsi qu’il a été dit plus haut, un public même très moyennement attentif ne saurait se méprendre sur le fait qu’il ne s’agit pas d’oeuvres originales d’B.

En outre, il est certain que les acquéreurs de tableaux ou de reproductions de qualité de ces toiles qui fréquentent les galeries d’art, ne constituent pas le même public que celui des amateurs de bandes dessinées et de produits dérivés de bandes dessinées qui retrouvent ces produits dans les librairies ou magasins dédiés au tourisme et articles de souvenirs.

Enfin, ainsi que cela a été souligné plus haut, la clientèle de D Y qui connaît l’oeuvre de HOPPER, perçoit beaucoup plus la citation de celle-ci que celle faite de l’oeuvre de B.

Le tribunal est en mesure de considérer ainsi que la violation alléguée des droits de l’auteur est de faible ampleur et n’entraîne qu’une perte financière minime voire totalement hypothétique pour les ayants droit, lesquels ne peuvent s’opposer à la liberté de création, l’intérêt de l’artiste à la libre utilisation de l’œuvre dans le cadre d’une confrontation sur le terrain artistique devant prévaloir sur les simples intérêts financiers des titulaires de droit.

Il en résulte que les demanderesses seront déboutées de leurs prétentions sur le fondement de la contrefaçon. Ce fondement étant le support de la demande au titre du préjudice lié au droit moral de la légataire universelle de feu K L et alors que le tribunal n’a pas constaté une atteinte à ces droits, Madame X sera également déboutée de ses demandes à ce titre

En ce qui concerne la concurrence déloyale, il est habituellement jugé que sauf à vider de toute portée l’exception de parodie dont il a été rappelé qu’elle procédait de la liberté d’expression, les mêmes reprises que celles stigmatisées au titre de la contrefaçon ne peuvent pas caractériser un comportement fautif parasitaire, motivation que le tribunal s’approprie en ce qu’elle souligne que les mêmes faits ne peuvent servir de support à la qualification de contrefaçon et à celle de parasitisme et en ce que la balance a été faite entre le principe constitutionnel de la liberté d’expression et les droits patrimoniaux du titulaire du droit d’exploiter l’oeuvre graphique.

Le tribunal note que les activités commerciales, d’exploitation des produits dérivés de l’oeuvre de B (figurines, puzzles, magnets et aimants, porte clés, miniatures, sacs en toile, boites métalliques, posters, cartes postales) par la société MOULINSART sont bien distinctes du travail de la création artistique de D Y (toiles acryliques grand format et reproduction de ces toiles, vendues en galeries d’art) ne s’adressent pas à la même clientèle et ne sauraient de ce fait constituer une concurrence déloyale.



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Ainsi, à défaut de faits distincts et alors qu’il n’est pas établi l’existence d’une portée parasitaire des agissements reprochés à D Y, les demanderesses seront déboutées de leur demande sur ce fondement, tant présentées à titre principal qu’à titre accessoire.

Sur le dénigrement.
Monsieur Y justifie de ce que la société MOULINSART ayant adressé un mail à la galerie ARTSPER invoquant son droit exclusif d’exploitation de l’oeuvre de B l’avait contactée pour lui indiquer que l’artiste n’avait pas l’autorisation pour exploiter ladite oeuvre et qu’elle se trouvait ainsi dans l’obligation de rejeter ces oeuvres sous peine de poursuites judiciaires.

La société MOULINSART produit un courrier de même teneur adressé à la galerie Trois cerises sur une étagère qualifiant la commercialisation des tableaux de Monsieur Y d’illégale, engageant sa responsabilité et lui demandant de procéder au retrait immédiat de l’exposition contrefaisante (pièce21).

Le tribunal note en outre (pièce 20 demanderesse) que la société MOULINSART directrice de CONG SA, société créée par T U pour exploiter ses droits d’auteur, a été avisée par la société MOULINSART de ce que l’artiste D Y reproduisait dans ses toiles le personnage de Corto MALTESSE, amenant la société à mettre en demeure D Y de mettre un terme à ce travail qui préjudiciait aux droits d’exploitation.

Le dénigrement invoqué n’est pas, comme feignent de le croire les demanderesses, liés aux propos tenus par elles dans leurs écritures, lesquelles n’ont pas fait l’objet d’une diffusion particulière et bénéficient en application de l’article 41 de la loi de 1881 sur la presse d’une immunité, il s’agit bien des courriers adressés par la société MOULINSART à des tiers portant une appréciation péjorative sur le travail de D Y considéré comme concurrent de son exploitation des oeuvres de B et ce avec une intention malveillante puisqu’elle lui reprochait des actes de contrefaçon et demandait le retrait de la commercialisation de ses oeuvres.

Il est habituellement considéré que même, en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure.

La communication de la société MOULINSART ne s’est entourée d’aucune précaution, présentant comme acquise l’existence d’une contrefaçon alors même que D Y avait, dès la première sommation invoqué l’exception de parodie, ce faisant elle a directement provoqué le retrait des oeuvres et nécessairement occasionné un préjudice à D Y.

Le dénigrement fautif est ainsi parfaitement caractérisé, la contrefaçon n’étant nullement établie.

Le tribunal estime que le préjudice subi par D Y justifie qu’il lui soit alloué la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts.

L’équité commande de condamner la société MOULINSART à verser à Monsieur Y la somme de 20.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Aucune urgence ne justifie que la présente décision soit assortie de l’exécution



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provisoire.

PAR CES MOTIFS

STATUANT par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort.

DÉBOUTE la société MOULINSART et Madame X de leurs demandes.

CONDAMNE la société MOULINSART à verser à Monsieur D Y la somme de 10.000 € à titre de dommages intérêts en réparation du dénigrement dont il a fait l’objet.

CONDAMNE la société MOULINSART à verser à Monsieur D Y la somme de 20.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE la société MOULINSART aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT



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Tribunal Judiciaire de Rennes, 10 mai 2021, n° 17/04478