CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 04PA01642

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Sur la décision

Texte intégral

04PA01642
Ministre de l’intérieur c/ Association « congrégation du Vajra triomphant »
Lecture du 9 juin 2006
Conclusions de Mme H I, commissaire du gouvernement
A plusieurs reprises depuis 1988, l’association « congrégation du Vajra triomphant religion aumiste », émanation de la communauté du « Mandarom », a tenté d’obtenir sa reconnaissance légale en tant que « congrégation ». Elle s’est heurtée à chaque fois à un refus du ministre de l’intérieur. Elle a saisi le tribunal administratif de Paris des dernières en date de ces décisions de refus, celle, expresse, du 14 novembre 2000 confirmant celle, implicite, du 25 septembre 2000, qui ont été annulées par jugement du 11 février 2004. Deux motifs fondaient le refus ministériel : l’association ne remplissait pas les conditions substantielles de la définition d’une congrégation et elle présentait une menace pour l’ordre public. Le tribunal a écarté le premier motif comme erroné en droit et le second comme manquant en fait. Le ministre relève régulièrement appel de ce jugement.
Cette affaire est intéressante à plusieurs titres.
Elle s’inscrit d’abord dans une lignée d’affaires par lesquelles des mouvements considérés comme sectaires ont revendiqué, dans le contexte de laïcité qui est celui de la France, c’est-à-dire de liberté religieuse sans reconnaissance d’aucun culte, un traitement juridique identique à celui des grandes religions dites anciennes ou traditionnelles, notamment du catholicisme. Dans le même temps, la lutte contre les dérives sectaires est devenue une préoccupation constante du législateur et des gouvernements. Certains événements en effet (suicides collectifs intervenus au sein de l’Ordre du Temple solaire en 1994) ou agissements criminels graves (attentat au gaz perpétré dans le métro de Tokyo par la secte Aoum en 1995) ont suscité une vive émotion dans l’opinion publique. Dix ans après le rapport rédigé par J K et publié en 1985, sous le titre « Les sectes en France, expression de la liberté morale ou facteurs de manipulation », qui constituait la première étude approfondie sur les dangers des sectes, fut créée une commission d’enquête parlementaire présidée par J L chargée d’étudier le phénomène des sectes et de proposer éventuellement l’adaptation des textes en vigueur. La commission remit son rapport en décembre 1995 concluant qu’une législation anti-sectes n’était pas nécessaire vu « l’ampleur de notre arsenal juridique ». Sa proposition de création d’un observatoire interministériel des sectes a été retenue en 1996, auquel a succédé en 1998 une première « mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) » devenue en 2002 la MILIVUDES, « mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires ». Un autre rapport établi en 1999, s’est intéressé plus précisément aux finances des sectes. Plus récemment encore a été votée une loi « tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme » (n° 2001-504 du 12 juin 2001).
Le traitement équivalent à celui des religions bien établies auquel prétendent les mouvements dits sectaires passe notamment par la reconnaissance d’associations cultuelles.
Les associations dites cultuelles, c’est-à-dire « les associations formées pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte », sont prévues à l’article 18 de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Eglises et de l’Etat. Elles sont soumises, pour ce qui concerne leur constitution, aux dispositions de la loi du 1er juillet 1901 : seule une déclaration à l’autorité administrative est exigée, à l’exclusion de tout contrôle a priori par celle-ci. Mais la loi de 1905 leur accorde un régime plus favorable que celui des associations de droit commun régies par la loi de 1901. A la différence de celles-ci, mais comme les associations reconnues d’utilité publique, elles peuvent en effet recevoir des dons et legs à condition, du moins jusqu’à très récemment, qu’une autorisation administrative leur soit délivrée par arrêté préfectoral ou par décret en CE selon le montant des sommes en cause. Une ordonnance du 28 juillet 2005 (n° 2005-856) « portant simplification du régime des libéralités consenties aux associations, fondations, et congrégations » a même substitué au régime d’autorisation administrative un régime de libre acceptation des libéralités mais en sont exclus les établissements dont les activités sont visées par la loi de 2001 relative aux mouvements sectaires. Par ailleurs, les associations cultuelles bénéficient d’avantages en matière fiscale, notamment les édifices affectés à un culte, attribués à ces associations ou acquis ou édifiés par elles, sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties (article 1382 4° du CGI).)
Même si l’Eglise catholique l’a refusé pour sa part à la suite de l’encyclique Vehementer nos de Pie X condamnant la loi de 1905, et même s’il a pour contrepartie la soumission à une certaine forme de contrôle par l’autorité administrative, on conçoit qu’un tel régime de faveur accordées aux associations cultuelles soit convoité par les religions dites nouvelles. D’autant que, comme le soulignent MM. X et Y dans leur chronique de jurisprudence à l’E 2000 p. 597, la reconnaissance du statut d’associations cultuelles leur procurent en effet, au-delà des avantages matériels attachés à ce statut, un « brevet d’honorabilité ». Rien d’étonnant donc à ce que ce contentieux soit utilisé comme un outil dans la stratégie adoptée par certains mouvements pour sortir du ghetto des sectes et accéder au statut de culte reconnu, sinon par la République – qui n’en « reconnaît » aucun selon l’article 2 de la loi de 1905 – du moins par l’administration et la société.
Le CE, dans sa fonction juridictionnelle, a été amené à rendre maintes décisions déniant ou reconnaissant le caractère cultuel au sens de la loi de 1905 à des associations ayant pris cette forme. Encore fallait-il, car il n’en existe pas de définition juridique, que fût précisé ce qu’est un culte au sens de la loi de 1905. C’est ce qu’a fait le Conseil, en admettant qu’en est un le culte krisnaïte (14-5-1982 Association internationale pour la conscience de Krisna, p 179). Est un culte l’hommage rendu à une divinité selon certains rites. Et c’est pourquoi un groupement d’athées ne peut revendiquer le statut d’association cultuelle.
Mais autant la jurisprudence est abondante et désormais balisée, surtout depuis l’avis du CE en date 24-10-1997 qui fixe clairement et précisément les critères (au nombre de trois) permettant de caractériser une association cultuelle (CE 24-10-1997 Association locale pour le culte des témoins de Z de Riom n° 187 122 rendu sur une question renvoyée par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand selon la procédure de l’article 12 de la loi du 31 décembre 1987), autant elle est inexistante sur la question posée par le litige qui vous est aujourd’hui soumis, celle des critères permettant à une « congrégation » d’être reconnue légalement.
Ce n’est donc pas l’intérêt « sociologique » ou « politique » de l’affaire, encore moins le battage médiatique qu’a connu la communauté du Mandarom, lors de l’édification, puis de la destruction à Castellane de la statue géante de son fondateur ou lors de l’inhumation de celui-ci, décédé en 1998, qui justifie l’examen de la présente requête par votre formation plénière. C’est, bien plus fondamentalement, parce que aucune décision juridictionnelle n’est intervenue à ce jour confirmant ou infirmant la validité des critères retenus par la pratique administrative, sous le seul contrôle de la section de l’intérieur du Conseil d’Etat, pour obtenir le statut officiel de congrégation auquel s’attachent également, comme aux associations cultuelles, des avantages non négligeables.
Pour comprendre le contexte juridique, il faut faire un peu d’histoire et partir de la célèbre loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. En vertu du titre I, toute association (et la loi en donne une définition) peut se former librement, sans autorisation préalable, et obtenir la capacité juridique si elle est régulièrement déclarée en préfecture. Le titre II est consacré aux associations reconnues d’utilité publique, cette reconnaissance se faisant par décret en CE. Le titre III et dernier, celui qui nous intéresse, est consacré aux congrégations religieuses, dont la formation est soumise à une autorisation donnée par le législateur.
Ce régime d’autorisation législative préalable, dans la rédaction initiale de la loi de 1901 connue comme une loi sinon la loi de liberté, est assez surprenant. Le législateur a volontairement exclu, du régime libéral de droit commun des associations qu’il instituait, les « congrégations » dont il ne donne aucune définition. L’article 13 dispose sèchement : « Aucune congrégation religieuse ne peut se former sans une autorisation donnée par une loi qui déterminera les conditions de son fonctionnement ». Le 3e alinéa de cet article prévoit que la dissolution d’une congrégation peut être prononcée par décret en conseil des ministres et le CE a jugé que cette disposition « confère au chef de l’Etat en conseil des ministres un droit absolu et ne lui impose l’obligation d’aucune règle de procédure » (CE Visiteurs de Saint Marcellin, 5 août 1908, p. 875) L’article 14 interdit à quiconque de diriger un établissement d’enseignement ou d’y enseigner s’il appartient à une congrégation non autorisée, les contrevenants étant passibles d’amendes et d’emprisonnement (six jours à un an). Selon l’article 16, sont punis de la même façon ceux qui auront fait partie d’une congrégation formée sans autorisation, qui sera en conséquence déclarée illicite.
C’est donc un régime de police très rigoureux, assorti d’un arsenal répressif, qui figure ainsi au cœur d’une loi réputée libérale et consacrée comme l’une des grandes lois de la République dont les principes fondamentaux qu’elles reconnaissent s’intègrent au bloc de constitutionnalité.
On peut s’interroger : pourquoi la loi de 1901 a-t-elle réservé un sort spécifique, bien peu enviable, aux congrégations ? Quels sont les motifs qui justifiaient que les congrégations soient exclues du régime général des associations ?
Relevons au préalable l’utilisation de l’expression « congrégations religieuses » qui est en réalité un pléonasme. Le dictionnaire étymologique de la langue française de Bloch et Wartburg indique que le terme « congrégation » est apparu au XVI e siècle au sens moderne, emprunté du latin ecclésiastique congregatio (de grex, gregis, troupeau), alors qu’en latin classique il désignait toute espèce de réunion. Selon le dictionnaire Q, le terme désigne une compagnie de prêtres, de religieux ou religieuses et, par analogie, une confrérie de dévotion mise sous l’invocation de la Vierge ou d’un saint. Dans une deuxième acception, le terme renvoie aux comités de cardinaux de la Curie romaine. Enfin, dans une troisième acception, il est l’équivalent de la paroisse pour certaines confessions protestantes. Mais c’est bien la première acception qui est le sens moderne usuel. Le dictionnaire encyclopédique d’histoire Pourre relève d’ailleurs que le terme congrégation a toujours été pris dans les querelles politiques du XIX e siècle au sens large comme désignant « tous les ordres religieux masculins ou féminins » exclusivement dans le cadre de la première acception. Le terme désigne donc des communautés religieuses. Ce n’est qu’au sens figuré qu’il pourrait signifier « assemblée » ou « société ». Il n’était et n’est donc pas besoin d’ajouter l’adjectif « religieuse » au terme « congrégation » pour comprendre de quoi il était et est question.
Quoi qu’il en soit, il suffit de lire les débats parlementaires pour comprendre combien la loi de 1901 fut une loi de combat, présentée et discutée comme telle. Ces débats furent marqués par un climat de passion politique exacerbé s’agissant de la question congréganiste qui a été au centre de querelles violentes. Le projet débattu établissait une séparation très nette entre les associations et les congrégations dotées de régimes opposés, opposition fortement accentuée par les Chambres. Pourtant, un projet précédent, du 14 novembre 1899, n’évoquait pas la question congréganiste ; c’est à M N, rapporteur de la loi devant la Chambre des députés, que l’on doit cette évolution.
L’auteur du projet, Waldeck-Rousseau, justifiait l’exception concernant la formation des congrégations, établie par l’article 13 de la loi, par l’intolérable « mainmise sur les esprits, sur les intelligences et sur les consciences » qu’exerçaient les congrégations enseignantes. Etait également invoquée l’accumulation de la « mainmorte » au profit des congrégations empêchant la libre circulation des biens. Les parlementaires et l’opinion publique débattirent avec passion du « milliard des congrégations », estimation approximative des biens possédés et loués par l’ensemble des établissements religieux. Etaient également mis en avant par le rapporteur les vœux perpétuels prononcés par les membres des congrégations qui contrevenaient directement à l’ordre public. (cf discours du 21 janvier 1901 JO –DP Chambre des députés 1901 p 112 à 119). Quelques députés avaient même présenté et défendu un amendement visant à interdire toute congrégation.
Le titre III de la loi de 1901 est donc le fruit d’éléments philosophiques ou plutôt idéologiques et politiques conflictuels qui ont marqué la période 1789-1901. Mais il ne semble procéder d’aucune réelle exigence juridique. Plaçant les congrégations en dehors du droit commun libéral prévu pour les associations, le législateur leur réservait un régime spécial, qui sera complété par la loi du 4 décembre 1902 créant le délit d’ouverture ou de tenue d’un établissement congréganiste non autorisé, et par la loi du 7 juillet 1904 interdisant aux congréganistes d’enseigner. L’année suivante était adoptée la loi de séparation des Eglises et de l’Etat qui prend soin de préciser (article 38) – ce qui n’allait et ne va vraiment pas de soi – que les congrégations religieuses demeurent soumises à ces lois de 1901, 1902 et 1904.
Cette législation d’exception, qui visait bien évidemment les congrégations catholiques, seules existantes, et instituait une sorte de « chasse aux sorcières » légale, fut d’abord appliquée de façon stricte. Aux 400 congrégations qui sollicitèrent l’autorisation législative, un refus fut systématiquement opposé ; le délit de congrégation fut poursuivi en justice jusqu’en 1910. Mais l’entrée en guerre de la France fut l’occasion d’un rapide apaisement. Les religieux partis en exil participèrent en nombre à la mobilisation générale. La « circulaire Malvy » du 2 août 1914 enjoignit au préfets de suspendre l’application de toutes les mesures prises en vertu de cette législation. Après la guerre, de nombreuses congrégations se réinstallèrent en France, sans que le régime juridique, toujours en vigueur mais inappliqué, fût modifié.
Ce n’est qu’en 1940 que le régime de Vichy prit acte de cette discordance, au demeurant pas si rare en France, entre le droit et le fait. La loi du 3 septembre 1940 autorise à nouveau l’enseignement congréganiste. Puis intervient la loi du 8 avril 1942 qui abroge plusieurs articles du titre III de la loi de 1901 et modifie sensiblement son article 13, désormais ainsi rédigé « toute congrégation religieuse peut obtenir la reconnaissance légale par décret rendu sur avis conforme du Conseil d’Etat ». Les congrégations peuvent donc exister licitement sans autorisation mais seule la reconnaissance légale leur donne la capacité juridique. Cet assouplissement s’est accompagné d’avantages liés à l’autorisation de percevoir des dons et legs, prévue par les lois des 8 avril et 24 octobre 1942. Toutes ces dispositions furent implicitement prorogées à la Libération. Pourtant, aucune nouvelle congrégation ne fut autorisée entre 1944 et 1970, certains auteurs soulignant la résistance passive du CE et de l’administration. Faute de personnalité juridique, les congrégations se heurtaient à de graves difficultés pratiques de fonctionnement, notamment dans la gestion de leurs biens, ne pouvant par elles-mêmes ni acquérir ni aliéner. Il fallut attendre le Président Pompidou qui décida de rouvrir pour les congrégations la possibilité effective d’une reconnaissance légale pour que les dispositions de 1942 soient mises ou remises en application.
La modification intervenue en 1942 traduit donc une certaine normalisation des congrégations, mais n’aboutit pas pour autant à une banalisation de leur sort et leur statut juridique laisse le juge quelque peu perplexe.
En effet, nous l’avons dit, il n’existe pas de définition légale des congrégations religieuses. Si le législateur a défini l’association, il est demeuré muet sur la nature de la congrégation. Observons qu’en 1901un député avait demandé, sans succès, que soit engagée une réflexion concernant une telle définition. Il lui fut répondu que les congrégations pourraient être tentées d’en tirer profit pour se placer hors du champ du titre III.
Est donc une congrégation religieuse toute organisation reconnue comme telle par l’Etat, ce qui ne nous éclaire guère. Il existe bien un décret d’application de la loi de 1901, celui du 16 août 1901, dont le titre III est consacré aux congrégations religieuses. Mais les dispositions de ce décret n’ont jamais été modifiées depuis l’origine, si bien qu’elles concernent les conditions à satisfaire pour obtenir une autorisation – puisque la loi de 1901 prévoyait une autorisation par la loi – et non pas les conditions permettant une reconnaissance légale – accordée par décret pris sur avis conforme du CE comme le prévoit la loi de 1942. On lit ainsi à l’article 19 du décret que le dossier de demande comprend le projet de statuts, comme si la congrégation n’existait pas déjà, à l’article 21 que le ministre fait procéder à l’instruction des demandes puis, « après consultation des ministres intéressés », qu’il les soumet « à l’une ou l’autre des deux chambres », à l’article 25 que « ampliation de la loi est transmise par le préfet aux demandeurs ».
Peut-on, sans autre forme de procès, considérer que les exigences ainsi prévues par ce texte pour une demande d’autorisation ont été implicitement mais nécessairement rendues applicables aux demandes de reconnaissance légale ? En tout cas, la pratique administrative, qui s’opère sous le contrôle de la section de l’intérieur du Conseil d’Etat, le fait.
Mais c’est au prix de quelques contorsions. Car les dispositions du décret de 1901 ont été taillées sur mesure pour des congrégations catholiques, qui plus est dans un contexte gallican. Ainsi les statuts des congrégations, qui sont fournis dans le dossier de demande, doivent-ils (article 19) contenir les mêmes indications et les mêmes engagements que ceux des associations reconnues d’utilité publique mais en outre « la soumission de la congrégation et de ses membres à la juridiction de l’ordinaire ». L’article 20 précise que « la demande doit être accompagnée d’une déclaration par laquelle l’évêque du diocèse s’engage à prendre la congrégation et ses membres sous sa juridiction ». Que peuvent bien signifier de telles exigences pour des congrégations non catholiques ?
C’est d’ailleurs en raison de cette difficulté que le tribunal administratif de Paris, dans le litige qui nous occupe, a communiqué aux parties un moyen d’ordre public tenant au champ d’application de la loi et tiré de ce que les dispositions applicables font de la soumission à la hiérarchie de l’Eglise catholique une condition substantielle de la définition des congrégations. Il n’a en définitive, pas retenu ce moyen de rejet de la requête puisque au contraire il a annulé la décision ministérielle. Il semble en revanche, d’après la note en délibéré, que l’avocat de l’association requérante a produite au tribunal, que le commissaire du gouvernement avait conclu au rejet en adoptant ce moyen.
Ce qu’a jugé en définitive le tribunal, c’est que les dispositions précitées des articles 19 et 20 du décret de 1901 imposant la soumission à l’autorité épiscopale et à la juridiction de l’ordinaire avaient perdu toute portée depuis la fin du régime concordataire prononcée par l’article 44 de la loi de 1905, privant ainsi cette autorité et cette juridiction du statut juridique qui justifiait ces dispositions. Inconciliables avec la situation juridique résultant de la séparation des Eglises et de l’Etat, les dispositions en cause (articles 19 et 20 du décret de 1901) devaient en conséquence être tenues pour abrogées. Le tribunal a donc jugé erroné en droit le motif retenu par le ministre pour refuser la reconnaissance légale de congrégation à l’association requérante, à savoir l’absence de soumission à une autorité religieuse appartenant elle-même aux institutions hiérarchiques de la religion qu’elle représente.
Cette solution, pour séduisante qu’elle soit, et particulièrement audacieuse. ne nous paraît pas pouvoir être confirmée. Elle a néanmoins le mérite de mettre l’accent sur la contradiction qu’il y a à poser fermement en 1905 un principe de laïcité (« La République ne reconnaît aucun culte ») et de séparation des Eglises et de l’Etat tout en maintenant expressément (article 38) le régime établi en 1901 et inspiré du droit gallican d’Ancien Régime, c’est-à-dire un régime d’autorisation par l’Etat d’entités religieuses. L’Etat, et c’est heureux, se refuse à donner une définition de la religion. Il prétend ne reconnaître aucun culte, à la différence de ce qu’il continue à pratiquer en Alsace – Moselle où le régime concordataire a été maintenu. Pourtant, il opère un contrôle de ce qui est cultuel ou non (puisqu’il doit garantir le libre exercice des cultes et qu’il reconnaît des associations cultuelles) ainsi qu’un contrôle de ce qui est religieux ou non (dans le cadre qui nous occupe aujourd’hui de la reconnaissance des congrégations). Une telle contradiction, au moins apparente, ne manque pas de laisse perplexes nombre de personnes authentiquement laïques et nombre de pays étrangers surpris de cette spécificité française. Nous n’avons évidemment pas la prétention de la résoudre, elle est un héritage de notre histoire tourmentée concernant les relations de l’Eglise et de l’Etat et le droit des religions. Soulignons néanmoins combien reste passionnelle en France la question religieuse, singulièrement aiguisée aujourd’hui par l’implantation dans notre pays de religions anciennes étrangères à notre culture (islam) ou l’apparition de « nouveaux mouvements religieux » ou « mouvements religieux socialement controversés » selon la terminologie utilisée par les sociologues. Preuve en est le « tollé » qui surgit dès qu’est émise l’idée de revoir et corriger la loi de 1905, qui a pourtant déjà fait l’objet d’une dizaine de modifications, dont maintes dispositions sont périmées (ainsi celles sur la dévolution des biens des établissements ecclésiastiques), mais qui est considérée comme un pilier de la République auquel on ne peut toucher. L’avenir proche dira si c’est possible puisque la commission dite Machelon, mise en place récemment par l’actuel ministre de l’intérieur, chargée de mener une réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics et particulièrement sur l’articulation entre les associations cultuelles et les associations loi de 1901, doit remettre son rapport en juin 2006.
Pour autant, en l’état actuel du droit, et malgré la contradiction soulignée, nous ne pensons pas possible de considérer, comme l’a fait le tribunal, que les dispositions des articles 19 et 20 du décret de 1901 ont été implicitement abrogées par la loi de 1905. Et ce pour deux raisons : le législateur en 1905 a expressément affirmé que continuaient à s’appliquer les lois relatives aux congrégations dont celle de 1901. Or la loi de 1901 a un décret d’application, celui du 13 août 1901. Et c’est l’ensemble de ces dispositions législatives et réglementaires qui a été appliqué entre 1901 et 1905 mais également au-delà. D’autre part, la solution du tribunal ne correspond pas du tout à la doctrine qui s’évince des avis rendus par la Section de l’intérieur du CE dans le cadre de son contrôle sur les statuts des congrégations, principalement à partir des années 1970. Sur le fondement du texte réglementaire, en le « tirant » certes quelque peu pour le faire correspondre au nouveau paysage religieux, le CE a dégagé les critères permettant d’obtenir la reconnaissance légale de congrégation hors du seul contexte catholique.
Grâce en effet à son interprétation « neutralisante » des exigences prévues par les articles 19 et 20 du décret de 1901, des congrégations non catholiques ont pu être reconnues. La première fut la congrégation monastique bouddhiste de Saint-Léon-sur-Vézère (décret du 8 janvier 1988). Au 1er avril 2004 avaient été reconnues par décret 19 congrégations non catholiques : 3 protestantes, 6 orthodoxes, 9 bouddhistes, et 1 hindouiste, sur environ 500 congrégations existantes dont la moitié reconnues. Cette évolution s’est faite « silencieusement » , presque subrepticement même, en « sollicitant » le texte de 1901, sans que le gouvernement juge nécessaire de le réformer. Le CE a même admis que soient reconnues des congrégations catholiques qui, au regard du droit canon, ne sont pas soumises à l’ordinaire du lieu : il a ainsi vidé de leur substance les dispositions gallicanes du texte en acceptant que l’exigence de l’article 19 soit satisfaite par la seule mention, bien formelle et lénifiante, figurant dans les statuts d’une congrégation, selon laquelle cette « communauté de droit pontifical est placée sous la vigilance de l’ordinaire du lieu » (avis du 23 novembre 1993, n° 354-417).
Certes il serait sans doute beaucoup plus simple de modifier enfin les textes applicables dont le caractère désuet est évident. Dès lors que les congrégations bénéficient d’avantages substantiels par rapport aux associations de droit commun (juste renversement des tracasseries qui leur furent infligées en 1901 ?), il ne paraît pas anormal que l’Etat exerce un certain contrôle. Mais plutôt que d’utiliser pour ce faire les critères fixés en 1901 et si largement interprétés qu’ils en perdent toute signification, ne serait-il pas plus pertinent de vérifier la consistance d’une congrégation, en prenant en compte par exemple le nombre de ses membres, une ancienneté minimale de la religion dont elle se réclame, le nombre de ses adeptes, autrement dit sa représentativité comme on le fait pour les organisations syndicales ? Les conditions imposées, en vertu d’une loi du 10 janvier 1998, aux communautés religieuses en Autriche pour obtenir leur reconnaissance légale (ancienneté de 20 ans au moins sur le sol autrichien, nombre de membres équivalent à 2 pour mille de la population, affectation des recettes et du produit des biens à des buts religieux, attitude positive face à la société et à l’Etat, absence de situation conflictuelle de nature à troubler l’ordre public avec une autre communauté religieuse) nous paraissent ainsi frappées au coin du bon sens.
Sans préjudice de la liberté de religion, garantie de façon générale en Europe, la plupart des Etats européens connaissent en effet des « systèmes de reconnaissance » dans leurs relations avec les religions. Ces systèmes sont mal connus et mal compris en France car on les considère comme incompatibles avec le principe de neutralité. Toutefois, et ainsi que le souligne J.M. Woerhling dans son introduction à l’ouvrage collectif Etat et religion en Europe[1], le système de reconnaissance des cultes se caractérise par la distinction de deux étages dans l’organisation des activités religieuses par l’Etat : la pleine liberté religieuse pour toutes les croyances dans le cadre du droit commun, et des règles spéciales ou statuts particuliers pour certains cultes à raison de leurs caractéristiques propres telles que insertion dans la société, loyauté par rapport aux institutions, représentativité, transparence…. Or, poursuit l’auteur, « au fond, sans le dire, la loi de 1905 esquisse elle aussi un système à deux étages entre les religions organisées selon le droit commun (associations loi de 1901) et les religions bénéficiant d’un droit particulier (associations cultuelles et congrégations) ».
La tâche des pouvoirs publics n’est-elle pas alors de déterminer quelles sont les Eglises et religions susceptibles d’être soutenues en raison de leur utilité sociale, de leur caractère d’intérêt général ? Est-il bien nécessaire, voire légitime, alors que les congrégations reconnues bénéficient désormais d’avantages pratiquement équivalents à ceux des associations reconnues d’utilité publique, de maintenir le régime dérogatoire et notamment la procédure très spécifique d’un décret pris sur avis conforme du CE ? La loi du 8 avril 1942 est présentée dans l’exposé des motifs comme une solution d’attente, pour mettre fin au régime équivoque d’une tolérance de fait se traduisant par l’existence seulement précaire des congrégations. Et il était précisément souligné que « les congrégations sont comparables aux associations reconnues d’utilité publique par l’importance de leur rôle et par la valeur de leur patrimoine ». Mais s’il est trop délicat d’apprécier leur rôle au regard de l’intérêt général, à tout le moins nous pensons que les critères de 1901 sont devenus trop formalistes pour être vraiment opérationnels.
Ajoutons pour finir que l’article 9 de la CEDH n’autorise d’autres restrictions à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions « que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou de la protection des droits et liberté d’autrui ». Se pose ainsi la question de la validité au regard de la CEDH de la distinction opérée en droit français entre les associations de droit commun d’une part et les associations cultuelles ainsi que les congrégations d’autre part. L’affaire de l’Union des athées[2] à qui avait été refusé le statut d’association cultuelle au motif qu’elle ne se propose pas de subvenir à un culte est éloquente à cet égard : la Commission EDH, sur requête de ce groupement, s’est prononcée sur la distinction opérée en droit français et elle n’a retenu « aucune justification objective et raisonnable de maintenir un tel système qui défavorise à un tel degré les associations non cultuelles ». Certes la Cour EDH n’a pas été saisie de l’affaire mais il y a là, comme le relèvent les auteurs du Traité de droit français des religions, un avertissement de poids quant à la validité de la distinction française.
Pour conclure sur le contexte juridique de l’affaire inscrite au rôle de ce jour, il n’existe donc pas de définition autre que prétorienne de la congrégation. La Cour de Cassation avait cerné la notion de congrégation en jugeant que son existence ne pouvait résulter que d’un ensemble de circonstances qu’il appartient à l’autorité judiciaire d’apprécier (Cass Civ 1er mai 1903 DP 1903, I, p. 397). Le CE a délimité les contours de la notion en distinguant nettement, sur le fondement des lois de 1901 et 1905 et du décret de 1901, la congrégation d’une association loi de 1901 et d’une association cultuelle et en précisant, dans un avis du 14 novembre 1989, qu’ « aucun groupement, quel que soit son objet, ne dispose du droit de choisir arbitrairement le régime juridique qui lui est applicable ». Ainsi, « tout groupement de personnes qui réunit un ensemble d’éléments de nature à caractériser une congrégation, tels que la soumission à des vœux et une vie en commun selon une règle approuvée par une autorité religieuse, ne peut que se placer sous le régime de la congrégation religieuse ».
Pour autant, le CE ne s’est prononcé, et par voie d’avis exclusivement, que sur des congrégations appartenant à l’une des « grandes religions traditionnelles » (catholicisme, protestantisme, orthodoxie, bouddhisme ou hindouisme). A ce jour, aucune religion dite nouvelle ou mouvement dit sectaire n’a obtenu ni ne semble même avoir revendiqué le statut de congrégation hormis le Mandarom à laquelle le ministre de l’intérieur, dans le présent litige, a opposé lui aussi une certaine lecture du texte de 1901 que le TA a censurée. Votre décision sera donc une première et peut avoir des implications pratiques pour de nombreux autres mouvements du même type, ce qui peut justifier amplement un arrêt de Plénière.
Après ce long détour, nous en venons plus précisément à l’examen du litige.
La religion aumiste, de type syncrétiste, a été fondée en 1967 par O A, « sa Sainteté le Seigneur Hamsah Manarah », qui est à la fois le directeur de la Cité sainte de « Mandarom Shambhasalem », le Grand Patriarche Fondateur de la Religion de l’Aumisme, le Grand Pontife de l’Ordre du Diamant cosmique, le Hierokarantine, Grand Maître du Temple Pyramide de l’Unité et le Messie cosmoplanétaire de Synthèse. Le siège mondial de cette religion se trouve sur la commune de Castellane (Alpes de Haute Provence) au « monastère » ou « Cité sainte » de « Mandarom Shambhasalem ». Le rapport L précité indique qu’en 1995, le nombre de ses adeptes était estimé à 2000, et la classe parmi les « sectes » ayant un « discours antisocial ». Elle cherche depuis plusieurs années à obtenir une reconnaissance officielle en France de ses activités. Plusieurs associations se sont constituées en son sein, revendiquant le statut d’association cultuelle pour pouvoir recevoir des dons et legs, ce qui leur a été refusé notamment par le préfet des Bouches-du-Rhône en 1997 (décision confirmée par le tribunal administratif puis par la CAA de Marseille, enfin par le CE le 28 avril 2004 dans l’arrêt Association cultuelle du Vajra Triomphant n°248467) et par le préfet de Seine-et-Marne en 1999 (décision confirmée par le TA Melun puis votre Cour le 9-2-2005 dans l’arrêt Association cultuelle du Vajra triomphant région Ile de France n° 00-3265.
La première demande de reconnaissance du statut de « congrégation », pour une association du Mandarom qui regroupe des adeptes ayant prononcé des vœux et vivant en communauté, remonte au 4 avril 1988. Elle a été présentée par le fondateur lui-même pour le monastère du Mandarom et a reçu une réponse défavorable du ministre de l’intérieur le 8 juin 1988. Une deuxième demande, formulée cette fois par l’association des Chevaliers du lotus d’or » le 2 mars 1995 s’est heurtée à un nouveau refus le 29 mars suivant ; une troisième émanant de la « congrégation du Vajra Triomphant », formulée le 13 octobre 1997, a été rejetée le 28 du même mois.
La demande ici en cause, dûment déposée par une délégation avec huissier le 25 mai 2000 au ministère de l’Intérieur, constitue donc la quatrième demande de cette communauté. Elle a été rejetée implicitement le 25 septembre 2000 et le ministre de l’intérieur a confirmé ce rejet par la décision expresse du 14 novembre suivant, en se référant, en l’absence d’éléments nouveaux, à ses refus antérieurs de 1988, 1995 et 1997.
Ce sont ces deux décisions de 2000 que le tribunal administratif de Paris a annulées par le jugement qui vous est aujourd’hui régulièrement déféré par le ministre de l’intérieur.
S’agissant de décisions ministérielles, la question se pose de savoir si le tribunal administratif était bien compétent et non le CE. Elle n’est pas soulevée par les parties mais elle mérite de s’y attarder un bref instant.
La décision de reconnaître à une association le statut de congrégation relève en effet d’un « décret pris sur avis conforme du Conseil d’Etat ». Toutefois, comme dans l’affaire CE 5-5-1986 Fondation Vasarely n° 69810, les décisions ici attaquées peuvent être analysées comme un refus de prendre un décret. Or le si CE est compétent en premier ressort pour juger des recours dirigées contre un refus de modifier un décret (17 février 1965, Commune de Saint-Hippolyte, p. 111), il ne l’est plus lorsque le recours tend à l’annulation du refus de prendre un décret (3 mars 1954, Baudienville, p. 136).
Mais le CE est encore compétent, en vertu de l’actuel article R. 311-1 2 du code de justice administrative, pour connaître en 1er ressort des recours dirigés contre les actes des ministres qui ne peuvent être pris qu’après avis du CE. D’où la question : le ministre pouvait-il prendre sa décision de rejet sans saisir le CE au préalable ? En dépit du souci de symétrie qui pouvait faire pencher vers une réponse négative à la question, c’est une réponse positive qui a été donnée il y a déjà un siècle à propos d’une affaire proche, concernant le refus d’autoriser une congrégation à fonder un nouvel établissement, alors qu’une telle autorisation, en vertu de l’article 13 2e alinéa de la loi de 1901, est accordée par « décret en CE » : il a été jugé la demande pouvait être rejetée par simple décision administrative du ministre sans qu’il soit nécessaire de saisir le CE (CE 10 mars 1905 dame Mac Donnel p. 769).
Cette jurisprudence a été, depuis, confirmée dans d’autres matières (CE 15 octobre 1982, Ville de Digne, n°38403 ou CE 15-12-2000 Association Emile Reilles n° 222052).
Le recours contre les décisions litigieuses, non réglementaires et qui n’avaient pas à être précédées d’un avis du CE, relevait donc bien de la compétence du tribunal administratif.
Nous en venons donc au fond.
Alors que deux moyens de légalité externe étaient invoqués en première instance, le tribunal s’est situé sur le seul terrain de la légalité interne. Les moyens du recours ministériel ont donc trait aux motifs des décisions.
Un seul de ces motifs apparaît dans les décisions antérieures auxquelles se réfère la décision litigieuse du 14 novembre 2000. Celle du 8 juin 1988, la plus étoffée, renvoie aux articles 19, 20 et 23 du décret de 1901 tels qu’ils doivent être interprétés et relève que la congrégation du Vajra Triomphant ne remplit pas les conditions qu’ils prévoient. Toutefois, le tribunal, au vu de la défense du ministre, a considéré que le refus reposait également sur un autre motif : l’atteinte à l’ordre public.
En premier lieu, l’association remplissait-elle les conditions légales d’une congrégation ?
Soulignons, même si c’est bénin, que l’article 23 du décret, cité dans la décision de 1988 et dont le contenu est identique à celui de l’article 20, n’a rien à voir avec la demande de l’association puisque cet article a trait aux demandes formées par une congrégation religieuse déjà « autorisée » souhaitant fonder un nouvel établissement. Une telle « coquille » dans la décision ministérielle est révélatrice des difficultés d’appliquer un texte édicté dans le cadre d’une tout autre procédure.
Quoi qu’il en soit, c’est bien la condition de la soumission de la congrégation à la « juridiction de l’ordinaire » du lieu d’implantation, c’est-à-dire aux autorités ecclésiastiques du diocèse prévue par l’article 19 du décret qui est en cause, l’article 20 ajoutant que la demande de reconnaissance doit être accompagnée « de la déclaration par laquelle l’évêque du diocèse s’engage à prendre la congrégation ainsi que ses membres, sous sa juridiction ».
Entendues strictement, ces dispositions priveraient de tout droit à la reconnaissance la plupart des instituts religieux de droit pontifical dont les membres sont exempts de la juridiction de l’évêque, et toute reconnaissance d’une congrégation non catholique, ainsi que nous l’avons dit.
Cette règle n’a toutefois pas été rendue caduque par la reconnaissance de congrégations non catholiques. Par son interprétation extensive, le CE a souligné que la règle imposait le rattachement de la communauté candidate à une autorité religieuse reconnue et qu’un tel rattachement était indispensable car il constitue la seule garantie pour les pouvoirs publics que la communauté fonctionne selon les règles propres à la religion dont elle se réclame et peut être qualifiée de congrégation (CE avis Section de l’intérieur 27 octobre 1987 n°342 574 Communauté « Karmé Dharma Chokra »)[3]).
Il faut donc que la communauté soit soumise une hiérarchie « comparable » à celle de l’évêque pour les catholiques. Au cas d’espèce, le ministre reprochait à la communauté du Mandarom de relever de la seule autorité de son fondateur et animateur. L’association demanderesse souligne que ce grief ne pouvait plus lui être fait en 2000 puisque entre temps elle avait satisfait à ces exigences. Elle se prévaut de l’existence d’une hiérarchie ecclésiastique au sein du Mandarom et produit une « attestation de l’ordinaire » datée du 22 mai 1997, émanant d’un collège de 6 « évêques » déclarant que les membres de l’association installée à Castellane sont soumis à l’ordinaire du lieu et à son pouvoir juridictionnel. On doit toutefois relever que cette attestation n’est pas conforme au projet de statuts, d’ailleurs non daté, de la congrégation de l’aumisme, et produit au dossier. La lecture de ces documents ne permet ni de connaître la structure de cette prétendue religion ni son organisation et révèle des contradictions.
Mais en tout état de cause, si le ministre expliquait, dans sa décision de 1988, qu’il ne lui appartenait pas « d’authentifier une expression religieuse nouvelle par le biais de la reconnaissance légale d’une congrégation » – affirmation exacte formellement mais fausse en fait -, il indiquait en conclusion qu’une congrégation prétendant être reconnue devait se rattacher « à une institution qui, du fait de sa durée historique, de son développement et de son enseignement, est communément classée parmi les religions universelles ».
Ce faisant, le ministre « extrapole » audacieusement tant les textes que l’interprétation, extensive, mais dans un sens libéral elle, du CE. Sa thèse paraît en effet bien contraire tant au principe de laïcité de la République qui assure à tous la liberté de conscience et de croyance qu’au principe de non-discrimination religieuse, reconnu par l’article 14 de la CEDH puisqu’il y aurait ainsi les « vraies » religions et les autres. Si, comme le souligne P Q dans sa note sous CE Ass. 1er février 1985, « Association chrétienne Les témoins de Z », RDP 1985, p. 501, les deux piliers fondamentaux de toute religion sont la croyance et la communion fraternelle, « l’aumisme » constitue bien une « religion » au sens de l’article 9 de la convention européenne des droits de l’homme, comme le soulignait S. F dans ses conclusions sous CE 28 avril 2004 Association du Vajra triomphant à l’E p 1369).
Selon ce qu’indique le ministre dans son mémoire de première instance du 10 janvier 20002, un groupement peut être légalement reconnu comme congrégation s’il remplit au moins cinq critères, les deux qui ont été dégagés par le Conseil d’Etat dans l’avis précité de 1989 (soumission à des vœux et vie en commun selon une règle approuvée par une autorité hiérarchique), et les trois autres qui ont été déterminés par la pratique administrative, à savoir engagement et activités des membres inspirés par une foi religieuse ; soumission à l’autorité d’un supérieur investi de pouvoirs particuliers et relevant lui-même d’une hiérarchie propre à la religion dont il se réclame, enfin « historicité du culte considéré ».
L’association fait valoir qu’elle satisfaisait aux 4 premières conditions mais que le 5e critère – appartenance à une religion « historique » – , introduit par l’administration, constitue une discrimination interdite tant par l’article 2 de la Constitution que l’article 14 de la CEDH. En lui reprochant de ne pas le satisfaire, le ministre aurait commis une erreur de droit.
Cette argumentation nous paraît fondée.
Ce qui est étonnant, c’est que le ministre, s’il avait examiné de près les statuts présentés à l’état de projet par l’association et joints à sa 1re demande de reconnaissance formulée en 1988, avait toute possibilité d’étayer son refus en utilisant les motifs plus formels et assez habituels que retient le CE pour émettre des avis défavorables.
Ainsi le CE rejette-t-il des dispositions statutaires qui, tout en prévoyant l’élection du supérieur, ne précisent pas le mode de scrutin (avis 366 628 du 4 décembre 2001). Or tel est le cas ici (article 5).
Par ailleurs, l’article 6 des statuts dispose : « la durée des vœux prononcés n’est pas limitée ». Or le décret du 13-19 février 1790, toujours en vigueur, prohibe les vœux religieux perpétuels dits « vœux monastiques solennels » qui ne sont plus reconnus, « en conséquence, précise l’article 1er du décret de 1790, les ordres et congrégations réguliers dans lesquels on fait de pareils vœux sont et demeureront supprimés en France, sans qu’il puisse en être établi de semblables à l’avenir ». Une telle interdiction avait dans l’esprit de ses promoteurs, vocation à faire obstacle aux dispositions canoniques qui prévoyaient (et prévoient encore) les vœux perpétuels[4]. Sur le fondement de ce décret, le CE, sans aller jusqu’à sanctionner la réalité des vœux perpétuels, sans se soucier non plus de l’existence de tels vœux en droit canonique, interprète les obligations posées par le texte de 1790 comme prohibant la seule mention dans les statuts civils soumis à son approbation de « vœux perpétuels ou définitifs ou sans limitation de durée » (CE avis 15 juin 1988, 344 185 ou du 9 juillet 1997 n° 359972 Bénédictines de l’abbaye Sainte Marie, refusant la mention de « vœux sans limitation de durée ».). On mesure ainsi l’écart entre l’esprit et la lettre du décret révolutionnaire et l’interprétation neutralisante qu’en a faite la Haute Assemblée, mais aussi l’avantage du contrôle, purement formel, qu’elle a entendu exercer sur ce point : il permet de ménager la liberté, ici religieuse, consistant à s’engager pour la vie, et le respect, fictif, de normes qui ne correspondent sans doute plus à l’état du droit mais n’ont jamais été abrogées.
Le CE refuse encore des statuts prévoyant la possibilité d’exclusion des membres sans audition préalable (CE 26 mars 1997, 360 076). Or l’article 17 du projet de statuts ici en cause prévoit plusieurs cas d’exclusion automatique.
Enfin l’attestation de M. A établie le 4 avril 1988 indiquait que les membres de la communauté sont soumis à l’ordinaire du lieu, « en ce sui concerne la promotion aux ordres sacrés et à l’exercice des fonctions liées à l’Institution aumiste ». Une telle rédaction restrictive constitue, selon l’avis 359 531 du 26 mars 1997, une mention insuffisante au regard de l’exigence prévue à l’article 20 du décret.
Pour toutes ces raisons, le ministre de l’intérieur aurait pu, nous semble-t-il, opposer légalement un refus à la demande de reconnaissance déposée par l’association « congrégation du Vajra triomphant », alors qu’en interprétant le décret de 1901, aussi désuet soit-il, comme réservant le statut de congrégation aux seules « religions historiques », le ministre a bien selon nous commis une erreur de droit. Cette erreur, différente de celle retenue par le tribunal, serait probablement censurée par la CEDH devant qui l’association requérante pourrait invoquer une différence de traitement, au regard des dispositions combinées des articles 9 et 14 de la convention, entre les grandes religions reconnues et les religions nouvelles auxquelles elle prétend appartenir, moins structurées et moins bien armées pour satisfaire aux dispositions requises par l’Etat français et prévues par le Titre III de la loi de 1901.
Le ministre, qui disposait ainsi de « bons » motifs pour refuser la demande, n’en a retenu aucun dans les décisions litigieuses et ne s’en est prévalu ni en première instance ni en appel. Vous ne pouvez donc faire application de la jurisprudence B (CE 6 février 2004, 240560), c’est-à-dire procéder à une substitution de motifs. A moins de le faire d’office. Ce qui suppose d’admettre que le ministre avait compétence liée, autrement dit de juger qu’il est « tenu » de rejeter une demande dès lors que les statuts civils, présentés par une association revendiquant le statut de congrégation, ne sont pas conformes en une ou plusieurs de leurs dispositions aux exigences dégagées et rappelées à maintes reprises par le CE dans sa formation administrative. Nous évoquons cette possibilité que nous livrons, sans plus de commentaires, mais avec réserves, à votre réflexion.
Toutefois, la solution de cette substitution d’office des motifs ne sera peut être pas utile si le second motif invoqué par le ministre, l’atteinte à l’ordre public est fondé, ce que nous allons examiner maintenant.
Le ministre, sans avoir opposé ce motif dans la décision explicite litigieuse, a indiqué, dès son 1er mémoire en défense devant le tribunal, que s’il n’avait pas poursuivi l’instruction de la demande, c’est en raison des « troubles à l’ordre public » causés par l’association et qu’il aurait pris la même décision s’il s’était fondé sur ce seul motif. S’il est légal, vous pourrez donc cette fois, sur le fondement de la jurisprudence Mme B précitée, le substituer au seul motif, erroné ainsi que nous l’avons dit, figurant dans la décision expresse, L’association, qui a amplement discuté sur ce point, ne conteste d’ailleurs pas la substitution ainsi demandée implicitement par le ministre.
Aucune société ne peut concevoir qu’on ne respecte pas ses lois[5]. Cette règle fonde toutes les sanctions et la répression qui s’exercent à l’encontre des mouvements dits sectaires qui violent les lois de la République. Pour autant, toute infraction constitue-t-elle un trouble à l’ordre public ou une menace pour celui-ci ? Plus spécifiquement, qu’en est-il de l’ordre public en matière religieuse ?
Les dispositions législatives ou réglementaires spécifiques relatives aux congrégations ou associations cultuelles ne comportent pas de réserve d’ordre public. Toutefois, l’article 1er de la loi de 1905 pose le principe que la République « garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. Les auteurs du Traité de droit français des religions relèvent que le juge administratif, pour sa part, s’est montré dans un premier temps particulièrement soucieux du respect de l’ordre public en matière religieuse en l’entendant de façon très large et ce parce qu’il prenait en compte « une situation de risque et non de violation avérée » (p. 192). « Le fait, indique le CE dans l’avis du 24-10-1997, Association locale pour le culte des témoins de Z n° 187 122, que certaines des activités de l’association pourraient porter atteinte à l’ordre public s’oppose à ce que l’association bénéficie du statut d’association cultuelle ». Le Conseil a même parfois, s’agissant des communautés prétendument sectaires, pris en compte un « intérêt public » ou un « intérêt général », notion bien plus vaste que celle d’ordre public. Dans ses conclusions sous CE 1er février 1985, Association « Les témoins de Z, n° 46488 », le commissaire du gouvernement, M. C retenait ainsi la notion d’ordre public social méconnu en l’espèce selon lui en raison du refus des demandeurs de laisser pratiquer des transfusions sanguines sur leurs enfants alors même que celles-ci sont indispensables à la sauvegarde de la vie de ceux-ci : « cette attitude, disait le commissaire heurte directement conception de la protection de la santé, et tout simplement le droit à la vie des enfants. Elle méconnaît dès lors un élément de notre ordre public social ».
On pouvait ainsi se demander, relèvent les auteurs du Traité précité, si le juge administratif n’abandonnait pas l’attitude répressive a posteriori, seule de mise quand est en cause une liberté fondamentale comme l’est la liberté de religion, pour faire preuve d’un souci de prévention a priori dont la détermination relève normalement de la loi voire de la Constitution. Deux décisions du 23 juin 2000 ont levé les équivoques de cette jurisprudence : le juge ne peut se contenter d’une allégation abstraite et générale de violation de l’ordre public (CE 23 juin 2000, ministre de l’économie et des finances c/ association locale pour le culte des témoins de Z de Clamecy n° 215109 et le même c/ association de Riom n°215512, aux conclusions de M. D, E 2000 p 671. Il a été ainsi jugé dans ces arrêts que ne commet pas d’erreur de qualification juridique une Cour d’appel estimant qu’une association qui n’a pas fait l’objet de poursuites pénales ou de dissolution de la part des autorités administratives et judiciaires et qui n’incite pas ses membres à commettre des délits ne peut être regardée comme portant atteinte à l’ordre public, quand bien même certains éléments de la doctrine défendue par l’association, comme le refus des transfusions sanguines, peut s’avérer potentiellement dangereux pour la santé.
, alors que le CE semblait ainsi revenu à sa jurisprudence libérale classique en ce qui concerne le contrôle de l’ordre public dans le domaine des libertés, le commissaire du gouvernement Mme F, dans ses conclusions sous l’arrêt précité du 28 avril 2004 (Association cultuelle du Vajra triomphant n° 248467) proposait de retenir, pour l’application des dispositions de la loi de 1905, une « acception large de la notion d’ordre public recouvrant non seulement, comme en matière de police générale, la sécurité, la tranquillité, la salubrité et la moralité publiques, mais aussi la prévention des activités pénalement sanctionnées ». Il subsiste donc des incertitudes sur le contenu, étroit ou large, de la notion d’ordre public. Mais le juge exerce un entier contrôle, et in concreto, sur l’appréciation à laquelle l’administration se livre pour refuser de reconnaître à une association, à raison de motifs d’ordre public, la qualité d’association cultuelle. Le Conseil s’attache au cas par cas à examiner si l’atteinte à l’ordre public est établie au regard de la nature des activités de l’association cultuelle et de la façon dont elle les exerce.
La même grille d’analyse peut être retenue au cas présent relatif à une congrégation. La solution de l’arrêt de 2004 concernant une autre association du Mandarom, l’Association cultuelle du Vajra triomphant, peut-elle être appliquée à l’Association « congrégation du Vajra triomphant » ?
Examinant les quatre séries de faits relevés par le ministre pour établir l’existence de troubles à l’ordre public justifiant de rejeter la prétention du Mandarom au statut d’association cultuelle, Mme F ne retenait finalement que les infractions aux règles d’urbanisme, les seules à son sens suffisamment établies, en lien étroit avec l’objet de l’association, et particulièrement graves.
Dans la présente espèce, ce sont les mêmes faits qui sont présentés, de manière assez confuse, par le ministre, sans souci de classement selon un ordre chronologique ou en fonction de leur gravité. Tout d’abord, l’association demanderesse, sous sa forme antérieure d'« association du Mandarom » a fait édifier illégalement entre 1977 et 1990 27 bâtiments et statues, dont l’une de 33 mètres, celle de O A lui-même, avant l’obtention d’un permis de construire et ce dans un site protégé, activité qui a suscité de vives protestations et manifestations au sein de la population locale. Et la communauté du Mandarom, quelle que soit la personne juridique qui la représente, a refusé d’exécuter les décisions de justice ordonnant la destruction des édifices illégaux. Ensuite, son fondateur, maître spirituel de la communauté, a été mis en cause et détenu préventivement dans plusieurs affaires d’abus sexuels, un non-lieu n’ayant été prononcé en 1998 qu’en raison de son décès. En troisième lieu, des incidents, des polémiques et des contentieux sont nés à l’occasion de son inhumation, ses proches souhaitant l’inhumer sur le site du Mandarom, tandis que l’administration s’y opposait. Enfin deux associations représentant le Mandarom en 1992 et 1995 ont fait l’objet de redressements fiscaux.
Deux au moins des motifs ainsi invoqués ne nous paraissent pas susceptibles d’être retenus.
D’une part les poursuites pénales engagées à l’encontre du fondateur : elles ont été prises en compte par le CE dans l’arrêt de 2004 précité, ajoutant ainsi aux conclusions du commissaire, mais cet arrêt jugeait une décision de septembre 1997. Il nous paraît plus difficile de retenir ce grief pour les décisions ici en cause de septembre et novembre 2000 intervenues 2 ans et demi après le décès de O Boudin qui a mis fin aux poursuites par un non lieu, alors même que deux victimes auraient été indemnisées en janvier 2000 par la commission d’indemnisation des victimes du tribunal de Digne. M. A était certes le supérieur de la congrégation demanderesse mais aucune accusation semblable à celle dont il a fait l’objet ne pèse sur les actuelles autorités de la « congrégation » (les articles de presse nous apprennent d’ailleurs que depuis la mort de G. A, la « communauté » s’est bien réduite, de 60 à 10 membres environ).
D’autre part le différend entre les proches du fondateur et l’administration à l’occasion des obsèques de celui-ci : il ne pouvait être retenu, selon Mme F, ne serait-ce que parce que les événements étaient postérieurs à la décision dont avait à connaître le CE. Inversement ici, ces événements sont antérieurs de 2 ans et demi aux décisions litigieuses. Et le trouble à l’ordre public de leur fait n’est plus avéré en 2000.
En revanche on peut sérieusement hésiter pour écarter la prise en compte des redressements fiscaux d’associations représentant le Mandarom. Deux articles de presse produits par le ministre relèvent que le redressement de 8,6 MF provient de ce que les dons à la « secte » ont été taxés, comme des dons manuels, à 60 %, alors que celle-ci revendiquait l’exonération due aux associations cultuelles. Il pourrait donc s’agir d’une « divergence d’interprétation fiscale » qui en soi ne trouble pas l’ordre public. Toutefois le rapport parlementaire de 1999 sur les finances des sectes souligne de manière générale que le recouvrement des dettes des sectes s’avère très difficile car ces dernières organisent systématiquement leur insolvabilité, notamment en transférant les biens dont elles disposent vers une nouvelle structure juridique créée à cet effet. La commission illustre le phénomène par trois exemples dont celui de la secte du Mandarom : « La créance de la DGI sur l’association du Temple de la Pyramide, estimée au total à 16 MF pénalités incluses, a été mise en recouvrement le 23 décembre 1998 par voie d’huissier. Cependant après les visites domiciliaires et peu de temps avant l’engagement des opérations de contrôle fiscal, cette association avait décidé sa dissolution, tout en prenant soin de transférer son patrimoine à une autre personne morale, le Vajra triomphant. Le transfert des actifs disponibles du Temple de la Pyramide, alors que ses dettes fiscales étaient loin d’être éteintes, démontre clairement une volonté d’organiser l’insolvabilité. Une gestion « normale » aurait consisté à régler les dettes de l’association avant de distribuer le boni de liquidation ou de décider d’en faire apport à une autre personne morale ». Le même rapport note plus loin que des poursuites ont été envisagées contre le dirigeant de l’Association cultuelle du Temple de la Pyramide pour organisation d’insolvabilité mais n’ont pas été engagées, la commission des infractions fiscales ne les ayant, à ce jour, pas autorisées.
Au regard de ces mentions, il ne nous semble pas impossible de retenir les agissements reprochés au Mandarom sur le plan fiscal, comme portant atteinte à l’ordre public même s’ils ne sont pas imputables stricto sensu à l’Association « congrégation du Vajra triomphant dès lors que celle-ci exerce ses activités en liaison étroite avec les associations impliquées regroupées au sein de l’ordre du Viaja triomphant. Selon les termes de l’arrêt du CE du 28 avril 2004, il y a une communauté d’intérêts entre les diverses associations qui conduit à les regarder comme consacrées de manière indissociable au culte de l’aumisme.
Néanmoins vous pouvez hésiter car il n’a pas eu de poursuites ni a fortiori de condamnations pénales à raison des fraudes fiscales ou des agissements relatés par le rapport parlementaire.
Restent alors les bâtiments et les statues construits de 1977 à 1990 dans un site protégé. A cet égard, on sait que les habitants de Castellane et des environs ont vivement protesté contre ces constructions. Par seul souci du respect de la réglementation ? Sûrement pas. Pour la sauvegarde de l’environnement ? Certainement. Mais il y a très probablement aussi, surtout peut-être, au fond de leur protestation une forme d’indignation pour ce qui apparaissait comme une provocation, à savoir notamment l’érection de la statue, pour le moins ostentatoire, non pas d’un dieu, ou même d’un sage tel que Bouddha, mais d’un homme encore vivant, dont la vue s’imposait à tous mal gré qu’on en ait. Une des pièces de la littérature de l’association figurant au DPI montre ainsi que le nom « Hamsah Manarah » du « Messie cosmoplanétaire » (alias O A) fut « révélé à la terre » le 22 août 1990 lors du couronnement par hélicoptère de sa statue géante par une tiare dorée. Ce n’est pas tant le caractère esthétique ou non qui est en cause ici que l’atteinte aux valeurs communément admises dans notre société pour qui l’hommage ainsi rendu au fondateur d’un mouvement, statufié de son vivant, ne saurait dépasser la seule sphère de la dévotion privée. Et s’il s’agissait d’un monument public, destiné à rendre hommage à un grand homme de la commune, de la région ou de la nation, son érection passerait par une procédure obéissant à des règles strictes. Dans ces conditions, la statue de O A de 33 mètres n’était-elle pas une forme d’atteinte à la liberté d’autrui, et ne portait-elle pas ainsi atteinte à la « tranquillité publique » ou à « l’ordre public social »? On objectera que les flèches des cathédrales ou les statues de saints dans nos villes ou les calvaires érigés aux carrefours des routes peuvent paraître tout aussi agressifs pour un non-croyant. Mais il s’agit là d’une fausse fenêtre : toutes ces oeuvres s’inscrivent dans notre histoire et notre culture. Elles font partie d’un patrimoine qui nous est transmis de génération en génération. Si une religion est une secte qui a réussi, comme une révolution est une émeute qui a réussi selon la formule de V. Hugo, il incombe aux « nouvelles religions » de faire leurs preuves d’intégration paisible dans notre histoire et notre culture.
En tout état de cause, par-delà cette atteinte à un certain ordre public social, que vous aurez peut-être quelque difficulté à admettre, d’autant qu’en 2000 les manifestations avaient cessé, demeurent les infractions proprement dites aux règles d’urbanisme. Là encore, comme pour les agissements reprochés sur le plan fiscal, l’association fait valoir qu’elles ne peuvent être prises en compte puisqu’elles ont été commises bien avant sa création en 1997 et par des organisations, autres qu’elle-même, et aujourd’hui dissoutes. Mais là encore il y a lieu de retenir la communauté d’intérêts entre ces organisations et l’association demanderesse, qui doit être regardée, en fait sinon en droit, comme le ou l’un de leurs successeurs, et ce d’autant plus qu’elle utilise les constructions litigieuses pour les besoins de son culte. Les bâtiments ou statues gigantesques illégalement édifiées constituent en effet un élément essentiel de sa liturgie.
On pourrait objecter que les infractions sont trop anciennes pour pouvoir fonder les décisions litigieuses.
Mais force est de constater, et c’est le plus grave selon nous au regard de l’ordre public, que la communauté du Mandarom a refusé d’exécuter des décisions de justice. En dépit du jugement du 30 juillet 1998 du tribunal correctionnel de Digne, confirmé par la cour d’appel d’Aix-en-Provence puis par la Cour de cassation le 20 juin 2000, ordonnant la destruction de la statue du fondateur, la communauté vivant à Castellane n’avait, en 2000, toujours pris aucune disposition pour se conformer à la décision des juges prononcée dès 1998 ; elle continuait même, sans vergogne, à faire visiter ses installations à des touristes, bafouant ainsi ostensiblement le droit. Et c’est l’administration qui a dû, en septembre 2001, faire procéder à la destruction ordonnée. Il n’y a pas là seulement un risque de troubles à l’ordre public, ni même des infractions anciennes aux règles d’urbanisme mais un comportement clairement antisocial intolérable dans un Etat de droit. L’atteinte à l’ordre public est établie, elle est en lien étroit avec communauté demanderesse, elle est particulièrement grave, elle est incontestablement de nature à justifier à elle seule le refus du ministre d’accorder la reconnaissance légale de la congrégation.
Nous vous proposons donc, en application de la jurisprudence B, après avoir censuré le motif erroné tiré de l’absence « d’ancienneté » de la religion dont se réclame la congrégation demanderesse, d’y substituer le motif légal d’atteinte à l’ordre public. Ceci conduit à annuler le jugement.
Il convient alors, par l’effet dévolutif de l’appel d’examiner les autres moyens, de légalité externe cette fois, soulevés par l’association requérante devant le tribunal administratif de Paris.
Le premier, tiré du non-respect de la procédure de l’article 21 du décret du 16 août 1901 est repris en défense dans l’instance d’appel. Selon les deux alinéas de cet article, « Le ministre fait procéder à l’instruction des demandes (…) en provoquant l’avis du conseil municipal de la commune dans laquelle est établie où doit s’établir la congrégation et un rapport du préfet. Après consultation des ministres intéressés, il soumet à l’une ou l’autre des deux chambres ». Il est curieux qu’aucune des parties n’ait relevé l’incongruité du second alinéa qui ne s’explique que par l’absence de modification du texte après l’intervention de la loi de 1942 et dont il y a tout lieu cette fois de penser qu’il a été implicitement et nécessairement abrogé. L’association se borne à reprocher l’absence de consultation du conseil municipal de la commune d’accueil. Le ministre répond à ce moyen, surtout dans son mémoire en défense de première instance, en faisant valoir qu’il n’était pas tenu de procéder à l’instruction de la demande dès lors que de l’association, ayant troublé l’ordre public, ne pouvait être reconnue comme congrégation.
Mais si le trouble à l’ordre public peut justifier le refus de reconnaissance légale d’une congrégation, ainsi que nous l’avons dit, cette circonstance n’entraîne pas ipso facto le droit de refuser ce statut sans respecter la procédure prévue par la loi, si du moins il s’agit de garanties substantielles. A titre d’exemple, l’arrêt du CE 10-8-2005 Préfet de la Seine-Maritime c/ Benazzoug n°258044 (classé A) juge que si un étranger remplit les (autres) conditions pour se voir délivrer un titre de séjour, la circonstance qu’il troublerait l’ordre public ne dispense pas le préfet de l’obligation de consulter sur son cas la commission du titre de séjour.
Pour trancher sur ce moyen, il faut plutôt se référer à la jurisprudence générale sur les consultations, obligatoires ou non, substantielles ou non.
Nous sommes ici dans un cas où il n’y a pas parallélisme des compétences : la reconnaissance relève d’un décret en CE et le rejet du ministre chargé des cultes. Par ailleurs, aucune règle n’est prévue par la loi pour ce rejet.
Quant à l’article 21 invoqué, il ne prévoit la consultation du conseil municipal que dans le cadre de « l’instruction » de la demande qui précède donc la remise du dossier à l’autorité compétente. Le texte ne dit même pas que l’avis du conseil municipal doit être recueilli ou provoqué avant la reconnaissance de la congrégation et il n’est pas sûr que l’absence de consultation vicierait un décret de reconnaissance.
A fortiori, le défaut de consultation d’un organisme dont l’avis ne peut être considéré comme une garantie pour le demandeur, à la différence par exemple de celui de la commission du séjour des étrangers précitée ou d’une commission administrative paritaire, ne saurait entacher d’irrégularité la décision de refus opposée à l’association demanderesse si apparaît « en cours d’instruction » un motif suffisant de rejet de sa demande.
Il ne ressort pas par ailleurs des pièces du dossier que le ministre aurait appliqué une position de principe sans examen des circonstances de fait de l’espèce.
Le moyen tiré du vice de procédure sera donc écarté.
Le second moyen de légalité externe, tiré du défaut de motivation de la décision de refus litigieuse, est fondé en droit : le refus de reconnaître une congrégation constitue une décision refusant « un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions pour l’obtenir » (article 1er de la loi du 11 juillet 1979).
Cependant la décision implicite par nature n’est pas motivée et il appartenait au demandeur d’en demander les motifs conformément à l’article 5 de cette loi. Le ministre a soutenu sans être contredit que la lettre du 13 octobre de Mme G, présidente de l’association, qui a entraîné la réponse explicite du 14 novembre 2000, ne comportait pas une telle demande.
La décision explicite, quant à elle, est motivée par renvoi aux décisions antérieures, le ministre indiquant « aucun élément nouveau ne me paraissant susceptible de modifier mon appréciation ». Or ces décisions antérieures, celles de 1988 et 1995 au moins, étaient suffisamment motivées en droit et en fait. Il n’est pas soutenu que l’association n’en aurait pas eu connaissance. Vous pourrez donc admettre comme suffisante la motivation de la décision du 14 novembre 2000 par référence aux décisions précédentes.
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement, au rejet de la demande de première instance y compris de sa demande de frais irrépétibles, ainsi que, dans les circonstances de l’espèce, au rejet des conclusions formées en appel par l’Etat sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
-------------------------------------------------------------------------------- [1] Etat et religion en Europe, les systèmes de reconnaissance, Revue de droit canonique n° 54, Strasbourg, 2004 [2] Rapport de la Commission,6 juillet 1994, Union des athées c/ France, req. 14635/89, in Traité de droit français des religions p. 345.
[3] Mentionné in « La laïcité en pratique » p 293 [4] Cf. A. Tawil, Le droit interne dans la jurisprudence du CE in Un siècle de laïcité [5] cf. Traité du droit français des religions p. 191 et sq.

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CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 04PA01642