CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 99PA00523 99PA00896 99PA03149

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : CE 06-06-84 COMMUNE DE BANDOL ET SANARY SUR MER/n ( 48576
CE 15-03-99 Mme C 148748
CE 21-02-97 QUILLE p.57
CE 27-01-95 SCI DU DOMAINE DE TOURNON ET AUTRES-T. p.961-1001
CE 27-01-95 SCI DU DOMAINE DE TOURNON ET AUTRES T. p.961-1001
CE 27-07-84 CIE D' ASSURANCE ZURICH concl. Laroque au CJEG 85 p.7
CE 29-12-97 MINISTRE DU BUDGET c/ Mme B T p.753-754-évocation
CE-S-19-10-90 INGREMEAU p.284 aux concl. La Varpillière/RDP p.1866
CE - S-COMMUNE DE TOULOUSE c/ Tomp p.312 aux concl. R.D. DE ST MARC AJD A 84 p.41

Texte intégral

[…] M. X,
DÉPARTEMENT DE L’ESSONNE
Lecture du 25 mai 2000
Conclusions de M. Y, Commissaire du Gouvernement
-------- M. X, ingénieur, a été recruté par le DÉPARTEMENT DE L’ESSONNE en 1991, d’abord sur un contrat d’une durée d’un mois, puis sur un contrat à durée déterminée d’une durée de 3 ans à compter du 1er juillet 1991, afin d’occuper les fonctions de chef de projet au service informatique. Le 18 janvier 1993, il est informé par courrier de la décision de le licencier par nécessité de service, avant le terme de son contrat, du fait que le profil du poste qu’il occupe doit être redéfini. Le licenciement a pris effet au 1er avril suivant.
En janvier 1998, M. X saisit le tribunal administratif de Versailles d’une demande dans laquelle il conteste la légalité de la mesure le licenciant et demande, en conséquence, à être indemnisé du préjudice qu’il a subi.
Par jugement du 8 octobre 1998, le tribunal administratif de Versailles déclare que le licenciement est illégal et a engagé la responsabilité du DÉPARTEMENT DE L’ESSONNE. Il le condamne à verser à M. X deux indemnités : l’une en réparation des pertes de salaires pour la liquidation de laquelle le demandeur est renvoyé devant l’administration, l’autre d’un montant de 10.000 F en réparation du préjudice moral subi par l’intéressé, les deux indemnités portant intérêt, la première à partir de la date d’introduction de la requête, la seconde à compter de la date d’enregistrement d’un mémoire devant le tribunal.
Par une première requête en appel, M. X vous demande de porter à 209.000 F le montant de l’indemnisation de son préjudice moral.
Par une deuxième requête, le DÉPARTEMENT DE L’ESSONNE vous demande d’annuler le jugement et de rejeter la demande présentée par M. X devant le tribunal administratif de Versailles.
Enfin, une demande d’exécution du jugement ayant été classée par le président de la cour administrative d’appel de Paris, M. X a sollicité l’ouverture d’une procédure juridictionnelle d’exécution, c’est l’objet du troisième dossier appelé.
Nous vous proposons de joindre ces trois dossiers que nous allons examiner successivement.
Concernant, en premier lieu, la requête de M. X, nous ne retiendrons pas très longtemps votre attention. Par une lettre envoyée le 24 septembre et notifiée le 30 septembre 1999, vous avez mis en demeure M. X de faire présenter sa requête, à peine d’irrecevabilité, par un avocat. M. X avait un avocat dans le cadre de l’aide juridictionnelle, mais l’a récusé. Vous lui avez précisé qu’à défaut de régularisation dans le délai d’un mois, l’irrecevabilité serait définitive, en application de l’article R.149-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.
Le délai de régularisation est expiré depuis le 30 octobre 1999. Or, contrairement à ce que soutient M. X, sa demande tendant à la revalorisation de son indemnité ne peut en aucun cas être classée dans la catégorie des recours pour excès de pouvoir. L’intéressé, au surplus, n’a jamais demandé, ni en première instance, ni en appel, l’annulation de son licenciement. Nous vous proposons donc de rejeter la requête de M. X.
Concernant, en second lieu, la requête du DÉPARTEMENT DE L’ESSONNE :
La première question que vous devez examiner est celle de sa recevabilité.
Par une lettre du 30 novembre 1999, reçue le 2 décembre, vous avez invité le département à produire dans le délai d’un mois, sur le fondement de l’article R.149-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, la régularisation de la qualité à agir du président du Conseil Général. Une délibération de la commission permanente du 20 février 2000 habilite l’actuel président à agir devant vous dans cette affaire.
Si vous admettez comme nous que la requête a été régularisée par cette production, vous devrez ensuite examiner la régularité du jugement, ainsi que vous y invite le département. Ce n’est qu’après que vous pourrez analyser les fins de non recevoir qu’il oppose à la demande de première instance.
Régularité :
Le département avait soulevé, en première instance, plusieurs fins de non recevoir. Le tribunal administratif n’y a pas répondu, ne serait-ce que par une incidente. Le département soulève, en appel, l’omission à statuer que vous constaterez et qui vous amènera à annuler le jugement du tribunal administratif et à évoquer la demande présentée en première instance par M. X.
Fins de non recevoir :
Il vous faut ensuite examiner les fins de non recevoir opposées par le département à la demande, tant en première instance qu’en appel.
En première instance, les fins de non recevoir sont fantaisistes, il y en a deux :
la première est tirée de la tardiveté de la demande, mais le département se place sur le terrain de l’excès de pouvoir alors que le demandeur présentait une requête de plein contentieux, relevant l’illégalité fautive de la décision de licenciement par la seule voie de l’exception, ce qu’il peut faire à tous moments. Cette fin de non recevoir doit être rejetée. Et à supposer qu’elle ait été dirigée contre la demande d’indemnisation, la demande ne pouvait être tardive puisque le contentieux n’était pas lié par une décision préalable, ce dont s’est d’ailleurs aperçu le département en appel.
La deuxième fin de non recevoir opposée en première instance est l’absence de moyens en méconnaissance de l’article R.87 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Nous vous ferons grâce du long argumentaire du demandeur. Mais vous y trouverez des moyens dirigés contre la motivation de la décision le licenciant, notamment l’absence de suppression de son poste et un détournement de pouvoir. Cette fin de non recevoir ne peut donc, non plus, être accueillie.
La troisième fin de non recevoir est soulevée pour la première fois en appel. Il s’agit de l’absence de liaison du contentieux à la date à laquelle le tribunal administratif a statué. Il est difficile de faire grief au tribunal administratif de ne pas l’avoir soulevé d’office, la jurisprudence étant pour le moins partagée sur la possibilité pour le juge de relever d’office une telle irrecevabilité. Néanmoins, cette irrecevabilité peut être soulevée en appel quand, en première instance, le défendeur a soulevé d’autres irrecevabilités et sur le fond, soit n’a pas répondu, soit a répondu à titre subsidiaire.
(CE 21-02-97 QUILLE p.57)
La demande de première instance était bien irrecevable puisque l’intéressé a finalement présenté une demande le 3 septembre 1998. La décision implicite de rejet qui aurait lié le contentieux est intervenue le 9 janvier 1999, soit postérieurement au jugement du 8 octobre.
Une telle irrecevabilité est définitive une fois que le tribunal administratif a statué au même titre que l’irrecevabilité tirée du défaut de production du document habilitant le représentant d’un groupement à agir en justice.
(CE 04-07-97 Association ([…]
Mais cette impossibilité de régularisation connaît une limite, ou plutôt une exception logique. Toujours en matière de pouvoir d’un organe représenté devant le juge, si la justification, même postérieure au jugement, est produite devant le juge d’appel, elle est de nature à régulariser la demande si le juge d’appel, après avoir annulé le jugement, évoque et statue.
(CE 27-01-95 SCI DU DOMAINE DE TOURNON ET AUTRES T. p.961-1001)
Pour la régularisation du défaut de ministère d’avocat :
v. CE 10-02-84 Mme D p.59.
Vous pouvez, à notre sens, tenir le même raisonnement concernant la liaison du contentieux. Dans la présente affaire, il a été lié postérieurement au jugement mais avant que ne jugiez. Si vous aviez jugé par la voie de l’appel, vous auriez été amené à retenir la fin de non recevoir, la régularisation de la demande de première instance étant impossible en appel. Mais dès lors que vous vous substituez aux premiers juges par la voie de l’évocation, la demande doit être regardée comme étant régularisée à la date à laquelle vous statuez.
Au fond
La demande étant recevable, vous êtes saisi des prétentions de M. X devant le tribunal administratif. Son appel incident tendant à une indemnisation supérieure, au regard des conclusions du rapport de la Cour des Comptes sur la gestion du département est irrecevable au même titre que sa requête contre le jugement, dès lors qu’il a refusé de prendre un avocat malgré la mise en demeure que vous lui avez adressée.
[…]
La seule question que nous vous invitons à examiner est l’exception de prescription quadriennale opposée, pour la première fois en appel, par le président du Conseil Général à la créance dont se prévaut M. X.
La créance de l’intéressé est née à la date à laquelle il a été licencié, soit le 2 mars 1993. Sans élément interruptif de la prescription, il n’était donc plus fondé à en revendiquer le paiement à compter du 1er janvier 1998. Or, sa première demande a été le recours formé devant le tribunal administratif de Versailles, soit le 20 janvier 1998. A cette date, la créance était prescrite.
On ne peut faire grief au tribunal administratif de ne pas l’avoir relevé d’office dès lors qu’il n’en a pas le pouvoir.
(CE 06-06-84 COMMUNE DE BANDOL ET SANARY SUR MER/n( 48576)
Il faut une véritable décision administrative prise par l’autorité compétente pour le faire.
(CE -S-COMMUNE DE TOULOUSE c/Tomp p.312 aux concl. R.D. DE ST MARC AJD A 84 p.41)
Cette obligation, qui exclut les délégations trop floues ou le mandat à un avocat, contrairement d’ailleurs à la cour de cassation, a été rappelé récemment dans un arrêt de section du 10-10-97 MINISTRE DU BUDGET c/ Mme Z p.338.
Néanmoins, le Conseil d’Etat admet que cette décision d’opposer la prescription puisse être contenue dans un mémoire, au contentieux, à condition que ce mémoire soit signé par l’autorité compétente.
(CE 27-07-84 CIE D’ASSURANCE ZURICH concl. Laroque au CJEG 85 p.7).
Pour les collectivités locales, l’autorité compétente est l’ordonnateur, le président du Conseil Général pour le département.
(CE-S-19-10-90 INGREMEAU p.284 aux concl. La Varpillière/RDP p.1866)
Dans la présente affaire, M. A, président du Conseil Général, a régulièrement opposé la prescription quadriennale en signant la requête.
La question qui se pose maintenant est celle de savoir si elle a été opposée à temps. Aux termes du premier alinéa de l’article 7 de la loi du 31 décembre 1968 : (L’administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d’une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l’invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond. Le Conseil d’Etat en a logiquement tirée la conséquence que la prescription ne peut être opposée pour la première fois en appel. Le Conseil d’Etat a néanmoins fait une exception à cette règle et a admis qu’elle puisse être soulevée en appel quand la décision juridictionnelle de première instance avait été rendue sans instruction, c’est à dire sans que l’autorité administrative ait été à même d’opposer cette prescription avant que le tribunal administratif ne statue.
(CE 29-12-97 MINISTRE DU BUDGET c/Mme B T p.753-754-évocation) (CE 15-03-99 Mme C 148748 à paraître Lebon)
Nous n’avons pas trouvé de cas dans lesquels l’administration n’aurait pas été formellement empêché de présenter l’exception de prescription devant le tribunal administratif, et l’aurait présenté en appel, le juge d’appel évoquant la demande de première instance.
Nous pensons que vous pouvez suivre le raisonnement tenu pas le Conseil d’Etat en matière de régularisation d’une irrecevabilité.
(CE 27-01-95 SCI DU DOMAINE DE TOURNON ET AUTRES-T. p.961-1001).
A partir du moment où le jugement est annulé, vous pouvez soit renvoyer le dossier au tribunal administratif, soit évoquer. Si vous le renvoyez au tribunal administratif, ce dernier s’en ressaisit pour se prononcer pour la première fois sur le fond. Nous estimons qu’il en est de même si vous évoquez : (La juridiction d’appel, rappelle F G dans son cours de contentieux, qui opte pour l’évocation, se trouve dans la même situation et a les mêmes obligations et les mêmes pouvoirs que la juridiction de première instance à laquelle elle se substitue… l’annulation prononcée de la décision de première instance a fait disparaître entièrement cette décision(. En d’autres termes, ne pas aller dans le sens que nous vous proposons conduirait à remettre en cause les principes mêmes de l’évocation.
Vous serez sans doute conforté dans cette position par l’arrêt déjà cité (MINISTRE DU BUDGET c/ Mme Z). Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat a estimé que l’opposition de l’exception de prescription quadriennale pouvait régulièrement intervenir entre le délibéré et la lecture du jugement. La date butoir est donc la lecture de la décision de première instance. Si vous annulez le jugement, la décision est supposée n’être jamais intervenue. La prescription peut donc être opposée jusqu’à la lecture de la décision que vous prendrez sur la demande présentée devant le tribunal administratif de Versailles.
Nous estimons, vous l’avez compris, que l’exception de prescription quadriennale a été régulièrement soulevée. La créance étant prescrite depuis le 1er janvier 1998, nous vous proposons de faire droit à la requête du département en rejetant la demande présentée par M. X devant le tribunal administratif de Versailles.
Si ce raisonnement vous a convaincu, il ne faut pas minimiser la portée de votre décision qui peut connaître un prolongement dans d’autres contentieux. C’est une invitation à admettre qu’en évocation, le juge d’appel statue en qualité de premier juge. Ainsi, des moyens soulevés pour la première fois en appel et reposant sur une cause juridique distincte de celle des moyens évoqués en première instance, qui seraient normalement irrecevables, peuvent, dans certains cas, devenir recevables par la voie de l’évocation. Cette remarque vise essentiellement le plein contentieux. On peut penser, en particulier en matière de responsabilité dans les marchés publics, que le terrain de la responsabilité contractuelle pourra être utilement recherché en appel, alors qu’en première instance la recherche de responsabilité des constructeurs n’avait reposé, à tort, que sur le terrain de la garantie décennale.
En matière de responsabilité hospitalière également, le fondement de la faute pourra être soulevé valablement pour la première fois en appel, si le juge d’appel est amené à évoquer.
Par conséquent, votre arrêt aura une portée qui dépasse largement celle de l’opposition de la prescription quadriennale.
Il vous faudra, en dernier lieu, répondre à la demande d’exécution présentée par M. X.
Le jugement du 8 octobre 1998 a fait l’objet d’une procédure d’exécution menée avec diligence par le président de la cour, ce qui a amené le président du Conseil Général à informer à trois reprises la cour des mandatements dont avait bénéficié l’intéressé. De sorte que le président de la cour administrative d’appel, par une lettre du 7 septembre 1999, a procédé au classement administratif de la demande d’exécution. M. X s’estimant, sans doute, lésé par une exécution qui aurait été incomplète, a sollicité l’ouverture de la procédure juridictionnelle dont vous êtes saisi. Si vous admettez que la créance de l’intéressé était prescrite à la date à laquelle il l’a réclamée pour la première fois, ainsi que nous vous l’avons suggéré, votre arrêt n’entraîne aucune mesure d’exécution. La demande d’exécution ne peut qu’être rejetée.
Il reste deux derniers points à examiner :
Le département demande, d’abord, dans les trois dossiers, la condamnation de M. X à lui verser une somme au titre des frais non compris dans les dépens. M. X est la partie perdante, si vous nous suivez, mais l’équité commande, comme vous y autorise l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, de ne pas le condamner.
Le département vous demande ensuite de supprimer quelques passages des écritures de M. X qui présenteraient un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire, en application de l’article 41 de la loi du 9 juillet 1881. M. X s’est effectivement laissé aller à quelques débordements qu’expliquent, sans les justifier, à la fois sa situation personnelle et le climat particulier qui a pu régner au Conseil Général de l’Essonne. Si vous estimez que ces inconvenances sont telles qu’elles entrent dans le champ d’application de la loi de 1881, vous les supprimerez.
PCMNC
A l’annulation du jugement.
Au rejet des requêtes n( 99PA00523 et 99PA03149 de M. X.
Au rejet de la demande présentée par M. X devant le tribunal administratif de Versailles.
Au rejet du surplus des conclusions de la requête du DÉPARTEMENT DE L’ESSONNE n( 99PA00896.

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