CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 94PA00160

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 28 juin 1993
Précédents jurisprudentiels : CE 7 novembre 1953 N° 11953

Texte intégral

N° 94PA00160
Audience du 19 janvier 1995
Lecture du 2 février 1995
MINISTRE DU BUDGET c/ Société Générale
Conclusions de Mme X, Commissaire du Gouvernement
Vous êtes régulièrement saisis par le ministre du budget, d’un jugement en date du 29 juin 1993 par lequel le tribunal administratif de Paris a accordé à la société anonyme Société Générale, la décharge du complément d’impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre des années 1982, 1983 et 1985.
Cette imposition supplémentaire, procédait d’un redressement, consécutif à une vérification de comptabilité de la Société Générale effectuée du 3 juin 1986 au 17décembre 1987 et portant sur les exercices clos les 31 décembre des années 1982 à 1985. A l’issue de ce contrôle le service a réintégré dans les résultats imposables à l’impôt sur les sociétés des sommes analysées comme constitutives d’un profit, sommes afférentes aux contrats d’assurance-groupe souscrits par la Société Générale auprès de différentes compagnies d’assurances.
I)- En premier lieu, le ministre du budget soulève l’irrégularité du jugement du 29 juin 1993, dès lors, qu’en méconnaissance de l’obligation faite par l’article R.200 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, le jugement ne comporte pas la mention selon laquelle l’audience à laquelle l’affaire a été portée, a été publique.
Tout jugement doit porter en lui-même la preuve de sa régularité. Doivent y figurer les mentions dont la présence est exigée par une disposition législative ou réglementaire.
L’article R.195 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel prévoit que « les audiences des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel sont publiques » et l’article R.200 du même code précise : « Les jugements et arrêts mentionnent que l’audience a été publique ».
La jurisprudence veille au respect de cette prescription. En tant que juge de cassation, le Conseil d’Etat a annulé un arrêt d’une cour administrative qui ne mentionnait pas que l’audience à laquelle l’affaire avait été portée, était publique (ce 23 novembre 1992 n° 116317 SARL discothèque du Sud-Ouest DF 1993 c. 863 ; RJF 1/93 n° 135).
En l’espèce il n’y a pas beaucoup de doute sur le caractère public de l’audience dès lors que le jugement précise que la Société Générale a présenté des observations. Mais comme le soulignait M. Y de Casanova, commissaire du Gouvernement, dans ses conclusions sur l’affaire précitée de 1992, la société requérante pourrait être entendue même au cours d’une audience non publique.
Ainsi le jugement attaqué du tribunal administratif de Paris ne faisant pas la preuve que la procédure à l’issue de laquelle il a été prononcé, a été régulière, nous vous proposons d’annuler le jugement, et dans les circonstances de l’espèce d’évoquer et de statuer sur la demande.
II)- Pour en venir au fond du litige :
Les assurances de groupe sont des assurances souscrites collectivement par un ensemble de personnes qui présentent des caractères communs et relèvent des mêmes conditions techniques ; elles connaissent un grand développement, dans leur utilisation par les organismes de crédit pour se garantir contre diverses causes de carence de leurs débiteurs (décès, invalidité, accident, etc).
C’est dans ce cadre que la Société générale a conclu plusieurs contrats de groupe, auprès de diverses compagnies d’assurances, contrats couvrant les membres de son personnel pour les uns, et ses clients pour les autres.
Ces contrats ont pour objet de substituer les versements contractuels des assureurs aux versements dus par les membres du personnel ou des clients débiteurs se trouvant momentanément ou durablement, pour des raisons précisées au contrat, dans l’impossibilité de faire face aux remboursements des prêts qui leur ont été consentis par l’établissement bancaire.
Ces contrats comportent une clause dite de « participation aux bénéfices» qui prévoit les conditions dans lesquelles seront affectés les résultats du contrat. A ce titre, les assureurs établissent chaque année un compte de résultats ; y figurent notamment:
- au crédit :
. les primes versées au cours de l’exercice ;
. les provisions pour sinistres à régler au dernier jour de l’exercice précédent ;
- au débit :
. les sinistres réglés dans l’exercice ;
. les provisions pour sinistres à régler à la clôture de l’exercice ;
. les frais de gestion fixés en pourcentage des cotisations ;
. l’excédent du solde débiteur éventuel de l’exercice précédent.
Le compte ainsi établi fait apparaître en fin d’exercice soit un solde créditeur, soit un solde débiteur.
Quand l’exercice dégage un crédit, les assureurs affectent alors un pourcentage de celui-ci à une réserve de stabilité.
Quand l’exercice s’avère déficitaire, les assureurs prélèvent sur la réserve de stabilité les sommes nécessaires à l’ajustement du compte annuel.
Ce sont ces réserves de stabilité des années 1982, 1983, et 1985, que le service a réintégré dans les bénéfices imposables de la Société Générale, estimant que cette réserve de stabilité constituait des sommes dont la banque était propriétaire, ou à tout le moins, des sommes sur lesquelles la banque avait une créance acquise au sens de l’article 38 du code général des impôts. L’administration indique d’ailleurs, sans être contredite, que ces réserves figurent normalement au passif du bilan des compagnies d’assurance, et que, dès lors, les sommes en litige ne constituent pour ces compagnies, ni des réserves obligatoires, ni des provisions réglementaires ; qu’elles ne se présentent pas comme des capitaux propres de ces compagnies, mais comme des dettes envers des tiers.
La Société Générale conteste fermement cette appréciation de l’administration en soulignant pour sa part que : « C’est dans les écritures de la compagnie d’assurances que l’on trouve les seules traces de la réserve de stabilité ; le décompte périodique de la situation du contrat que la compagnie est tenue d’établir est lui-même extra-comptable et ne sert qu’à mesurer les versements ou les retraits que l’assureur doit opérer dans la réserve ; il ne s’ensuit, pour la banque, aucune écriture comptable, aucun virement à son profit, aucun enregistrement de « produits acquis » sur une réserve qui, jusqu’à la résiliation du contrat, n’appartient qu’à l’assureur, seul exploitant du contrat ».
La banque précise en revanche, que quand la réserve de stabilité dépasse un certain plafond, généralement prévu au contrat, les partenaires, assureur et banque, admettent alors un véritable bénéfice du contrat, qui est constaté dans une « réserve d’excédent », mis à la disposition de la banque, avec transfert financier et écriture comptable ; il est constant que les versements effectués à ce titre par les assureurs ont été comptabilisés dans les produits de la banque et régulièrement imposés. Mais le redressement litigieux porte sur la totalité des réserves dites de stabilité prévues dans les différents contrats entre la Société générale et des assureurs.
Comme le souligne l’administration, peut-on postuler que les sommes générées par l’assurance-groupe puissent être versées dans la litigieuse « réserve de stabilité », pour une durée indéterminée, en totale franchise d’impôt ? Tel est le nœud du litige.
Or pour résoudre cette question, il n’est nul besoin de savoir qui est propriétaire de la somme. A cet égard, le fait qu’un assureur affirme qu’il est propriétaire des sommes en litige est donc sans influence sur la solution du litige. Ce qui importe, au regard du droit fiscal, c’est le droit de créance.
Il est, à notre sens, évident, que la banque a une créance sur ces sommes, le seul problème étant celui de son exigibilité.
Nous nous appuierons, pour éclaircir ce problème sur les contrats transmis en pièces jointes en première instance, contrats ou polices d’assurance-groupe passés entre divers assureurs et la Société Générale.
Certains contrats sont sans équivoque :
Contrat en date du 4 février 1974 -PJ 7- : Article 21 « compte de résultats », le solde créditeur du compte de résultats de l’exercice est attribué à 95% de la banque. Ce montant est viré à une réserve de stabilité.
Contrat en date du 10 novembre 1971 -PJ 12- : Article 14 « participation aux bénéfices », avec trois sous-parties :
- détermination du compte de résultats,
- montant de la participation attribuée,
- utilisation de la participation attribuée.
Il semble résulter de ce contrat que la participation sert à compléter l’acompte provisionnel net de taxe de l’assurance-décès (donc de moyen de paiement pour la banque), et le reliquat est mis en réserve de façon à pourvoir ce complément pour les années ultérieures au cas où une insuffisance de la participation ne permettrait pas d’y faire face. Enfin si la réserve est supérieure à 100 % des cotisations nettes afférentes à l’exercice, l’excédent pourra être utilisé au profit des assurés.
Contrat -PJ 13- : Contrat particulièrement clair, chapitre VII « participation aux bénéfices », le solde du compte de résultats annuel est attribué à 40 % au souscripteur. Ce montant est viré à une réserve de stabilité. Lorsque cette réserve, calculée en fin d’exercice, excède 60 % du montant de la prime du dernier exercice, l’excédent est mis à la disposition du souscripteur.
Contrat en date du 26 mars 1970 -PJ 14- : Le même dispositif que celui prévu au contrat PJ 12. La réserve est dite « ®de sécurité ».
Des dispositifs identiques ou comparables apparaissent dans les contrats PJ 16 ; PJ 17 ; PJ 18 ; PJ 19.
Les autres contrats ne comportent aucune clause contraire à celles qui viennent d’être mentionnées.
Il résulte donc de l’ensemble de ces contrats qu’au titre de la participation au bénéfice du contrat, un pourcentage, variable et déterminé au contrat, est attribué au cocontractant par la Compagnie d’assurance ; que d’un commun accord ces sommes sont virées à un compte de réserve afin de permettre dans certains cas de compléter l’acompte provisionnel net pour atteindre la prime finalement due, et afin de permettre, dans tous les cas, d’éviter des hausses de cotisation pendant la période d’exécution du contrat. En cas de résiliation du contrat, la banque recevra le solde créditeur de la réserve de stabilité.
Ces contrats établissent donc, à notre sens, que la banque bénéficie annuellement d’une créance acquise auprès d’une compagnie d’assurance, qui est certaine dans son principe et son montant et si, elle le reconnaît elle-même, elle ne dispose jusqu’à la résiliation dudit contrat que de « droits virtuels »,c’est en raison des termes mêmes du contrat, c’est à dire de l’accord contractuel sur l’utilisation des sommes correspondants à cette créance. Sans clause contractuelle relative à leur utilisation, les sommes en cause devraient être versées annuellement à la banque, leur principe et leur montant étant fixés lors de l’établissement du compte de résultats.L’indisponibilité partielle de la créance résulte donc du contrat et des modalités de gestion retenues entre les parties.
Il résulte en effet aussi, clairement, de ces contrats que l’assureur n’assure pas seul les risques du contrat, et à l’interrogation formulée par la banque dans son mémoire en défense, en appel, sur le fait que l’appréciation de l’administration, que nous reprenons à notre compte, conduit à un paradoxe -à savoir que la Société Générale serait en partie son propre assureur dans une situation où elle a précisément recherché la couverture d’une compagnie d’assurance- nous répondrons que le paradoxe n’est qu’apparent ; en effet il ne nous semble pas anormal qu’une des parties au contrat qui est intéressée aux bénéfices, supporte également une partie des risques du contrat.
Nous ajouterons que cette ambiguïté sur la nature propre du contrat d’assurance ne se retrouve pas uniquement dans les assurances-groupe décès invalidité ; d’une manière générale, en matière de contrat d’assurance sur la vie comme dans toute assurance, la société d’assurances doit constituer une provision technique destinée à faire face aux engagements qu’elle a pris envers ses assurés ; mais, en matière d’assurance sur la vie cette provision technique présente des caractères propres,d’abord parce qu’elle est calculée mathématiquement, d’autre part, et surtout, parce qu’elle constitue une masse sur laquelle les assurés ont des droits. Sans entrer dans le détail de la gestion de cette réserve mathématique nous dirons que, si pour des nécessités commerciales, les compagnies d’assurance établissent des primes annuelles uniformes d’assurance-vie, ces primes sont supérieures au risque pendant les premières années et deviennent inférieures à partir d’un certain nombre d’années. C’est l’excédent des premières années qui tend progressivement à disparaître, qui sert à constituer la provision mathématique. Or si cette provision est la propriété de l’assureur représentée à l’actif de son bilan par des immeubles ou des valeurs mobilières, les assurés ont sur ces provisions un droit de créance assorti à leur profit d’un privilège général sur l’actif mobilier de la compagnie, cette créance des assurés étant arrêté au montant de la provision mathématique. [Voir à ce sujet l’ouvrage Les Assurances terrestres – M. Z et A. B Tome premier – Le contrat d’assurance – LGDJ – 5e édition – 1982 – pages 711 et suivantes].
Enfin pour en revenir plus précisément au dossier, nous soulignerons que l’arrêt cité par l’administration (CE 7 novembre 1953 N° 11953), bien qu’assez ancien et isolé, paraît parfaitement topique, contrairement à ce que soutient la Société Générale ; les profits dégagés par l’assureur sont en l’occurrence pour partie attribués à la banque et le compte fonctionne donc au moins partiellement au profit de la banque, comme les comptes de compensation de l’arrêt de 1953 en faveur de la compagnie.
Par ces motifs, nous concluons :
- à l’annulation du jugement attaqué en date du 29 juin 1993 du tribunal administratif de Paris ;
- au rétablissement de l’imposition litigieuse.
- au rejet de la demande de la Société Générale.

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