CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 03PA04599

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : CAA Bordeaux 20-11-2000 consorts L n° 98BX00660 et 100 000 F
CAAP 9-5-2005 M.et Mme M n° 01PA02067
CE 17-5-2000 département de la Dordogne n° 164738
CE 2-12-1987 Compagnies Air Inter et Air Afrique n° 65517
CE 25/7/86 Min. transports Leb. T. p. 746
CE 2/6/1982 Vic. Leb T p. 761
CE 26/7/1982 Min. défense/Soc. Spantax, p. 313
CE 26 février 1964, soc. générale d'entreprise Rec. p. 149
CE 28/6/1989 soc. Uni-Air n° 75335
CE 5-5-1982 Mlle N n° 23737
CE Ass. 3-3-1978 Dame Muesser, p 116
CE Cie Air Inter du 22 mars 1989 n° 89360

Texte intégral

Arrêt 03PA04599 – 03PA04730
Séance du 20/09/2006
Lecture le 04 octobre 2006
Conclusions de O P, commissaire du gouvernement
Le 20 janvier 1995 à 17 h 32, un avion Falcon 20 de la compagnie Leader Unijet à destination de Sibiu en Roumanie (vol privé pour le compte de la société Exair du groupe Saint-Louis) s’est écrasé en feu sur une piste de l’aéroport du Bourget 3 minutes après son décollage Tous les occupants (3 membres d’équipage et 7 passagers) sont décédés sur le coup et l’aéronef entièrement détruit.
L’enquête a établi que l’incendie brutal du réservoir de carburant qui a entraîné la chute de l’appareil avait été déclenché par l’aspiration, lors du décollage, de nombreux oiseaux, des vanneaux huppés, par le réacteur gauche de l’appareil. En pénétrant dans le moteur, les volatiles ont provoqué sa surchauffe puis la projection de certains de ses éléments en fusion, qui ont perforé la paroi de l’avion dans la zone des réservoirs du carburant. L’incendie qui s’est alors déclaré s’est immédiatement communiqué à tout l’appareil qui, malgré une tentative d’atterrissage, s’est écrasé au sol. Il s’agit là, selon l’expert désigné par le TGI de Bobigny qui a déposé son rapport le 3 octobre 1995, d’un enchaînement de circonstances très rare, « à la limite de l’événement improbable », puisque ce type d’avarie ne s’est produit qu’une seule fois au cours d’un peu plus d’un million d’heures de fonctionnement de réacteurs. C’est, avec la destruction d’un moteur de Concorde également en janvier 1995, à New York, l’événement le plus grave enregistré en France ou par une compagnie française avec des oiseaux.
La compagnie aérienne ainsi que les ayants-droit des victimes ont d’abord porté plainte pour homicide involontaire à l’encontre du commandant de l’aéroport (M. X) et du chef de quart du bureau de piste (M. Y). La procédure judiciaire s’est conclue par jugement du 5 juin 2002 du tribunal de grande instance de Bobigny confirmé le 6 mai 2004 par la cour d’appel de Paris, relaxant les inculpés tout en reconnaissant leurs fautes. Parallèlement, le tribunal administratif de Paris a été saisi par les mêmes plaignants der plusieurs requêtes enregistrées entre 1998 et 2000, dirigées contre l’Etat et parfois aussi contre ADP.
Par 6 jugements (l’un du 30 avril 2003, quatre du 15 octobre 2003 et un dernier du 28 avril 2004), ce tribunal a retenu la faute de l’Etat qu’il a condamné à verser diverses sommes à la compagnie et aux 7 familles de victimes.
L’Etat a régulièrement fait appel de ces jugements. La société Unijet, les familles de M. Z, Mlle A, MM QHana, Muguiro et D ont déposé des recours croisés. Les deux autres familles (C, Mermoz) ont formé des appels incidents dans le cadre des requêtes présentées par l’Etat.
Ce sont donc au total dix requêtes qui posent la même question générale de la responsabilité par laquelle nous commencerons avant de distinguer, le cas échéant, la recevabilité des demandes pour chaque victime et l’évaluation des préjudices.
Sur le principe de la responsabilité :
La question des dommages causés par des oiseaux aux aéronefs pose celle de la personne responsable (le concessionnaire de l’aéroport, ici ADP, ou l’Etat) ainsi que celle du fondement de responsabilité (défaut d’entretien normal, faute lourde ou simple). L’arrêt du CE 2-12-1987 Compagnies Air Inter et Air Afrique n° 65517 aux conclusions de M. B et commenté par le Pr Llorens dans une note de jurisprudence fort intéressante, est particulièrement éclairant. Dans cette affaire, où deux avions avaient subi d’importants dommages en heurtant des oiseaux lors du décollage, et où les compagnies requérantes s’estimaient victimes d’un dommage de travaux publics, il a été jugé clairement que « les couloirs aériens d’un aérodrome ne constituent pas un ouvrage public » ; « ne peut donc être invoquée, sur le terrain du dommage de travaux publics le défaut d’entretien normal que constituerait la présence de volatiles dans ces couloirs ».
Mais en va-t-il de même de même de la présence de mêmes volatiles sur les pistes ? La société Unijet, dans l’affaire que vous examinez aujourd’hui, soutient précisément le dommage a été causé par des oiseaux stationnant en bordure de piste, ce qui l’amène à invoquer le défaut d’entretien normal (p. 8 de sa requête). Mais en ce cas, sur ce fondement, c’est la responsabilité d’ADP, concessionnaire de l’ouvrage public que constituent l’aéroport et ses pistes, qu’elle aurait dû rechercher, ou rechercher également, ce qu’elle n’a pas fait, se bornant à attaquer l’Etat. En revanche, dans la requête présentée au tribunal administratif de Paris par les consorts C, était demandée la condamnation solidaire d’ADP et de l’Etat, celle d’ADP sur le fondement du dommage de travaux publics. Ce dernier fondement est repris par les mêmes, à titre subsidiaire, dans leur appel incident sous le n° 03-4598, du fait du défaut de fonctionnement de la ligne de hauts parleurs bruiteurs. Il est surtout repris, très fermement, par les consorts D, Muguiro et QHana dans leur appel incident sous le n° 03 4600 ainsi que dans la requête 04 588, les intéressés contestant la mise hors de cause d’ADP par le tribunal administratif.
L’arrêt Air Inter de 1987 précité, qui écarte la responsabilité du concessionnaire de l’aéroport pour défaut d’entretien normal dès lors que les couloirs aériens ne constituent pas un ouvrage public, juge que la lutte contre le péril aviaire sur les aérodromes relève des services de la navigation aérienne et que, si elle est mal conduite, c’est la responsabilité de l’Etat qui est recherchée. Il ressort des conclusions du commissaire du gouvernement B sous cet arrêt qu’il y a lieu de distinguer selon que l’avion vole ou roule : « une fois que l’appareil a pris son vol au décollage ou quand il est encore en l’air à l’atterrissage, a fortiori en cours de navigation, il n’est pas l’usager d’un ouvrage public ». Le commissaire poursuivait : « il y a certes quelque artifice à faire un sort différent à l’appareil dont les roues viennent de quitter le sol et à celui qui roule sur la piste. Mais il faut bien faire passer la limite quelque part et une fois que l’avion a décollé, nous ne voyons pas bien où elle pourrait être tracée ». Dans ses conclusions sous CE Cie Air Inter du 22 mars 1989 n° 89360, le commissaire du gouvernement M. E, relevait que « cette distinction, justifiée d’un point de vue conceptuel, s’avère évidemment artificielle dans la pratique, le décollage des aéronefs constituant une opération continue dans laquelle il est en réalité malaisé, pour des raisons techniques, de distinguer diverses phases successives ».
Autrement dit, il n’est pas inenvisageable, en cas d’accident imputable à des oiseaux, de rechercher tant la responsabilité du concessionnaire d’un aéroport pour défaut d’entretien normal que celle de l’Etat pour carence dans sa mission de lutte contre le péril aviaire lorsque l’avion n’a pas encore décollé. Mais celle du concessionnaire aurait peu de chances d’être retenue. Ainsi, pour un avion entré en collision avec des oiseaux au moment où il s’apprêtait à décoller, a-t-il été jugé que « la circonstance que des volatiles se soient trouvés présents au-dessus de la piste qu’empruntait l’avion ne révèle pas l’existence d’un défaut d’entretien normal de nature à engage la responsabilité d’ADP » (CE 28/6/1989 soc. Uni-Air n° 75335). Quant à la faute commise dans l’exercice de la mission de prévention du péril aviaire, également invoquée par la société requérante dans cette affaire à l’encontre de l’établissement public concessionnaire (ADP), le même arrêt rappelle qu’elle ne peut être imputée qu’à l’Etat, dont la responsabilité n’était pas recherchée.
Au cas d’espèce, il n’est pas contesté et il résulte de l’instruction que c’est lors du décollage que les vanneaux huppés ont été aspirés par le réacteur gauche de l’appareil. Comme dans l’affaire précitée CE Cie Air Inter du 22 mars 1989, l’accident est survenu au cours même de la phase de décollage, ce qui implique, comme le disait M. E, de se prononcer sur une question de fait : la collision avec les oiseaux à l’origine du dommage est-elle intervenue alors que l’aéronef avait déjà quitté le sol, auquel cas la responsabilité ne saurait être engagée sur le fondement du défaut d’entretien normal, ou les roues de l’appareil étaient-elles encore, à cet instant, en contact avec la piste, auquel cas cette responsabilité pourrait, à l’inverse, être recherchée sur un tel fondement.
L’examen du dossier, notamment le rapport du Bureau Enquêtes accidents permet de répondre à la question. A partir du dialogue enregistré entre les deux pilotes, les experts ont conclu (p. 42) que l’avion a décollé (à 16 h 29 après un violent orage) et que « immédiatement après la rotation, le moteur gauche a ingéré plusieurs oiseaux ». C’est donc « aussitôt après le décollage », comme l’affaire Cie Air Inter du 22 mars 1989, que s’est produit l’accident. C’est donc à bon droit que le tribunal administratif a mis Aéroports de Paris hors de cause.
La responsabilité susceptible d’être engagée ne peut donc être que celle de l’Etat. Le fondement invoqué à titre subsidiaire par les consorts C de dommage de travaux publics imputable à ADP du fait du défaut de fonctionnement de la ligne de hauts parleurs bruiteurs ne saurait être retenu. En effet, selon l’article 1er de l’arrêté du 24 juillet 1989, la lutte contre le péril aviaire sur les aérodromes est un service rendu sous la responsabilité de l’Etat. L’Etat est donc seul responsable des défaillances de ce service, alors même qu’il aurait en l’espèce utilisé les moyens matériels et humains de l’établissement public Aéroports de Paris. Relevons néanmoins, ce que fait ADP en défense, que, postérieurement aux faits litigieux, la loi n° 98-1171 du 18 décembre 1998 a complété l’article L. 251-2 du code de l’aviation civile en prévoyant à la charge d’ADP l’aménagement et l’exploitation des installations qui ont pour objet d’assurer « un service de prévention du péril aviaire ». Mais cette disposition n’est pas applicable au cas d’espèce.
C’est donc à l’Etat seul que revient cette mission de police. Or, comme le relève le Pr Llorrens dans la note précitée, la responsabilité de l’administration du fait de ses activités matérielles de police est généralement subordonnée à l’exigence d’une faute lourde. Toutefois cette solution n’a rien d’absolu. Elle ne s’impose que si l’exercice de l’activité police présente des difficultés particulières ou exige la prise de décisions urgentes. C’est ainsi que la responsabilité des services de la circulation aérienne est soumise à l’exigence de faute lourde s’il s’agit d’une activité de contrôle guidage des appareils en vol (CE 26/7/1982 Min. défense/Soc. Spantax, p. 313). En revanche une faute simple suffit lorsque les mêmes services voient leur responsabilité mise en cause à l’occasion du guidage d’un appareil déjà posé vers son aire de stationnement (CE 2/6/1982 Vic. Leb T p. 761 ), ou encore au titre de leur activité d’information sur l’état des aérodromes et les conditions météorologiques (CE 25/7/86 Min. transports Leb. T. p. 746) ainsi que, et c’est ce que tranche l’arrêt Compagnie Air Inter de-1987, au titre de la lutte contre la présence d’oiseaux à proximité des aéroports. Cette dernière activité ne présente en effet pas de difficulté particulière de mise en œuvre. Toutefois et bien évidemment, s’agissant d’une action de police, l’administration est seulement tenue à une obligation de moyens et non de résultats.
Les moyens déployés sont divers : surveillance des pistes, suppression des cultures et des points d’eau susceptibles d’attirer les oiseaux, effarouchement par bruiteurs ou fusées crépitantes ou même destruction des volatiles. L’efficacité de ces mesures n’est pas garantie mais les moyens à mettre en œuvre, qui varient en fonction du classement de l’aéroport selon une échelle d’estimation croissante du péril aviaire de A à E, celui du Bourget étant classé D, sont fixés par des textes : les recommandations de l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale), un arrêté ministériel du 24 juillet 1989 et une instruction ministérielle du même jour, ainsi que, pour l’aéroport du Bourget, des consignes intérieures des 26 août, 9 septembre et 8 octobre 1991.
Pour retenir la faute de l’Etat, donc sa responsabilité, le tribunal administratif a relevé plusieurs défaillances du service de lutte contre le péril aviaire :
* aucune surveillance des oiseaux n’a été assurée après 16 h alors que « le matin même » un agent avait dispersé un grand nombre d’oiseaux et que le règlement intérieur prévoyait la poursuite de cette surveillance jusqu’à 18 h ;
* la ligne de hauts-parleurs bruiteurs destinée à effaroucher les oiseaux était hors d’usage depuis un an ;
* aucune information sur la situation ornithologique de la piste que devait emprunter l’avion n’a été communiquée au pilote avant le décollage.
L’Etat conteste chacun de ces griefs.
1/ Sur l’absence de surveillance du péril aviaire après 16 h :
L’Etat reconnaît que M. F, l’agent qui avait effectué cette surveillance l’après-midi (il avait notamment tiré 20 fusées crépitantes à 14 h pour effaroucher 300 à 400 vanneaux huppés près de la piste 25) et qui disposait à cet effet du véhicule 4x4 adapté, c’est-à-dire équipé des dispositifs prescrits (bruiteurs fusées crépitantes, fusil de chasse), M. F donc a quitté son service à 16 h, avec l’autorisation de son chef de quart, car il ne se sentait pas bien. Mais l’Etat fait valoir que d’autres agents ont assuré cette surveillance : la personne qui a convoyé un essencier de 16 h 20 à 16 h 50, ainsi que les 4 agents présents dans le bureau de piste qui ont continué, de leur poste, à surveiller la présence d’oiseaux – et n’ont rien vu.
Toutefois, aucune observation n’a été consignée par ces personnels durant leur service. N’est donc pas démontré l’exercice effectif de cette « surveillance » à distance qui, en tout état de cause, ainsi que l’a jugé le tribunal administratif, ne paraît pas correspondre pas à une véritable « surveillance anti-aviaire »au sens de l’arrêté du 24 juillet 1989. Quant aux déclarations a posteriori de Mme H, agent du bureau de piste conductrice de l’essencier, elles ne démontrent nullement qu’elle a circulé aux abords de la piste 25 où s’est produit l’accident.
C’est donc sans erreur de fait, contrairement à ce que soutient le ministre des transports, que le TA a jugé que la surveillance « normale » était interrompue au moment de l’accident.
2/ L’Etat met alors en avant les circonstances temporelles ainsi que météorologiques pour soutenir que la surveillance en cause était suffisante au regard des normes applicables.
L’accident se serait produit en « période nocturne » – c’est-à-dire, selon l’Etat, à un moment où il n’y aurait pas de péril aviaire puisque les oiseaux gîtent.
En réalité les vanneaux volent aussi la nuit. Quoi qu’il en soit, l’article 6 de l’arrêté du 24 juillet 1989 prévoit effectivement que le service est assuré «à l’exclusion de la période nocturne », ce qui signifie, au sens aéronautique du terme, que le service doit être assuré de 30 minutes avant le lever du soleil à 30 minutes après son coucher. Selon le ministre, les 1ers juges n’avaient pas à se fonder sur les consignes intérieures à l’aéroport prévoyant une surveillance jusqu’à 18 h.
Sur les faits, l’Etat soutient, p 9 de son mémoire ampliatif, que la nuit aurait été détectée à 16 h 48 au luminancemètre. Mais il s’agit alors d’une heure en temps universel, correspondant à 17 h 48 heure locale. Or à 17 h 32 heure de Paris (16 h 32 en temps universel en hiver), ce n’est pas encore la période nocturne, mais bien la période crépusculaire, la plus dangereuse, avec l’aube, quant au risque aviaire.
Par ailleurs en droit, il n’y a pas d’erreur à examiner, pour établir l’existence d’une faute de l’administration, si elle a respecté les consignes qu’elles s’est fixées à elle-même pour remplir sa mission, d’autant qu’en l’espèce ces consignes ne font que répéter l’obligation de la surveillance diurne et crépusculaire prévue par l’arrêté. L’absence de surveillance à 17 h 30, en méconnaissance de la réalité du péril, est donc bien fautive.
L’Etat soutient cependant que l’orage avait eu pour effet de disperser les oiseaux et qu’il n’était pas besoin (et d’ailleurs inefficace) de les effrayer pendant celui-ci. On peut certes admettre que les oiseaux ne volent pas pendant l’orage et qu’ainsi le péril aviaire est nul pendant celui-ci. Mais en l’espèce, le violent orage du 20 janvier s’est produit de 16 h à 16 h 25 GMT c’est-à-dire de 17 h à 17 h 25 heure locale. L’avion était d’ailleurs chargé peu avant 16 h « temps UTC » ainsi qu’il ressort de l’enregistrement des conversations et les pilotes ont dû attendre 25 minutes la fin de l’orage pour commencer leur décollage. Or, à 17 h 25, heure locale, donc après l’orage, les oiseaux ont repris leur vol, ou se sont réinstallés sur la piste ou en bordure de celle-ci, d’autant plus que la nuit approchait, qu’ils cherchaient les terrains favorables pour gîter, que les vanneaux affectionnent les grands espaces de végétation rase tels les accotements de piste et se posent volontiers sur les pistes dans certains conditions météorologiques, notamment après la pluie.
Au regard des circonstances temporelles ainsi que météorologiques, c’est donc plutôt une surveillance plus grande qu’à l’ordinaire qu’il fallait assurer, et sûrement pas une surveillance moindre.
3/ Toutefois, et c’est le 3e argument du ministre, les pilotes auraient commis une faute exonérant en tout ou partie l’Etat de sa responsabilité en ne signalant pas à la tour de contrôle les oiseaux aperçus au bord de la piste.
L’enregistrement des conversations montre qu’à 17 h 24 (quelques minutes avant le décollage), le copilote a dit au pilote commandant de bord : « regarde les oiseaux là », l’autre (qui lançait ses moteurs) ayant répondu « vas-y roule ma poule » …
L’Etat reproche donc aux pilotes de ne pas avoir respecté l’article 8 de l’arrêté du 24 juillet 1989, prévoyant que « les équipages doivent … signaler les concentrations d’oiseaux qu’ils détectent … aux organismes de la circulation aérienne avec lesquels ils sont en contact radio » et qu’ils ont ainsi pris sciemment un risque.
Contrairement à ce que soutiennent en défense la société Unijet et son assureur, l’obligation prévue à l’article 8 d’un arrêté qui concerne la prévention du péril aviaire sur les aérodromes (et particulièrement – article 2 – à l’atterrissage et au décollage) ne paraît pas limitée au signalement des concentrations d’oiseaux aperçues « en vol ». L’article 8 prévoit seulement que l’équipage est « en contact radio » avec un organisme de sécurité aérienne, ce qui est bien le cas pendant la phase de roulage sur l’aérodrome.
Pour autant, on ne saurait déduire du bref échange précité que les pilotes ont aperçu sur la piste 25 une « concentration » d’oiseaux susceptible de représenter un danger qu’ils auraient délibérément ignoré. Où se trouvaient exactement les « oiseaux » signalés « là » par le copilote, de quelle nature et combien ils étaient-ils, autant de questions sans réponse.
Peut-être et sans doute les pilotes auraient-ils été plus prudents si les services de l’aéroport les avaient avertis, comme l’impose la consigne locale n° 298/OG-BL pour les périodes hors 8h-12h et 14h-18h et le week-end où la surveillance n’est effectuée qu’à la demande, de ce qu’aucun moyen de lutte contre le péril aviaire n’était en fonctionnement. L’article 4 de l’arrêté est également clair sur ce point : « La dotation de moyens et leur réduction temporaire sont portées à la connaissance des usagers par la voie de l’information aéronautique ».
La faute de la victime alléguée par l’Etat ne peut donc être retenue pour l’exonérer, fût-ce partiellement de sa responsabilité.
Indiquons encore, toujours sur la responsabilité de la société victime, que l’Etat évoque en une ligne, dans son 1er mémoire une « défaillance des moteurs », qui aurait aggravé les conséquences de l’accident mais cette défaillance n’est pas établie par l’enquête.
4/ L’Etat soutient enfin qu’à supposer les fautes établies, le lien de causalité entre celles-ci et l’accident ne l’est pas.
On ne peut, il est vrai, affirmer avec certitude, que l’accident ne se serait pas produit si les moyens réglementaires de lutte contre le péril aviaire avaient été déployés (surveillance des pistes par un agent, bruiteurs en état de marche) ou si les pilotes avaient au moins été avisés de l’absence ou de la réduction momentanée de ces moyens. Dans l’arrêt précité CE 2-12-1987 compagnie Air inter, une collision avec des oiseaux s’est bien produite alors que l’Etat n’avait commis aucune faute dans la mise en œuvre de la lutte contre le péril aviaire. Certes encore, comme l’écrit le Pr Lllorens dans sa note précitée sur cet arrêt, « les oiseaux sont des êtres fort libres » et l’on ne peut donc exiger de l’Etat une obligation de résultat. Cependant l’Etat a une obligation de moyens. Il serait pour le moins paradoxal de l’exonérer de sa responsabilité lorsqu’il ne respecte pas les mesures qu’il a lui-même définies et que le sinistre redouté se produit, au motif que les mesures telles que prévues par les textes et dûment mises en place n’auraient peut-être pas suffi à éviter l’accident.
Comme en matière médicale, c’est la notion de perte de chance qui doit être retenue. Il y a incontestablement en l’espèce des fautes graves, une absence totale de surveillance du péril aviaire alors que les conditions locales (crépuscule, fin d’orage donc humidité, concentrations de vanneaux observées dans l’après-midi près des pistes…) rendaient ce péril particulièrement important. C’est bien la rencontre d’oiseaux qui a causé le dommage. Le lien entre les défaillances du service et l’accident ne peut donc être exclu, ce qui suffit pour engager la responsabilité de la puissance publique.
La circonstance que le juge pénal n’a pas retenu le lien causalité entre les fautes commises par les agents poursuivis pour « homicide involontaire » et l’accident est sans effet sur les conditions de la mise en jeu de la responsabilité administrative. L’appréciation à laquelle se livre un tribunal correctionnel sur le lien de causalité ne s’impose en effet pas au juge administratif (CE 26 février 1964, soc. générale d’entreprise Rec. p. 149). Le juge pénal a en effet sa propre jurisprudence : il faut un lien de causalité certain, qu’il soit direct ou indirect, entre la faute et le dommage mais le dommage ne doit pas consister en une « perte de chances », laquelle ne tombe pas sous le coup de la loi pénale, d’interprétation stricte.
La responsabilité totale de l’Etat sera donc confirmée et les six appels qu’il a formés seront rejetés sur ce point.
Nous en venons maintenant aux différentes demandes d’indemnisation et à la réparation des préjudices.
3/ Sur les n° 03 4599 et 03 4730 concernant M. A et M. I M. A est le père de Mlle K A, hôtesse de l’air décédée à l’âge de 24 ans. M. I était son concubin.
Par jugement du 15 octobre 2003, l’Etat a été condamné à verser 8 000 € à M. A au titre de son préjudice moral. La demande de M. I a été rejetée au motif qu’il n’apportait « pas le moindre commencement de preuve d’un concubinage stable et continu avec Mlle A ». M. A, âgé de 52 ans à la date du décès de sa fille, J, estime que la somme de 8 000 € qui lui a été accordée est insuffisante. Il fait valoir que K était la plus jeune de ses 3 enfants et vivait avec lui à Paris « jusqu’à ce qu’elle s’installe avec M. I » (en 1992). L’attitude de l’Etat durant la procédure aurait aggravé son préjudice moral.
La somme de 8 000 € (52 476,56 F) pour le père d’une jeune majeure peut paraître plus faible que ce qui a été parfois accordé (75 000 F pour la mère d’un jeune homme dans CE 17-5-2000 département de la Dordogne n° 164738, 80 000 F pour chaque parent d’un célibataire de 38 ans dans CAA Bordeaux 20-11-2000 consorts L n° 98BX00660 et 100 000 F pour chacun des parents d’un jeune homme de 19 ans dans CAAP 9-5-2005 M.et Mme M n° 01PA02067). Toutefois, pour un « enfant majeur hors foyer », comme l’était Mlle A, le référentiel de l’ONIAM préconise une indemnisation allant de 4 000 € à 6 000 €. M. A n’établit donc pas que son indemnisation a été sous-estimée. Le jugement sera donc confirmé sur ce point. M. I n’a rien obtenu, pour ne pas avoir démontré son concubinage stable avec Mlle A. Le droit administratif reconnaît en effet la douleur morale des concubins stables à l’égal de celle des époux (CE Ass. 3-3-1978 Dame Muesser, p 116 ; CE 5-5-1982 Mlle N n° 23737).
Pour démontrer son concubinage stable devant la Cour, M. I (âgé de 25 ans à la date du décès de Mlle A) fournit 5 témoignages datés de 2003 – dont celui de M. A – attestant qu’il s’est installé en 1992 avec Mlle A à La Varenne-St-Hilaire (94) après l’avoir rencontrée en 1990 dans une école de cinéma (l’ESEC) et qu’était toujours avec elle à la date de l’accident. Il fournit aussi quelques photos. Il avait déjà communiqué lors d’une note en délibéré au TA des relevés du compte bancaire commun ouvert en mai 1992 qui font apparaître une alimentation par chèques bancaires et une utilisation pour des dépenses courantes (Intermarché, Total, Continent …). La relation « stable » entre M. I et Mlle A est ainsi établie. Nous vous proposons d’accorder la somme de 7 500 € en réparation du préjudice moral subi par M. I ainsi que la somme de 1 500 € au titre de ses frais de procédure en appel.

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