Le Fiscal by Doctrine / Part. 1 - Sources du droit fiscal international / Ss-part. 2 - Sources du droit de l’UE / Chap. 6 - Les conventions internationales conclues par l'UE

Chapitre 6 - Les conventions internationales conclues par l'UE
Section 1 - Les compétences externes de l’UE : principes
Le traité attribue à l’UE des « compétences externes » lui permettant de conclure des conventions avec les pays tiers. Elle ne peut toutefois le faire que pour l’une des finalités fixées par le traité : en vertu de l’article 216, § 1 du TFUE, « L'Union peut conclure un accord avec un ou plusieurs pays tiers ou organisations internationales lorsque les traités le prévoient ou lorsque la conclusion d'un accord, soit est nécessaire pour réaliser, dans le cadre des politiques de l'Union, l'un des objectifs visés par les traités, soit est prévue dans un acte juridique contraignant de l'Union, soit encore est susceptible d'affecter des règles communes ou d'en altérer la portée ».
S’il en résulte que la compétence externe de l’UE est, comme sa compétence législative interne, une compétence d’attribution, la Cour de justice fait toutefois une interprétation large de cette dernière. Elle reconnaît en effet l’existence de compétences externes implicites, en jugeant que « la compétence de la Communauté pour conclure des accords internationaux peut non seulement résulter d’une attribution explicite par le traité, mais également découler de manière implicite d’autres dispositions du traité et d’actes pris, dans le cadre de ces dispositions, par les institutions de la Communauté ». Elle ajoute que « chaque fois que le droit de l’UE a établi, dans le chef desdites institutions, des compétences sur le plan interne en vue de réaliser un objectif déterminé, l’UE est investie de la compétence pour prendre les engagements internationaux nécessaires à la réalisation de cet objectif, même en l’absence d’une disposition expresse à cet égard »i.
Remarque
Par ailleurs, le traité envisage aussi la possibilité pour l’UE de participer à la création d’une nouvelle organisation internationale : l’article 217 du TFUE prévoit ainsi que « L'Union peut conclure avec un ou plusieurs pays tiers ou organisations internationales des accords créant une association caractérisée par des droits et obligations réciproques, des actions en commun et des procédures particulières ». Si une organisation fiscale mondiale était créée, l’UE pourrait donc, pour le compte des États membres, conclure le traité l’instituant.
Cette compétence de l’UE peut être exclusive ou partagée avec les États membres.
Selon une jurisprudence ancienne de la Cour de justice, elle est exclusive, notamment, lorsque des règles communes ont été adoptées par l’Union. Dans un tel cas, les États membres ne sont plus en droit, qu’ils agissent individuellement ou même collectivement, de contracter avec les États tiers des obligations affectant ces règlesi. La jurisprudence de la Cour reconnaît également d’autres hypothèses dans lesquelles la compétence externe de l'Union est exclusive, notamment, lorsque la conclusion d’un accord par les États membres est incompatible avec l’unité du marché commun et l’application uniforme du droit communautaire ou que, en raison de la nature même des dispositions communautaires existantes, telles que des actes législatifs contenant des clauses relatives au traitement à réserver aux ressortissants d’États tiers ou à l’harmonisation complète d’une question déterminée, tout accord en la matière affecterait nécessairement les règles communautairesi.
Ces principes ont été repris à l’article 3, § 2 du TFUE, selon lequel l'Union dispose « d'une compétence exclusive pour la conclusion d'un accord international lorsque cette conclusion est prévue dans un acte législatif de l'Union, ou est nécessaire pour lui permettre d'exercer sa compétence interne, ou dans la mesure où elle est susceptible d'affecter des règles communes ou d'en altérer la portée ». La Cour voit dans ces conditions la consécration, en substance, de sa jurisprudence antérieure ; elle juge notamment que la portée des règles de l’Union est susceptible d’être affectée ou altérée par des engagements internationaux lorsque ces derniers « relèvent d’un domaine déjà couvert en grande partie par de telles règles »i.
En revanche, la Cour n’a jamais reconnu la compétence exclusive de la Communauté lorsque, en raison du caractère de prescriptions minimales tant des dispositions communautaires que de celles d’une convention internationale, celle-ci ne pouvait empêcher la pleine application du droit communautaire par les États membresi.
Remarque
Relèvent notamment de la compétence exclusive de l’Union les accords conclus avec les pays tiers en matière commerciale, même lorsqu’ils comportent des clauses fiscales concernant par exemple l’imposition des services fournis à l’occasion de l’importation ou de l’exportation de marchandisesi.
La négociation et la conclusion de ces conventions obéit à une procédure spécifique prévue par l’article 218 du TFUE. Elle est menée par la Commission sous l’étroite surveillance du Conseil.
Tout d’abord, il revient au Conseil d’autoriser l'ouverture des négociations et d’arrêter les directives de négociation : la Commission ne peut négocier sans mandat. À cette fin, la Commission présente des recommandations au Conseil, qui adopte une décision autorisant l'ouverture des négociations et désignant, en fonction de la matière de l'accord envisagé, le négociateur ou le chef de l'équipe de négociation de l'Union.
S’il l’estime utile, le Conseil peut adresser des directives au négociateur et désigner un comité spécial, les négociations devant être conduites en consultation avec ce comité.
Pour finir, il revient au Conseil d’adopter la décision autorisant la signature puis celle portant conclusion de l’accord. La décision de conclusion de l’accord est adoptée soit après approbation du Parlement européen, soit après sa simple consultation, notamment en matière fiscale.
Remarque
À noter que c’est également le Conseil qui a compétence pour décider la signature d’un memorandum non-contraignant avec un pays tiers : même si aucun article des traités ne prévoit la conclusion de tels accords, la Cour de justice a considéré qu’elle était possible et que la décision de la signer fait partie des actes de définition des politiques de l’Union et d’élaboration de son action extérieure qui, en vertu de l’article 16 du TUE, appartiennent au Conseili.
Tout au long de la procédure, le Conseil statue en principe à la majorité qualifiée ou, par exception, à l’unanimité lorsque l'accord porte sur un domaine pour lequel l'unanimité est requise pour l'adoption d'un acte de l'Union, i.e. notamment si un tel acte est pris sur la base des articles 113 et 115 du TFUE (V. n° 101240 et s.).
Remarque
La jurisprudence de la Cour de justice vient rappeler que la conclusion d’un accord comportant des clauses fiscales ne doit pas nécessairement se fonder sur ces bases juridiques qui requièrent l’unanimité. En effet, lorsque la finalité principale de l’accord répond à une base juridique sectorielle, sa conclusion doit être fondée sur cette dernière base. Ainsi, elle a annulé la conclusion d’accords de transport avec la Hongrie et la Bulgarie, à l’époque pays tiers à l’UE, qui avait été fondée sur l’actuel article 113 du TFUE au seul motif qu’elle comportait notamment des stipulations fiscales : dès lors que l’objet de l’accord est de mettre en œuvre la politique communautaire des transports, sa conclusion doit être fondée sur l’article du traité relatif à cette politique, même s’il autorise le Conseil à décider par majorité qualifiéei (V. n° 101370).
Enfin, le traité prévoit que tout État membre peut recueillir l’avis de la Cour de justice sur la compatibilité d’un accord envisagé avec les traités (TFUE, art. 218, § 11). L’avis de la Cour peut notamment être recueilli sur les questions qui concernent la répartition des compétences entre l’Union et les États membres pour conclure un accord déterminé avec des États tiersi.
Une fois régulièrement conclus, ces conventions doivent être respectées par les États membres : en vertu du § 2 de l’article 216 du TFUE, « Les accords conclus par l'Union lient les institutions de l'Union et les États membres».
Les accords conclus par l’UE avec les pays tiers sont donc susceptibles d’avoir des effets juridiques contraignants sur l’application de la loi fiscale nationale des États membres.
Exemple
Ainsi, la Cour de justice a jugé que l’article 31 de l’accord d’association conclu entre la Communauté européenne et le Liban, qui prohibe les restrictions à la circulation des capitaux, a un effet direct et peut par suite être invoqué par un contribuable résident au Portugal qui perçoit des dividendes de source libanaisei, pour contester la loi portugaise qui autorise la déduction des dividendes perçus lorsqu’ils sont distribués par une société résidente du Portugal, mais ne le permet pas lorsque la société distributrice est résidente du Liban.
Le traité prévoit la possibilité de suspendre l’application d’un accord : il revient au Conseil, sur proposition de la Commission, d’adopter la décision sur cette suspensioni. Le Parlement européen est alors informé.
Section 2 - Les accords de coopération fiscale UE - pays tiers
Les accords conclus par l’UE et ayant des effets en matière fiscale ne se limitent pas aux exemples précédemment évoqués tenant aux accords commerciaux comportant des stipulations fiscales ou aux accords d’association garantissant les libertés de circulation avec le pays tiers concerné.
En effet, depuis quelques années, l’UE cherche à conclure avec les pays tiers des accords de coopération dans le domaine de la TVA dans un but de lutte contre la fraude et de facilitation du recouvrement des créances fiscales.
Ainsi, à la suite de négociations menées par la Commission sur la base d’un mandat délivré par le Conseil en décembre 2014, un premier accord de ce genre a été signé entre l’UE et la Norvège, le 6 février 2018 à Sofia. Il permet, d’une part, le recours à des procédures d’échange d’information par voie électronique ou de contrôle fiscal analogues à celles prévues par le règlement n° 904/2010 sur la coopération entre États membres dans ce domainei (V. n° 102240 et s.). D’autre part, il prévoit une obligation d’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances TVA, similaire à celle résultant de la directive 2010/24/UE sur l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances fiscales entre États membres (V. n° 102040 et s.). Il est entré en vigueur le 1er septembre 2018.
L’article 41 de l’accord crée un comité mixte composé de représentants des deux parties afin de veiller au bon fonctionnement et à l’application appropriée de l’accord. Il s’est réuni en avril 2019 et en novembre 2021. Le 19 juin 2022, le Conseil a autorisé la réouverture des négociations sur l'accord UE-Norvège afin de renforcer la coopérationi.
L’UE souhaite multiplier ce type d’accord, y compris avec des pays qui, à la différence de la Norvège, ne font pas partie de l’EEE et ne sont pas dotés d’un système de TVA complètement analogue à celui des États membres.
Bien sûr, l’accord de commerce et de coopération conclu avec le Royaume-Uni après le Brexit comporte, avec le protocole qui lui est annexé, des stipulations relatives à la TVA. Un comité spécialisé chargé de la coopération administrative en matière de TVA et de recouvrement des créances fiscales a été institué par cet accord.
Le 10 mars 2021, le Conseil a approuvé l'ouverture par la Commission de négociations avec la Chine en vue de la conclusion d'un mémorandum d'entente non contraignant. Ces discussions n'ont jusqu’ici pas abouti.
En outre, des contacts exploratoires ont lieu avec les autorités de l'Australie, du Canada, du Japon et de la Nouvelle-Zélande en ce qui concerne les possibilités d'une coopération administrative dans le domaine de la TVAi.
CJCE, plén., 7 févr. 2006, avis 1/03, Convention de Lugano, pt 114.
CJCE, 31 mars 1971, aff. 22/70, AETR, pt 17.
CJCE, plén., 7 févr. 2006, Convention de Lugano, avis 1/03, pt 122.
CJUE, gde. ch., 14 oct. 2014, Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, avis 1/13, pt 73.
CJUE, gde. ch., 14 oct. 2014, Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, avis 1/13, pt 123.
CJUE, 16 mai 2017, Accord de libre-échange avec Singapour, avis 2/15, pts 45 à 47, qui relèvent que le chapitre 6 de cet accord prévoit que les redevances et les taxes instituées pour les services fournis à l’occasion de l’importation ou de l’exportation de certaines marchandises n’excéderont pas le coût approximatif de ces services et en déduit ensuite que ce chapitre a donc pour objet essentiel de régir et de faciliter les échanges de marchandises entre les parties et relève par suite de la compétence exclusive.
CJUE, gde. ch., 28 juill. 2016, aff. C-660/13, Conseil c/ Commission, s’agissant d’un memorandum d’entente avec la Suisse.
CJCE, 11 sept. 2003, aff. C-211/01, Commission c/ Conseil (Transport de marchandises), pt 48.
CJUE, 14 oct. 2014, Adhésion d’États tiers à la convention de La Haye, avis 1/13.
CJUE, 24 nov. 2016, aff. C-464/14, SECIL, pts 130 et s. [Dr. fisc. 2016, n° 48, act. 670 ; Dr. fisc. 2017, n° 5-6, chron. 148, L. Berardeau, O. Peiffert et F. Schmied, spéc. n° 42].
TFUE, art. 218, § 9.
Cons. UE, règl. (UE) n° 904/2010, 7 oct. 2010, concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée.
Cons. UE, déc. (UE) 2022/1311/UE, 17 juin 2022, en ce qui concerne la coopération administrative, la lutte contre la fraude et le recouvrement de créances dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée.