Le Fiscal by Doctrine / Part. 10 - Procédure, contrôle et contentieux / Ss-part. 2 - Coopération entre administrations fiscales / Chap. 2 - Assistance administrative internationale / Sect. 7 - AAI et respect des droits fondamentaux / Ss-sect. 4 - Contrôle par le juge fiscal de la régularité de l’AAI

Sous-section 4 - Contrôle par le juge fiscal de la régularité de l’AAI
En droit de l’UE, le contrôle du juge fiscal sur la régularité de la mise en œuvre de l’AAI ne fait plus débat. On a vu que la Cour de justice de l’Union européenne impose au juge national de procéder au contrôle de la régularité de l’AAI lorsqu’elle est contestée par le contribuable à qui sont opposées les informations obtenues. Ainsi jugé en 2020 dans l’affaire B. et a. c/ État du Grand-Duché de Luxembourgi. La Cour a posé le principe que le contribuable devra pouvoir contester la régularité de la mise en œuvre de l’assistance administrative internationale :
« 82. Or, cette dernière décision [la proposition de rectification] constitue un acte à l’égard duquel le contribuable visé doit disposer d’un droit de recours effectif supposant que le tribunal saisi du litige soit compétent pour examiner toutes les questions de droit et de fait pertinentes pour résoudre ce litige, comme évoqué au point 66 du présent arrêt, et, en particulier, pour vérifier que les preuves sur lesquelles se fonde cet acte n’ont pas été obtenues ou utilisées en violation des droits et des libertés garantis à l’intéressé par le droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 17 décembre 2015, Web Mind Licenses, C-419/14, EU:C:2015:832, points 87 à 89) »i.
Au-delà du cercle des États de l’UE, si l’on reporte au modèle de convention de l’OCDE, la reconnaissance de ce contrôle n’est pas très explicite. L’article 26 du modèle de convention est silencieux à cet égard ; toutefois, le droit de recours d’un contribuable contre la transmission de documents est envisagé, incidemment mais comme allant de soi, dans le paragraphe 19.3 des commentaires, consacré au respect du secret des correspondances d’avocat. À propos de la question de savoir si l'État requis peut refuser de communiquer des renseignements relatifs aux communications confidentielles entre avocats ou aux documents remis à un avocat, le commentaire indique : « La question de savoir si des renseignements sont protégés en tant que communication confidentielle entre un avocat, ou autre représentant légal autorisé et son client devrait être jugée uniquement dans l’État contractant sur la base du droit duquel la question est soulevée ».
En France, le juge fiscal (du moins le juge administratif car nous ne connaissons pas de jurisprudence du juge judiciaire sur cette question) n’avait pas attendu cet arrêt de la Cour de Luxembourg pour accepter d’examiner des moyens dirigés contre la régularité de l’assistance administrative internationale, ni pour admettre que son irrégularité entraîne la décharge des impositions.
Ainsi, la cour administrative d'appel de Lyon juge (pour l'application des dispositions de la convention fiscale franco-allemandei, interprétées à la lumière des objectifs et des dispositions de la directive du 19 décembre 1977) que la procédure par laquelle un contribuable a été redressé sur la base d’informations obtenues auprès des autorités allemandes sans qu’il ait eu accès à ces informations, alors qu’il en avait fait la demande, était irrégulière, et prononce en conséquence la décharge des impositionsi. En l’espèce, le contrôle ne porte pas sur les conditions de mise en œuvre de l’assistance, mais sur l’utilisation des informations reçues.
La décision de principe d’exercer ce contrôle juridictionnel est l’arrêt Naco de la cour administrative d'appel de Parisi. La cour juge qu’il appartient au juge de l’impôt de vérifier la régularité de la procédure d’AAI, ce qui implique qu’elle soit produite au plus tard devant le jugei :
« Au titre de son contrôle de la régularité de la procédure d'imposition, il appartient au juge de l'impôt, saisi d'un moyen en ce sens par le contribuable exerçant son droit à un recours effectif, de vérifier, lorsqu'elle a permis de recueillir des informations utilisées pour établir une imposition contestée devant lui, si la demande d'assistance adressée par l'administration française aux autorités compétentes de l'Uruguay sur le fondement de la convention mentionné au point 12 a été exercée conformément aux stipulations de son article 5 ».
Dans la suite de son arrêt, la cour a examiné les termes de la demande d’assistance, ce qui signifie qu’elle en avait eu communication, mais on ignore si l’administration l’avait communiquée au cours de la procédure d’imposition ou seulement devant le juge fiscal. Elle a vérifié, à la demande du contribuable, que dans sa demande adressée aux autorités fiscales uruguayennes, l’administration française avait précisé qu'elle avait épuisé les moyens internes disponibles permettant d'obtenir les informations sollicitéesi.
Un pourvoi – non admisi - a été formé contre l’arrêt, mais la question du droit d’accès à la demande d’AAI n’a pas été soulevée par le ministre, ni évidemment par le contribuable. Il ne faut tirer de cette non-admission aucune déduction sur la question de savoir s’il appartient au juge de l’impôt de vérifier la régularité de la procédure d’AAI. On peut considérer que l’arrêt Nacoi de la cour administrative d’appel de Paris, devenu définitif, fixe à l’heure actuelle le droit. Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse approfondie et approbatrice d’un commentateur autorisé, Olivier Lemairei, dont on citera quelques passages :
« Par cet arrêt, la cour de Paris admet l'opérance des moyens tirés de l'irrégularité de la procédure d'assistance administrative internationale au regard des stipulations de la convention internationale qui la conditionnent et la limitent et elle accepte ainsi de contrôler le respect de ces stipulations, que les contribuables peuvent donc utilement invoquer au contentieux.
Répondant au moyen soulevé en l'espèce, elle juge en effet qu'« au titre de son contrôle de la régularité de la procédure d'imposition, il appartient au juge de l'impôt, saisi d'un moyen en ce sens par le contribuable exerçant son droit à un recours effectif, de vérifier, lorsqu'elle a permis de recueillir des informations utilisées pour établir une imposition contestée devant lui, si la demande d'assistance adressée par l'administration française aux autorités compétentes de l'Uruguay sur le fondement de la convention [...] a été exercée conformément aux stipulations de son article 5 » (...)
Les conclusions de la rapporteure publique ouvrent d'autres pistes stimulantes, et notamment la possibilité pour les contribuables de se prévaloir de ce que la demande dont ils font l'objet méconnaît « la clause qui réserve le droit au secret, et qui stipule que le dispositif d'échange de renseignements ne peut en aucun cas obliger un État à fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dans la communication seraient contraires à l'ordre public » ; une clause qui perdrait évidemment tout intérêt si son respect n'était pas contrôlé.
La reconnaissance de cette opérance est longuement motivée dans les conclusions d'Alexandra Stoltz-Valette, qui se fonde sur « l'effectivité du contrôle juridictionnel qu'impose le principe du respect du droit à un recours effectif », qui doit demeurer « une préoccupation centrale », et il faut sans doute la saluer ».
Jusqu’où s’étend l’interdiction pour l’administration d’utiliser les informations reçues par le canal d’une procédure d’AAI irrégulière : cette interdiction ne s’applique-t-elle qu’à l’égard du contribuable visé par cette demande d’assistance, ou bien également à l’égard d’un tiers concerné par ces informations ? La jurisprudence ne s’est pas prononcée, mais il semble que l’on puisse raisonner par analogie avec la solution d’un arrêt du Conseil d’État rendu à propos de documents que le service s’est procuré par une visite domiciliaire. Étant rappelé que, eu égard aux exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'administration fiscale ne peut se prévaloir, pour établir une imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge, le Conseil d’État juge qu'en particulier l'administration ne peut se fonder, pour établir une imposition, sur des éléments qu'elle a recueillis au cours d'une saisie réalisée dans des conditions illégales, que cette opération ait été conduite à l'égard du contribuable lui-même ou d'un tiersi.
Conv. fisc. France-Allemagne, revenus et fortune, 1959.
CAA Lyon, 5e, 18 juin 2020, n° 18LY02024, Rademakers (précité) [RJF 11/2020, n° 916 ; Fiscalité internationale 4-2020, n° 10, § 13, comm. B. Gibert et C. Pasquier].
CAA Paris, 7e, 9 févr. 2021, n° 18PA00038, Sté Naco (précité) [RJF 5/2021, n° 504 ; BF 5/21, inf. 479].
CAA Paris, 7e, 9 févr. 2021, n° 18PA00038, Sté Naco (précité), pt 15 [RJF 5/2021, n° 504 ; BF 5/21, inf. 479]. Le pourvoi contre cet arrêt a fait l’objet d’une non-admission (CE (na), 9e, 17 févr. 2022, n° 451629, Sté Naco (précité) [RJF 5/2022, n° 472, concl. É. Bokdam-Tognetti]).
CAA Paris, 7e, 9 févr. 2021, n° 18PA00038, Sté Naco (précité), pt 16 [RJF 5/2021, n° 504 ; BF 5/21, inf. 479].
CE (na), 9e, 17 févr. 2022, n° 451629, Sté Naco (précité) [RJF 5/2022, n° 472, concl. É. Bokdam-Tognetti].
CAA Paris, 7e, 9 févr. 2021, n° 18PA00038, Sté Naco (précité) [RJF 5/2021, n° 504 ; BF 5/21, inf. 479].
O. Lemaire, « Chronique de jurisprudence des cours administratives d'appel » [Dr. fisc., 2021, n° 39, chron. 373, spéc. § 16].
CE, 8e-3e, 23 nov. 2016, n° 387485, M. B [Dr. fisc. 2017, n° 5-6, comm. 153, note C. Cassan ; RJF 2/2017, n° 141, concl. B Bohnert].