Le Fiscal by Doctrine / Part. 4 - Imposition des revenus / Ss-part. 9 - Tantièmes, jetons de présence

Sous-partie 9 - Tantièmes, jetons de présence
Les jetons de présence sont traités par l'article 16 du modèle OCDE. Sa rédaction bénéfice d'une grande stabilité dans le temps mais continue encore à susciter de nombreuses interrogations, renouvelées notamment par la grande mobilité des dirigeants à l'ère du numérique. Cette étude examine classiquement le champ des revenus couverts et l'étendue des bénéficiaires (V. n° 429320 à 429530) puis la répartition des droits d'imposition (V. n° 429540 à 429650) où nous verrons que que les jetons de présence sont marqués par le primat de la résidence, le modèle ignorant délibérément leur État de source. Elle explore ensuite la manière dont cette règle est reçue par la France (V. n° 429660 à 429790), qui a une pratique orthodoxe en la matière, par le modèle concurrent des Nations Unies et d'autres pays (V. n° 429800 à 429950).
L'auteur s'exprime à titre personnel. Les développements qui suivent ont été rédigés à partir de documents rendus publics.
Introduction
Les jetons de présence, tantièmes et autres rétributions similaires sont couverts actuellement par l’article 16 du modèle de convention fiscale de l’OCDE. Ils rémunèrent, en substance, l’exercice des fonctions d’administrateur de société ou de membre de conseil de surveillance. Ces rémunérations se rencontrent le plus souvent dans des sociétés constituées sous la forme de société anonyme, laquelle peut être administrée par un conseil d’administration, selon la formule « moniste », ou un directoire et un conseil de surveillance, selon la formule « dualiste »i. Il est à relever que les rémunérations des membres du directoire ne sont pas des jetons de présence. Avant d’examiner le traitement conventionnel réservé à ces émoluments, une clarification terminologique s’impose.
En droit français des sociétés, le terme « jetons de présence » n’est plus d’usage, la loi « PACTE » l’ayant remplacé par celui, plus équivoque, de « rémunération »i. Ce dernier semble en effet moins connoté négativement que le précédent, lequel laisserait entendre que la simple présence aux réunions des organes de direction suffirait à percevoir ces émolumentsi, et ce, alors même qu’aucune condition d’assiduité n’est requise et que cette fonction s’est beaucoup professionnalisée. Toutefois, par commodité, c’est l’ancienne expression qui sera employée tout au long de cette étudei.
Les « tantièmes », qui, à la différence des jetons de présence, constituent une rémunération déterminée par référence à un pourcentage du bénéfice, se font, en France, plus rares. Les administrateurs de sociétés anonymes ne peuvent plus percevoir ce type de revenui depuis une loi du 31 décembre 1975i. Leur usage est toutefois plus fréquent dans certains pays disposant d’une tradition juridique analogue à celle de la France, comme le Luxembourg ou la Belgique.
Extraits du modèle de 1928 :
- Article 6 : « Les tantièmes des administrateurs et commissaires des sociétés par actions sont imposables selon la règle établie à l’article 4. »
- Article 4 : « Les revenus des actions ou des parts analogues sont imposables dans le pays où se trouve la direction effective de l’entreprise. »
La prise en compte des jetons de présence dans la fiscalité internationalei est très ancienne. Le 1er modèle de convention fiscale élaboré en 1928 sous l’égide de la Société des Nations leur consacrait déjà un article. Leur taxation suivait alors celle des dividendes, imposables dans l’État où se situe le « la direction effective de l’entreprise »i. Selon les concepteurs de ce modèle, il apparaissait comme indispensable d’aménager une règle spécifique pour les rémunérations perçues par les administrateurs de société, dès lors qu’il était difficile d’identifier précisément l’État dans lequel ces services étaient effectuési, à la différence des salaires par exemple, pour lesquels la détermination du lieu de l’exercice de l’activité semblait plus incontestable. Ainsi dans un contexte international, l’administrateur pourrait être considéré comme exerçant pour partie son activité depuis l’État où il réside, dans un État de transit ou l’État où se trouve le siège de la société où se tiennent les délibérations. Ces possibilités sont d’autant nombreuses que les administrateurs exercent souvent ces fonctions pour le compte de plusieurs sociétés. La tentation est alors forte pour nombre d’États d’attraire et d’imposer concurremment cette matière imposable, engendrant mécaniquement un risque d’imposition en cascade.
Si elle n’épuise pas totalement le débat concernant notamment la localisation du centre, la fixation de l’imposition de ces rémunérations dans l’État où se situe le centre de direction effective a le mérite de réduire le champ de la controverse : elle éteint les prétentions des États qui souhaiteraient appréhender ces revenus par le prisme du lieu d’exercice d’activité ou par celui de la simple présence d’un siège nominal de l’entreprise sur leur territoire.
Pour l’essentiel, la rédaction de 1928 préfigure celle du premier modèle de convention fiscale de l’OCDE du 30 juillet 1963, qui sera reproduite à, une exception près, par celui de 1977. Stabilisée depuis, la règle de taxation des jetons de présence trouve désormais son siège dans l’article 16 du modèle : « Les tantièmes, jetons de présence et autres rétributions similaires qu’un résident d’un État contractant reçoit en sa qualité de membre de conseil d’administration ou de surveillance d’une société qui est un résident de l’autre État contractant sont imposables dans cet autre État. ».
Cet article est placé juste après les stipulations qui intéressent les revenus d’emploi (Modèle OCDE, art. 15) et juste avant celles qui regardent les artistes et sportifs (art. 17) et les fonctions publiques (art. 19)i. Ce positionnement appelle deux observations. Contrairement à la conception qui présidait il y a près d’un siècle, les jetons de présence sont désormais considérés comme un revenu d’activité à part entière sur le plan conventionnel. Leur perception implique, en principe, un engagement continu de la part de leur bénéficiaire, comme pour les revenus d’emploi pris au sens large – englobant à la fois les salaires et la rémunération des fonctions publiques. Ce traitement contraste avec celui réservé par la législation française, qui les qualifie expressément de « revenus de capitaux mobiliers », au même titre que les dividendes par exemple (n° 429700 et s.). D’autre part, le fait de ne pas être rattaché aux revenus d’emploi – ou salaires -, tout en leur succédant immédiatement en fait une règle dérogatoire, à l’image des stipulations de l’article 17 et l’article 19. Ainsi, convient-il de discerner précisément dans le maquis des rémunérations des mandataires sociaux, ce qui relève des jetons de présence stricto sensu, et ce qui, au contraire, relève des revenus d’emploi, lesquels agissent comme qualification applicable par défaut.
Pour peu que son origine soit ancienne, cet article étonne encore par sa brièveté et les nombreuses ambiguïtés qui s’ensuivent. En l’absence de définition de ce qu’il faut entendre par jeton de présence perçu « en qualité » d’administrateur, des divergences entre États subsistent sur l’inclusion des rémunérations des administrateurs exerçant des fonctions exécutives en sus de celles de supervision. Le lecteur des commentaires du modèle OCDE est également frappé par le peu d’indications qui s’y trouvent sur ce que recouvre la notion de « rétribution similaire ». La doctrine administrative française, dans ses grandes lignes, ne s’épanche guère davantage, d’où la nécessité de sonder la pratique conventionnelle et sa réception par la jurisprudence des tribunaux français et étrangers pour saisir l’étendue des problématiques soulevées par ces stipulations. Il faut dire que l’enjeu, certes moins prégnant que celui de l’attribution de l’imposition des bénéfices, des revenus « passifs » et des gains en capital, n’est pas mince : l’internationalisation de la composition des organes de gouvernance des entreprises multinationales est également tributaire de l’absence de double imposition de ces revenus. Il y a donc un besoin pressant d’harmoniser les solutions retenues par les États en la matièrei.
Chapitre 1 - La définition des jetons de présence et rétributions similaires
Section 1 - La qualité de membres de conseil d’administration ou de surveillance d’une société
L’article 16 du modèle OCDE ne s’applique qu’aux seuls jetons de présence bénéficiant aux membres d’un conseil d’administration ou de surveillance d’une société et perçus en cette qualité. Incidemment, cette rédaction a pour effet d’exclure les dirigeants d’une société qui ne comporterait pas ce type d’organe, notamment celles qui ne sont pas organisées sous la forme d’une société anonyme.
En revanche, le terme « société » apparaît comme assez large pour couvrir certaines entités qui ne sont pas désignées comme telles dans la législation de l’État où elles disposent de leur résidence. L’article 3, § 1, b) du modèle OCDE le définit comme « toute personne morale aux fins d’imposition ». Il faut donc que la législation fiscale de l’État considéré assimile cette entité à une personne morale pour l’imposer. Ainsi n’importe quelle personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés doit être assimilée à une « société » pour les besoins de la convention. Il doit en être ainsi des établissements publics à caractère industriel et commercial établis en Francei. Les jetons de présence alloués aux membres de leurs organes délibérantsi sont donc en principe couverts par cette décision.
Selon la version anglaise du modèle, l’article 16 « Director’s fees » est rédigé en ces termes : « Directors’ fees and other similar payments derived by a resident of a Contracting State in his capacity as a member of the board of directors of a company which is a resident of the other Contracting State may be taxed in that other State.
La version anglaise du modèle se veut plus succincte, puisque n’y sont visés que les membres d’un « board of directors », qui est l’équivalent, dans les pays de droit continental, du conseil d’administration d’une société à modèle « moniste »i. Cet organe regroupe les fonctions de direction et de supervision, ce qui n’est pas le cas dans la formule « dualiste », où elles sont assurées par deux organes distincts – le directoire et le conseil de surveillance. La différence rédactionnelle entre ces deux langues authentiques du modèle ne semble pas avoir d’incidence sur la bonne application des stipulations de l’article 16.
L’article 16 ne distingue pas selon que le bénéficiaire des revenus est une personne physique ou morale. Il a donc vocation à s’appliquer indifféremment, si tant est que cette personne puisse être qualifiée de résident au sens de la convention fiscale considérée.
Les rémunérations qui échoient à un administrateur de facto semblent placées en dehors de l’orbite de cet articlei. L’énumération limitative des fonctions concernées, combinée à la présence de l’expression « en qualité », laissent penser que seules les personnes qui voient leur statut conféré objectivement par un acte formel (procès-verbal, statuts, loi...), qui est valable dans l’ordonnancement juridique de l’État considéré, peuvent bénéficier de cette règle. En d’autres termes, un certain degré d’officialité semble requis.
Cet attachement au formalisme répond à un besoin de pragmatisme. L’effectivité et la nature précise des missions exercées par les personnes concernées ne sont pas mentionnées, tant il paraît plus difficile de caractériser ces éléments sur le plan international : l’État de résidence du bénéficiaire de jetons de présence versés par une société résidente de l’autre État n’est pas nécessairement en mesure de corroborer ces éléments ; d’autant que ces missions peuvent être marquées par un certain degré d’indépendance dans la façon de les organiser et de les mener.
Cela étant, il n’en demeure pas moins que, pour ne pas être mentionné, le caractère effectif des missions doit être établi afin ne pas abuser de cette règle. À cet égard, les stipulations relatives à l’échange de l’informationi permettent, en principe, de réduire l’asymétrie d’information dans laquelle est placée l’État de résidence du bénéficiaire. Dans l’Union européenne, l’échange sur les jetons de présence présente d’ailleurs un caractère obligatoire et automatique, conformément à l’article 8 de la directive sur la coopération administrative dans le domaine fiscal (« DAC »)i. Du reste, l’administration peut, si les circonstances le justifient, mettre en œuvre la clause anti-abus insérée dans la convention fiscale considéréei.
« Cette règle d'imposition ne s'applique qu'aux rémunérations versées au bénéficiaire en sa qualité de membre du conseil d'administration ou de surveillance, et non au titre d'un emploi salarié qu'il exercerait au sein de la même société ou pour d'autres activités exercées auprès de cette société. »
Une certaine souplesse peut se manifester quant à l’étendue des organes considérés. Selon le commentaire de la convention fiscale franco-algérienne par exemple, les émoluments versés aux membres de directoire, bien qu’assimilés aux salaires dans la législation fiscale française (n°429530 et s.) sont inclus dans le champ de cette règlei. Il n’est toutefois pas sûr que cette solution soit transposable à l’ensemble des rédactions similaires. En atteste la doctrine administrative relative à la convention fiscale franco-luxembourgeoise laquelle suggère une interprétation littérale, conduisant à une exclusion a contrario des rémunérations versées aux membres d’un directoire, qui relèvent précisément des traitements et salaires dans la législation fiscale française. Le commentaire OCDE du modèle invite d’ailleurs les États à inclure expressément les organes « assimilables » au conseil d’administration ou le conseil de surveillance dans leurs conventions bilatérales, ce qui renforce l’impression que la règle ne peut être mise en œuvre qu’à leur endroiti.
Section 2 - L’étendue des rémunérations couvertes
L’ensemble des rémunérations perçues en qualité de membre de conseil d’administration ou de surveillance est couvert par cet article. Outre les tantièmes et jetons de présence, cela inclut l’ensemble des « rétributions » similaires.
Le § 2 des commentaires sous l’article 16 donne quelques indications sur les éléments de revenu qui n’entrent pas dans ses prévisions. La rémunération des autres activités réalisées au bénéfice de la société, telles que celles qui consistent à la diriger, la conseiller ou réaliser une mission ponctuelle à son profit, n’est « évidemment pas » comprise dans le champ de cet article.
Or, ces stipulations n’exhalent pas toujours le parfum de l’évidence. Si les jetons de présence rémunèrent pour partie des fonctions qui ne sont pas liées à celle d’administrateur ou si, à l’inverse, le revenu ne prend pas la forme nominale d’un jeton de présence pour ses fonctions d’administrateur, convient-il néanmoins de le rattacher à cet article ?
Il nous semble que dans le premier cas, l’exigence de percevoir lesdits jetons « en qualité » d’administrateur permet aisément d’exclure ceux qui rémunèrent d’autres fonctions. La doctrine administrative française abonde d’ailleurs dans ce sens, en précisant que « cette règle d’imposition ne s'applique qu'aux rémunérations versées au bénéficiaire en sa qualité de membre du conseil d'administration ou de surveillance et non au titre d'un emploi salarié qu'il exercerait au sein de la même société ou pour d'autres activités exercées auprès de cette société »i. Il n’y a donc pas de force d’attraction de l’article 16 qui permettrait de rattacher l’ensemble des rémunérations perçues, indépendamment de leur qualification, au titre de fonctions dépourvues de lien avec le mandat social.
Si la seconde question apparaît comme plus difficile à première vue, la lettre de l’article ne laisse toutefois pas le moindre doute : l’extension aux « rétributions similaires » oblige à dépasser le nominalisme juridique et à lui rattacher l’ensemble des revenus qui rémunèrent strictement les fonctions d’administrateur.
Le modèle OCDE entend par cette expression couvrir également les avantages en nature alloués aux administrateurs et fournit quelques illustrations que sont « les options d’achat d’actions, l’usage d’une habitation ou d’une automobile, le bénéfice d’une assurance-maladie ou d’une assurance-vie et les adhésions à des clubs »i.Cette énumération ne présente pas un caractère exhaustif, laissant donc aux États la liberté d’y inclure tout type de rémunération, pourvu qu’un lien étroit existe entre cette rétribution et les fonctions exercées en tant que membre.
En l’absence de définition dans le corps de la convention, les États peuvent, à moins que le contexte n’impose une interprétation différente, et conformément à la directive d’interprétation contenue dans l’article 3, § 2 du modèle, recourir à leur droit interne, étant précisé que la législation fiscale dispose en règle générale d’une préséance sur les autres branches du droit. Ainsi, la moindre difficulté quant à l’inclusion de tel ou tel revenu dans le champ de cet article autorise de puiser dans le droit interne une définition adéquate qui permette d’en déterminer le traitement conventionnel.
En la matière, ce recours semble inévitable pour faire la part des revenus qui entrent dans les prévisions des stipulations qui intéressent les salaires (Modèle OCDE, art. 15), les jetons de présence (art. 16), les autres revenus (art. 21) – également dénommée « clause-balai »i – voire celles afférentes aux gains en capital (art. 13)i. Une illustration a d’ailleurs été apportée récemment par la jurisprudence française sur le traitement des options d’achat (n° 429510 et s.).
L’option d’achat d’action ou stock-option permet à son bénéficiaire, un salarié le plus souvent, de souscrire des actions à un prix fixé au moment de l’attribution. Au moment de la levée de l’option, la valeur réelle est en règle générale supérieure à celle du prix de souscription, matérialisant un gain. Le traitement conventionnel de ce gain suscite deux difficultés. La première tient à la qualification du revenu – sommes-nous en présence d’un jeton de présence, d’un salaire, d’un gain en capital ou d’un autre revenu ? -, la deuxième, qui lui est intimement liée, résulte de la caractérisation du fait générateur de l’imposition – convient-il d’appréhender la levée de l’option qui donne lieu à l’attribution d’actions dans le chef du bénéficiaire ou les gains tirés de la cession ultérieure de ces titres ? La réponse à ces questions affecte naturellement la répartition des droits à imposer des différents États impliqués.
Le modèle OCDE prend le parti de considérer que l’option perçue en qualité d’administrateur constitue un jeton de présence jusqu’à ce qu’elle soit exercéei. Le gain tiré de la cession ultérieure des actions afférentes devient en revanche un gain en capital. Ainsi, le fait générateur d’imposition que constitue la levée d’option est appréhendé sous le prisme de l’article 16, tandis que celui constitué par la cession des actions est couvert par l’article 13. La conséquence est que l’imposition de l’État de la résidence de l’entreprise qui accorde des options d’achat d’action est préservée jusqu’à l’exercice, compris, de l’option, tandis que le gain de cession d’action n’est imposable, en principe, que dans l’État de résidence du cédant, conformément au § 5 de l’article 13 du modèle.
Cette lecture repose sur une autonomie conventionnelle totale : les concepteurs du modèle n’ont pas jugé utile de renvoyer à la législation interne pour résoudre cette difficulté. Il pourrait en être autrement, dans la mesure où les options d’achat d’action ne sont pas définies dans le corps de la convention. C’est précisément le choix retenu par le Conseil d’État dans l’affaire Zachariai, où elle a estimé qu’un recours à la législation fiscale française, conformément à l’article 3, § 2 de la convention franco-suisse paraissait comme indispensable pour identifier la qualification appropriée sur le plan conventionnel. En l’espèce, le gain tiré de la levée d’option par un ancien président directeur général d’une société anonyme au titre de son mandat social, considéré comme un complément de salaire aux termes de l’article 80 bis du CGI, et imposable, de ce fait, dans la catégorie des traitements et salaires aux fins de l’impôt sur le revenu, a été qualifiée de rémunération reçue « au titre d’un emploi salarié »pour les besoins de l’article 17 (salaires) de la convention précitéei.
D’après le point 12 de la décision Zacharia : « Dès lors qu'en application de la loi fiscale française, les rémunérations perçues par le président-directeur général d'une société anonyme au titre de son mandat social relèvent, pour leur soumission à l'impôt sur le revenu, de la catégorie des traitements et salaires, il découle de la règle énoncée par les stipulations précitées du 2 de l'article 3 de la convention franco-suisse que ces rémunérations doivent, pour l'application des clauses de la convention répartissant le pouvoir d'imposer entre les deux États, être regardées comme reçues au titre d'un emploi salarié au sens des stipulations du 1 de l'article 17 de la même convention. ». Cette décision établit un lien d’automaticité entre la qualification de droit interne et celle à retenir sur le plan conventionneli. L’assimilation de ces gains aux salaires par la législation fiscale suffit à leur donner une qualification identique dans la convention fiscale. Or, l’interprétation littérale des stipulations conventionnelles aurait pu conduire à envisager que l’article 18 de la convention franco-suisse (jetons de présence) comprenne l’ensemble des rétributions perçues en qualité de membre d’un conseil d’administrationi, y compris des éléments rattachés à la catégorie des salaires en droit interne. D’autant que ce rattachement, dans le présent cas, n’est pas intuitif et résulte seulement de ce qu’à l’origine, les stock-options ne bénéficiaient qu’aux salariés, avant que la loi n’en étende le bénéfice aux mandataires sociauxi.
Cela étant dit, en présence d’une directive d’interprétationi rédigée en des termes différentsi, et qui ne fait notamment pas prévaloir le sens fiscal des termes non-définis par la convention, la solution retenue pourrait être différente, sans pour autant qu’il soit possible d’identifier précisément laquelle. Dans un autre contexte, recourir à une branche du droit différente du droit fiscal permettrait en effet de déterminer une qualification conventionnelle autre, il suffit pour s’en convaincre de songer au sort des parts de société civile immobilière (SCI) dans le cadre de l’article relatif à la fortunei.
Exemple
Mme X. réside dans un pays A et dispose de 25 % de parts de SCI établie dans un pays B. A et B sont liés par une convention fiscale qui comporte un article 6 - pour les besoins de l’exemple - ainsi qu’un article sur la fortune conformes au modèle OCDE. La législation fiscale de B assimile ces parts à un immeuble pour les besoins de son impôt domestique sur la fortune. En revanche, son droit civil leur maintient la qualification de bien meuble, comme pour les autres parts et actions de société.
L’article 22 de la convention fiscale entre A et B se lit comme suit :
« 1. La fortune constituée par des biens immobiliers visés à l’article 6, que possède un résident d’un État contractant et qui sont situés dans l’autre État contractant, est imposable dans cet autre État.
[...]
4. Tous les autres éléments de la fortune d’un résident d’un État contractant ne sont imposables que dans cet État ».
L’article 6 se lit comme suit :
« 2. L’expression '' biens immobiliers '' a le sens que lui attribue le droit de l’État où les biens considérés sont situés. L’expression comprend en tous cas les accessoires, le cheptel mort ou vif des exploitations agricoles et forestières, les droits auxquels s’appliquent les dispositions du droit privé concernant la propriété foncière, l’usufruit des biens immobiliers et les droits à des paiements variables ou fixes pour l’exploitation ou la concession de l’exploitation de gisements minéraux, sources et autres ressources naturelles ; les navires et aéronefs ne sont pas considérés comme des biens immobiliers ».
Ici une difficulté réside dans l’interprétation de la première phrase de l’article 6. Soit l’on considère qu’elle vaut directive d’interprétative, et qu’elle permet donc de se passer de l’article 3, § 2, soit au contraire, il s’agit simplement d’une règle destinée à prévenir les conflits d’interprétation en accordant une préséance à l’État de situation. Pour les besoins de l’exemple, le parti pris sera de se rattacher à la seconde lecture. Au regard de ce qui précède, deux hypothèses peuvent être formulées :
a) l’article 3, § 2 de la convention entre A et B est conforme au modèle OCDEi. Il est alors possible de recourir à la législation fiscale, qui assimile les parts de SCI à un bien immeuble. L’État de situation des biens, l’État B, dispose d’un droit d’imposition partagé sur la fortune constituée par ces parts en vertu du § 1 de l’article 22i.
b) l’article 3, § 2 de la convention entre A et B n’est pas conforme au modèle OCDE en ce qu’il ne fait pas prévaloir le droit fiscal sur les autres branches du droit. Il convient d’examiner si la définition donnée par les autres branches du droit et de confronter ses mérites par rapport à celle qui est extraite du droit fiscal, si tant est qu’il y en ait une. Cette confrontation peut aboutir à faire prévaloir la définition issue du droit civil, qui, dans la circonstance, donne la qualification de bien meuble aux parts de SCI. La fortune afférente serait donc imposable exclusivement dans l’État de résidence de Mme X, à savoir A.
Dresser une analogie avec le cas des gains d’option d’achat d’action traités dans l’hypothèse b) ci-dessus n’est pas une solution convenable, dans la mesure où le droit civil comprend sans équivoque les parts sociales au rang des biens meubles, ce qui permet aisément d’exclure l’application du 1 de l’article 22. Le Code de commercei ne semble pas traiter du gain en lui-même et se contente de définir classiquement ces options, les personnes éligibles, dont certains mandataires sociaux, et les conditions de souscription. Il parait donc difficile d’y puiser directement une qualification qui serait recevable sur le plan conventionnel. Ainsi, même dans l’hypothèse où l’article 3, § 2 n’est pas conforme au modèle OCDE, le recours au droit fiscal ne semble pas tout à fait exclu, aboutissant, en définitive, au même résultat qu’avec un article 3, § 2 conforme.
Par la décision Zacharia, le champ des rémunérations couvertes par l’article 16 du modèle OCDE se retrouve fatalement réduit. Sous réserve d’une confirmation ultérieure, ne seraient ainsi couvertes que les seules rémunérations qui échoient aux membres non dirigeants du conseil d’administration et de surveillance et qui ne seraient pas susceptibles d’être qualifiées de salaires en droit interne. Il faut dire que ces stipulations sont moins pratiquées et de ce fait plus difficiles à manier que celles de l’article 15, largement éprouvées par les tribunaux. Le choix de l’article 15 comporte également un intérêt pratique indéniable : si une somme globale est allouée au membre dirigeant et qu’elle rémunère tant ses fonctions de dirigeant que celle de mandataire social, et que l’on admet que l’article 16 s’applique à la seconde, encore faut-il identifier le montant précis qui correspond à chacune d’entre elles. Sauf à disposer d’une documentation étayant précisément le nombre d’heures consacrées à chacune de ces fonctions, si tant est que ce soit effectivement possible, ces éléments paraissent difficiles à corroborer.
Remarque
Il est à noter que l’étanchéité entre les salaires et les jetons de présence n’est pas de mise dans la doctrine administrative. Dans ses précisions relatives à la convention franco-algérienne, elle rattache à l’article 16 (jetons de présence), non seulement les jetons de présence « ordinaires », mais également les jetons de présence « spéciaux » alloués notamment « au président du conseil d’administration, au directeur général, à l’administrateur provisoirement délégué, aux administrateurs membres du comité d’étude », qui relèvent pourtant de la catégorie des traitements et salaires conformément à l’article 117 bis, 2 du CGI (n° 429740 et s. pour la distinction entre jetons de présence « ordinaires » et « spéciaux »). Il n’est toutefois pas sûr que cette solution soit transposable à toutes les conventions rédigées suivant le modèle OCDE.
C. Coupet, « Dirigeant – Loi PACTE : l’encadrement de la rémunération des dirigeants – entre libéralisation et renforcement » [SEJA, juin 2019, n° 26, 1319].
Il est à noter que dans la version en langue anglaise du modèle, le terme usité est celui de Director’s fees, plus proche finalement de l’expression de rémunérations d’administrateurs qui existe aujourd’hui en droit français des sociétés.
P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés[LGDJ, 9e éd., Paris, LGDJ, p. 524].
L. n° 75-1347, 31 déc. 1975, sur les sociétés commerciales en vue de supprimer les rémunérations allouées sous forme de tantièmes : JO 4 janv. 1976.
Il est à noter que les jetons de présence suscitent également des questions en matière de taxe sur la valeur ajoutée. La CJUE a précisé récemment que ces revenus ne sont pas soumis à TVA lorsque leur titulaire n’agit pas de manière indépendante, ce qui implique d’agir en son nom ou sa responsabilité et de supporter le risque économique lié à l’activité d’administrateur (CJUE, aff. C-288/22, 21 déc. 2023, TP c/ Administration de l’enregistrement, des domaines et de la TVA).
E. Pamperl, “The History of Article 16 of the OECD Model Convention, in Article 16 of the OECD Model Convention : History, Scope and Future”[Tax Lax and Policy Series, IBFD 2015].
Les pensions s’inscrivent dans la continuité de chacun de ces revenus d’activité, dans la mesure où elles ne sont perçues, en règle générale, qu’en contrepartie de l’activité ayant donné lieu à ces revenus.
C. De Jaegher, International taxation of Director’s fees : article 16 of the OECD Model or How to reconcile disagreement among neighbours, [World Tax Journal, juin 2013, p. 216-264].
BOI-IS- CHAMP-10-60, 4 mars 2013, n° 1 : « D'une façon générale et en vertu du 1 de l'article 206 du Code général des impôts (CGI) et de l'article 1654 du CGI, l'impôt sur les sociétés s'applique à l'ensemble des personnes morales de droit privé ou de droit public se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. Par suite, il est susceptible de concerner des collectivités autres que les sociétés à condition, toutefois, qu'elles soient dotées de la personnalité morale ».
D. n° 53-707, 9 août 1953, relatif au contrôle de l’État sur les entreprises publiques nationales et certains organismes ayant un objet d'ordre économique ou social : JO 10 août 1953, p. 15.
E. Pamperl, “The History of Article 16 of the OECD Model Convention, in Article 16 of the OECD Model Convention : History, Scope and Future”, [Tax Lax and Policy Series, IBFD 2015].
Dans une décision d’espèce, les tribunaux belges ont retenu ces stipulations dans le cas d’un administrateur, résident d’Allemagne, qui ne figurait pourtant pas dans les statuts de la société. Mais, à notre connaissance, cette solution ne semble pas avoir eu de suite. - V. C. De Jaegher, International taxation of Director’s fees : article 16 of the OECD Model or How to reconcile disagreement among neighbours, [World Tax Journal, juin 2013, p. 216-264], à propos d’un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles (CA Bruxelles, 14 juin 1972, n° 512.2313.2318).
Cons. UE, dir. 2011/16/UE du Conseil, 15 fév. 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE.
Sur ce point, V. R. Jaune, Clause conventionnelle anti-abus, n° 703000 et s.
BOI-INT-CVB-DZA-40, 12 sept. 2012, n° 140 et s.
BOI-INT-DG-20-20-40, 12 sept. 2012, n° 160.
Sur ce point, V. C. Boussion, Autres revenus, n° 434100 et s.
Jusqu’à une date récente, il était possible également d’inclure les revenus des professions indépendantes (art. 14) comme alternative, mais cet article ne figure plus dans le modèle OCDE.
CE, 8e-3e ch., 16 juill. 2021, n° 448500, Zacharia [Dr. fisc. 2021, n° 29, comm. 323, concl. K. Ciavaldini, note J.-C. León Aguirre].
CE, 8e-3e, 4 juin 2019, n° 415959, min. c/ Z [RJF 8-9/2019, n° 834, concl. R. Victor C 834]. - CE, 8e-3e, 16 juill. 2021, n° 448500, min. c/ Z.
Elle a reçu une application récente dans une affaire similaire (TA Paris, 30 juin 2021, n° 1925781).
En appel, la Cour administrative d’appel de Versailles avait retenu que l’article 18 (tantièmes) n’était pas applicable au motif que les mandataires non dirigeants ne peuvent, en principe, se voir attribuer des options, restreignant implicitement le champ de l’article 16 aux seuls administrateurs non-exécutifs de la société. Elle avait par conséquent mis en œuvre l’article autres revenus (convention franco-suisse, art. 23). - V. CAA Versailles, 1e, 26 sept. 2017, n° 15VE02635.
V. concl. R. Victor ss. CE, 8e-3e, 4 juin 2019, n° 415959, min. c/ Z précitée, qui retracent brièvement l’évolution de ce régime.
V. concl. E. Cortot-Boucher sur l’affaire Clive-Worms (CE, 3e-8e ss-sect., 4 oct. 2013, n° 351065, M. Clive Worms [Dr. fisc. 2014, comm. 326, note N. Meurant ; RJF 1/2014, n° 29 ; RJF 8-9/2019, p. 1013, chron. V. Villette]).
Il est à relever que la Cour de cassation qualifie les parts de SCI de biens meubles pour les besoins de la convention franco-monégasque. Elle n’a d’ailleurs pas jugé utile de se référer à la directive d’interprétation contenu dans cette convention (Cass., plén., 2 oct. 2015, n° 14-14.256, DGFiP c/ Eshagh et a [Dr. fisc. 2015, n° 46, comm. 679, note Ch. Laroche]).
Le Conseil d’État a retenu cette lecture s’agissant de la convention fiscale franco-belge (CE, 24 févr. 2020, n° 436392, confirmée par CE, 27 déc. 2021, n° 451625).
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