Le Fiscal by Doctrine / Part. 1 - Sources du droit fiscal international / Ss-part. 2 - Sources du droit de l’UE / Chap. 3 - Le droit dérivé en matière de fiscalité directe / Sect. 4 - L’incidence des législations européennes non-fiscales sur la fiscalité directe

Section 4 - L’incidence des législations européennes non-fiscales sur la fiscalité directe
Mis à part les règlements européens pris pour l’application des stipulations du traité relatives aux aides d’État (règlement général d’exemption par catégories, règlement de minimis, etc.), qui seront évoqués en détail dans la partie 9i, rares sont les actes législatifs européens non-fiscaux qui ont une incidence sur le droit fiscal. Il faut toutefois mentionner les règlements adoptés dans le domaine de la sécurité sociale et de la politique de l’énergie.
Sous-section 1 - Sécurité sociale
Afin de faciliter la liberté de circulation des travailleurs, a été adopté dès 1958 par le Conseil de la CEE le règlement n° 3 concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants. Son article 12 pose le principe dit d’unicité de la législation applicable en cette matière, en prévoyant que les travailleurs salariés occupés sur le territoire d'un État membre sont soumis à la législation de cet État, même s’ils résident sur le territoire d’un autre État membre ou si leur employeur se trouve dans un autre État membre.
Il s’agit ainsi de soumettre les travailleurs qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté au régime de la sécurité sociale d'un seul État membre, afin d'éviter les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter.
Ce principe a été repris à l’article 13 du règlement n° 1408/71/CEE du Conseil du 14 juin 1971 qui procède à la refonte du règlement de 1958. Il étend par ailleurs sa portée aux fonctionnaires, qui ne peuvent dès lors être soumis qu’à la législation de l'État membre dont relève l'administration qui les occupe. Il a ensuite été étendu aux non-salariés, soumis à la législation de l’État membre où ils exercent leur activité.
Enfin, le règlement n° 883/2004/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, qui se substitue au règlement de 1971, reprend ce principe à son article 11 et l’étend aux personnes bénéficiant de prestations de chômage en vertu de la législation d’un État membre, qui ne peuvent être soumises qu’à la législation sociale de cet État.
L'article 30 de ce règlement de 2004, portant sur les pensions de retraite, est lui aussi applicable aux contributions sociales de nature fiscale ; cela étant, il n'interdit pas d'imposer la totalité des pensions perçues de plusieurs États membres par une même personnei.
Il était clair d’emblée que ce principe d’unicité des législations sociales applicables à un salarié faisait obstacle à la perception de cotisations sociales par un État membre autre que celui où le salarié est employé. De manière constante, la Cour de justice juge ainsi que « le fait pour un travailleur d'être grevé, pour un même revenu, des charges sociales découlant de l'application de plusieurs législations nationales, alors qu'il ne peut revêtir la qualité d'assuré qu'au regard d'une seule de ces législations, expose ce travailleur à une double cotisation, contraire aux dispositions » de l'article 13 du règlement n° 1408/71i.
Retenant une interprétation finaliste du règlement, la CJCE a considéré qu’il en allait de même en matière d’impositions affectées à la sécurité sociale.
Ainsi, par un arrêt du 15 février 2000i, elle a jugé que la France a violé l’article 13 du règlement de 1971 en percevant la CSG sur les revenus d’activité et de remplacement des travailleurs salariés et indépendants qui résident en France mais qui, travaillant à l’étranger, ne peuvent être soumis à la législation française de sécurité sociale en vertu de cet article. Elle juge explicitement que « la circonstance qu'un prélèvement soit qualifié d'impôt par une législation nationale ne signifie pas que, au regard du règlement n° 1408/71, ce même prélèvement ne puisse être regardé comme relevant du champ d'application de ce règlement et, partant, soit visé par la règle du non-cumul des législations applicables ». Seule compte la circonstance que ce prélèvement présente un « lien direct et suffisamment pertinent » avec les lois qui régissent les branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement. Elle considère que c’est le cas de la CSG, dès lors qu’elle est « affectée spécifiquement et directement au financement de la sécurité sociale en France ».
Comme les motifs de cet arrêt le laissaient entrevoir, cette solution n’est pas limitée aux impôts sur les revenus du travail : elle s’étend à toute imposition spécifiquement affectée à une branche de sécurité sociale. C’est pourquoi, dans un arrêt de Ruyter du 26 février 2015i, a jugé que des prélèvements sur les revenus du patrimoine, tels que la CSG, la CRDS et les autres contributions sociales sur ces revenus, présentent, dès lors qu’ils participent au financement des régimes obligatoires de sécurité sociale, un lien direct et pertinent avec des branches de sécurité sociale et relèvent donc du champ d’application du règlement de 1971, alors même que ces prélèvements sont assis sur les revenus du patrimoine des personnes assujetties, indépendamment de l’exercice par ces dernières de toute activité professionnelle. Ceci fait par suite obstacle à la perception de ces impositions sur les revenus du capital perçus par les personnes ayant leur activité professionnelle dans un autre État membre, soumises à la sécurité sociale de cet État.
Sous-section 2 - Énergie
Si les règlements en matière de sécurité sociale ont tardé à révéler leurs implications fiscales, il en va différemment du règlement adopté à l’automne 2022 par le Conseili dans le contexte de la crise des prix de l’énergie, qui entend employer notamment l’outil fiscal pour répondre à cette crise.
Adopté sur le fondement de l’article 122 du TFUE, relatif aux mesures d’urgence dans le domaine économique (V. n° 101360), ce règlement ne se limite en effet pas à prévoir des mesures de régulation du marché de l’électricité (réduction de la consommation, interventions dans la fixation des prix de détail de l’électricité) : il institue aussi deux prélèvements qui, étant dépourvus de contrepartie directe, doivent être qualifiés d’impositions de toutes natures (et même, dès lors qu’ils portent sur une fraction de revenu, d'impôts directs, au moins pour le second).
En premier lieu, le règlement plafonne, à son article 6i, les recettes issues du marché obtenues par les producteurs d’électricité à partir de certaines sources d’énergie (renouvelable, nucléaire, charbon et pétrole), à un maximum de 180 € par MWh d’électricité produite.
Le règlement détermine directement l’utilisation du produit du prélèvement ainsi institué sur les recettes excédentaires, en obligeant à son article 10i les États membres à l’affecter à des mesures de soutien aux consommateurs d’électricité.
Il offre toutefois certaines flexibilités aux États membres dans l’application du plafonnement, en leur permettant notamment de décider que le prélèvement des recettes excédentaires ne porte que sur 90 % des recettes issues du marché dépassant le plafondi ou, au contraire, d’introduire des mesures qui limitent davantage les recettes issues du marché obtenues par les producteursi.
En second lieu, l’article 14 du règlement soumet les bénéfices excédentaires obtenus par les entreprises exerçant des activités dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage à une contribution de solidarité temporaire obligatoire.
Plus précisément, les États membres sont tenus d’imposer, à un taux d’au moins 33 %, les bénéfices imposables (tels qu’ils sont déterminés en application des règles fiscales nationales) de l’exercice fiscal 2022 et/ou l’exercice fiscal 2023 excédant de plus de 20 % la moyenne des bénéfices des quatre exercices fiscaux précédents.
L’affectation du produit de la contribution est, là aussi, déterminée par le règlement, en cohérence avec son objet : les États membres sont tenus de l’utiliser pour des mesures de soutien financier en faveur des clients (notamment les ménages vulnérables), ou visant à réduire la consommation d’énergie, à soutenir les entreprises des secteurs à forte intensité énergétique, à développer l’autonomie énergétique et, le cas échéant, dans un esprit de solidarité entre États membres, au financement européen de mesures de réponse à la crisei.
Et là encore, le règlement offre une certaine flexibilité aux États membres, en leur permettant de ne pas prélever cette contribution s’ils ont adopté des mesures nationales équivalentes, à condition qu’elles aient un objectif similaire, soient soumises à des règles similaires et génèrent un produit comparable ou plus important que le produit estimé de la contribution de solidaritéi.
Sur ces sujets, V. E. Glaser, Aides d’État, n° 900010 et s.
CJCE, 5 mai 1977, aff. 102/76, Perenboom, pt 13.
CJCE, 15 févr. 2000, aff. C-169/98, Commission c/ France[RJF 3/2000, n° 436].
CJUE, 26 févr. 2015, aff. C-623/13, Min. c/ De Ruyter.
Cons. UE, règl. (UE) 2022/1854, 6 oct. 2022, sur une intervention d’urgence pour faire face aux prix élevés de l’énergie.