Le Fiscal by Doctrine / Part. 1 - Sources du droit fiscal international / Ss-part. 2 - Sources du droit de l’UE / Chap. 5 - La mise en oeuvre du droit dérivé de l'UE / Sect. 2 - Les mesures nationales de mise en œuvre

Section 2 - Les mesures nationales de mise en œuvre
Sous-section 1 - Transposition des directives
La directive, en vertu de l’article 288 du TFUE, § 3, « lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissantaux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ». Elle n’est donc pas directement applicable et nécessite un acte national de transposition.
Cette transposition s’opère selon les formes fixées par le droit constitutionnel de chaque État membre, c’est-à-dire, en France, par la loi ou par le règlement selon que la matière concernée figure ou non parmi celles mentionnées à l’article 34 de la Constitutioni. Les directives adoptées en matière fiscale nécessitent donc une loi de transposition, et le cas échéant un acte réglementaire d’application ou un acte pris par le pouvoir réglementaire autonome s’agissant des règles de procédure fiscale qui relève de sa compétence.
Exemple
Ainsi, la transposition du dispositif d’échange automatique d’informations prévu par la directive 2011/16/UE (V. n° 101910) s’est faite à la fois par des dispositions législatives faisant obligation aux institutions financières de collecter les informations requises pour son application et de les déclarer (CGI, art. 1649 AC) et par un décret détaillant le champ et les modalités de l’obligation déclarativei.
La compétence de la loi ne souffre pas de dérogation à cet égard. D’une part, l’éventuelle incompétence négative de la loi de transposition est contrôlée par le Conseil constitutionnel, même lorsque la loi se borne à tirer les conséquences nécessaires de dispositions précises et inconditionnelles de la directivei. D’autre part, la carence du législateur à transposer une directive fiscale ne saurait constituer un fondement habilitant le pouvoir réglementaire (ni a fortiori le ministre par voie d’instruction) à adopter les règles nécessaires pour assurer cette transposition. Ainsi, la circonstance qu’une instruction fiscale vise à corriger une erreur de transposition d’une directive européenne, en définissant des règles d’imposition qui lui soient conformes, n’ôte rien à l’incompétence de son auteuri, qui ne peut ajouter à la loi fiscale sans méconnaître l’article 34 de la Constitution.
Exceptionnellement, lorsque le droit interne comporte déjà des dispositions permettant d’atteindre les objectifs d’une directive nouvellement édictée, ce qui peut être le cas lorsque cette dernière s’inspire du droit français, ces dispositions sont regardées comme assurant par avance sa transposition. La jurisprudence de la Cour de justice admet en effet que la transposition d’une directive soit assurée par anticipationi.
C’est le cas par exemple de la directive « mère-fille » du 23 juillet 1990, dont les articles 145 et 216 du CGI, issus d’une loi du 31 juillet 1920 et qui n’ont alors pas été modifiés, sont regardés comme assurant la transpositioni. Mais si ces dispositions comportent une règle non conforme à la directive, le législateur a l’obligation de la supprimer, avant l’expiration de son délai de transposition, ainsi que l’a jugé le Conseil d’État s’agissant de l’exclusion des titres sans droits de vote du bénéfice de ce régimei. À défaut, le juge écartera l’application de la disposition en cause, au motif de sa contrariété avec les objectifs de la directive.
La jurisprudence de la Cour de justice admet que les États membres effectuent une transposition par étapes de la directive, pendant son délai de transposition – ce qui constitue finalement une variante de la transposition par anticipation.
Elle juge en effet que dans ce cas, « la non-conformité de dispositions transitoires du droit national avec la directive ou l'absence de transposition de certaines dispositions de la directive ne compromettrait pas nécessairement le résultat prescrit pas celle-ci »i : ces dispositions transitoires ne sont pas contraires au droit de l’UE ; en revanche il est indispensable que les dispositions définitives en vigueur à l’expiration du délai de transition soient pleinement conformes à la directive.
Il arrive également que le législateur décide, dans la transposition d’une directive, d’étendre le champ des règles qu’elle pose à des situations qui ne sont pas visées par la directive.
C’est en particulier le cas lorsque la directive s’applique seulement aux situations transnationales – à l’instar des directives « mère-fille », « fusions » et « intérêts et redevances » (V. n° 101560 à 101690) – et que le législateur, pour éviter une différence de traitement fiscal en défaveur des situations purement internes, décide d’appliquer à ces dernières les mêmes règles.
C’est ce que l’avocate générale Juliane Kokott désigne sous le terme de « transposition exorbitante » d’une directivei.
Remarque
Dans cette hypothèse, si la loi de transposition, applicable aux situations régies par la directive, n’est, lorsqu’elle se borne à tirer les conséquences nécessaires de ses dispositions précises et inconditionnelles, contrôlée par le Conseil constitutionnel qu’au regard des principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France, elle est en revanche soumise à un plein contrôle de constitutionnalité en tant qu’elle s’applique aux situations hors champ de la directive, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel s’agissant du régime français « mère-fille »i.
Sous-section 2 - Application des règlements et décisions
Même s’ils sont plus rares que les directives en matière fiscale, des règlements peuvent être adoptés, comme on l’a vu, en matière de fiscalité indirecte (TUE, art. 113 ; V. n° 101225), ou pour l’exécution de directives fiscales, ou encore sur le fondement de bases légales non fiscales (ressources propres, intervention d’urgence face à une crise économique, etc. - V. n° 101265 et s.). De même, des décisions sont susceptibles d’être prises, le plus souvent, pour l’exécution des actes législatifs (V. n° 102480 et s.).
À la différence des directives, ces actes sont directement applicables dans les États membresi : ils ne requièrent pas de mesure nationale pour leur application.
Cette affirmation doit toutefois être nuancée à deux égards.
En premier lieu, bien sûr, des mesures nationales sont nécessaires pour adapter, le cas échéant, les dispositions de droit interne qui seraient contraires au règlement ou à la décision.
En second lieu, il est fréquent que les dispositions d’un règlement laissent aux États membres le soin de fixer certaines de leurs modalités d’application. C’est le cas des quelques règlements qui, à ce jour, ont été adoptés pour créer un prélèvement de nature fiscale : ainsi, le règlement du 17 mai 1977 établissant un prélèvement à l’importation et une cotisation à la production d’isoglucose, adopté par le Conseil pour l’application de la décision « ressources propres » de 1970, fixait seulement l’assiette et le taux du prélèvement et laissait aux États membres la compétence pour déterminer ses modalités de recouvrement. De même, le règlement du 6 octobre 2022 sur les prix de l’énergie institue une contribution sur les profits exceptionnels dans le secteur des énergies fossiles mais laisse les États membres fixer son taux et même plusieurs règles d’assiette (V. n° 102080).
Remarque
Dans un tel cas, la loi nationale doit se borner à fixer les règles qui ont été laissées à l’appréciation des États membres, sans « recopier » les dispositions du règlement. Ainsi, lors de l’examen de la loi de finances rectificative pour 1977 qui fixait les modalités de recouvrement du prélèvement isoglucose créé quelques mois plus tôt par règlement européen, le Conseil constitutionneli a jugé que l’absence de règles d’assiette et de taux au niveau national ne méconnaissait pas l’article 34 de la Constitution dès lors que « la force obligatoire qui s’attache aux dispositions [des règlements européens] n’est pas subordonnée à une intervention des autorités des États membres et, notamment, du Parlement français », si bien « que, dans le cas du règlement du 17 mai 1977, le Parlement n’avait pas à intervenir dans la détermination de l’assiette et du taux de la cotisation et qu’il lui revenait seulement de régler les modalités de recouvrement non fixées par le règlement ».
Cons. const., 19 juin 2008, n° 2008-564 DC, OGM, pt 53. – Cons. const., 26 juill. 2018, n° 2018-768 DC, Secret des affaires, pt 4.
D. n° 2016-1683, 5 déc. 2016, fixant les règles et procédures concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, dites « norme commune de déclaration “ : JORF, n°0284, 7 déc. 2016.
Cons. const., 19 juin 2008, n° 2008-564 DC, OGM, pt 57.
CE, 8e-7e ss-sect., 8 août 1990, n° 68387, CCI de Dunkerque, concl. P.-F. Racine [Dr. fisc. 1990, n° 41, comm. 1869, concl. P.-F. Racine ; RJF 8-9/1990, n° 1101, chron. J. Turot, p. 535], s’agissant d’une instruction visant à corriger un défaut de transposition de la directive TVA.
CJUE, gde. ch., 15 nov. 2005, aff. C-320/03, Commission c/ Autriche, pt 80. - Concl. J. Kokott ss. CJUE, 19 juill. 2012, C-26/11, Belgische Petroleum Unie VZW e.a. contre Belgische Staat, pt 57.
CE, 10e-9e, 15 déc. 2014, n° 380942, SA Technicolor, concl. E. Crepey [Dr. fisc. 2015, n° 11, comm. 203, concl. É. Crépey, note O. Fouquet ; RJF 3/2015, n° 190, chron. N. Labrune, p. 163]. - V. aussi, CE, 9e-10e ch., 16 sept. 2019, n° 431784, pt 5 [Dr. fisc. 2019, n° 43, comm. 419], s’agissant de la directive « fusions ».
CE, 8e-3e, 12 nov. 2015, n° 367256, Sté Metro Holding France, concl. B. Bohnert [Dr. fisc. 2015, n° 49, comm. 717, concl. B. Bohnert ; Dr. fisc. 2015, n° 47, étude 682, G. Blanluet, P. Collin, C. Dero, É. Marcus et B. Mauchauffée ; Dr. fisc. 2016, n° 18-19, comm. 309, étude E. Raingeard de la Blétière ; RJF 6/2016, n° 175].
CJCE, 18 déc. 1997, aff. C-129/96, Inter-Environnement Wallonie, pt 49.
V. Concl. J. Kokott ss. CJUE, 16 juill. 2009, aff. C-352/08, pt 30, et concl. J. Kokott ss. CJUE, 10 sept. 2009, aff. C-45/08, pt 29.
V. Cons. const., 29 déc. 2015, n° 2015-726 DC, Loi de finances rectificative pour 2015, pts 7 et 8, s’agissant de la transposition d’un dispositif « anti-abus » de la directive « mère-fille » et de son extension aux situations internes.
Cons. const., 30 déc. 1977, n° 77-90 DC, Loi de finances rectificative pour 1977, pts 3 et 4.