Le Fiscal by Doctrine / Part. 10 - Procédure, contrôle et contentieux / Ss-part. 2 - Coopération entre administrations fiscales / Chap. 2 - Assistance administrative internationale

Chapitre 2 - Assistance administrative internationale
L’assistance administrative internationale (AAI) a pris une importance décisive pour le contrôle fiscal, stimulée par la renonciation inattendue des États au secret bancaire à partir de 2009 (n° 1011370 et s.).
L’échange sur demande est potentiellement très intrusif dans la vie privée et le secret des affaires (beaucoup plus que l’échange automatique). C’est pourquoi il est entouré de conditions et de limites (n° 1011680 et s.).
Ces conditions, conçues à l’origine d’avantage au profit des États qu’au profit des contribuables, commencent à pouvoir être invoquées devant le juge fiscal, et à trouver des sanctions juridictionnelles. Mais les garanties des contribuables sont encore incertaines, et perçues par les administrations comme des entraves à la fluidité de l’AAI (n° 1012210 et s.).
Le RGPD, dont l’application au contrôle fiscal (et donc notamment à l’AAI) ne fait plus débat depuis que la Cour de justice de l’Union européenne l’a confirmée, devrait bouleverser certaines pratiques administratives (n° 1012630 et s.).
L’utilisation de l’AAI par certains États comme moyen d’intelligence économique, qui fait l’objet d’une prise de conscience depuis le rapport Gauvain, appelle de la vigilance de la part de notre administration fiscale (n° 1012830 et s.).
L’information donnée au Parlement par l’administration sur la mise en œuvre de l’AAI porte uniquement sur le nombre des demandes reçues et envoyées, sans précisions sur le contenu des échanges ou le contrôle des conditions (n° 1013210 et s.).
Section 1 - Vie et mort du secret bancaire
L’assistance administrative internationale en matière fiscale n’a pris son véritable essor, et l’importance décisive qu’elle a aujourd’hui pour le contrôle fiscal, que lorsqu’elle a réussi à surmonter le secret bancaire.
Le secret bancaire est depuis de longues années la cible de l’OCDE et de l’Union européenne, au point que dans de nombreux pays dont la France, la plupart des juristes et des hommes politiques ont abandonné l’idée même que le secret bancaire contribue au respect de la vie privée pour les citoyens, et à la protection du secret des affaires pour les entreprises. Toute velléité de limiter les possibilités d’accès des administrations fiscales (notamment des administrations d’autres pays) aux informations bancaires est interprétée, notamment par certaines ONG au nom d’une sorte de culte de la transparence, comme une volonté de protéger les fraudeurs.
Il n’en a pas toujours été ainsi, loin de là. Longtemps le secret bancaire a été conçu comme une protection due à l’intimité de la vie privée, au secret des patrimoines privés, et au besoin de confidentialité des affaires. Lors des travaux internationaux qui ont été à l’origine de la mise en place de l’assistance administrative internationale dans l’entre-deux-guerres, les États ont presque unanimement déclaré - sous la seule opposition de la France et de la Belgique – qu’il était fondamental de ne pas porter atteinte au secret bancaire : lors des premiers travaux de la Société des Nations (ci-dessous « SDN ») en matière fiscale, la Conférence de Gênes tenue en 1922 a examiné les « mesures qui pourraient être prises, le cas échéant, pour prévenir l'évasion de capitaux en vue d'échapper aux impôts », en émettant une réserve formelle selon laquelle « toute proposition tendant à [...] violer le secret des relations entre les banquiers et leurs clients doit être absolument condamnée »i.
Cette protection du secret bancaire a cédé sous la pression de certains États, relayée par l’OCDE, au cours d’une offensive qui s’est déroulée entre 2002 et 2009.
Sous-section 1 - La guerre de sept ans (2002-2009) contre le secret bancaire
L’OCDE a lancé l’offensive contre le secret bancaire en 2002, par son modèle d'accord sur les échanges de renseignements en matière fiscale, qui demande aux États d’abandonner le secret bancaire lorsqu’ils échangent entre eux des renseignements. Il s’agit d’une rupture majeure et inédite. L’OCDE n’en est pas restée au stade d’une simple recommandation mais a organisé la mise en place d’une pression collective sur les États réticents, afin de les convaincre d’abandonner le secret bancaire, sous la menace de les désigner comme des États « non coopératifs ». En juillet 2005, l’OCDE modifie son modèle de convention fiscale pour y inscrire l'inopposabilité du secret bancaire et l'interdiction faite aux États d'invoquer une clause d'intérêt fiscal national. Certains États, l'Autriche, la Belgique, le Luxembourg et la Suisse formulent une réserve relative à l'abandon du secret bancaire.
La défaite finale du droit au secret intervient lors du sommet du G20 tenu à Londres le 2 avril 2009, dans la foulée de la crise financière de 2008. S’appuyant sur les craintes suscitées par cette crise, certains ont soutenu, sans véritable démonstration, qu’il y aurait un lien entre cette crise et le secret bancaire. La pression est si forte que l'Autriche, la Belgique, le Luxembourg et la Suisse acceptent de retirer leurs réserves à l'encontre de l'échange de renseignements bancaires. Ainsi est imposée une « norme » internationale, qui oblige les États à se procurer et à transmettre tout renseignement bancaire sur leurs propres résidents. Le communiqué du G20 de 2009 déclare triomphalement que « l'ère du secret bancaire est terminée ».
Point de vue
Il semble, et on peut s’en étonner, qu’aucune juridiction constitutionnelle des différents États n’ait été invitée à se prononcer sur l’abandon d’une liberté publique aussi fondamentale : c’est seulement maintenant, plus de 10 ans après, que commencent à être menés des contentieux constitutionnels et conventionnels remettant en cause l’abandon pur et simple du secret bancaire sans aucun contrôle juridictionnel préalable.
L’abandon du secret bancaire n’a pas été consenti de leur plein gré par tous les États, mais sous une forte pression de l’OCDE, appuyée par les États-Unis. La première cible de cette pression internationale a été la Suisse, dans des conditions romanesques. Lorsqu’il monte dans l’Airbus A340 du vol Genève-Boston le 7 mai 2008, Bradley Birkenfeld emporte avec lui des secrets qui vont permettre aux États-Unis d’obtenir l’abolition du secret bancaire en Suisse. Cet ex-banquier d’UBS est devenu « Tarantula », nom sous lequel il a contacté l’IRS, l’administration fiscale américaine, en promettant des informations à même de permettre des poursuites contre les plus grandes banques suisses. Mais il ignore qu'au lieu d’obtenir l’immunité et une rémunération de 30 % des fonds retrouvés comme promis aux lanceurs d’alerte (ce qui aurait fait de lui l’homme le plus riche de Suisse), il dormira le soir même dans une prison américaine : à l’atterrissage, des policiers de la Homeland Security vérifient les passeports directement sur le tarmac. Il est immédiatement embastillé à Fort Lauderdale et inculpé de « conspiracy to defraud the US government by helping tax evasion », pour l’encourager à parler plus rapidement et à moindre coût.
Les tribunaux américains n’étaient pas tenus par les promesses d’impunité de l’IRS : Bradley Birkenfeld, qui avait pourtant permis de faire éclater le scandale UBS aux États-Unis, sera finalement condamné à 40 mois de prison et à une amende de 30 000 $ en août 2009. Quelques semaines après sa libération conditionnelle en novembre 2012, M. Birkenfeld a tout de même reçu une consolation du Bureau des lanceurs d'alerte de l'IRS s'élevant à 104 M$i.
Depuis sa cellule, il livrera aux agents de l’IRS les mêmes anecdotes qui feront le succès en librairie de ses mémoires, dans lesquels il s’intitule sobrement « Banquier de Lucifer », telles que l’histoire de diamants franchissant les aéroports dans des tubes de dentifrice, ou de la touche « panic button » sur les téléphones des banquiers permettant, en cas d’urgence, d’effacer instantanément tous leurs contacts et leurs messagesi. Mais surtout il donnera à l’IRS les informations et preuves qui auraient permis de poursuivre d’importantes banques suisses pour complicité de fraude fiscale au détriment des États-Unis.
10 mois plus tard, le 13 mars 2009, Hans-Rudolf Merz, président de la Confédération suisse, est obligé d’annoncer la fin du secret bancaire vis-à-vis de l’assistance administrative internationale (ci-dessous « AAI »). La Suisse n’opposera plus aux demandes de renseignements fondées sur l’AAI la distinction traditionnelle entre la fraude et la soustraction fiscale (cette distinction perdure en matière d’assistance judiciaire dans le domaine des impôts directs, où l’assistance n'est accordée qu'en cas d'escroquerie fiscale, mais pas s’il ne s’agit que de soustraction fiscale : ainsi l’AAI peut aller plus loin que l’entraide judiciaire).
La Suisse restera néanmoins inscrite sur la liste grise des États non-coopératifs pendant quelques mois, le temps pour elle de conclure le nombre exigé de 12 conventions prévoyant que le secret bancaire ne pourra pas être invoqué pour refuser l'assistance administrative.
Avec le recul du temps, on peut dire qu’en ce jour du 13 mars 2009, le secret bancaire vis-à-vis des administrations est entré en voie de disparition sur la plus grande partie de la planète. Pourtant, 25 ans plus tôt, en 1984, le peuple suisse avait massivement consacré par référendum le secret bancairei. Cette abolition ne fut donc pas le fruit d’un débat démocratique, encore moins d’un consensus entre États, et elle épargna le principal membre de l’OCDE, les États-Unis – qui prendront soin de conserver des îlots de secret bancaire dans certains de leurs États, et qui se sont ainsi acquis un avantage concurrentiel appréciable en termes d’attractivité à l’égard des capitaux du monde entieri.
Alors qu’il n’a fait l’objet d’aucune opposition politique en France, l’abandon du secret bancaire a fait l’objet de débats très vifs en Suisse. Une nouvelle initiative référendaire a été lancée en 2013 après la signature par la Suisse de plusieurs accords d’AAI, dont un accord avec la France qui a déchainé les passions. L'initiative « Oui à la protection de la sphère privée », qui menaçait de faire échouer la ratification par la Suisse de l’abandon du secret vis-à-vis des autres États, n’a été retirée, qu’après l’assurance donnée par le Gouvernement de la Confédération qu’il renonçait à son intention de supprimer également le secret bancaire en Suisse, c'est-à-dire entre les banques et les administrations fiscales cantonales (le secret bancaire peut être levé en cas de fraude mais non de simple soustraction, c'est-à-dire qu’il ne peut être levé que dans les cas les plus graves). Le secret bancaire subsiste en Suisse... pour les Suisses : paradoxalement, les cantons suisses ont moins de pouvoirs d’investigation auprès des banques que les administrations des autres États.
L’abandon du secret bancaire a ensuite été fortement suggéré aux autres États sous la menace de sanctions économiques et fiscales, par ce « directoire » économique mondial qu’est alors devenu le G20. En effet, pour s'assurer de l'application de la « norme OCDE », le G20 a créé une police internationale des États, intitulée « Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales », en charge du contrôle de la mise en œuvre effective de la norme OCDE. Les États placés par le Forum sur ce qu’on appellera très vite la « liste noire », en tant qu’État non coopératif, voient appliquer aux flux de capitaux se dirigeant vers eux de nombreuses sanctions fiscales. Ainsi, en France, l'inscription sur la liste noire entraîne des pénalisations fiscales (notamment des taux alourdis de retenue à la source).
Mais l’abandon du secret bancaire ne relève pas, contrairement aux apparences, d’un consensus mondial. Plusieurs États de l’OCDE, et même des États membres ou anciennement membres de l’Union européenne, ont manqué d’enthousiasme et ont ressenti l’abandon du secret bancaire vis-à-vis de l’étranger comme un affaiblissement économique et financier. Ils biaisent avec la suppression du secret bancaire, grâce à des zones franches ou des territoires d’outre-manche ou d’outre-mer, dans lesquels perdure l’opacité, et qu’on s’abstient, souvent pour des raisons diplomatiques, d’inscrire sur la liste noire.
La France, pour sa part, a toujours refusé que ses collectivités d’outre-mer puissent développer une activité financière offshore : lorsque, il y a quelques années, a été constaté un développement des sièges sociaux à Wallis-et-Futuna, Bercy a pris des mesures énergiques pour empêcher que se développe dans les collectivités d’outre-mer une activité juridique et financière offshore : on a suggéré à ces collectivités des accords d’échange de renseignements, ce qui n’empêche nullement le développement des activités offshore dans la région... mais les oriente vers leurs voisins du Pacifique, pour leur plus grand profit.
Une fois le secret bancaire aboli entre États, il a été jugé indispensable de renoncer en outre, pour que l’assistance administrative internationale prenne son plein essor, à une autre des garanties dont bénéficient en principe les particuliers et les entreprises : le secret fiscal, c'est-à-dire le secret que l’administration fiscale doit conserver sur les données personnelles qu’elle est amenée à recueillir.
Sous-section 2 - Les États ont renoncé à protéger le secret fiscal de leurs ressortissants
Une chose est de décider que chaque administration fiscale puisse accéder aux informations bancaires de ses propres contribuables ; une autre, qui paraissait inconcevable dans un passé qui n’est pas si lointain, est la décision d’un État de renoncer, vis-à-vis des administrations étrangères, au secret fiscal dû à ses administrés.
Le secret fiscal est reconnu dans la plupart des pays du monde : une administration fiscale doit garder confidentiels les renseignements qu’elle exige ou reçoit spontanément des contribuables. Ce secret est la contrepartie inséparable des prérogatives régaliennes qui lui sont confiées. En France, le secret fiscal est protégé à la fois par le Code pénali et par une disposition spécifique du Livre des procédures fiscalesi. En application du principe du secret fiscal, le fisc d’un pays se doit en principe de refuser de divulguer à un autre État les renseignements dont il dispose, car il n’en dispose que pour les besoins de l’application de ses lois fiscales.
Une première étape de l’assistance administrative internationale est intervenue de longue date, qui ne remettait pas en cause la protection due par un État au secret fiscal de ses propres ressortissants, lorsque les États ont admis que l’assistance était justifiée, et permettait la levée du secret fiscal, en vue d’aider un État à imposer ses propres résidents. Par exemple, l’assistance internationale pouvait être accordée aux autorités italiennes pour contrôler un résident fiscal italien qui dissimulerait en France des revenus dans le but d’échapper au fisc italien, mais non pour aider le fisc italien à imposer une entreprise française, même (et surtout) si cette entreprise faisait des affaires ou avait des intérêts en Italie.
On considérait en effet qu’un État ne pouvait pas livrer ses propres ressortissants à l’inquisition fiscale d’un autre État. C’est ainsi que le modèle de convention de Londres en 1946 issu des travaux de la SDN autorise l'État requis à « repousser » la demande si elle a trait à un contribuable qui est un de ses ressortissantsi. Encore aujourd’hui, certaines conventions d’assistance internationale au recouvrement stipulent que l’État requis ne procédera à aucune mesure de recouvrement contre un de ses propres ressortissants, mais seulement contre les ressortissants de l’État demandeur ; c’est le cas notamment de la convention entre la France et les États-Unis. Cette conception traditionnelle était en harmonie avec l’idée que chaque État doit sa protection à ses ressortissants (et avec l’intérêt bien compris de chaque État de préserver sa matière imposable, et donc de veiller à ce que ses particuliers et ses entreprises soient imposés chez lui plutôt que par d’autres États).
Cependant, cette conception a été combattue depuis quelques années par l’OCDE, qui a incité les États à accepter de transmettre aux autres États, sur demande puis de façon automatique, toutes les données économiques, commerciales et financières que leurs administrations peuvent se procurer sur leurs propres résidents et leurs entreprises, même si cela va permettre à l’autre Etat de les imposer chez lui.
Point de vue
Certaines administrations, qui ont une conception âpre de leur intérêt fiscal national, vont utiliser les informations reçues pour améliorer simplement leurs recettes fiscales, indépendamment de toute fraude. On sait en effet qu’il existe des zones d’incertitude, par exemple en matière de prix de transfert ou de répartition de frais de groupe, dans lesquelles un État peut revendiquer une matière imposable plus importante que celle qu’il reçoit, sans que l’entreprise soit coupable de fraude ou d’évasion. En présence d’opérations transfrontalières, l’intérêt fiscal d’un État est généralement opposé à celui de l’État qui est de l’autre côté de la frontière : ainsi l’intérêt fiscal du pays dans lequel une société détient des investissements est par principe opposé à celui du siège de cette société. La matière imposable n’étant pas illimitée, tout prélèvement fiscal effectué dans un État est perçu au détriment de l’autre État.
L’OCDE va plus loin dans la « facilitation » de l’AAI. Renversant quelque peu le principe antérieur (dit « principe de spécialité », sur lequel on reviendra infra, n° 1012930 et s.) selon lequel les renseignements obtenus ne pouvaient être utilisés que pour établir les impositions dues dans l’État qui les a demandés, l’OCDE demande aux États d’admettre que cette assistance puisse servir à d’autres fins. Depuis 2012, l’OCDE indique que « les renseignements reçus par un État contractant peuvent être utilisés à d’autres fins [que fiscales] lorsque cette possibilité résulte des lois des deux États et lorsque l’autorité compétente de l’État qui fournit les renseignements autorise cette utilisation ». L’OCDE ne précisant pas que cette autorisation doit être écrite, les États considèrent, de fait, que l’absence d’interdiction vaut autorisation. Il s’agit donc d’un revirement complet par rapport au principe initial – utilisation strictement limitée à la lutte contre la fraude – qui intervient, indique l’OCDE, « pour tenir compte des évolutions récentes ». L’OCDE a sans doute voulu consacrer des pratiques en principe interdites mais courantes, et éviter que des États ou des administrés puissent utilement soulever ces irrégularités.
Point de vue
Ce changement de nature de l’assistance administrative doit inciter nos autorités fiscales à beaucoup de prudence dans l’acceptation des demandes émanant de certains États, et de sélectivité dans les renseignements qu’elle transmet. Certaines demandes d’assistance administrative ont pour but second – voire premier – de fragiliser nos entreprises dans la compétition internationale. Il est à cet égard très significatif que les États-Unis, après avoir poussé l’OCDE à engager la lutte contre le secret fiscal et le secret bancaire, aient refusé de signer des accords promus par l’OCDE ou de ratifier ceux qu’ils avaient signés, qui en définitive ne fonctionnent pour certains qu’à sens unique.
Sous-section 3 - La transparence sans restriction ?
Depuis le sommet du G20 de Londres en 2009, l’OCDE a lancé un programme de plus en plus contraignant pour obliger les États à adopter une totale transparence sur les données fiscales de leurs propres ressortissants et entreprises, au motif (qui n’a jamais été confirmé par une démonstration économique convaincante) que la fraude fiscale aurait été la cause de la crise financière de 2008.
Cette révolution juridique ne concerne pas que les pays membres de l’OCDE, car ces dernières années, l’OCDE a élargi son champ d’action au-delà de ses membres vers ce qu’on appelle l’« inclusive framework », en français le « cadre inclusif », c'est-à-dire un groupe de plus de 100 pays, incluant les principaux pays émergents : l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Indonésie. Les pays en voie d’adopter ce paradigme de la transparence représentent environ 80 % des échanges et de l’investissement dans le mondei. L’OCDE est en train de devenir une ONU économique, en moins démocratique car ces États ne se réunissent jamais en assemblée générale.
Chaque État est tenu d’ouvrir ses dossiers fiscaux aux autres, et ceux qui tardent à signer les conventions ainsi conçues encourent des sanctions fiscales (retenues à la source majorées, notamment). Le « Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales », fonctionnant comme une sorte de tribunal fiscal international, exerce une pression morale sur les États réticents : le refus de signer des conventions d’échange de renseignements, ou même simplement le manque de diligence dans les réponses et les transmissions de renseignements, sont sanctionnés (si des considérations diplomatiques ne l’emportent pas sur les considérations fiscales) par l’inscription sur une liste grise, puis sur une liste noire. Peu d’États résistent à de telles pressions.
Récemment, cependant, il semble se produire une prise de conscience des précautions qu’il faut apporter au culte de la transparence. On a pris conscience des enjeux d’intelligence économique que comporte l’assistance internationale dans différents domaines. Certaines entreprises, recherchant activement des informations sur leurs concurrentes étrangères, font appel à leurs administrations pour les obtenir. Il est donc prévisible que, parmi les demandes d’assistance que reçoit l’administration fiscale française, certaines visent à percer le secret des affaires d’entreprises françaises.
Le rapport parlementaire Gauvaini a alerté le Gouvernement sur l'abus de la coopération internationale dans le domaine judiciaire et la façon dont elle est utilisée par d’autres États dans un but d’intelligence économique et même parfois de guerre économique contre nos entreprises. Le rapport Gauvain n’a examiné que la coopération civile et pénale, mais une analyse analogue s’impose s’agissant de la coopération fiscale, du fait de la disparition totale du secret bancaire, et de la communication systématique aux autorités fiscales d’un État étranger de tous les renseignements que l’administration française détient sur nos entreprises, ou qu’elle peut se procurer. On reviendra plus loin sur cette question (V. n° 1012830 et s.) : il s’agit simplement ici de souligner que la marche vers la transparence totale est peut être arrivée à son apogée.
En conclusion, il y a lieu de se demander quelle est la valeur juridique du principe de transparence ? Si la lutte contre la fraude fiscale constitue un objectif de valeur constitutionnelle, et un objectif du droit de l'Union européenne, la transparence en revanche ne constitue pas un principe constitutionnel, ni un principe du droit européen. La CJUE a jugéi que « le principe de transparence » tel qu'il découle du Traité de l'Union européenne (TUE) et du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) « ne saurait être considéré, en tant que tel, comme un objectif d'intérêt général susceptible de justifier l'ingérence »i en question aux droits fondamentaux prévus par la Charte des droits fondamentaux de l’UE (en l’espèce, article 7 – respect de la vie privée et familiale – et article 8 – protection des données à caractère personnel). Dans son arrêt, la CJUE a estimé qu’il y avait une atteinte disproportionnée au droit fondamental au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel conformément aux articles 7 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’exigence de proportionnalité d’une ingérence pose une borne au principe de transparence.
Conf. Gênes, avr. 1922, rés. Comm. fin., n° 13.
La France est encore moins généreuse : Stéphanie Gibaud, autre lanceur d’alerte, côté français, dans l'affaire UBS, a obtenu en novembre 2018 la reconnaissance du statut de « collaborateur occasionnel du service public », mais le tribunal administratif de Paris (TA Paris, 15 nov. 2018, n° 1707702/5-2) ne lui a accordé comme compensation que... 3 000 € : un chiffre éloigné des 3,5 M€ de réparation que cet ancien directeur d’UBS demandait pour sa carrière brisée.
B. Birkenfeld, Lucifer’s Banker : The Untold Story of How I Destroyed Swiss BankSecrecy, 2016. Le livre a été traduit en France aux éditions Max Millo, juste avant l’ouverture du procès d’UBS, et M. Birkenfeld a eu le geste taquin d’aller en distribuer des exemplaires devant le tribunal le premier jour de l’audience.
Votation populaire du 20 mai 1984 sur l’Initiative populaire « contre l'abus du secret bancaire et de la puissance des banques », rejetée à une majorité exceptionnelle de 73 % des voix, l’initiative n’ayant recueilli un vote favorable dans aucun canton, et ayant donné lieu à une participation particulièrement élevée de 43 %.
C. pénal, art. 226-13.
LPF, art. L. 103.
OCDE (2024), « Faciliter les progrès mondiaux en matière de transparence fiscale - Rapport du Forum mondial sur le renforcement des capacités 2024 », Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, OCDE, Paris.
CJUE, gde ch., 22 nov. 2022, aff. C-37/20 et C-601/20, WM, Sovim SA c/ Luxembourg Business Registers (registre des bénéficiaires effectifs), pt 62.
Au sens de l’article 52, § 1, 1re phrase, de la Charte.