Le Fiscal by Doctrine / Part. 7 - Lutte contre la fraude et l’évasion fiscales / Ss-part. 3 - Dispositifs de droit interne / Chap. 1 - Dispositifs généraux / Sect. 1 - Dispositifs anti-abus généraux / Ss-sect. 2 - Le mini-abus de droit

Sous-section 2 - Le mini-abus de droit
L’article L. 64 A du LPF prévoit la procédure dite du « mini-abus » de droit. Aux termes de cette disposition, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. Comme l’ont indiqué les auteurs de cette disposition, elle a permis d’instaurer en France « un abus de droit à deux étages »i en ce qu’elle vient compléter l’abus de droit de l’article L. 64 du LPF. Cette procédure résulte de la volonté du législateur d’assouplir les conditions de l’abus de droit par fraude à la loi – ce qui n’est pas sans risque – mais surtout d’étendre à tous les impôts le mécanisme anti-abus issu du droit de l’Union européenne en matière d’impôt sur les sociétés qui a été transposé à l’article 205 A du CGIi. Comme a pu le relever un auteur, à propos de cette disposition : «Le risque reste celui d’un glissement d’une procédure de lutte contre les abus visant la répression de situations a priori exceptionnelles vers une procédure qui consiste, d’une façon ou d’une autre, à porter une appréciation, par nature subjective, sur l’opportunité du choix des contribuables»i. Il convient ici d’étudier l’origine du mini-abus de droit (V. n° 704970 et s.), l’entrée en vigueur de ce dispositif (V. n° 705000), sa mise en œuvre (V. n° 705010 et s.), ses effets (V. n° 705110), les garanties procédurales qui entourent cette procédure (V. n° 705120 et s.) et l’articulation de cette procédure avec les autres dispositifs anti-abus (V. n° 705150 et s.).
I. Origine du mini-abus de droit
L’article L. 64 A du LPF a pour origine un amendementi porté par les députés Bénédicte Peyrol et Joël Giraud lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2019. Cet amendement s’inspire directement du rapport d’information n° 1236, relatif à l’évasion fiscale internationale des entreprises, présenté par Mme Bénédicte Peyrol et M. Jean-François Parigi à la commission des finances de l’Assemblée nationale en septembre 2018. La proposition n°6 de ce rapport invitait le législateur à « Assouplir l’abus de droit, dans la branche de fraude à la loi, pour l’appliquer aux opérations à motivation fiscale principale et non plus exclusive »i.
Plusieurs arguments ont été avancés pour justifier la création du mini-abus de droit de l’article L. 64 A du LPF. Déjà, il instaure une règle d’assiette qui permet de mettre au même niveau la version interne de l’abus de droit et le mécanisme anti-abus issu de la directive ATADi transposé par la même loi de finances à l’article 205 A du CGI (V. n° 705150 et s.). Ce mécanisme européen permet de lutter contre les montages non authentiques qui sont ceux qui recherchent, notamment « à titre d'objectif principal ou au titre d'un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l'encontre de l'objet ou de la finalité du droit fiscal applicable »i. De ce fait, la volonté des auteurs du texte consiste assurément à étendre le champ d’application du dispositif anti-abus de l’article 205 A du CGI à l’ensemble du droit fiscal. La doctrine de l’administration fiscale va dans le même sens puisqu’elle indique que « L'article 109 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 codifié à l'article L. 64 A du LPF a pour objectif d'étendre la clause anti-abus en matière d'impôt sur les sociétés codifiée à l'article 205 A du CGI, à l'ensemble des autres impôts »i. Si cette volonté du législateur d’étendre le dispositif anti-abus de l’article 205 A du CGI à tous les impôts est manifeste à la lecture des travaux parlementaires, elle semble toutefois en contradiction avec les termes de l’article L. 64 A du LPF qui reprennent la formule de l’article L. 64 du LPF. Il y a tout lieu de se demander si le législateur n’aurait pas dû, eu égard à son intention, reprendre la lettre de l’article 205 A du CGI en l’étendant à tous les impôts, plutôt que de paraphraser le dispositif consacré à l’article L. 64 du LPF et l’étendant aux montages motivés principalement par des considérations fiscales. Ensuite, la création de l’article L. 64 A du LPF permet de se conformer à la jurisprudence constitutionnelle qui a déclaré contraire à la Constitution une modification de la procédure d’abus de droit de l’article L. 64 du LPF consistant à soumettre à cette procédure les actes inspirés par un motif principalement fiscal et non plus exclusivement fiscali ce qu’interdisait l’infliction des pénalités prévues à l’article 1729, b du CGI.Enfin, cet amendement « permet d’améliorer la précision du contrôle du risque d’évasion fiscale »i selon les termes employés par le ministre de l’économie et des finances, c’est-à-dire l’efficacité des contrôles fiscaux.
L’article L. 64 A du LPF dispose : « Afin d'en restituer le véritable caractère et sous réserve de l'application de l'article 205 A du CGI, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige peut être soumis, à la demande du contribuable ou de l'administration, à l'avis du comité mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 64 du présent livre».
II. Entrée en vigueur du mini-abus de droit
L’article L. 64 A du LPF s’applique aux rectifications notifiées à partir du 1er janvier 2021 au titre d’actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020. Avant cette date, seule la procédure d’abus de droit de l’article L. 64 du LPF ou le principe général du droit de lutte contre la fraude à la loi sont applicables.
III. Mise en œuvre du mini-abus de droit
A. Les actes visés par la procédure du mini-abus de droit
Les actes susceptibles d’être écartés par la procédure du mini-abus de droit de l’article L. 64 A du LPF sont tous les actes qui sont susceptibles de produire des effets de droit. Aucune condition n’est requise quant à leur caractère écrit ce qui tend à inclure les actes non écrits. Par ailleurs, il semble que l’ensemble des actes susceptibles d’être visés par la procédure d’abus de droit de l’article L. 64 du LPF sont également susceptibles d’être visés par la procédure du mini-abus de droit. Nous renvoyons notre lecteur vers ces développements (V. n° 704250 et s.).
Une différence notable existe entre l’abus de droit de l’article L. 64 du LPF et le mini-abus de droit de l’article L. 64 A du LPF. La procédure du mini-abus de droit ne vise que les actes constitutifs d’une forme atténuée de fraude à la loi mais nullement les actes constitutifs d’un abus de droit par simulation, c’est-à-dire la branche historique de l’abus de droit de l’article L. 64 du LPF.
B. Le double critère
La mise en œuvre du mini-abus de droit exige la réunion cumulative d’un critère subjectif tenant au motif poursuivi par le contribuable (V. n° 705050 et s.) et d’un critère objectif tenant à la recherche du bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs (V. n° 705070 et s.).
1. Le critère subjectif
Pour mettre en œuvre la procédure du mini-abus de droit de l’article L. 64 A du LPF l’administration fiscale doit démontrer que l’acte ou les actes qu’elle entend écarter a pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé aurait normalement supportées si cet acte n’avait pas été passé ou réalisé. La condition subjective réside ici dans le motif principalement fiscal poursuivi par l’auteur de l’acte ou des actes que l’administration estime constitutif d’un abus de droit. Selon l’administration fiscale, « La notion de motif principal est, en tant que telle, plus large que la notion de but exclusivement fiscal au sens de l’article L. 64 du LPF »i ce qui ne fait guère de doute. Mais, dans le même temps, elle indique que « Cette disposition, pas plus que l’abus de droit visé à l’article L. 64 du LPF, n’a pour objet d’interdire au contribuable de choisir le cadre juridique le plus favorable du point de vue fiscal pourvu que ce choix ou les conditions le permettant ne soient empreints d’aucune artificialité »i. Ces deux formules tendent à démontrer que l’administration semble percevoir ce dispositif comme un assouplissement de l’abus de droit traditionnel sans qu’il lui permette de remettre en cause systématiquement les actes de gestion des contribuables. Les limites de ce dispositif demeurent cependant particulièrement floues et empreintes d’une particulière subjectivité.
Point de vue
Comme en matière d’abus de droit de l’article L. 64 du LPF, il y a tout lieu de concevoir qu’éluder ou atténuer les charges fiscales de l’intéressé peut s’entendre tant d’une réduction du montant de la créance fiscale normalement due mais encore de la perception d’un crédit d’impôt indu ou même de l’augmentation d’une situation déficitaire. De même, comme en matière d’abus de droit de l’article L. 64 du LPF, il semble que l’acte ou la série d’actes litigieux doit avoir pour effet d’éliminer ou de réduire la charge fiscale du contribuable. Un acte ou une série d’actes qui ne modifierait pas la charge fiscale de l’intéressé ne pourrait être qualifié d’abusif au sens de ces dispositionsi. Le contribuable ne saurait, par ailleurs, démontrer l’existence d’une voie alternative licite qui lui aurait permis de parvenir à une même économie d’impôt s’il n’avait pas passé l’acte constitutif d’un abus de droiti.
Par un jugement du 2 septembre 2025i, le tribunal judiciaire de Compiègne s’est prononcé sur l’existence d’un but principalement fiscal poursuivi par le contribuable, non sur le fondement de l’article L. 64 A du LPF mais sur le fondement de l’article 974 du CGI qui exclut des dettes déductibles certaines dettes pour la valorisation des parts d’une société et la détermination de l’assiette de l’IFI lorsque ces dettes visent « un objectif principalement fiscal ». En l’espèce, le tribunal a jugé qu’un tel objectif principalement fiscal ne pouvait pas être identifié estimant qu’il y a lieu « de prendre en compte les avantages autres que fiscaux résultant du montage, et d’effectuer une balance qui ne peut, eu égard à la rédaction des textes applicables, être purement mathématique ».
Point d'attention
Si ce jugement permet d’identifier une première méthode d’appréciation du but principalement fiscal, il faut souligner que le critère dit « objectif » requis en matière d’abus de droit - exigeant de prouver que le contribuable a recherché « le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs » - est absent de l’article 974 du CGI.
À l’heure où les juges ne se sont pas prononcés sur la mise en œuvre de l’abus de droit de l’article L. 64 A du LPF, l’administration fiscale a pu se prononcer sur certaines opérations en affirmant qu’elles ne constituent pas un abus de droit au sens de cette disposition. Il s’agit, tout d’abord, des « transmissions anticipées de patrimoine et notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l'usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives »i. Il s’agit, ensuite, de « La donation d’usufruit temporaire à un organisme sans but lucratif, même si elle permet de réaliser une économie d’impôt très importante, n’est pas susceptible d’être écartée sur le fondement de l’article L. 64 A du LPF lorsque le donateur se dépouille irrévocablement des fruits attachés à l’actif donné, sur la durée de l’usufruit temporaire »i.
Nicolas Jacquot, dans son jurisclasseur consacré au mini-abus de droit a pu étudier, outre le cas de la donation démembrée, le cas de la donation-cession et la vente à soi-même immobilière. En matière de donation-cession, il indique qu’« Est ainsi présente, dans cette position d’absence de possibilité de fraude à la loi dans le cas d’une donation-cession, l’idée que si la donation emporte appauvrissement effectif et irrévocable du donateur, il n’est pas possible de faire état de l’intention du contribuable (donataire) d’éluder un impôt sur la plus-value en contrariété avec l’intention du législateur. En d’autres termes, le motif principalement fiscal (tout comme le motif exclusivement fiscal) n’est pas évident à prouver, ce d’autant que l’acte préalable de donation, si l’intention libérale est attestée, a de réels objectifs patrimoniaux non fiscaux »i. Quant à la vente à soi-même d’un immeuble, il estime qu’«À ce stade de l’analyse, il n’est pas évident de se convaincre qu’il y a en l’espèce des actes allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable qui est de tendre à une neutralité fiscale (absence de taxation du revenu et absence corrélative de déductibilité des charges), pour autant néanmoins que l’opération de vente suivie de la mise en location du bien respecte un certain nombre d’éléments : le prix de vente du bien immobilier doit se faire à la valeur vénale ; il doit y avoir versement effectif du prix ; la société cessionnaire ne doit pas être fictive ; le contrat de bail doit être conforme aux dispositions relatives aux baux d’habitation ; le loyer doit être effectivement versé, correspondre lui aussi à un prix de marché, et être révisé (le cas échéant en raison de travaux) ; si travaux il y a, ils doivent bien être engagés dans l’intérêt de la société propriétaire elle-même (ce qui implique d’identifier les travaux usuellement laissés à la charge du locataire) et financés par emprunt bancaire (un financement par apport en compte courant de l’associé risque d’être considéré comme un élément marquant un dessaisissement non effectif du bien). Il convient également de pouvoir démontrer des motifs autres que fiscaux à l’opération, comme une optique patrimoniale ou de transmission, pour conforter la démonstration de l’absence de motif principalement fiscal»i.
2. Le critère objectif
Pour établir l’existence d’un abus de droit au sens de l’article L. 64 A du LPF, l’acte doit rechercher le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs. Cela signifie que l’administration doit prouver que si l’acte ou la série d’actes respecte la lettre d’un texte ou d’une décision, il doit être contraire aux objectifs poursuivis par l’auteur de la norme.Cette condition objective est parfaitement analogue à celle retenue pour l’abus de droit de l’article L. 64 du LPF.En raisonnant par analogie avec l’abus de droit de l’article L. 64 du LPF, les normes dont l’esprit est susceptible d’être méconnu sont, tout à la fois, les lois, les conventions fiscales internationales mais aussi les dispositions réglementaires. Selon l’administration fiscale, il en va de même de la doctrine administrative de portée générale qui est publiée dans le bulletin officiel des finances publiques mais aussi des réponses ministériellesi. En revanche, il n’en irait pas de même des décisions individuelles, c’est-à-dire des prises de position individuelles de l’administration fiscale sur la situation particulière d’un contribuablei. De telles affirmations méritent d’être largement relativisées dès lors que le Conseil d’État a admis que l’administration puisse se fonder sur la procédure de l’abus de droit de l’article L. 64 du LPF à l’encontre d’un contribuable ayant abusé d’une loi fiscale telle qu’elle est interprétée par une doctrine de portée générale et dans l’unique hypothèse où ce contribuable a mis en place un montage purement artificieli.
3. Les limites perceptibles
En l’absence de toute décision jurisprudentielle, il apparaît que deux limites importantes sont identifiables et pourraient tendre à restreindre de manière substantielle l’étendue du mini-abus de droit. La première limite est la nécessité d’interpréter l’article L. 64 A à la lumière de l’article 205 A du CGI (V. n° 705090), la seconde repose sur la nécessité de remplir le critère objectif qui est requis comme en matière d’abus de droit (V. n° 705100).
1° Une interprétation à la lumière de l’article 205 A du CGI
La volonté du législateur, lors de l’adoption du mini-abus de droit de l’article L. 64 A du LPF était d’étendre le champ de l’article 205 A du CGI, qui est limité à l’impôt sur les sociétés, à l’ensemble des impôtsi. L’administration fiscale rappelle même dans sa doctrine que cette disposition est destinée à étendre à tous les impôts le mécanisme anti-abus de l’article 205 A du CGIi. Cette volonté du législateur pourrait conduire le juge à interpréter l’article L. 64 A du LPF à la lumière de l’article 205 A du CGI. Or, cet article 205 A du CGI dispose qu’« un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n'est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique». En d’autres termes, un montage justifié par des motifs commerciaux serait de nature à échapper à ce mécanisme anti-abus. Si le critère du but principalement fiscal venait à être interprété à la lumière de cette disposition, il serait alors substantiellement circonscrit. Il reste à savoir si le juge s’engagera dans une lecture de l’article L. 64 A du LPF à la lumière de l’article 205 A du CGI.
2° Le poids déterminant du critère objectif
Du point de vue de l’auteur, la nécessité de prouver l’existence de la condition objective c’est-à-dire d’une « application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs » pourrait constituer une limite singulièrement forte à la mise en œuvre du mini-abus de droit de l’article L. 64 A du LPF. Car, pour méconnaître l’intention des auteurs d’une disposition fiscale, il semble nécessaire de créer un montage reposant sur une certaine artificialité qui permet de révéler une méconnaissance de l’esprit de cette norme. La définition de l’abus de droit proposée par le président Odent tend à l’indiquer. Il écrivait que « les administrés peuvent violer l'esprit de la loi si, à seule fin d'obtenir les avantages attachés à une situation qui, en vertu d'un texte, y ouvre droit, ils se placent dans cette situation et en revendiquent le bénéfice tout en refusant d'accepter la contrepartie que le législateur avait en vue lorsqu'il a prévu les avantages correspondants »i. En clair, pour méconnaître l’esprit d’une disposition, il ne faut pas seulement en rechercher principalement le bénéfice, il faut en refuser toutes les conséquences qui en découlent ce qui nécessite, pour un contribuable, de vider de toute justification – pour ne pas dire de substance – le montage mis en œuvre. La formule de Jérôme Turot selon laquelle « Un étudiant ironique pourrait dire à ses professeurs que la distinction entre critère objectif et critère subjectif est une construction purement artificielle »itend encore à rappeler que le critère objectif n’est qu’une voie d’accès différente pour l’identification d’un montage présentant un certain degré d’artificialité. Le recul du critère subjectif voulu et souhaité par les auteurs de l’article L. 64 A du LPF pourrait donc être largement relativisé par le maintien, inchangé, du critère objectifi. En ce sens, la condition objective ici requise pourrait conduire à application particulièrement restreinte du mini-abus de droit de l’article L. 64 A du LPF puisqu’elle exigerait de démontrer que le montage ou l’opération mis en œuvre sont dépourvus de réelle substance. La doctrine de l’administration fiscale semble aller dans ce sens lorsqu’elle indique que « Cette disposition [l’article L. 64 A du LPF], pas plus que l’abus de droit visé à l’article L. 64 du LPF, n’a pour objet d’interdire au contribuable de choisir le cadre juridique le plus favorable du point de vue fiscal pourvu que ce choix ou les conditions le permettant ne soient empreints d’aucune artificialité »i. Elle ajoute encore, de manière particulièrement limpide que « Ces dispositions ne visent que les actes ou montages dépourvus de substance économique »i. Les débats concernant la mise en œuvre du mini-abus de droit en matière de démembrement de propriété ont démontré que si le critère subjectif avait été substantiellement élargi par rapport à l’abus de droit de l’article L. 64 du LPF, le critère objectif demeure un rempart contre l’application de cette procédure dans la mesure où les contribuables n’ont pas détourné l’intention du législateur en abusant l’esprit de la loi. La réponse du Ministère de l'action et des comptes publics à la question du sénateur Catherine Procaccia est éclairante sur ce point. Elle indique que «la nouvelle définition de l'abus de droit telle que prévue à l'article L. 64 A du LPF n'est pas de nature à entraîner la remise en cause des transmissions anticipées de patrimoine et notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l'usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives»i. Cela signifie que la méconnaissance de l’intention du législateur exige, en présence d’une opération de démembrement, de l’administration fiscale qu’elle prouve que l’opération est fictive ce qui tend à rapprocher substantiellement le mini-abus de droit de l’article L. 64 A du LPF de l’abus de droit de l’article L. 64 du LPF.Sous ce jour, l’exigence d’artificialité rejaillirait au niveau du critère objectif de l’abus de droit alors qu’elle a été largement diluée au niveau de la condition subjective. Cette porosité entre la condition objective et la condition subjective de l’abus de droit se manifeste déjà en matière d’abus de droit de l’article L. 64 du LPF. En la matière, la présence d’un montage purement artificiel permet, dans bien des hypothèses, d’estimer que le critère objectif est lui-même rempli, ce qui implique une certaine perméabilité entre la condition tenant à l’artificialité du montage et l’application littérale des textes dans un sens contraire aux objectifs poursuivis par leurs auteurs.De ce point de vue, les deux étages de l’abus de droiti pourraient ne former qu’un seul et même pallier si du moins le juge de l’impôt venait à retenir une conception rigoureuse de la condition objective du mini-abus de droit.Que resterait-il alors du mini-abus de droit ? A notre sens, le mini-abus de droit pourrait renvoyer à des hypothèses où le motif fiscal a été déterminant, ne laissant apparaître que des motifs non fiscaux négligeables. L’abus de droit de l’article L. 64 du LPF ne serait, lui, applicable qu’aux hypothèses où le but exclusivement fiscal est valablement démontré comme en atteste la décision Société Groupement Charbonnier Montdiderieni qui nous semble être revenue sur les affaires Garnier Choiseul antérieurei (Sur ce point, V. n° 704580).
IV. Effets du mini-abus de droit
Un acte ou une série d’actes constitutif d’un abus de droit au sens de l’article L. 64 A du LPF est inopposable à l’administration fiscale. La situation fiscale du contribuable sera recalculée comme si l’acte en question n’avait pas existé. Les sanctions prévues au b de l’article 1729 du CGI en matière d’abus de droit de l’article L. 64 du LPF ne sont pas applicables. Néanmoins, l’administration fiscale est en droit d’infliger les sanctions prévues au a et au c de ce même article 1729 du CGI si elle parvient à démontrer que les circonstances en cause le justifient. Ainsi, le contribuable ayant commis un tel abus pourra être sanctionné au titre d’un manquement délibéré ou d’une manœuvre frauduleuse.
V. Garanties procédurales
Le législateur a prévu essentiellement deux garanties procédurales au titre de la procédure de mini-abus de droit de l’article L. 64 A du LPF. Il s’agit, d’une part, de la procédure de rescrit (V. n° 705130) et, d’autre part, de la faculté de saisir le comité de l’abus de droit fiscal (V. n° 705140).
1. Rescrit
Tout contribuable qui entend obtenir la garantie qu’un acte ou une série d’actes n’est pas constitutif d’un abus de droit au sens de l’article L. 64 A du LPF peut demander à l’administration de se prononcer sur l’applicabilité de cette procédure. Conformément à l’article L. 64 B du LPF, il convient « préalablement à la conclusion d'un ou plusieurs actes » de fournir «par écrit l'administration centrale en lui fournissant tous éléments utiles pour apprécier la portée véritable de cette opération». L’administration dispose alors d’un délai de six mois pour prendre position et son silence lui est opposable passé ce délai.
2. Comité de l’abus de droit fiscal
En cas de désaccord entre l’administration fiscale et le contribuable sur des rectifications notifiées sur le fondement du mini-abus de droit de l’article L. 64 A du LPF, tant le contribuable que l’administration peuvent saisir le comité de l’abus de droit. Le comité est alors saisi et rendra son avis suivant la procédure prévue en matière d’abus de droit de l’article L. 64 du LPF.
VI. Articulation avec les autres dispositifs anti-abus
L’abus de droit de l’article L. 64 A du LPF ne peut s’appliquer en présence d’un abus de droit caractérisé sur le fondement l’article L. 64 du LPFi et s’applique sous réserve de l’article 205 A du LPF. Cela signifie que l’article L. 64 A du LPF ne s’applique pas en matière d’impôt sur les sociétési.
Sur ce point, V. n° 705160 et s.
N. Jacquot, JurisClasseur Procédures fiscales, « Fasc. 379 : abus de droit de l’article L. 64 A du LPF. Mini-abus de droit. - Définition et notions » [Lexis360 Intelligence, n° 164 ]
Cons. UE, dir. (UE) 2016/1164, 12 juill. 2016, établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur.
CGI, art. 205 A, transposant la clause anti-abus de la directive « ATAD » 2016/1164/UE du Conseil du 12 juillet 2016.
BOI-CF-IOR-30-20, 31 janv. 2020, n°1.
Cons. constit., déc. n° 2013-685 DC, 29 déc. 2013, L. fin. 2014 [Dr. fisc. 2014, n°1, comm. 70 ; Dr. fisc. 2020, n°24, étude 268, F. Locatelli et S. Lefevre, spéc. Ann. ; RJF 3/2014, n°267 ].
M. Bruno Le Maire, XVe législature, Session ordinaire de 2018-2019, 15 nov. 2018, Première séance.
BOI-CF-IOR-30-20, 31 janv. 2020, n° 110.
BOI-CF-IOR-30-20, 31 janv. 2020, n° 1.
CE, 5 mars 2007, n° 284457, SELARL Pharmacie des Chalonges [Dr. fisc. 2007, n° 20, comm. 522, note O. Fouquet ; RJF 5/2007, n° 600 ].
CE, 9e-10e, 12 déc. 2023, n° 470038 et 470039, Demaugé-Bost [Dr. fisc. n° 51-52, 21 déc. 2023, act. 454 ; RJF 3/24 n°239 ].
BOI-CF-IOR-30-20, 31 janv. 2020, n° 120, Exemple 2.
N. Jacquot, JurisClasseur Procédures fiscales, « Fasc. 379 : abus de droit de l’article L. 64 A du LPF. Mini-abus de droit. - Définition et notions » [Lexis360 Intelligence, n° 147 ].
N. Jacquot, JurisClasseur Procédures fiscales, « Fasc. 379 : abus de droit de l’article L. 64 A du LPF. Mini-abus de droit. - Définition et notions » [Lexis360 Intelligence, n° 152 ].
BOI-CF-IOR-30-20, 31 janv. 2020, n° 70.
BOI-CF-IOR-30-20, 31 janv. 2020, n° 70.
CE, ass., 28 oct. 2020, n° 428048, Charbit [Dr. fisc. 2020, n° 47, comm. 444, concl. M.-G. Merloz, note F. Deboissy ; RJF 1/2021, n° 59 ].
V. n° 704970 et s.
Il est ainsi indiqué que « D’après les débats parlementaires, les dispositions de l’article L. 64 A du LPF ont à cet égard pour objectif d’étendre les dispositions anti-abus concernant l’impôt sur les sociétés prévues à l’article 205 A du CGI à l’ensemble de la fiscalité » (BOI-CF-IOR-30-20, 31 janv. 2020, n° 110).
R. Odent, Contentieux administratif [Dalloz, 2007, p. 1921 ] (souligné par l’auteur).
J. Turot, « Demain, serons-nous tous des Al Capone ? À propos d'une éventuelle prohibition des actes à but principalement fiscal » [Dr. fisc. 2013, n° 36, 394, p. 20 ].
N. Jacquot ne nous semble pas dire autre chose lorsqu’il affirme qu’« En tout état de cause, quelle que soit la caractérisation de l’objectif poursuivi, il faut la confronter à l’intention de l’auteur de la norme abusée : si on respecte cette intention, le débat et la crainte d’insécurité juridique sur le caractère principal ou exclusif de l’objectif poursuivi pourront être relativisés » (N. Jacquot, JurisClasseur Procédures fiscales, « Fasc. 379 : abus de droit de l’article L. 64 A du LPF. Mini-abus de droit. - Définition et notions » [Lexis360 Intelligence, n° 138 ]).
BOI-CF-IOR-30-20, 31 janv. 2020, n°1.
BOI-CF-IOR-30-20, 31 janv. 2020, n° 110.
Bénédicte Peyrol et Jean-François Parigi indiquaient vouloir créer « un abus de droit à deux étages » (B. Peyrol et J.-F. Parigi, Rapp. d'inf. n°1236, 12 sept. 2018, en conclusion des travaux d'une mission d'information relative à l'évasion fiscale internationale des entreprises, p. 279).
CE, 23 juin 2014, n° 360708, Sté Groupement charbonnier montdiderien [Dr. fisc. 2014, n° 43-44, comm. 598, concl. F. Aladjidi, note O. Fouquet ; RJF 10/14, n° 925 ].
V. not. CE, 17 juill. 2013, n° 360706, min. c/ SARL Garnier Choiseul Holding [Dr. fisc. 2013, n° 41, comm. 427, concl. F. Aladjidi, note F. Deboissy et G. Wicker ; RJF 11/13 n°1064 ].
BOI-CF-IOR-30-20, 31 janv. 2020, n° 110.
En ce sens, l’article L. 64 A du LPF dispose que la procédure du mini-abus de droit s’applique « sous réserve de l'application de l'article 205 A du CGI». Sans surprise, l’administration fiscale indique dans son commentaire que « Les dispositions de l’article L. 64 A du LPF s’appliquent sous réserve de celles de l’article 205 A du CGI. Elles concernent par conséquent tous les impôts à l’exception de l’impôt sur les sociétés » (BOI-CF-IOR-30-20, 31 janv. 2020, n° 20).