Décision de la Commission des sanctions du 17 mars 2011 à l'égard de CRÉDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK, NATIXIS, de M. A et de la société de gestion X

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Sur la décision

Référence :
AMF, 17 mars 2011, n° SAN-2011-05
Numéro : SAN-2011-05
Identifiant AMF : SAN-2011-05

Texte intégral

La Commission des sanctions

DECISION DE LA COMMISSION DES SANCTIONS A L’EGARD DE CRÉDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK, NATIXIS, DE M. A ET DE LA SOCIÉTÉ DE GESTION X

La 1ère section de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») ;

Vu le code monétaire et financier, notamment ses articles L. 621-14, L. 621-15, R. 621-5 à R. 621-7 et R. 621-38 à R. 621-40 ;

Vu le règlement général de l’AMF, notamment ses articles 216-1 dans sa rédaction issue de l’arrêté du 2 avril 2009 (anciennement article 218-1), et 621-1 à 622-2 ;

Vu les notifications de griefs adressées le 6 janvier 2010 aux sociétés Calyon (désormais Crédit Agricole Corporate and Investment Bank), Natixis, la société de gestion X et à M. A ;

Vu la décision du 15 mars 2010 par laquelle le président de la Commission des sanctions a désigné M. Joseph Thouvenel, membre de la Commission des sanctions, en qualité de rapporteur ;

Vu les observations présentées, le 8 mars 2010, par Me Emmanuel Galistin du cabinet Stinger Avocats Associés, avocat de M. A ;

Vu les observations présentées le 11 mars 2010, par Me Jean-Pierre Mattout du cabinet Kramer, Levin, Naftalis & Frenkel, avocat de Crédit Agricole Corporate and Investment Bank et par Me Antoine Juaristi du cabinet Hogan Lovells LLP, avocat de Natixis ;

Vu les observations présentées le 15 mars 2010, par Mes Benjamin Delaunay et Stéphane Puel du cabinet Gide Loyrette Nouel, avocats de la société de gestion X ;

Vu les lettres du 23 mars 2010 par lesquelles les mis en cause étaient informés de la nomination de M. Joseph Thouvenel en qualité de rapporteur et de ce qu’ils disposaient de la faculté de demander la récusation du rapporteur dans un délai d’un mois ;

Vu le procès-verbal d’audition par le rapporteur, en date du 3 janvier 2011, du RCSI du métier « Coverage Investment Banking » et responsable de l’équipe « Conflict Management Group » chez Crédit Agricole Corporate and Investment Bank, assisté du RCSI des Marchés de capitaux, et de son avocat, Me Jean-Pierre Mattout ;

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Vu le procès-verbal d’audition par le rapporteur, en date du 3 janvier 2011, du responsable des activités de vente sur les marchés obligataires au niveau mondial chez Crédit Agricole Corporate and Investment Bank, muni d’un pouvoir de représentation de cette société, assisté de son avocat, Me Jean-Pierre Mattout ;

Vu le procès-verbal d’audition par le rapporteur, en date du 19 janvier 2011, du directeur juridique et du responsable monde de la plateforme dette chez Natixis, munis d’un pouvoir de représentation de cette société, assistés de leur avocat Me Antoine Juaristi ;

Vu le procès-verbal d’audition par le rapporteur, en date du 19 janvier 2011, d’un des vendeurs de produits de taux chez Natixis, assisté de son avocat Me Antoine Juaristi ;

Vu le rapport de M. Joseph Thouvenel en date du 1er février 2011 ;

Vu les lettres du 2 février 2011 de convocation à la présente séance de la Commission des sanctions auxquelles était annexé le rapport signé du rapporteur ;

Vu les lettres du 11 février 2011 informant les personnes mises en cause de la composition de la Commission des sanctions pour la présente séance et du délai de quinze jours dont elles disposaient pour demander la récusation d’un membre de cette Commission ;

Vu les observations écrites présentées en réponse au rapport du rapporteur, le 21 février 2011 par Me Jean-Pierre Mattout pour le compte de Crédit Agricole Corporate and Investment Bank et par Me Antoine Juaristi pour le compte de Natixis, ainsi que le 25 février 2011 par

Me Benjamin Delaunay et Me Stéphane Puel, pour le compte de la société de gestion X ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu au cours de la séance du 17 mars 2011 :

— Monsieur le rapporteur en son rapport ;

- M. Jean-Jacques Barberis, représentant le directeur général du Trésor, qui a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler ;

- M. Ambroise Liard, représentant le Collège de l’AMF ;

— Mme Paule Cellard, responsable de la conformité, et M. Philippe Rakotovao, responsable « Sales/Trading » sur les marchés obligataires, représentant la société Crédit Agricole

Corporate and Investment Bank, et Me Jean-Pierre Mattout, conseil de cette société ;

- M. André-Jean Olivier, secrétaire général, et Alain Gallois, responsable monde de la plateforme dette, représentant la société Natixis, et Me Antoine Juaristi, conseil de cette société ;

- M. […], président du directoire, représentant la société de gestion X, et Me Stéphane Puel, conseil de cette conseil ;

- M. A et son conseil, Me Emmanuel Galistin ;

les personnes mises en cause ayant pris la parole en dernier,

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FAITS ET PROCEDURE

A. LES FAITS

Le 21 novembre 2008, la direction de Danone a décidé de lancer un nouvel emprunt obligataire au taux de 6,375% et à échéance au 4 février 2014, dans le cadre de son programme EMTN, par sa filiale Danone Finance. L’emprunt était entièrement garanti par la maison-mère de la société Danone et quatre banques en ont dirigé le placement : HSBC, Barclays Capital, Calyon et Natixis.

Le 24 novembre 2008 à 9h30 s’est tenue une réunion préparatoire (« kick-off meeting ») au lancement de l’émission 6,375% 4 février 2014 dans les locaux de Danone, en présence de représentants des chefs de file. Au cours de cette réunion, il a notamment été question de l’organisation d’un sondage de marché auprès d’investisseurs potentiels afin d’évaluer leur intérêt à souscrire au nouvel emprunt.

De 11h10 à 11h26, les quatre banques chefs de file ont tenu une conférence téléphonique au cours de laquelle elles se sont mises d’accord sur les établissements qui feraient l’objet d’un sondage.

Entre 11h33 et 11h49, un vendeur de produits de taux chez Natixis à Paris, a pris contact avec la direction des fonds propres et la direction des fonds d’épargne de la Caisse des Dépôts et Consignations ainsi qu’avec Natixis Asset Management, Finams et Axa IM.

Entre 11h30 et 12h00, trois vendeurs de Calyon ont sondé les AGF, Aviva, Crédit Agricole Asset Management, Generali France et Generali Italie.

Enfin, entre 11h33 et 11h47, HSBC a sondé trois gérants à Londres, tandis qu’entre 11h33 et 11h44 Barclays sondait six gérants en Allemagne et aux Pays-Bas.

A 18h00, une nouvelle conférence téléphonique a eu lieu entre Danone et les représentants des chefs de file, afin que ces derniers rendent compte à l’émetteur de l’intérêt des investisseurs pour la nouvelle émission.

Le lendemain, 25 novembre 2008, Danone a annoncé au marché, par la voie d’un communiqué diffusé vers 9h00 sur les écrans Bloomberg et Reuters, le lancement de l’émission.

Dans l’après-midi, vers 16h00, les chefs de file et l’émetteur ont procédé au « pricing » de l’émission, puis aux allocations aux investisseurs. Le montant total des ordres reçus s’élevant à environ 4 milliards d’euros, Danone a décidé que l’émission atteindrait 1 milliard d’euros. Par ailleurs, le « spread » de l’émission a été abaissé à 285 points de base au dessus du taux du swap de référence.

A 17h30, Danone a diffusé un communiqué pour annoncer la réussite du lancement de son émission.

Or, ce jour-là, le cours de l’obligation Danone 5,50% 6 mai 2015, dont les caractéristiques étaient proches de celles de la nouvelle émission, s’est déprécié.

Le Service de la surveillance des marchés de la Direction des enquêtes et de la surveillance des marchés de l’AMF ayant observé, dans les jours ayant précédé l’annonce de la nouvelle émission, un volume d’échanges soutenus sur le marché de cette obligation et notamment des ventes de titres par la société de gestion X le 24 novembre 2008, le secrétaire général de l’AMF a décidé, le 14 mai 2009, de faire procéder à une enquête sur les interventions de cet établissement sur les obligations Danone 6,375% 4 février 2014 et Danone 5,5% 6 mai 2015, à compter du 1er novembre 2008.

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B. LA PROCEDURE

Lors d’une séance du 17 décembre 2009, la Commission spécialisée n° 2 du Collège de l’AMF a examiné ce rapport, conformément à l’article L. 621-15 du code monétaire et financier.

Conformément à la décision alors prise, le Président de l’AMF a, le 6 janvier 2010, par lettres recommandées avec demande d’avis de réception, notifié des griefs à l’encontre de :

— M. A, gérant analyste-crédit à la société de gestion X ;

- la société de gestion X, prise en la personne du président de son directoire, M. […] ;

- la société Natixis, prise en la personne de son directeur général, M. Laurent Mignon ;

- la société Calyon, devenue par la suite Crédit Agricole Corporate and Investment Bank, prise en la personne de son directeur général, M. Patrick Valroff.

En substance, il est fait grief :

— à M. A, gérant analyste-crédit à la société de gestion X, d’avoir utilisé l’information privilégiée selon laquelle « la société Danone préparait l’émission d’un emprunt obligataire de taille de référence (dite benchmark), d’une échéance d’environ 5 ans avec un écart de rendement indicatif

(spread) par rapport au taux de swap de référence (mid-swap) compris entre 290 et 300 points de base », en vendant, pour le compte de la société de gestion X, des obligations Danone 5,50% d’échéance mai 2015, dont la valorisation sur le marché a [par la suite] été « mécaniquement dépréciée par le lancement du nouvel emprunt précité » ;

— à la société de gestion X, l’utilisation de l’information privilégiée par M. A, qui agissait dans le cadre de ses fonctions au nom et pour le compte de la société X ;

— aux sociétés Natixis et Calyon (désormais Crédit Agricole Corporate and Investment Bank) (ci-après « CACIB »), de ne pas avoir respecté les exigences relatives à la mise en œuvre de sondages de marché, prévues à l’article 218-1 du règlement général de l’AMF, reprises aujourd’hui à l’article 216-1, à l’occasion du sondage de marché réalisé le 24 novembre 2008 par leur équipe de vente respective et destiné à mesurer l’intérêt d’investisseurs professionnels pour la souscription de l’emprunt Danone 6,375% échéance février 2014.

Les notifications de griefs précisent que ces faits pourraient donner lieu, à l’encontre de CACIB, Natixis, la société de gestion X et de M. A, à une sanction sur le fondement des articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier.

Par lettre du 16 février 2010, Me Antoine Juaristi, conseil de la société Natixis, a demandé au secrétariat de la Commission des sanctions le versement en procédure d’une version complète des tableaux présentés en annexe 5.1 du rapport d’enquête.

Le 4 mars 2010, le président de la Commission des sanctions a déposé au dossier la version complète de ces tableaux et l’a adressée à Me Antoine Juaristi.

Le 9 février 2010, Mes Stéphane Puel et Benjamin Delaunay, avocats de la société de gestion X, ont demandé le versement en procédure de l’intégralité des pièces, notamment celles relatives à l’achat d’un credit default swap CDS ») Danone de 10 millions d’euros et celles concernant la cession d’obligations Danone échéance juin 2011, pour 800 000 euros, par deux gérants de la banque C.

Par lettre du 26 février 2010, le Président de la Commission des sanctions leur a indiqué que ces pièces se trouvaient en procédure.

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Conformément aux dispositions de l’article R. 621-38 du code monétaire et financier, le secrétariat de la Commission des sanctions a reçu, du 8 au 15 mars 2010, des observations écrites, en réponse aux notifications de griefs, de la part de :

— Me Emmanuel Galistin pour le compte de M. A ;

- Mes Stéphane Puel et Benjamin Delaunay pour le compte de la société de gestion X :

- Me Jean-Pierre Mattout pour le compte de CACIB (anciennement Calyon) ;

- Me Antoine Juaristi pour le compte de Natixis.

M. Joseph Thouvenel a été désigné en qualité de rapporteur, le 15 mars 2010, ce dont les mis en cause ont été informés par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 23 mars 2010, ces lettres les avertissant également de ce qu’ils disposaient d’un délai d’un mois pour demander la récusation éventuelle du rapporteur dans les conditions prévues par les articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du code monétaire et financier.

Le 30 décembre 2010, Me Jean-Pierre Mattout a adressé au rapporteur un courrier en réponse à une demande de renseignements ainsi que la traduction française de deux pièces annexées à ses observations.

Le 3 janvier 2011, le rapporteur a entendu le RCSI du métier « Coverage Investment Banking » et responsable de l’équipe « Conflict Management Group » chez CACIB, assisté du RCSI des marchés de capitaux, et de son conseil, Me Jean-Pierre Mattout,

Le même jour, le rapporteur a entendu le responsable des activités de vente sur les marchés obligataires au niveau mondial, représentant la société CACIB, en présence de son conseil, Me Jean-Pierre Mattout.

Le 19 janvier 2011, le rapporteur a entendu le responsable monde de la plateforme dette chez Natixis et le directeur juridique, représentant la société Natixis, en présence de Me Antoine Juaristi ainsi que l’un des vendeurs de produits de taux chez Natixis, en présence de ce conseil.

Le rapporteur a rendu son rapport le 1er février 2011.

Les mis en cause ont été convoqués devant la 1ère section de la Commission des sanctions par lettres recommandées avec demande d’avis de réception, en date du 2 février 2011, auxquelles était joint le rapport du rapporteur.

Ils ont été avisés de la composition de la Commission des sanctions et de leur faculté de demander la récusation de l’un des membres de cette Commission, par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 11 février 2011, en application des articles R. 621-39-2 et R. 621-39-4 du code monétaire et financier.

Les conseils de Natixis, CACIB et la société de gestion X ont produit des observations en réponse au rapport du rapporteur, les 21 et 25 février 2011.

MOTIFS DE LA DECISION

A. SUR L’EXISTENCE D’UNE INFORMATION PRIVILEGIEE

Considérant, qu’aux termes de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF : « Une information privilégiée est une information précise qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers qui leur sont liés. Une information est réputée précise si elle fait mention d’un ensemble de circonstances ou d’un événement qui s’est produit ou qui est susceptible de se produire et s’il est possible d’en tirer une

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conclusion quant à l’effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés.

Une information, qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés est une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser comme l’un des fondements de ses décisions d’investissement » ;

Considérant que, selon ses termes mêmes, l’article 621-1 vise de façon indifférenciée les « instruments financiers » ; qu’il est applicable non seulement à des actions mais également à des obligations, sans qu’y fassent obstacle les particularités du marché obligataire ;

Considérant qu’aux termes de la notification de griefs, il existait, au 24 novembre 2008, une information privilégiée selon laquelle « la société Danone préparait l’émission d’un emprunt obligataire de taille de référence (dite benchmark), d’une échéance d’environ 5 ans avec un écart de rendement indicatif (spread)

par rapport au taux de swap de référence (mid-swap) compris entre 290 et 300 points de base » ;

Considérant que l’information en cause contenait les principales caractéristiques de l’émission obligataire qui devait être lancée, à savoir : le nom de l’émetteur, l’indication de ce que la taille serait une taille dite de référence, son échéance et l’écart de rendement par rapport au taux de swap de référence ; que des sondages de marché ont été organisés le 24 novembre 2008 pour connaître l’intérêt de potentiels souscripteurs de l’émission à venir ; que la connaissance de ces caractéristiques de l’émission permettait à un opérateur de les comparer avec la situation constatée sur le marché des obligations 5,50% échéance 6 mai 2015 émises par le même émetteur – qui continuaient alors, en dépit du contexte de l’époque, de donner lieu à des échanges soutenus – et d’en tirer une conclusion quant à l’effet possible de l’annonce sur le cours des souches existantes ; qu’ainsi, l’information était précise au sens des dispositions précitées ;

Considérant que la société Danone n’avait, antérieurement au 25 novembre 2008, délivré au public aucune information sur une émission obligataire au dernier trimestre 2008 ; que la société a indiqué au cours de l’enquête n’avoir pris la décision de lancer une nouvelle émission obligataire que le 21 novembre et qu’elle avait même précisé par téléphone à HSBC, aux alentours du 18 novembre, que le groupe ne « sortirait pas » d’ici la fin 2008 ; que la circonstance qu’il pouvait être envisagé que la société Danone soit amenée à lancer à l’époque une nouvelle émission obligataire n’était pas de nature à priver l’information précise de son caractère non public avant son annonce par l’émetteur ;

Considérant que compte tenu des caractéristiques de l’emprunt obligataire 6,375% 4 février 2014 à émettre par Danone, telles que décrites ci-dessus, et des prix qui pouvaient être observés sur le marché secondaire de la souche 5,5% 6 mai 2015 dans les jours qui ont précédé l’annonce de la nouvelle émission, l’information en cause pouvait servir de fondement à la décision d’un investisseur raisonnable intervenant sur le marché obligataire de vendre les obligations existantes détenues pour se positionner à l’achat sur l’émission qui avait de bonnes chances d’être lancée à des conditions plus favorables ; que c’est d’ailleurs ainsi que le directeur de la gestion monétaire et obligataire chez la société de gestion X a décrit la stratégie générale de l’établissement en la matière ; qu’au demeurant, le 25 novembre 2008, jour du lancement de la nouvelle émission par Danone, le cours des obligations 5,50% 6 mai 2015 a effectivement été sensiblement déprécié, de plus de 2,5% selon les estimations disponibles les plus basses ; qu’ainsi, le 24 novembre, l’information mentionnée ci-dessus aurait été, si el e avait été alors rendue publique, susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des obligations 5,50% 6 mai 2015 ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’information en cause revêtait toutes les caractéristiques d’une information privilégiée ;

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B. SUR LES GRIEFS NOTIFIES AUX SOCIETES NATIXIS ET CACIB ET RELATIFS AU NON RESPECT DES PRESCRIPTIONS DU REGLEMENT GENERAL EN MATIERE DE SONDAGE DE MARCHE

Considérant que l’article 218-1 du règlement général de l’AMF, repris à l’article 216-1 dans sa rédaction issue de l’arrêté du 2 avril 2009, dispose : « Lorsqu’un prestataire de services d’investissement entend pratiquer des sondages de marché lors de la préparation d’une opération financière sur le marché primaire ou lors d’une opération de placement, d’acquisition ou de cession d’instruments financiers, il sollicite l’accord préalable des personnes qu’il envisage d’interroger. Il les informe qu’un accord de leur part pour participer au sondage les conduit à recevoir une information privilégiée au sens de l’article 621-1. Le prestataire de services d’investissement établit et garde opérationnelle une procédure qui prévoit la manière dont le responsable de la conformité est informé du sondage et, à la suite dudit sondage, du nom des personnes ayant accepté d’être interrogées, ainsi que la date et l’heure auxquelles elles ont été contactées » ;

Considérant que ces dispositions, qui visent les « instruments financiers », sont applicables sur le marché obligataire dont aucune caractéristique n’est incompatible avec elles et dont, tant pour les besoins de son fonctionnement que pour la bonne information des émetteurs, l’intégrité doit être protégée de la même façon que pour le marché des actions ;

Considérant qu’il est reproché aux sociétés CACIB et Natixis, à travers leurs équipes de vente, de ne pas avoir, dans le cadre du sondage de marché destiné à mesurer l’intérêt des investisseurs pour le nouvel emprunt Danone, d’échéance 5 ans, assorti d’un écart de rendement par rapport au taux du swap de référence compris entre 290 et 300 points de base, pris les précautions nécessaires pour avertir les personnes contactées qu’elles allaient recevoir une information privilégiée ;

1. Sur le grief notifié à la société CACIB

Considérant que vis-à-vis de CA Asset Management, le sondage a été réalisé par CACIB par le biais du message suivant posté sur « IB Chat » à 10h33 : « Je t’approche discrètement pour voir comment vous réagirez à un long 5 ans pour Danone (…) La taille serait 500-750 mios, sur un niveau de m/s + 290/300 ? Je peux te laisser me revenir là-dessus ? » ; que ce message contenait d’emblée toutes les caractéristiques principales de l’opération sans que, du fait de l’utilisation de la technique de la messagerie électronique, l’accord de la personne interrogée ait été préalablement sollicité et sans qu’elle ait été avertie de ce que son accord la conduirait à recevoir une information privilégiée ; que les dispositions précitées de l’article 218-1 ont ainsi été directement méconnues sans que CACIB puisse utilement faire valoir qu’elle appartient au même groupe que CA Asset Management ;

Considérant, s’agissant des autres sondages évoqués dans la notification de griefs, qu’une absence de rigueur dans le respect de la distinction des phases successives selon lesquelles, pour le respect des dispositions de l’article 218-1, le sondage doit être fait a conduit dans certains cas au moins à la méconnaissance de ces dispositions ;

Considérant ainsi que le manquement notifié à CACIB est constitué ;

2. Sur le grief notifié à la société Natixis

Considérant que le préposé de Natixis en charge de l’opération ne conteste pas avoir pris contact avec des gérants pour apprécier leur intérêt pour le nouvel emprunt sans leur avoir demandé préalablement s’ils acceptaient d’être interrogés sur cette émission ; qu’il ne saurait utilement arguer de ce qu’il aurait ainsi effectué non un « sondage », mais un « test » sur le marché, aucun des termes de l’article 218-1 du règlement général n’autorisant une telle distinction ;

—  8 -

Considérant que, si pour sa part, Natixis, qui ne conteste pas n’avoir matériellement pas suivi la procédure des sondages de marché explique à cet égard qu’elle avait considéré que l’information en cause n’était pas privilégiée, l’erreur ainsi invoquée est sans incidence sur la caractérisation du manquement, qui a un caractère objectif ;

C. SUR LE GRIEF NOTIFIE A M. A ET A LA SOCIÉTÉ DE GESTION X RELATIF Á L’UTILISATION DE L’INFORMATION PRIVILEGIEE

Sans qu’il soit besoin de statuer sur les exceptions de procédure invoquées par la société de gestion X ;

Considérant qu’aux termes de l’article 622-1 du règlement général de l’AMF : « Toute personne mentionnée à l’article 622-2 doit s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée qu’elle détient en acquérant ou en cédant, (…) pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés. (…) » ;

Considérant qu’il est reproché à M. A d’avoir utilisé l’information privilégiée définie au 1 ci-dessus, en passant, le 24 novembre 2008 dans le cadre de ses activités professionnelles, un ordre de vente pour le compte de la société de gestion X, portant sur un nombre important d’obligations Danone 5,50% 6 mai 2015 en circulation ;

Considérant que si les banques chefs de file ont indiqué ne pas avoir sollicité la société de gestion X dans le cadre du sondage de marché décrit ci-dessus et si aucun autre élément n’est de nature à constituer la preuve tangible que M. A aurait détenu cette information privilégiée, cette détention peut être établie par un faisceau d’indices concordants desquels il résulterait que seule cette détention pourrait expliquer les opérations auxquelles la personne mise en cause a procédé ;

Considérant que la notification de griefs relève à cet égard :

— que le 24 novembre, à 16h36, le mis en cause a reçu un message Bloomberg de la société Octo Finances faisant état d’une « rumeur » de lancement par Danone d’un emprunt de taille de référence « 500/700 mios 5y ms + 290/300 » ;

— que la vente conclue a soldé la totalité de la position détenue en obligations Danone 5,5% détenue à l’actif des OPCVM gérés par […], également destinataire du message précité ;

— que M. A a négocié la cession avec un souci marqué de discrétion puisqu’elle a été réalisée de gré à gré sur le système MarketAxess, étant précisé que les quatre banques chefs de file de la nouvelle émission Danone n’ont pas été sollicitées ;

— que la chronologie de cette cession, intervenue 32 minutes seulement après l’envoi du message Bloomberg, tend à montrer un empressement certain et une volonté d’aboutir ;

— que la cession de la ligne obligataire détenue et le positionnement sur la nouvelle émission ont permis à la société de gestion X de réaliser un avantage économique estimé entre 80 000 et 112 000 € ;

Considérant sur le premier point qu’il est établi que M. A a reçu sur sa messagerie Bloomberg le message d’Octo Finances auquel il vient d’être fait référence ; que si ce message faisait état d’une « rumeur », il contenait l’ensemble des caractéristiques de l’opération et avait été rédigé par une professionnelle du marché obligataire ; qu’ainsi il constituait non pas une simple « rumeur » mais une information privilégiée ; qu’il n’est toutefois nullement établi que M. A, qui affirme qu’il ne lit jamais les messages « IB Chat » en provenance de la société Octo Finances, laquelle ne figure pas dans la liste des contreparties autorisées par la société de gestion X, ait lu le message en question ni qu’il ait pris contact avec son émetteur pour s’en faire confirmer la teneur ;

—  9 -

Considérant sur le deuxième point, que la société de gestion X justifie avoir entrepris depuis septembre 2008 un mouvement de désinvestissement de ses fonds en obligations sur le marché secondaire afin de pouvoir souscrire à de nouvel es émissions obligataires aux caractéristiques proches mais aux conditions financières plus attractives ; que, s’agissant plus particulièrement du titre Danone 5,50% 6 mai 2015, M. A, après avoir tenté dès le 4 septembre 2008 de céder l’intégralité de la position détenue sur le titre par les OPCVM pour lesquels il était habilité à intervenir, a, le 20 octobre, cédé toutes les obligations 5,50% 6 mai 2015 détenues par deux de ces OPCVM ;

Considérant sur le troisième point, que les procédures internes en vigueur au sein de la société de gestion X imposent la saisie d’ordres via la plateforme MarketAxess pour les obligations privées de montant inférieur à 5 millions d’euros ; que cette règle avait été rappelée aux gérants de taux dans une note interne du 19 mai 2006 ; que le mode de passation des ordres utilisé par M. A, loin d’être atypique, correspondait aux règles et pratiques en vigueur ; que de surcroît, contrairement à ce qu’affirme la notification de griefs, l’une des banques chefs de file de l’émission Danone, à savoir HSBC, a été sollicitée ;

Considérant sur le quatrième point, que M. A a justifié d’un emploi du temps chargé dans la journée du 24 novembre 2008 et a indiqué qu’il avait l’habitude de passer ses ordres le soir ; que, d’ailleurs, l’ordre d’achat portant sur les obligations nouvel ement émises a été passé le 25 novembre 2008 par une collègue de M. A quelques minutes avant la clôture du carnet d’ordres ;

Considérant que le fait que la société de gestion X a retiré de l’opération un avantage économique ne constitue pas un indice pertinent ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il n’est pas établi que l’opération à laquelle M. A a procédé ait correspondu à l’utilisation d’une l’information privilégiée ; que le grief doit être écarté ;

D. SUR LES SANCTIONS

Considérant qu’aux termes de l’article L. 621-15 III, dans sa rédaction applicable à la date des faits reprochés, les sanctions qui peuvent être prononcées à l’encontre des prestataires de services d’investissement agréés sont : l’avertissement, le blâme, l’interdiction à titre temporaire ou définitif de l’exercice de tout ou partie des services fournis ; que la Commission des sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 10 millions d’euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ;

Considérant que les règles relatives aux sondages de marché ont pour objet d’assurer le respect de l’intégrité du marché et de contribuer à la prévention des risques de manquements d’initié ; qu’elles concourent également à la sécurité des opérateurs ; que dès lors leur inobservation appelle de la part de l’Autorité des marchés financiers une sanction à la mesure de la gravité du manquement correspondant ;

Considérant que les mis en cause font valoir que les faits qui leur sont reprochés ne diffèrent pas des pratiques usuellement mises en œuvre en la matière par un grand nombre de professionnels ;

Considérant toutefois qu’il ne peut y avoir là qu’une cause d’atténuation très partielle de la sanction encourue, dès lors que les principes énoncés en la matière par le règlement général sont clairs, notamment en ce qu’ils n’autorisent pas l’interprétation consistant à écarter leur application au marché obligataire ;

Considérant que la société Natixis a décidé de ne pas appliquer les dispositions de l’article 218-1 du règlement général – après avoir estimé, sous sa responsabilité et sans pouvoir se prévaloir utilement de cette appréciation -, que l’information relative aux principales caractéristiques de la nouvelle émission obligataire de Danone ne constituait pas une information privilégiée ; que compte tenu des observations

—  10 -

qui précèdent et de l’ensemble des circonstances de l’espèce il y a de prononcer à son encontre un avertissement ainsi qu’une sanction pécuniaire de 500 000 (cinq cent mille) euros ;

Considérant que la société CACIB s’est, pour certains au moins des sondages auxquels elle a procédé, affranchie d’une bonne application des principes énoncés à l’article 218-1 du règlement général ; que compte tenu des observations qui précèdent et de l’ensemble des circonstances de l’espèce il y a lieu de prononcer à son encontre un avertissement ainsi qu’une sanction pécuniaire de 400 000 (quatre cent mille) euros ;

E. SUR LA PUBLICATION

Considérant que la publication de la présente décision dans des conditions propres à assurer l’anonymat des personnes mises hors de cause ne risque ni de perturber gravement les marchés financiers ni de causer un préjudice disproportionné aux personnes sanctionnées ;

PAR CES MOTIFS :

Et après en avoir délibéré sous la présidence de M. Daniel Labetoulle, par Mme Marie-Hélène Tric et MM. Guillaume Jalenques de Labeau et Jean-Claude Hanus, membres de la Commission des sanctions, en présence du secrétaire de séance,

DECIDE DE :

— mettre hors de cause M. A et la société de gestion X ;

— prononcer à l’encontre de la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank un avertissement et une sanction pécuniaire de 400 000 (quatre cent mille) euros ;

— prononcer à l’encontre de la société Natixis un avertissement et une sanction pécuniaire de 500 000 (cinq cent mille) euros ;

— publier la présente décision sur le site internet et dans le recueil annuel des décisions de la Commission des sanctions dans des conditions propres à assurer l’anonymat des personnes mises hors de cause.

Paris, le 17 mars 2011

Le Secrétaire de Séance, Le Président,

M. Marc-Pierre Janicot M. Daniel Labetoulle

Cette décision peut faire l’objet d’un recours dans les conditions prévues à l’article R. 621-44 du code monétaire et financier.

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Textes cités dans la décision

  1. Code monétaire et financier
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Décision de la Commission des sanctions du 17 mars 2011 à l'égard de CRÉDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK, NATIXIS, de M. A et de la société de gestion X