Cour d'appel d'Agen, 5 avril 2016, n° 15/00294

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Agen, 5 avr. 2016, n° 15/00294
Juridiction : Cour d'appel d'Agen
Numéro(s) : 15/00294
Décision précédente : Conseil de prud'hommes d'Agen, 9 février 2015, N° 14/0041

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DU

5 AVRIL 2016

XG/SB


R.G. 15/00294


SYNDICAT CGT-ORGANISATION DES TRAVAILLEURS D’HEXACHIMIE (OTH)

H E

C/

SAS EUTICALS

En la personne de son représentant légal


ARRÊT n° 126

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Sociale

Prononcé à l’audience publique du cinq avril deux mille seize par Françoise MARTRES, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre, assistée de Nicole CUESTA, Greffière.

La COUR d’APPEL D’AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l’affaire

ENTRE :

SYNDICAT CGT-ORGANISATION DES TRAVAILLEURS D’HEXACHIMIE (OTH)

XXX

XXX

H E

né le XXX à MAISON-LAFITTE

'Brandou'

XXX

Représentés par Me Chloé RINO loco Evelyn BLEDNIAK de la SELARL ATLANTES, avocat au barreau de PARIS

APPELANTS d’un jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AGEN en date du 10 février 2015 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 14/0041

d’une part,

ET :

SAS EUTICALS

En la personne de son représentant légal

XXX

XXX

XXX

Représentée par Me Maxence DUCELLIER de la SELAS CABINET EXEME SOCIAL, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE

d’autre part,

A rendu l’arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique le 16 février 2016, sur rapport de Xavier GADRAT, Conseiller, devant Françoise MARTRES, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre, Michelle SALVAN et Xavier GADRAT, Conseillers, assistés de Nicole CUESTA, Greffière, et après qu’il en ait été délibéré par les magistrats du siège ayant assisté aux débats, les parties ayant été avisées de ce que l’arrêt serait rendu le 29 mars 2016, délibéré prorogé à ce jour.

* *

*

— FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES :

M. E a été embauché par la société Euticals, entreprise de fabrication de produits chimiques organiques de base, par contrat à durée indéterminée prenant effet le 18 novembre 1991 en qualité de régleur instrumentiste.

Il est par ailleurs titulaire de plusieurs mandats représentatifs au sein de l’entreprise': membre titulaire de la délégation unique du personnel dont il est le secrétaire, délégué syndical désigné par le syndicat CGT-OTH et enfin représentant syndical auprès du CHSCT.

Par courrier du 13 février 2014, M. E a été convoqué à un entretien préalable en vue d’une sanction disciplinaire. Une mise à pied disciplinaire d’un jour lui a été notifiée.

Le 3 mars 2014, M. E a saisi le conseil de prud’hommes d’Agen aux fins d’obtenir l’annulation de cette sanction disciplinaire et voir reconnaître l’existence d’une discrimination syndicale à son égard. Le syndicat CGT-OTH est intervenu volontairement à l’instance.

Par décision du 10 février 2015, le conseil de prud’hommes d’Agen a déclaré recevable l’action du syndicat CGT-OTH aux côtés de M. E mais a considéré régulière tant la procédure disciplinaire que la sanction disciplinaire notifiée à ce dernier le 20 mars 2014 en ce qu’elle serait justifiée, proportionnée à la faute commise et ne procéderait pas d’une discrimination syndicale.

M. E et le syndicat CGT-OTH ont relevé appel de cette décision dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.

'

Dans leurs conclusions enregistrées au greffe le 7 février 2016 et développées oralement à l’audience, M. E et le syndicat CGT’OTH demandent à la cour :

— de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Agen du 10 février 2015 en ce qu’il a déclaré recevable l’action du syndicat CGT’OTH,

— de l’infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau :

* à titre principal, d’annuler la mise à pied disciplinaire notifié à M. E le

20 mars 2014 en l’absence de mention, dans le règlement intérieur en vigueur, de la durée maximale de la mise à pied disciplinaire,

* à titre subsidiaire, de l’annuler au motif qu’elle est injustifiée et disproportionnée,

* à titre très subsidiaire, de l’annuler au motif que l’employeur avait déjà épuisé son pouvoir disciplinaire quant aux faits sanctionnés,

* en tout état de cause, de dire et juger que M. E a été victime de discrimination syndicale et d’annuler la mise à pied du fait de son caractère discriminatoire,

* de condamner la société Euticals à payer à M. E une somme de

1 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la discrimination syndicale ainsi qu’une somme de 1500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la sanction injustifiée et au syndicat CGT’OTH une somme de 1 500 euros à titre de réparation du préjudice subi,

* de condamner la société Euticals au paiement d’une indemnité de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

S’agissant de la recevabilité de l’action du syndicat, ils soutiennent que celui-ci agit bien en l’espèce dans l’intérêt collectif de la profession, la sanction prononcée à l’encontre de M. E en raison de l’exercice de ses mandats portant nécessairement atteinte à cet intérêt.

Pour le surplus, ils précisent que le syndicat justifie bien d’une décision d’agir en justice aux côtés de M. E et que Mme Z avait bien qualité pour représenter le syndicat lors de l’audience de conciliation, ayant été élue membre du bureau par l’assemblée générale du 21 novembre 2012.

Ils font valoir que les formalités de dépôt en mairie ont été accomplies et invoquent le bénéfice des dispositions de l’article 121 du code de procédure civile pour justifier de la régularisation de la procédure.

S’agissant de la mise à pied notifiée, ils relèvent que le règlement intérieur de la société ne fixe pas de durée maximale pour cette sanction et qu’en conséquence la mise à pied prononcée est nulle.

Ils soutiennent par ailleurs qu’il ne peut être reproché au salarié un quelconque manquement aux obligations découlant de son contrat de travail dès lors que :

— ' M. E n’a pas quitté de manière anticipée la formation qui devait prendre fin à

11 heures, qu’il a suivi la formation pour la durée prévue et avait avisé les formateurs de son indisponibilité au-delà de 11h,

— il n’a pas refusé de se soumettre aux règles de la formation sachant qu’il n’avait pas été avisé, ni par la convocation, ni par les formateurs, que cette formation serait suivie d’un test d’habilitation,

— il ne peut lui être reproché sa participation à la visite du site avec les membres du CHSCT alors qu’il s’agit d’un usage constant au sein de l’entreprise et que le temps passé à ces visites de site était habituellement décompté en «heures de délégation employeur».

Ils font valoir qu’en tout état de cause la sanction notifiée le 20 mars 2014 pour des faits du 16 décembre 2013 serait irrégulière, l’employeur ayant épuisé son pouvoir disciplinaire, une mise à pied ayant été notifiée à M. E le 20 décembre 2013, postérieurement aux faits du 16 décembre dont l’employeur avait connaissance.

Ils soutiennent enfin que la mise à pied notifiée à M. E est directement liée à l’exercice de ses mandats, comme la précédente que l’employeur a finalement annulée postérieurement à la saisine du conseil des prud’hommes, ce qui caractérise l’existence d’une discrimination à son encontre.

La société Euticals, dans ses dernières conclusions enregistrées au greffe le

21 janvier 2015 et développées oralement à l’audience, demande à la cour de réformer le jugement du conseil de prud’hommes d’Agen en ce qu’il a déclaré recevable l’intervention du syndicat CGT-OTH mais de le confirmer pour le surplus en ce qu’il a validé la régularité et le bien-fondé de la sanction disciplinaire prononcée à l’égard de M. E.

Elle soutient tout d’abord que le syndicat CGT-OTH’ est irrecevable dans la mesure où il ne justifie d’aucune décision de ses organes de direction pour l’engager dans l’instance introduite le 3 mars 2014 et où les personnes présentes à l’audience de conciliation du 3 avril 2014 ne pouvaient se prévaloir d’une délégation régulière. Elle conteste la régularisation du dépôt des nouveaux dirigeants du syndicat opérée le

12 septembre 2014, faisant valoir que ce dépôt tardif ne présente aucune garantie sur la réalité de l’antériorité des actes déposés alors que, selon elle, la réunion d’une assemblée générale extraordinaire du syndicat, le 12 décembre 2012, pour désigner

M. E comme délégué syndical de l’entreprise, est de nature à faire douter de l’effectivité du changement de bureau quelques jours plus tôt, le bureau étant normalement compétent pour procéder à cette désignation.

Elle fait valoir qu’en tout état de cause la désignation du bureau serait irrégulière pour émaner de l’assemblée générale du syndicat alors que c’est la commission exécutive qui était compétente pour le faire.

S’agissant de la sanction prononcée, elle soutient qu’il importe peu que le règlement intérieur n’ait pas prévu de durée maximale pour la mise à pied dès lors que c’est une durée minimale de un jour qui a été prononcée.

Sur le fond, elle conteste tout d’abord que M. E ait prévenu de son départ anticipé'; elle prétend ensuite que celui-ci était parfaitement informé que la formation devait s’achever par un test de connaissances pour s’être soumis au même exercice en 2008 et ne pouvoir ignorer en tant que délégué du personnel et membre du CHSCT la procédure de gestion des habilitations'; elle soutient enfin que M. E a participé à la visite de sites du CHSCT sans autorisation sur son temps de travail, pour n’avoir pas déposé préalablement d’heures de délégation. Elle fait valoir par ailleurs que, compte tenu de l’importance de cette formation, la sanction prononcée est parfaitement justifiée et proportionnée.

La société conteste enfin toute forme de discrimination syndicale, rappelant que le mandat exercé par M. E comme représentant syndical au CHSCT ne lui procurait ni le droit de participer aux formations réservées aux membres du CHSCT, ni le bénéfice d’heures de délégation et que c’est par application d’une simple tolérance qu’elle a accepté précédemment que M. E pose des heures de délégation au titre de l’un de ses autres mandats lorsqu’il participait aux visites de sites.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, et des prétentions et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées, oralement reprises.

— MOTIFS DE LA DÉCISION :

— Sur l’intervention du syndicat CGT OTH :

— Sur l’intérêt à agir :

Il résulte des dispositions de l’article L. 2132-3 du code du travail que «les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’il représente».

Au soutien de sa contestation, M. E invoque l’existence d’une discrimination syndicale à son égard. L’existence d’une telle discrimination, à la supposer établie, est indiscutablement de nature à porter atteinte à l’intérêt collectif de la profession que représente le syndicat CGT-OTH. La société Euticals ne remet d’ailleurs pas en cause l’intérêt à agir du syndicat en l’espèce.

— Sur la recevabilité de l’intervention :

S’agissant de la représentation d’un syndicat en justice, il est constant que, s’il n’est avocat, le représentant du syndicat doit justifier d’un pouvoir spécial ou d’une disposition des statuts l’habilitant à agir en justice.

Il résulte des dispositions de l’article 117 du code de procédure civile que «constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte :

Le défaut de capacité d’ester en justice ;

Le défaut de pouvoir d’une partie ou d’une personne figurant au procès comme représentant soit d’une personne morale, soit d’une personne atteinte d’une incapacité d’exercice ;

Le défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice».

Constitue donc bien une irrégularité de fond affectant la recevabilité de son intervention, le défaut de pouvoir d’une personne figurant au procès comme représentant d’un syndicat.

Il convient toutefois de rappeler qu’en application des dispositions de l’article 121 du code de procédure civile «dans les cas où elle est susceptible d’être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue».

En l’espèce, l’article 12 des statuts du syndicat CGT-OTH prévoit que «le syndicat sur mandat de la commission exécutive (ou du bureau) agit en justice, d’une part, pour la défense de ses intérêts et, d’autre part, au nom des intérêts collectifs de la profession qu’il représente, devant toutes les juridictions, sur le fondement de l’article L. 411-11 du code du travail.

Il est représenté par son secrétaire général ou, à défaut, son secrétaire général adjoint ou un autre membre du bureau. Un membre du bureau peut donner en cas de besoin mandat à un membre de la commission exécutive afin de représenter le syndicat en justice».

Pour justifier de la régularité de son intervention en justice, dans le cadre de la procédure opposant la société Euticals à M. E, le syndicat CGT-OTH produit aux débats :

— une délibération de l’assemblée générale tenue le 21 novembre 2012 désignant comme membre de son bureau : M. E en qualité de secrétaire général, Mme D en qualité de trésorière, Mme Z en qualité de secrétaire adjointe et M. X en qualité de secrétaire adjoint,

— une décision du bureau du 9 janvier 2014 aux termes de laquelle celui-ci «décide de’ saisir aux côtés de M. H E les juridictions compétentes, tant pénales que civiles, tant en procédure d’urgence qu’au fond, tant en première instance qu’en cause d’appel, aux fins de voir juger l’annulation de la sanction subie par M. H E au regard de l’utilisation de ses heures de délégation liées à ses mandats. A cet effet, conformément aux statuts du syndicat, la personne mandatée pour le représenter et le secrétaire H E»,

— une décision du bureau du 12 mars 2014 qui mandate Mme Z pour représenter en justice le syndicat lors de l’audience de conciliation prévue le 3 avril 2014 au conseil de prud’hommes d’Agen.

S’agissant des formalités de publicité en mairie, il résulte des pièces versées aux débats que, comme l’ont relevé à juste titre les premiers juges, elles ont été accomplies le 12 septembre 2014, soit antérieurement à l’audience de jugement du 9 octobre 2014.

La société Euticals, qui conteste la réalité de la réunion de l’assemblée générale du 21 novembre 2012 et de la désignation des nouveaux membres du bureau, ne produit aucun élément de nature à étayer ses allégations, la tardiveté du dépôt en mairie de cette délibération – qui peut valablement s’expliquer par un simple oubli -comme la réunion quelques jours plus tard d’une assemblée générale extraordinaire pour désigner le délégué syndical de la société Euticals – qui peut s’expliquer par un souci de démocratie interne – ne permettant pas de mettre sérieusement en doute la tenue de cette assemblée générale.

S’agissant de l’irrégularité prétendue de la désignation des membres du bureau par l’assemblée générale du syndicat, il sera relevé que la commission exécutive est l’organe, élu par l’assemblée générale, chargé de diriger entre deux assemblées générales le syndicat et que ses décisions s’inscrivent dans le cadre de l’orientation générale tracée par les résolutions des assemblées générales. Cet organe agit donc sous l’autorité de l’assemblée générale dont il met en 'uvre les orientations. L’assemblée générale est en conséquence parfaitement légitime à prendre toutes les décisions qu’elle délègue habituellement à la commission exécutive. La désignation des membres du bureau par l’assemblée générale du 21 novembre 2012 est donc parfaitement régulière.

C’est donc à bon droit que le conseil de prud’hommes d’Agen, après avoir relevé qu’à la date où le bureau de jugement a statué, soit le 9 octobre 2014, l’irrégularité de fond concernant l’action civile du syndicat CGT-OTH avait déjà été régularisée par l’accomplissement le 12 septembre 2014 des formalités de publicité en mairie de la liste des membres du bureau ayant saisi la juridiction prud’homale en qualité de représentant de ce syndicat, a considéré que l’action du syndicat CGT-OTH devait être déclarée recevable.

La décision du conseil de prud’hommes d’Agen du 10 février 2015 sera en conséquence confirmée de ce chef.

— Sur l’annulation de la sanction :

— Sur le règlement intérieur :

Il résulte des dispositions de l’article L. 1321-1 du code du travail que «Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l’employeur fixe exclusivement :

1° Les mesures d’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l’entreprise ou l’établissement, notamment les instructions prévues à l’article L. 4122-1 ;

2° Les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l’employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu’elles apparaîtraient compromises ;

3° Les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur».

Il résulte de ces dispositions qu’une mise à pied n’est licite que si elle est prévue par le règlement intérieur et si ce règlement en précise les conditions de mise en 'uvre et plus particulièrement sa durée maximale.

Ainsi, à défaut de précision dans le règlement intérieur de la durée maximale de la mise à pied pouvant être prononcée à titre de sanction disciplinaire, une telle sanction est illicite et ne peut être prononcée par l’employeur, quelle qu’en soit sa durée.

En l’espèce, le règlement intérieur de la société Euticals, dans sa version de 2002 applicable aux faits de la cause, prévoit, en son article 3.1.2.2 du chapitre III relatif aux sanctions ayant une incidence sur la présence, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié, la possibilité pour l’employeur de prononcer, entre autres sanctions, «une mise à pied : exclusion temporaire de l’établissement entraînant la privation de la rémunération correspondante» mais ne précise nullement la durée maximale de la mise à pied pouvant être prononcée.

Dans ces conditions, le prononcé d’une mise à pied s’avère illicite. Il en résulte nécessairement que la sanction prononcée à l’égard de M. E doit être annulée, peu important qu’il se soit vu infliger une mise à pied d’une seule journée.

— Sur le caractère injustifié ou disproportionné de la sanction :

Il résulte des dispositions de l’article L. 1333-1 du code du travail que, dans le cadre d’une procédure disciplinaire, «En cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié».

L’article L. 1333-2 dudit code précise en outre que «Le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise».

En l’espèce, M. E s’est vu notifier sa mise à pied par une lettre du 20 mars 2014 rédigée en ces termes :

«À la suite de l’entretien auquel vous avez été convoqué, le 21 février dernier, je suis amené à vous notifier une mise à pied disciplinaire de un jour. Nous vous avons reçu dans notre bureau afin de recevoir vos explications, vous vous êtes présenté avec une salariée de l’entreprise, Mme F Z.

La mesure de mise à pied est motivée par votre départ anticipé d’une formation interne sur la sécurité EIPS, par votre refus de vous soumettre aux règles de formation et votre insubordination.

Les formations internes sont validées par un test qui se déroule lors de la formation – voir procédure RH/PG/004 page 5 «à la fin de la session de formation, le formateur contrôle que la personne à habiliter a bien assimilé les connaissances requises pour l’obtention de l’habilitation en lui faisant remplir un questionnaire ou passer un test.»

Le 16 décembre dernier, vous avez quitté la formation avant la fin et avant que le formateur n’ait fait effectuer l’examen de contrôle de connaissances indispensable pour la validation de cette formation et l’attribution de votre habilitation.

Cette situation a été portée à ma connaissance le 10 janvier dernier par le retour que m’a fait le formateur par la restitution des dossiers individuels.

Cette formation EIPS – ÉLÉMENT IMPORTANT POUR LA SÉCURITÉ- est importante pour l’entreprise. Celle-ci est nécessaire pour que vous puissiez mener à bien vos travaux et intervenir dans les environnements sécurité de l’entreprise, en lien avec notre activité chimique et notre classement SEVESO.

Aujourd’hui, vous n’êtes plus titulaire de cette habilitation. Vous serez amené à repasser le contrôle de validation le 26 mars prochain avec le formateur sécurité de l’établissement.

Lors de l’entretien, vous avez justifié votre absence en nous indiquant que vous effectuiez une visite du site avec le CHSCT, entre 11 heures et 12h53.

Nous vous rappelons qu’en tant que représentant syndical au CHSCT, vous n’êtes pas considéré comme un membre à part entière du CHSCT. Vous n’avez pas les mêmes droits et obligations que les membres élus de cette institution.

Vous avez la possibilité d’assister avec voix consultative, aux réunions du comité d’hygiène et de sécurité. À ce titre, vous êtes régulièrement convoqué aux réunions du CHSCT. Par contre, vous n’avez pas d’heures de délégation et ne pouvez participer aux visites organisées par les membres élus.

D’ailleurs, vous n’aviez posé aucun temps de délégation pour cette visite et l’avez suivi sur votre temps de travail, sans autorisation.

Vous vous êtes ainsi absenté de manière injustifiée d’une formation sécurité, à laquelle tout membre du CHSCT devrait être particulièrement sensibilisé.

Par conséquent, vous effectuerez cette mise à pied le 27 mars prochain, en vous abstenant de venir travailler. Cette journée de mise à pied entraînera une retenue de salaire correspondante.

À l’avenir, vous veillerez à respecter les instructions de la Direction, à respecter vos horaires de travail et à ne pas quitter les formations sans motif valable.

' »

La convocation à la formation produite par M. E précise bien qu’elle aura lieu le 16 décembre 2013 de 9 heures à 11 heures. Il n’est par ailleurs pas contesté que M. E a quitté la salle de formation à 11 heures, soit au terme prévu. M. E verse aux débats en outre plusieurs attestations de participants à la formation

(M. C, M. A, M. B) confirmant qu’il avait bien prévenu les formateurs, dès le début de la séance, qu’il ne pourrait rester plus de deux heures. Ces attestations ne sont pas contestées sur ce point, pas plus que ne l’est l’affirmation de

M. E selon laquelle aucune remarque ou objection n’aurait été formulée par les formateurs à cet instant.

En outre, force est de constater que l’employeur a fixé la réunion du CHSCT, à laquelle devait participer M. E en tant que représentant syndical, le jour-même de cette formation, certes à 14 heures, mais sans pouvoir ignorer, comme en témoignent les compte rendus de réunions du CHSCT de 2003 à 2006 et les attestations d’anciens membres ou de membres actuels du CHSCT (Messieurs Duffau, Tormo, XXX, Bernège) qu’il était d’usage, de longue date, dans l’entreprise que les réunions du CHSCT soient précédées d’une visite de site le matin à laquelle était convié le représentant syndical, à savoir M. E.

Dans ces conditions, il ne peut sérieusement être reproché à M. E un départ prématuré de la formation qu’il a quittée au terme prévu par la convocation alors, d’une part, qu’il ne résulte d’aucun élément produit par l’employeur que le salarié aurait

été informé, avant cette date, que cette formation se prolongerait au-delà de l’horaire initialement fixé, et d’autre part, qu’il a quitté cette formation pour participer à la visite du site avec les membres du CHSCT, comme il le faisait depuis de nombreuses années, et ce, sans que l’employeur ne s’y soit, de quelconque manière, opposé jusqu’alors.

Bien au contraire, M. E verse aux débats des copies d’écran «Horoquartz» qui établissent que, comme il l’affirme, il était d’usage dans l’entreprise qu’il participe aux visites de site du CHSCT et bénéficie à cet effet d’heures de «délégation direction». Il aurait ainsi notamment bénéficié de la journée du 17 mars 2014 pour participer au CHSCT de Tonneins, de la journée du 11 février 2013 pour participer à un CHSCT «ordinaire», de la journée du 23 octobre 2012 pour participer au CHSCT de Tonneins et de la journée du 3 juillet 2014 pour participer à une «réunion CHSCT». Les heures de «délégation direction» étaient ainsi manifestement accordées par la direction tant pour la réunion du CHSCT se tenant l’après-midi que pour la visite du site habituellement programmée le matin-même.

Dans ces conditions, compte tenu de l’usage ainsi établi quant à l’attribution d’heures de «délégation direction » incluant le temps consacré à la visite du site, usage qui n’a nullement été dénoncé par l’employeur jusqu’alors, il ne saurait pas plus être reproché à M. E d’avoir participé à cette visite de site pendant ses heures de travail en s’absentant d’une formation obligatoire et sans avoir posé préalablement d’heures de délégation relatives à ses autres mandats. Compte tenu de la menace de sanction, le fait d’avoir tenté de régulariser la situation par l’enregistrement d’heures de délégation dont il bénéficie dans le cadre de ses autres mandats, pour «couvrir» le temps passé à la visite du site, n’est pas de nature à remettre en cause l’existence de cet usage dont la preuve est rapportée.

S’agissant enfin du refus de se soumettre aux règles de la formation en passant le test de connaissance, force est de constater que la convocation adressée à M. E ne précise nullement la réalisation d’un tel test pour clôturer la formation. Les attestations qu’il produit (notamment celles de M. C, de M. Y et de

M. A) confirment par ailleurs que les formateurs ne l’ont informé, ni au début de la formation, ni au moment de son départ, de la nécessité de se soumettre à un tel test, cette information ayant été donnée aux participants en fin de formation, soit postérieurement à son départ. S’il est vrai que deux des formateurs affirment au contraire avoir prévenu, à 11 heures, M. E de la réalisation à venir de ce test, ces attestations sont contredites par celles des participants à la formation, ce qui pour le moins crée un doute sur la délivrance ou non de cette information à M. E, doute qui doit lui profiter au regard des dispositions légales précitées.

L’employeur, qui procède par voie de simples affirmations ou de suppositions nullement étayées, est par ailleurs défaillant à établir que M. E avait connaissance de la «procédure de gestion des habilitations internes en son article 7.1.1».

Enfin, le fait que M. E ait déjà subi une formation similaire en 2008 ne permet pas de considérer qu’il savait que la formation du 16 décembre serait nécessairement suivie elle aussi,d’un test de connaissances.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la sanction notifiée à M. E le 20 mars 2014 est injustifiée et doit être surabondamment annulée de ce chef.

La décision du conseil de prud’hommes d’Agen sera en conséquence infirmée sur ce point.

M. E a subi indiscutablement un préjudice lié au caractère vexatoire de cette sanction et à la privation de rémunération qui en découle qui sera justement indemnisé par l’allocation d’une somme de 800 euros à titre de dommages-intérêts.

— Sur la discrimination syndicale :

L’article L. 1132-1 du code du travail rappelle qu’aucun salarié ne peut être sanctionné ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en raison de ses activités syndicales.

L’article L. 2141-5 interdit par ailleurs à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de discipline.

Aux termes de l’article L. 1134-1 dudit code, lorsque survient un litige en méconnaissance des dispositions sus-visées, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

M. E fait valoir en ce sens qu’il a subi en quelques mois, le 20 décembre 2013, puis le 20 mars 2014 des sanctions injustifiées concernant des faits intervenus dans l’exercice de ses mandats.

Il précise que la sanction du 20 mars 2014 est notamment fondée sur le fait d’avoir participé, en sa qualité de représentant syndical au CHSCT, à la visite du site précédant la réunion du CHSCT et que la précédente sanction, notifiée le 20 décembre 2013, certes annulée par l’employeur le 14 mai 2014 postérieurement à la saisine du conseil des prud’hommes, visait notamment une «absence injustifiée des 22, 23 et 24 octobre 2013» alors qu’il se trouvait en heures de délégation et donc dans l’exercice de ses mandats.

L’employeur rétorque que les mises à pied en question reposent sur des éléments objectifs sans lien avec l’activité syndicale de M. E sachant que :

— le représentant syndical au CHSCT ne bénéficie pas des prérogatives des membres élus, à savoir qu’il ne peut bénéficier de la formation prévue pour les membres du CHSCT pas plus que des heures de délégation ou de la protection qui leur est accordée,

— M. E n’était désigné que pour assister aux réunions du CHSCT et non aux visites organisées par ce dernier,

— ainsi, en quittant la formation du 16 décembre 2013 et en allant participer à la visite du site avec les membres du CHSCT, M. E n’était dans l’exercice d’aucun mandat,

— il n’était par ailleurs pas en heures de délégation : quand l’intéressé participe aux visites de site, la société accepte qu’il pose des heures de délégation au titre de l’un de ses autres mandats mais il s’agit d’une simple tolérance,

— le fait de s’absenter de manière soudaine et inopinée de nature à nuire à l’organisation du travail justifie la sanction,

— les deux sanctions sont totalement distinctes l’une de l’autre.

Cependant et contrairement à ce qu’affirme l’employeur, force est de constater que M. E agissait bien dans le cadre de l’un de ses mandats, à savoir celui de représentant syndical au CHSCT, en procédant à la visite de site qui lui est reprochée, à l’origine de la sanction notifiée le 20 mars 2014 que la cour a jugé injustifiée. Conformément à l’usage en vigueur dans l’entreprise non dénoncé jusqu’alors, le salarié bénéficiait en effet, pour cette visite comme pour la réunion du CHSCT, d’heures de «délégation direction».

De la même façon, la sanction notifiée le 20 décembre 2013 est directement en lien avec l’exercice de l’un de ses mandats puisqu’il lui était alors reproché d’avoir participé à une formation CHSCT contre l’avis de son employeur et de s’être trouvé en absence injustifiée, alors même qu’il établit à l’inverse avoir posé des heures de délégation pour assister à cette formation. Il sera relevé que l’employeur, qui semble désormais contester l’usage par M. E d’heures de délégation concernant d’autres mandats, ne justifie nullement avoir saisi le juge judiciaire de cette question, seule voie de contestation ouverte en application des dispositions de l’article L. 2315-3 du code du travail.

La notification, à trois mois d’intervalle, de deux sanctions disciplinaires, toutes deux injustifiées et directement en lien avec les activités syndicales de M. E, caractérise l’existence d’une discrimination syndicale à son égard.

La décision du conseil de prud’hommes d’Agen sera en conséquence infirmée de ce chef et il sera alloué à l’intéressé une somme de 800 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice qui en découle.

— Sur le préjudice subi par le syndicat CGT-OTH :

Les atteintes à la liberté syndicale, qu’il s’agisse de mesures discriminatoires prises en raison de l’appartenance ou de l’activité syndicale d’un salarié ou, plus largement, des obstacles apportés à l’exercice du droit syndical dans l’entreprise, justifient l’intervention en justice des syndicats et ouvrent droit à leur profit à réparation.

Il sera rappelé en l’espèce que le syndicat CGT-OTH a désigné M. E en tant que délégué syndical dans l’entreprise et que c’est bien dans l’exercice de son mandat de représentant syndical CGT-OTH auprès du CHSCT que M. E a été injustement sanctionné à deux reprises par son employeur. Il en résulte que ces sanctions injustifiées portent nécessairement atteinte à l’intérêt collectif de la profession représenté par CGT-OTH.

La décision du conseil de prud’hommes d’Agen sera en conséquence infirmée de ce chef et il sera alloué au syndicat CGT-OTH une somme de 800 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi.

Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de M. E et du syndicat CGT OTH les frais irrépétibles qu’ils ont exposés dans cette instance, évalués à la somme de 2 000 euros. La société Euticals sera en conséquence condamnée au paiement de cette indemnité.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes d’Agen du 10 février 2015 en ce qu’il a déclaré recevable l’action du syndicat CGT-OTH aux côtés de M. E ;

L’infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

Annule la mise à pied disciplinaire notifiée à M. E le 20 mars 2014 ;

Condamne la société Euticals à payer à M. E une somme de 800 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de cette sanction injustifiée ;

Constate que M. E a été victime de discrimination syndicale ;

Condamne en conséquence la société Euticals à payer à M. E une somme de 800 euros à titre de dommages-intérêts de ce chef et au syndicat CGT-OTH une somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de cette discrimination ;

Condamne en outre la société Euticals à payer à M. E et au syndicat CGT-OTH une somme globale de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Euticals aux dépens de première instance et d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Françoise MARTRES, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre, et par Nicole CUESTA, Greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code du travail
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Cour d'appel d'Agen, 5 avril 2016, n° 15/00294