Cour d'appel d'Agen, Chambre civile, 22 mars 2023, n° 21/01018

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Agen, ch. civ., 22 mars 2023, n° 21/01018
Juridiction : Cour d'appel d'Agen
Numéro(s) : 21/01018
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal judiciaire d'Agen, 22 mars 2021, N° 17/00245
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 28 mars 2023
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Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DU

22 Mars 2023

CV/CR

— --------------------

N° RG 21/01018

N° Portalis

DBVO-V-B7F-C6HO

— --------------------

[R] [F]

C/

[H] [V],

[E] [N]

épouse [G],

[Z] [N]

épouse [JT],

[U] [N]

épouse [K],

[LO] [N]

épouse [P],

[B] [N]

épouse [O]

— -----------------

GROSSES le

à

ARRÊT n° 119-2023

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Civile

LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1ère chambre dans l’affaire,

ENTRE :

Monsieur [R] [F]

né le 01 Décembre 1963 à [Localité 15] (33)

de nationalité Française

[Adresse 12]

[Localité 6]

Représenté par Me Laeticia CADY de la SELAS GAUTHIER DELMAS, avocate plaidante inscrite au barreau de BORDEAUX et par Me Louis VIVIER, avocat postulant inscrit au barreau d’AGEN

APPELANT d’un Jugement du tribunal judiciaire d’AGEN en date du 23 Mars 2021, RG 17/00245

D’une part,

ET :

Madame [H] [V]

née le 04 Février 1943 à [Localité 16] (ALGERIE)

[Adresse 3]

[Localité 9]

Madame [E] [N] épouse [G]

née le 02 Février 1972 à [Localité 17] (33)

de nationalité Française

[Adresse 11]

[Localité 9]

Madame [Z] [N] épouse [JT]

née le 23 Février 1963 à [Localité 16] (ALGERIE)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 14]

Madame [U] [N] épouse [K]

née le 17 Janvier 1973 à [Localité 17] (33)

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 10]

Madame [LO] [N] épouse [P]

née le 12 Décembre 1968 à [Localité 17] (33)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 8]

Madame [B] [N] épouse [O]

née le 14 Juillet 1970 à [Localité 17] (33)

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentées par Me Nadia HASSINE, avocate plaidante inscrite au barreau de LIBOURNE et par Me Julie CELERIER, avocate postulante inscrite au barreau d’AGEN

INTIMÉES

D’autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 02 Janvier 2023 devant la cour composée de :

Président : André BEAUCLAIR, Président de chambre

Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller

Cyril VIDALIE, Conseiller qui a fait un rapport oral à l’audience

Greffière : Nathalie CAILHETON

ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

' '

'

Faits et procédure :

Mme [L] [N] et M. [R] [F] se sont mariés le 3 juin 2000 sans contrat. [C] [F] né le 28 avril 1998 est issu de leur union.

[L] [N] et M. [F] se sont consentis une donation entre époux reçue le 16 juin 2000 par Maître [T], notaire au [Localité 6] (33).

Par acte du 3 novembre 2014 Maître [W], notaire à [Localité 18], et Maître [S], notaire à [Localité 14], ont reçu les dispositions testamentaires de [L] [N] suivantes :

'1°) Je déclare vouloir priver mon époux de tout droit dans ma succession, tant au titre de sa vocation légale que de toute donation entre époux, ainsi que du droit viager au logement tel que défini à l’article 764 du code civil.'

'2°) Je lègue en avancement de part successorale à mon fils, Monsieur [C] [F], la moitié de tous les biens meubles et immeubles qui dépendront de ma succession au jour de mon décès.'

'Monsieur [F] sera désigné comme premier gratifié.'

'Je désigne ici, comme ayant vocation au présent legs, s’il survit au premier gratifié, et en qualité de second gratifié : Madame [H] [V] demeurant à [Localité 9] [Adresse 3].'

'Le second gratifié recueillera au décès du premier gratifié, s’il lui survit et s’il accepte à titre personnel le présent legs, ce qui subsistera en nature à cette date dans le patrimoine de ce même gratifié.'

'Le second gratifié sera réputé tenir ses droits de moi-même, conformément à l’article 1051 du code civil.'

'Je consens le legs ci-dessus au premier gratifié à la condition expresse que les biens ainsi transmis soient administrés par ma soeur, Madame [E] [G], conformément aux dispositions de l’article 389-3 alinéa 3 du code civil….Je désigne en qualité de second gratifié à titre supplétif mes soeurs…'

'3°) Je lègue à ma mère, à défaut à mes soeurs ci-dessus nommées, vivantes ou représentées, l’autre moitié de mes biens meubles et immeubles, dépendant de ma succession.'

'4°) Je révoque toutes les clauses bénéficiaires de tout contrat d’assurance-vie en cours au jour de mon décès. Je désigne comme bénéficiaire, pour l’ensemble des contrats d’assurance-vie en cours au jour de mon décès, mes soeurs, vivantes ou représentées :

— Mme [Z] [N] épouse [JT] à concurrence de 15%,

— Mme [E] [N] épouse [G] à concurrence de 40%,

— Mme [U] [N] épouse [K] à concurrence de 15%,

— Mme [LO] [N] épouse [P] à concurrence de 15%,

— Mme [X] [N] épouse [O] à concurrence de 15%.'

'… Je révoque toute disposition antérieure.'

[L] [N] est décédée le 10 novembre 2014, laissant pour lui succéder M. [F], conjoint survivant, et [C] [F], son fils.

Par acte d’huissier délivré les 16, 17 et 24 mars 2016, M. [F] a assigné, tant en son nom personnel qu’en qualité de représentant de son fils mineur, Mmes [H] [V], [Z] [N] épouse [JT], [E] [N] épouse [G], [U] [N] épouse [K], [LO] [N] épouse [P] et [B] [N] épouse [O] (les consorts [N]), aux fins de voir annuler le testament, et à titre subsidiaire, ordonner les opérations de compte-liquidation et de partage de la communauté ayant existé ayant existé entre lui et [L] [N], ainsi que de la succession de cette dernière.

À la suite du placement sous tutelle de [C] [F], devenu majeur, l’instance a été poursuivie en son nom par son père, M. [F], en qualité de tuteur.

[C] [F] est décédé le 18 août 2017. M. [F] a signifié le 2 octobre 2017 des conclusions de reprise de l’instance, jusqu’alors suspendue à la suite du décès, en sa qualité d’héritier de son fils.

L’affaire a été renvoyée devant le tribunal judiciaire d’Agen en raison de la profession d’avocat au barreau de Bordeaux de Mme [Z] [N] épouse [JT].

Par jugement du 23 mars 2021, le tribunal judiciaire d’Agen a :

— Débouté M. [F] agissant à titre personnel et en sa qualité d’héritier de [C] [F] de l’ensemble de ses demandes visant à voir prononcer la nullité du testament du 3 novembre 2014,

— débouté M. [F] agissant à titre personnel et en sa qualité d’héritier

de [C] [F] de sa demande visant à voir dire et juger que le 2° du testament du 3 novembre 2014 est privé d’effet,

— débouté M. [F] agissant à titre personnel et en sa qualité d’héritier de [C] [F] de sa demande visant à voir requalifier le 4° du testament du 3 novembre 2014 opérant changement de clause bénéficiaire en donation indirecte,

— ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre les époux [N]-[F] et de la succession de [L] [N] épouse [F] décédée le 10 novembre 2014 à [Localité 14],

— désigné le président de la chambre départementale des notaires de la Gironde, avec possibilité de délégation, à charge pour lui d’en aviser le tribunal et les parties dans les plus brefs délais,

— dit que le notaire liquidateur recueillera tous éléments propres à établir les comptes de l’ind1vision, ainsi que la valeur des biens la composant, au besoin en s’aidant des lumières de tout sapiteur de son choix aux frais de l’indivision concernée,

— dit que dans le délai d’un an suivant sa désignation, sauf prorogation, le notaire dressera un état liquidatif établissant les comptes entre les copartageants, la masse partageable, les droits des parties et la composition des lots à répartir conformément à l’article 1368 du code de procédure

civile,

— dit qu’en cas d’accord des parties le notaire rédigera un acte de partage amiable et en informera le juge commis qui constatera la clôture de la procédure,

— dit qu’en cas de désaccord entre les parties sur son projet d’état liquidatif, le notaire transmettra au juge commissaire un procès-verbal de difficultés où il consignera son projet d’état liquidatif et les contestations précises émises point par point par les parties,

— désigné le magistrat coordonnateur de la chambre civile en qualité de juge commissaire, pour surveiller ces opérations jusqu’à l’établissement du projet liquidatif,

— dit qu’en cas d’empêchement des juge ou notaire désignés, il sera procédé à leur remplacement par simple ordonnance sur requête,

— débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

— dit n’y avoir lieu à indemnités sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.

— dit n’y avoir leur à exécution provisoire de la présente décision.

Le tribunal a retenu que M. [F] ne démontrait pas l’existence de l’insanité d’esprit de [L] [N], qu’il invoquait à l’appui de son action en nullité du testament, seules une dégradation et une perte d’autonomie sur le plan physique étant avérées.

Le tribunal a également rejeté la demande d’annulation pour dol du testament invoquée à titre subsidiaire par M. [F], qui arguait de manoeuvres émanant des soeurs de la testatrice, observant qu’il ne produisait aucune pièce permettant d’établir l’existence de pressions ou de manoeuvres de l’entourage de [L] [N] de nature à prouver ses allégations.

S’agissant de l’atteinte à la réserve héréditaire de [C] [F], le tribunal a retenu qu’il ressortait du testament que [L] [N] avait consenti à [C] [F] un legs résiduel et prévu que Mme [V], second gratifié, étant appelée à recueillir ce qui subsisterait du legs fait au premier gratifié à sa mort, de sorte que [C] [F] avait la possibilité de disposer librement des biens légués.

S’agissant de la requalification de la disposition du testament modifiant les clauses désignant les bénéficiaires des contrats d’assurance-vie en donation indirecte, le tribunal a retenu que le changement de bénéficiaire en cours d’exécution du contrat ne suffisait pas à entraîner une requalification en donation indirecte en l’absence d’aléa et rejeté la prétention de [R] [F].

Le tribunal a ensuite ordonné les opérations de compte, liquidation-partage.

[R] [F] a formé appel le 17 novembre 2021, désignant en qualité d’intimés les consorts [N], visant dans sa déclarations les dispositions du jugement ayant rejeté ses demandes tendant à voir prononcer la nullité du testament, à priver d’effet la disposition du testament, et dit n’y avoir lieu à indemnités sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Prétentions :

Par uniques conclusions du 16 février 2022, M. [F] demande à la Cour de :

— infirmer le jugement en ce qu’il :

— l’a débouté, à titre personnel et en sa qualité d’héritier de [C] [F] :

— de l’ensemble de ses demandes visant à voir prononcer la nullité du testament du 3 novembre 2014,

— de sa demande visant à voir dire et juger que le 2° du testament est privé d 'objet,

— dit n’y avoir lieu a indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— statuant à nouveau,

— à titre principal,

— prononcer la nullité du testament du 3 novembre 2014 pour dol,

— à titre subsidiaire,

— déclarer nul le 2° du testament, juger qu’il sera privé de tout effet,

— en tout état de cause,

— juger que le 4° du testament sera privé de tout effet,

— condamner les défenderesses à lui verser la somme de 6 000 euros sur le

fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— juger que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.

M. [F] présente l’argumentation suivante :

— le testament est nul pour dol, en raison des manoeuvres frauduleuses des soeurs de [L] [N], celle-ci ayant été emmenée chez un médecin inconnu d’elle qui ignorait son passif médical, afin qu’il acte son discernement et sa capacité de tester, puis chez un notaire différent de son notaire habituel pour y établir les dispositions litigieuses, ces deux professionnels entretenant par ailleurs des liens d’amitié avec Mme [JT] ; l’enregistrement vidéo qui a été réalisé apporte la démonstration de la manipulation réalisée,

— [L] [N] présentait un état de faiblesse et une vulnérabilité, son état de santé dégradé a entraîné dans les derniers mois de son existence une diminution de ses facultés physiques, psychiques et intellectuelles en raison de la maladie et de son traitement palliatif, comportant du Fentanyl et du Tranxène,

— si son discernement n’était pas totalement altéré, au point d’entraîner une insanité d’esprit, son comportement, sa lucidité, sa compréhension ont été considérablement influencés par ce traitement, la rendant extrêmement dépendante et vulnérable ; il est donc impossible qu’elle soit l’auteur du testament,

— le testament contient des dispositions incohérentes :

— les soeurs de [L] [N] ne l’ayant aidée que dans les derniers mois de sa vie, et n’ont jamais rendu visite à [C] [F], notamment Mme [G] chargée par le testament d’administrer les biens légués à son neveu,

— le souhait de [L] [N] était de savoir son fils à l’abri du besoin, et elle n’avait aucune raison de priver son conjoint de tout droit dans la succession,

— le testament porte atteinte à la réserve :

— [L] [N] a légué à son fils des biens constituant la réserve héréditaire, il s’agit donc d’un legs nul, et compte tenu de son handicap, [C] [F] n’avait aucune capacité d’en disposer, de sorte que l’assiette du legs graduel dépendait totalement du bénéficiaire de second rang,

— le 4e du testament est sans effet faute d’objet :

— la disposition prévoit 'je révoque toutes les clauses bénéficiaires de tout contrat d’assurance-vie en cours au jour de mon décès’ et 'je désigne comme bénéficiaire, pour l’ensemble des contrats d’assurance-vie au jour de mon décès, mes soeurs, vivantes ou représentées', or les contrats souscrits étaient des contrats de prévoyance décès et invalidité, de sorte que le changement de clause bénéficiaire ne peut trouver application faute de placements de ce type.

Par uniques conclusions du 16 mai 2022, et abstraction faite des 'dire et juger’ qui ne constituent pas des prétentions, les consorts [N] demandent à la Cour de :

— confirmer en toutes ses dispositions le jugement,

— débouter M. [F] de l’ensemble de ses demandes,

— ordonner l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la

communauté ayant existé entre les époux [N]-[F] et de la succession de [L] [N],

— condamner M. [F] à leur payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— le condamner aux entiers dépens.

Les consorts [N] présentent l’argumentation suivante :

— le testament n’est pas nul :

— le tribunal a retenu à juste titre que [L] [N] était restée en pleine possession de ses moyens intellectuels et avait conscience de la portée de ses actes, qu’aucun dol n’était démontré ; elle avait fait le choix du médecin, qu’elle avait eu l’occasion de rencontrer, ainsi que du notaire, dicté son testament oralement, et les dispositions prises ne présentaient pas d’incohérence,

— M. [F] ne rapporte pas la preuve de ses allégations en cause d’appel,

— le traitement médical de [L] [N] n’a pas affecté ses capacités mentales et intellectuelles, ce que montrent les pièces produites par l’appelant,

— il n’est pas porté atteinte à la réserve héréditaire de [C] [F] :

— la volonté de [L] [N] n’était pas de déshériter son fils mais son conjoint, qui est préjudicié par la révocation de la donation universelle qu’elle lui avait précédemment consentie,

— le legs n’est pas graduel, mais résiduel, et [C] [F] qui est décédé en cours d’instance, ne laisse pas d’héritier réservataire pour lui succéder,

— sur les contrats d’assurance décès :

— M. [F] a soutenu en première instance que la modification des clauses désignant les bénéficiaires devait être requalifiée en donation indirecte, invoquant une absence d’aléa compte tenu de l’imminence du décès, ce que n’admet pas la jurisprudence de la Cour de cassation,

— l’appelant invoque en cause d’appel l’inutilité de la disposition testamentaire, les contrats étant des assurances décès, or les intimés ne détiennent pas les documents concernés, de sorte qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande, les dispositions testamentaires ayant ou non vocation à s’appliquer, le moment venu, en fonction du contenu des dits contrats.

La Cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, fait expressément référence à la décision entreprise, et aux dernières conclusions déposées.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 23 novembre 2022, et l’affaire a été fixée pour être examinée le 2 janvier 2023.

Motifs

Sur la nullité du testament :

L’article 901 du code civil dispose qu’une libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par dol.

Le dol ne se présume pas. Il doit être démontré par le demandeur à l’action.

M. [F] invoque des manoeuvres frauduleuses de suggestion et de captation exercées à l’encontre de [L] [N] qui, atteinte d’une extrême vulnérabilité, a été emmenée chez un médecin puis chez un notaire qu’elle ne connaissait pas afin de rédiger un testament dont le contenu a été à l’évidence suggéré par les consorts [N] et est incompatible avec ses souhaits.

S’agissant de l’état de santé de [L] [N], et étant rappelé que la demande d’annulation pour insanité d’esprit qui a été rejetée par le premier juge n’est pas maintenue par M. [F] en cause d’appel, ce dont il se déduit que son testament ne peut être remis en question pour ce motif, il ne ressort par des éléments versés aux débats, qu’à la date du 3 novembre 2014, elle ait présenté l’état de faiblesse et de vulnérabilité invoqués.

Le dossier médical qui retrace son parcours de soins entre le 13 mai 2009, date d’une première consultation pour une suspicion de cancer du sein, et le 31 octobre 2014, date d’une ultime consultation au service de soins palliatifs de l’Institut [13] de [Localité 14], ne met pas en évidence un tel état.

Le compte rendu de cette ultime consultation décrit la situation de [L] [N] quelques jours avant le testament, sans mentionner d’élément révélateur d’une éventuelle vulnérabilité, suggestibilité ou faiblesse autre que physiologique.

Il évoque une perte d’autonomie et fait état d’un 'Karnofsky’ évalué à 30-40%, que souligne M. [F], mais cet indice, ainsi que l’indique le tableau qu’il verse aux débats, permet d’apprécier l’autonomie et non les facultés mentales, la vulnérabilité, ou la faiblesse psychologique ; en outre, son taux le plus faible, de 10%, qui correspond à un état 'moribond, processus fatal progressant rapidement', est ici écarté.

Ce rapport de consultation peut être rapproché de l’enregistrement vidéo remis par le docteur [D] à la suite de l’injonction délivrée par ordonnance du juge de la mise en état du 7 mars 2018.

Ce document daté du 31 octobre 2014, jour du dernier rapport de consultation précité, d’une durée de 6 minutes 44, contient l’enregistrement audiovisuel d’un entretien du docteur [D] et de [L] [N], destiné à évaluer ses capacités intellectuelles, et qui s’est déroulé en présence de Mme [AU] [A] et de Mme[E] [N] épouse [G]. [L] [N], physiquement amaigrie, s’y exprime avec clarté en exprimant en premier lieu son accord pour participer à l’entretien, et en répondant aux questions du médecin destinées à mettre en lumière une éventuelle désorientation spatio-temporelle (état civil, lieu et date de l’entretien,…) ou une dégradation de ses facultés mentales ; le médecin le conclut par le constat d’une absence d’altération des facultés intellectuelles de [L] [N]. Il ne ressort de cet enregistrement aucune démonstration de l’état de faiblesse invoqué par M. [F].

De plus, ce médecin a adressé au juge de la mise en état un courrier daté du 28 août 2018 indiquant que 'l’enregistrement n’avait d’autre prétention que de montrer qu’à la date de l’enregistrement Madame [F] était en pleine possession de ses facultés intellectuelles.'

M. [F] a également produit des attestations, qui n’évoquent pas l’existence des manoeuvres ou de l’état de faiblesse allégués (attestation de Mme [M] [I], et de Mmes [P] et [K], intimées) bien qu’émanant de personnes connaissant [L] [N] et son entourage familial.

Enfin, l’écrit, non daté, co-signé par Mmes [Y] et [J], qui ne constitue pas formellement une attestation, indiquant qu’elles sont en qualité d’infirmières prodigué des soins biquotidiens à [L] [N] du 26 juillet au 10 novembre 2014, jour de son décès, évoque 'une détérioration rapide entraînant un affaiblissement profond de son état général associé à une perte d’autonomie qui s’est accentuée les derniers jours', observation imprécise qui ne contribue pas à la démonstration des manoeuvres invoquées, ou de l’existence d’un état de faiblesse ou de vulnérabilité psychologique antérieures ou concomitantes au testament établi le 3 novembre 2014, sept jours avant le décès.

Par ailleurs, M. [F] ne verse aux débats aucun élément permettant de démontrer que l’entretien avec le docteur [D] ou le choix du notaire ayant reçu le testament aient participé d’une manoeuvre destinée à déterminer le consentement de [L] [N], étant observé que le testament a été recueilli par deux notaires.

Par ailleurs, les sentiments de [L] [N] envers son conjoint, ou l’intention de le déshériter, ne démontrent pas l’incohérence du testament.

Il n’est pas davantage démontré que [L] [N] ait exprimé une volonté incohérente en désavantageant son fils au profit de sa mère et de ses soeurs, puisque le testament instaure [C] [F] premier gratifié.

La demande de nullité du testament pour dol, état de faiblesse, vulnérabilité ou incohérence, constitutifs d’un vice du consentement est donc infondée et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la nullité et l’absence d’effet du legs consenti à [C] [F] pour atteinte à la réserve héréditaire :

Selon l’article 912 du code civil, la réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires. L’article 913 du même code dispose que les libéralités par testament ne pourront excéder la moitié des biens du disposant s’il ne laisse à son décès qu’un enfant.

L’article 1057 du code civil relatif aux libéralités résiduelles prévoit qu’il peut être prévu dans une libéralité qu’une personne sera appelée à recueillir ce qui subsistera du don ou legs fait à un premier gratifié à la mort de celui-ci et l’article 1058 ajoute que cette libéralité n’oblige pas le premier gratifié à conserver les biens reçus, mais à transmettre les biens subsistants, et qu’en cas d’aliénation par le premier gratifié, les droits du second bénéficiaire ne se reportent ni sur le produit de ces aliénations ni sur les nouveaux biens acquis.

M. [F] soutient que par le 2° de son testament, [L] [N] a légué à son fils la part successorale qui lui revenait au titre de la réserve à laquelle il avait légalement droit, et que ce legs est nul puisque la réserve ne peut être léguée ; qu’en outre, en déterminant [L] [N] à subordonner le legs à la condition que les biens légués soient administrés par Mme [E] [G], les consorts [N] ont tenté de contourner la prohibition de charges prévue par l’article 912. Ainsi compte tenu de l’incapacité dans laquelle se trouvait [C] [F] de disposer du legs, en raison de son handicap, l’assiette du legs dépendait totalement du second gratifié, Mme [E] [G]. Cette disposition doit être privée de tout effet.

Les consorts [N] objectent que cette disposition est l’expression de la volonté de [L] [N], qui n’a pas pris de disposition préjudiciable à son fils, mais à son conjoint ; que le legs qu’elle a consenti est résiduel, car le gratifié peut librement disposer des biens concernés, sans que le second bénéficiaire ne puisse prétendre à un droit sur le prix de la vente.

Il résulte de la disposition testamentaire n°2) précédemment énoncée que [L] [N] a consenti à son fils un legs portant sur les biens lui revenant en sa qualité d’héritier réservataire, qui n’est pas nul par lui-même puisqu’elle ne l’a pas privé des dits biens.

La condition tenant à la désignation d’un administrateur en la personne de Mme Madame [E] [G], ne s’analyse pas en une charge attentatoire à la réserve, car elle ne grevait pas les droits de [C] [F], mais répondait à la nécessité de pallier son incapacité d’administrer ses biens en raison de son état de santé.

Enfin, ainsi que l’a retenu le premier juge, le testament faisant expressément référence aux dispositions régissant les libéralités résiduelles, qui n’obligent pas le donataire à conserver les biens reçus, et, en cas d’aliénation, n’accordent pas de droit au second gratifié sur le produit qui en est tiré, ce legs est résiduel et non graduel, et ne porte pas atteinte à la réserve.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la modification des bénéficiaires des contrats d’assurance-vie :

M. [F] soutient, en cause d’appel, que la disposition du testament révoquant les clauses bénéficiaires de tous les contrats d’assurance vie de [L] [N] ne peut trouver application faute d’existence de placements de ce type, car elle n’avait souscrit que trois contrats de prévoyance assurance-décès et invalidité.

Les consorts [N] exposent qu’ils ne disposent d’aucun justificatif relatif aux contrats souscrits en l’absence de transmission d’informations par M. [F], et qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande, observant qu’en cas d’existence de contrats d’assurance-vie, il y aura lieu à application de la disposition testamentaire litigieuse.

En premier lieu, la prétention de M. [F] est sans objet dans l’hypothèse, qu’il soutient, d’une absence de contrats d’assurance-vie.

En second lieu, M. [F] ne produit que des conditions générales d’un contrat de prévoyance en cas de décès, et ne verse pas aux débats les conditions particulières des trois contrats dont il signale l’existence, ce qui ne permet pas à la cour d’en prendre connaissance et de procéder à leur analyse.

En troisième lieu, la clause 4°) du testament de [L] [N] doit être interprétée au regard de la teneur générale du testament, qui tend à priver M. [F] de tout droit résultant du décès de son épouse, révoque 'toutes les clauses bénéficiaires de tout contrat d’assurance-vie en cours au jour de mon décès', et ajoute, sans faire référence à un contrat d’assurance-vie particulier, 'révoquer toute disposition antérieure'.

M. [F] n’est donc pas fondé à voir priver d’effet cette clause.

Sa prétention, qui diffère ce celle soutenue en première instance, sera rejetée.

Sur les autres demandes :

Les dépens d’appel seront supportés par M. [F] dont le recours est mal fondé.

M. [F] sera condamné à verser aux consorts [N] 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs,

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,

Confirme le jugement du 23 mars 2021,

Y ajoutant,

Rejette la demande de M. [R] [F] tendant à voir juger que le 4° du testament du 3 novembre 2014 sera privé de tout effet,

Condamne M. [R] [F] aux dépens d’appel,

Condamne M. [R] [F] à payer à Mmes [H] [V], [Z] [N] épouse [JT], [E] [N] épouse [G], [U] [N] épouse [K], [LO] [N] épouse [P] et [B] [N] épouse [O] 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par André BEAUCLAIR, président, et par Nathalie CAILHETON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière, Le Président,

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel d'Agen, Chambre civile, 22 mars 2023, n° 21/01018