Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 30 décembre 2023, n° 22/00962

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Besançon, ch. soc., 30 déc. 2023, n° 22/00962
Juridiction : Cour d'appel de Besançon
Numéro(s) : 22/00962
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Besançon, 15 mai 2022
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 19 février 2024
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Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT N°

CE/SMG

COUR D’APPEL DE BESANÇON

ARRÊT DU 30 NOVEMBRE 2023

CHAMBRE SOCIALE

Audience publique

du 26 septembre 2023

N° de rôle : N° RG 22/00962 – N° Portalis DBVG-V-B7G-EQVD

S/appel d’une décision

du Pole social du TJ de BESANCON

en date du 16 mai 2022

Code affaire : 89E

A.T.M. P. : demande d’un employeur contestant une décision d’une caisse

APPELANTE

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU JURA, sise [Adresse 1]

Représentée par Mme [Y] , assistante juridique, selon pouvoir permanent signé le 15 décembre 2022 par Mme [N] [D], Directrice de la CPAM du Jura

INTIMEE

Société [2], sise [Adresse 4]

représentée par Me Gabriel RIGAL, avocat au barreau de LYON, absent et substitué par Me Sonia GHADDAD, avocat au barreau de LYON, présente

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats du 26 Septembre 2023 :

CONSEILLERS RAPPORTEURS : M. Christophe ESTEVE, Président, et Mme Florence DOMENEGO, Conseillère, conformément aux dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, en l’absence d’opposition des parties

GREFFIERE : Madame MERSON GREDLER

lors du délibéré :

M. Christophe ESTEVE, Président, et Mme Florence DOMENEGO, Conseillère, ont rendu compte conformément à l’article 945-1 du code de procédure civile à Mme Bénédicte UGUEN-LAITHIER

Les parties ont été avisées de ce que l’arrêt sera rendu le 21 Novembre 2023 par mise à disposition au greffe. A cette date la mise à disposition de l’arrêt a été prorogé au 28 novembre 2023 puis au 30 novembre 2023.

**************

Statuant sur l’appel interjeté le 10 juin 2022 par la caisse primaire d’assurance maladie du Jura, d’un jugement rendu le 16 mai 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Besançon, qui dans le cadre du litige l’opposant à la société [2] a dit que la décision de la caisse primaire d’assurance maladie du Jura de prendre en charge l’accident de M. [B] du 6 février 2020 était inopposable à la société [2], ainsi que toutes les conséquences financières y afférentes,

Vu les dernières conclusions visées par le greffe le 4 septembre 2023 aux termes desquelles la caisse primaire d’assurance maladie du Jura, appelante, demande à la cour de :

— constater que la matérialité du fait accidentel du 6 février 2020 au temps et au lieu de travail, suivi du décès le 7 février 2020 de M. [B] est parfaitement établie,

— constater que la présomption d’imputabilité trouve donc pleinement à s’appliquer et que l’employeur ne rapporte pas la preuve d’une cause étrangère à l’origine du décès de M. [B] seule susceptible de renverser cette présomption,

— constater que la prise en charge par la caisse du décès de M. [B] à titre professionnel était donc parfaitement justifiée,

— en conséquence, infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Besançon le 16 mai 2022,

— dire et juger que la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle du décès de M. [B] survenu le 7 février 2020 est opposable à la société [2],

— débouter la société [2] du surplus de ses demandes, fins et conclusions,

— condamner la société [2] aux éventuels dépens de l’instance,

Vu les dernières conclusions visées par le greffe le 8 août 2023 aux termes desquelles la société [2] ([2]), intimée, demande à la cour de :

— confirmer le jugement déféré du tribunal judiciaire de Besançon du 16 mai 2022 en toutes ses dispositions,

— déclarer inopposable à la société [2] la décision du 18 août 2020 de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de l’accident survenu à M. [B] le 6 février 2020,

en tout état de cause,

— débouter la caisse primaire d’assurance maladie du Jura de toutes ses demandes,

— condamner la caisse primaire d’assurance maladie du Jura aux entiers dépens,

La cour faisant expressément référence, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions susvisées qui ont été soutenues à l’audience,

SUR CE

EXPOSE DU LITIGE

Domiciliée à [Localité 3] (25), la société [2] employait depuis le 3 août 2009 en qualité de chauffeur routier M. [I] [B], né en 1960.

Le 6 février 2020, alors qu’en déplacement professionnel dans le département du Haut-Rhin il se trouvait dans son véhicule à l’arrêt, M. [I] [B] a fait l’objet d’un malaise ; il est décédé le 7 février 2020 à 2h10 à l’hôpital de [Localité 5] où il avait été transporté.

Le 7 février 2020, l’employeur a établi une déclaration d’accident du travail, aux termes de laquelle il a indiqué : « Le salarié était dans son véhicule. Selon les informations transmises, le salarié aurait fait un arrêt cardiaque. Nous n’avons pas connaissance de l’heure de survenance du malaise, mais cela serait arrivé avant sa prise de poste. ». S’agissant des conséquences de l’accident, l’employeur a coché les cases « sans arrêt de travail » et « décès ».

A cette déclaration était joint un courrier de réserves, l’employeur faisant observer qu’un malaise pouvait découler d’une pathologie préexistante et que le décès du salarié était survenu après son hospitalisation.

Par courrier du 29 mai 2020, la caisse primaire d’assurance maladie du Jura a notifié à l’employeur que la demande de reconnaissance de l’accident nécessitait une enquête qui était en cours, qu’il aurait la possibilité de consulter les pièces du dossier et de formuler ses observations du 6 août 2020 au 17 août 2020 sur le site dédié et qu’au-delà de cette date le dossier resterait consultable jusqu’à la décision portant sur le caractère professionnel de l’accident, qui lui serait adressée au plus tard le 26 août 2020.

Par courrier du 18 août 2020, la caisse primaire d’assurance maladie du Jura a notifié à la société [2] sa décision de prise en charge de l’accident de M. [I] [B] au titre de la législation sur les risques professionnels.

Par courrier du 19 octobre 2020, la société [2] a formé un recours devant la commission médicale de recours amiable, qui n’a pas statué dans le délai qui lui est imparti.

C’est dans ces conditions que le 18 juin 2021, la société [2] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Besançon de la procédure qui a donné lieu le 16 mai 2022 au jugement entrepris.

MOTIFS

1- Sur la violation invoquée du principe du contradictoire :

Aux termes des dispositions de l’article R. 441-8 du code de la sécurité sociale, en cas de décès de la victime, la caisse procède obligatoirement à une enquête, sans adresser de questionnaire préalable, pour statuer sur le caractère professionnel de l’accident dans un délai de quatre-vingt-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle détient la déclaration d’accident et le certificat médical initial.

A l’issue de ses investigations et au plus tard soixante-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d’accident et du certificat médical initial, la caisse met le dossier mentionné à l’article R. 441-14 à la disposition des représentants de la victime ainsi qu’à celle de l’employeur. Ceux-ci disposent d’un délai de dix jours francs pour le consulter et faire connaître leurs observations, qui sont annexées au dossier. Au terme de ce délai, les représentants de la victime et l’employeur peuvent consulter le dossier sans formuler d’observations.

La caisse informe les représentants de la victime et l’employeur des dates d’ouverture et de clôture de la période au cours de laquelle ils peuvent consulter le dossier ainsi que de celle au cours de laquelle ils peuvent formuler des observations, par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information et au plus tard dix jours francs avant le début de la période de consultation.

Selon l’article R. 441-14 du même code, le dossier mentionné aux articles R. 441-8 et R. 461-9 constitué par la caisse primaire comprend :

1°) la déclaration d’accident du travail ou de maladie professionnelle ;

2°) les divers certificats médicaux détenus par la caisse ;

3°) les constats faits par la caisse primaire ;

4°) les informations communiquées à la caisse par la victime ou ses représentants ainsi que par l’employeur ;

5°) les éléments communiqués par la caisse régionale ou, le cas échéant, tout autre organisme.

Au cas présent, aux termes de ses 33 pages de conclusions, l’employeur soutient que la caisse a méconnu le principe du contradictoire en constituant un dossier incomplet et insuffisant.

Il fait valoir que le dossier constitué par la caisse aurait dû comprendre :

— un certificat médical qualifiant la nature et la cause du malaise avec perte de conscience dont M. [B] a été victime dans son camion alors qu’il dormait dans la nuit du 5 au 6 février 2020

— un avis éclairé du médecin conseil de la caisse sur l’imputabilité de ce malaise au travail

— un avis éclairé du médecin conseil de la caisse sur l’imputabilité du décès à ce malaise

— une demande des conclusions d’autopsie ou des conclusions médicales de l’autopsie

— une sollicitation de l’avis du médecin du travail

— une recherche constatant un éventuel lien entre l’activité professionnelle de M. [B] et son malaise ayant entraîné son décès

— une recherche d’information sur un éventuel état antérieur ou interférent

— une demande auprès de l’employeur pour recueillir ses observations notamment sur l’imputabilité du décès au travail préalablement à la décision de prise en charge.

Il se prévaut de la Charte des accidents du travail et des maladies professionnelles mise à jour en décembre 2015 pour en déduire que la caisse doit obligatoirement solliciter l’avis du service médical en application de l’article R. 434-31 du code de la sécurité sociale.

Au regard des dispositions applicables, combinées avec l’alinéa 2 de l’article R. 441-13 du code de la sécurité sociale, il soutient également que l’enquête à laquelle est tenue de procéder la caisse en cas de décès doit porter sur l’agent causal de l’accident et que celle-ci ne peut ainsi s’en tenir à une enquête purement administrative sans rechercher les causes du décès.

L’employeur reproche ainsi à la caisse de :

— ne pas avoir sollicité l’avis de son médecin conseil, ce qui ne permet pas de connaître les causes exactes du décès ;

— ne pas avoir mis à sa disposition les éléments médicaux sur lesquels elle s’est basée pour établir un éventuel lien avec les conditions de travail de M. [B] ;

— ne pas avoir sollicité la transmission de l’autopsie, en rappelant à cet égard que la Cour de cassation a jugé que la caisse était tenue de communiquer le rapport d’autopsie à l’employeur lorsque celle-ci a été réalisée (2è Civ. 22 février 2005 n° 03-30.308) ;

— s’en être tenue à un entretien lacunaire avec le frère de M. [B], dans la mesure où cet entretien n’a pas abordé d’éventuels antécédents médicaux ou facteurs de risque qu’aurait pu présenter M. [B] ;

— ne pas avoir mené d’enquête auprès de l’employeur et de son médecin du travail ;

Il en conclut que l’enquête de la caisse s’est exclusivement attachée à caractériser la survenance de l’accident au temps et au lieu du travail, ne lui permettant pas de renverser la présomption d’imputabilité.

Cet argumentaire a été retenu par les premiers juges.

La caisse répond essentiellement qu’elle a communiqué les seuls éléments qu’elle détenait, à savoir la déclaration d’accident du travail et l’acte de décès transmis par le frère de la victime, qu’il ressort clairement des éléments de l’enquête que le décès étant intervenu au temps et au lieu de travail, il était imputable au travail en application de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale et devait donc être pris en charge au titre de la législation professionnelle, que l’autopsie est inutile, même si au cas d’espèce elle a été réalisée, de même que l’analyse médicale, que la mission confiée à l’enquêteur consiste alors uniquement à vérifier que le décès est bien intervenu au temps et au lieu de travail et sous la subordination de l’employeur, l’agent enquêteur vérifiant le cas échéant que l’élément permettant de considérer le rôle du travail ou les circonstances ayant conduit au décès est bien présent, que la Charte AT/MP évoquée par la société [2] n’a pas de valeur normative et n’est plus d’actualité depuis le 1er décembre 2019, date d’entrée en vigueur du décret du 23 avril 2019 ayant modifié la procédure de reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles, qu’en tout état de cause la Charte ne prévoit le recours à l’autopsie que de manière facultative, qu’au cas d’espèce l’autopsie réalisée dans le cadre de l’enquête de police afin de déterminer l’origine du décès a conclu à une mort naturelle, excluant tout suicide ou mort provoquée par le fait d’un tiers, que le décès étant d’origine naturelle, survenu au temps et au lieu de travail, il n’y a donc pas de cause étrangère au décès et la présomption d’imputabilité au travail trouve pleinement à s’appliquer, que l’avis du médecin conseil n’a pas à être sollicité, l’article R 434-31 du code de la sécurité sociale, codifié au titre 3 du livre 4 visant les prestations et plus précisément l’attribution de la rente, ne concernant pas la reconnaissance du caractère professionnel d’un accident du travail.

La caisse fait valoir encore que conformément à l’article R 441-8 elle s’est conformée à son obligation d’information en adressant le 29 mai 2020 à l’employeur un courrier réceptionné le 8 juin 2020 l’informant des différentes dates liées à la procédure d’instruction, de consultation et de prise de décision et qu’à la suite de la demande de l’employeur formulée par courriel le 1er octobre 2020, soit bien après la phase contradictoire qui expirait le 17 août 2020, elle lui a néanmoins transmis les pièces en sa possession.

Elle en conclut que la société [2] ne peut se prévaloir de ses propres carences pour en déduire un quelconque manquement au principe du contradictoire alors qu’elle n’a même pas daigné consulter les pièces du dossier dans le délai de 10 jours qui lui était offert pour se faire et formuler des observations en réponse.

Il ressort des productions que la caisse a respecté les dispositions légales susvisées, d’une part, en notifiant par courrier du 29 mai 2020 à l’employeur que la demande de reconnaissance de l’accident nécessitait une enquête qui était en cours, qu’il aurait la possibilité de consulter les pièces du dossier et de formuler ses observations du 6 août 2020 au 17 août 2020 sur le site dédié et qu’au-delà de cette date le dossier resterait consultable jusqu’à la décision portant sur le caractère professionnel de l’accident, qui lui serait adressée au plus tard le 26 août 2020 et d’autre part, en mettant à sa disposition pendant la phase contradictoire le dossier qu’elle avait constitué, dans lequel figurait l’ensemble des pièces détenues par elle : l’acte de décès, la déclaration d’accident du travail, le courrier de réserves de la société [2] et le rapport de l’agent enquêteur contenant le courriel de l’employeur en date du 25 février 2020, le planning de travail semaine 6 du salarié victime et le procès-verbal d’audition téléphonique de l’ayant droit.

En l’espèce, la société [2] ne peut utilement opposer à la caisse la charte des accidents du travail et des maladies professionnelles mise à jour en décembre 2015, qui n’a pas valeur normative et, surtout, à laquelle il ne peut plus être fait référence dans la mesure où elle est antérieure au décret n° 2019-356 du 23 avril 2019, applicable au litige, qui a modifié la procédure d’instruction par les caisses primaires des accidents du travail et des maladies professionnelles.

C’est également en vain qu’elle se prévaut des dispositions de l’article R. 434-31 du code de la sécurité sociale, lesquelles concernent l’indemnisation de l’incapacité permanente et ne sont pas applicables à la procédure de reconnaissance des accidents du travail.

Contrairement donc à l’argumentation de l’employeur, la caisse n’était pas tenue de recueillir préalablement l’avis de son médecin conseil, étant rappelé qu’aucun texte législatif ou réglementaire n’impose à la caisse, à réception d’une déclaration d’accident du travail, de recueillir l’avis de son médecin-conseil (2è Civ. 18 février 2010 n° 08-21.960, 2è Civ. 16 décembre 2010 n° 09-16.994).

De même, l’employeur ne peut utilement reprocher à la caisse de ne pas avoir sollicité le rapport d’autopsie, alors que l’absence d’autopsie n’est pas à elle seule de nature à faire obstacle à l’application de la présomption (2è Civ. 8 janvier 2009 n° 07-20.911).

En outre, depuis l’entrée en vigueur le 1er décembre 2019 du décret n° 2019-356 du 23 avril 2019, qui est applicable au litige, la caisse n’a plus l’obligation, prévue auparavant par l’alinéa 3 de l’ancien article R. 441-14 dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, de communiquer à l’employeur l’information sur les éléments recueillis et susceptibles de lui faire grief. Selon l’article R. 441-8, elle est seulement tenue de mettre le dossier mentionné à l’article R. 441-14 à la disposition de l’employeur et de l’informer des dates d’ouverture et de clôture de la période au cours de laquelle il peut consulter le dossier ainsi que de celle au cours de laquelle il peut formuler des observations, par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information et au plus tard dix jours francs avant le début de la période de consultation. Il en résulte que par l’effet de ces dispositions, qui valent autorisation au sens de l’article 226-14 du code pénal, la caisse n’est tenue de communiquer à l’employeur que les éléments listés à l’article R. 441-14, dont le rapport d’autopsie ne fait pas partie, de sorte que désormais la caisse méconnaîtrait le secret médical si elle communiquait celui-ci à l’employeur.

Les autres pièces qui selon l’employeur auraient dû figurer dans le dossier constitué par la caisse, telles que la sollicitation de l’avis du médecin du travail, ne sont pas mentionnées dans la liste arrêtée par l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale.

S’agissant plus particulièrement du défaut d’enquête ou de recueil de renseignement auprès de l’employeur, le dossier constitué par la caisse révèle au contraire que son agent enquêteur a eu des échanges avec la société [2], celle-ci adressant le 25 février 2020 à celui-là deux courriels aux termes desquels, « comme convenu ensemble », elle lui transmet les coordonnées du frère de la victime ainsi que deux états des temps de conduite de M. [I] [B] au cours de la semaine 6 de l’année 2020.

A cette occasion, l’employeur avait tout loisir de transmettre à l’enquêteur de la caisse primaire toutes autres informations ou pièces complémentaires, conformément aux dispositions de l’article R. 441-13 du code de la sécurité sociale.

De surcroît, sous l’empire de la législation antérieure, l’article R. 441-11, III, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, prévoit qu’en cas de réserves motivées de la part de l’employeur ou si elle l’estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l’employeur et à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l’accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés, une telle enquête étant obligatoire en cas de décès de la victime.

Sur le fondement de ce texte, il était retenu, dans les cas qu’il prévoit, qu’à défaut pour la caisse d’avoir recueilli des renseignements auprès de l’employeur, la prise en charge de l’accident litigieux n’était pas opposable à ce dernier (2è Civ. 9 mai 2018 n° 17-16.947).

Désormais, dans le cadre de la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident, l’article R. 441-8 du code de la sécurité sociale dispose qu’ « en cas de décès de la victime, la caisse procède obligatoirement à une enquête, sans adresser de questionnaire préalable ».

Contrairement aux dispositions antérieures, il ne résulte pas de ce dernier texte que la caisse doive nécessairement procéder à une enquête auprès de l’employeur.

Par ailleurs, dans son courrier de réserves, l’employeur évoque de façon théorique l’hypothèse qu’un malaise peut découler d’une pathologie préexistante, sans présenter le moindre élément de nature à faire présumer l’existence de celle-ci.

Si page 18 de ses conclusions il soutient que M. [B] a été en arrêt maladie du 23 janvier 2019 au 19 décembre 2019, il ne l’établit pas faute de produire les arrêts de travail correspondants.

Enfin, force est de constater que l’employeur n’a pas consulté dans les délais qui lui étaient impartis, entre le 6 août 2020 et le 17 août 2020, le dossier dont il reproche désormais la teneur à la caisse, alors qu’une telle consultation lui aurait permis de présenter toutes observations utiles s’il estimait les investigations menées insuffisantes.

Considérant les développements qui précèdent, la cour retient que la caisse a respecté le principe du contradictoire et que les contestations sur ce point de l’employeur ne peuvent prospérer.

2- Sur la matérialité de l’accident :

Aux termes de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.

L’accident du travail est défini comme un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail dont il est résulté une lésion corporelle ou psychique, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci.

Dans ses rapports avec l’employeur, il appartient à la caisse substituée dans les droits de la victime d’établir la matérialité de l’accident par des éléments objectifs. S’agissant de la preuve d’un fait juridique, cette preuve est libre et peut donc être rapportée par tous moyens, notamment par des présomptions graves, précises et concordantes.

En l’espèce, il ressort de la déclaration d’accident du travail et de l’enquête diligentée par la caisse que M. [I] [B] effectuait au volant de son camion des transports dans le département du Haut-Rhin, qu’il a stoppé son véhicule le 5 février 2020 à 17h49 pour prendre son repos journalier, que dans la nuit du 5 au 6 février 2020, alors qu’il se trouvait dans son camion, il a fait l’objet d’un malaise, qui a nécessité son transport par les pompiers à l’hôpital de [Localité 5] où il est décédé moins de 24 heures après, le 7 février 2020 à 2h10.

Dans le cadre de son audition téléphonique par l’agent enquêteur, M. [L] [B], frère de la victime, a déclaré le 28 mai 2020 :

« La police m’a prévenu le 6 février vers 12h30 qu’il était arrivé quelque chose à mon frère [I]. Je l’ai retrouvé aux urgences à l’hôpital de [Localité 5] (le nouvel hôpital civil) vers 17h30. Il est décédé un peu plus tard dans la nuit.

J’ai pu obtenir des éléments concernant les circonstances de son décès. Le soir pendant sa coupure, il a stationné son camion au centre routier pour y manger et dormir. Il serait parti se coucher dans son camion vers 23h30.

Le matin, c’est son voisin de camion, un italien, qui a appelé les pompiers vers 11h. Il s’est inquiété car le camion de mon frère était toujours là.

Une enquête policière a été diligentée et une autopsie réalisée. L’enquête est terminée et a conclu à une mort naturelle. »

L’acte de décès de M. [I] [B] figure en copie intégrale au dossier constitué par la caisse.

Compte tenu de ces éléments, c’est à juste titre que la caisse a appliqué la présomption d’imputabilité prévue par l’article l’article L. 411-1 pour retenir que le décès de la victime était imputable au travail.

En effet, le malaise dont M. [B] a été victime constitue bien un événement accidentel survenu dans la nuit du 5 au 6 février 2020 par le fait ou à l’occasion du travail, qui a été suivi, moins de 24 heures plus tard, de son décès à l’hôpital où il avait été transporté.

Il est rappelé à cet égard qu’un malaise survenu aux temps et lieu de travail est un fait lésionnel accidentel qui est présumé revêtir un caractère professionnel (2è Civ. 17 février 2022 n° 20-16.286). Il en est de même de douleurs thoraciques survenues au temps et au lieu du travail (2è Civ. 7 avril 2022 n° 20-17.656).

Ainsi qu’il a été dit, c’est en vain que l’employeur reproche à la caisse de ne pas avoir sollicité le rapport d’autopsie, alors que l’absence d’autopsie n’est pas à elle seule de nature à faire obstacle à l’application de la présomption (2è Civ. 8 janvier 2009 n° 07-20.911).

En outre, la cour rappelle une fois de plus que depuis l’entrée en vigueur le 1er décembre 2019 du décret n° 2019-356 du 23 avril 2019 qui est applicable au litige, la caisse n’a plus l’obligation, prévue par l’alinéa 3 de l’ancien article R. 441-14 dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, de communiquer à l’employeur l’information sur les éléments recueillis et susceptibles de lui faire grief. Selon l’article R. 441-8, elle est seulement tenue de mettre le dossier mentionné à l’article R. 441-14 à la disposition de l’employeur et de l’informer des dates d’ouverture et de clôture de la période au cours de laquelle il peut consulter le dossier ainsi que de celle au cours de laquelle il peut formuler des observations, par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information et au plus tard dix jours francs avant le début de la période de consultation. Il en résulte que par l’effet de ces dispositions, qui valent autorisation au sens de l’article 226-14 du code pénal, la caisse n’est tenue de communiquer à l’employeur que les éléments listés à l’article R. 441-14, dont le rapport d’autopsie ne fait pas partie, de sorte que désormais la caisse méconnaîtrait le secret médical si elle communiquait celui-ci à l’employeur.

Rien n’interdit en revanche à l’employeur de solliciter auprès du magistrat compétent une autopsie de la victime ou, si elle a déjà été effectuée, la communication du rapport d’autopsie, démarche dont la société [2] s’est manifestement abstenue.

Enfin et en tout état de cause, la caisse était fondée à s’en tenir aux déclarations du témoin, frère de la victime, dont rien ne permet de remettre en cause la véracité, selon lesquelles l’enquête de police a conclu après autopsie à une mort naturelle.

De même, comme la cour l’a précisé ci-avant, la caisse n’était pas davantage tenue de recueillir préalablement l’avis de son médecin conseil.

Au cas présent, l’absence d’éléments médicaux au dossier constitué par la caisse, qui ne détenait aucun certificat médical, n’est pas en soi de nature à faire échec à la présomption d’imputabilité.

C’est tout aussi vainement que l’employeur se prévaut de l’avis médico-légal de son propre médecin conseil, le docteur [E] [S], qui conclut en ces termes :

« – En l’état du dossier, il est impossible d’écarter la possibilité que l’assuré ait pu être porteur d’une pathologie dont l’évolution puisse être la cause exclusive du décès, directement ou indirectement.

— En l’état du dossier, il est impossible sur le plan médical d’écarter la possibilité que l’activité professionnelle n’ait joué aucun rôle causal dans la survenue de l’événement inconnu à l’origine de l’alerte donnée par le routier italien.

— En l’état du dossier, il est impossible sur le plan médical d’écarter la possibilité que l’activité professionnelle n’ai joué aucun rôle dans la survenue du décès de l’assuré. »

En effet, si ces considérations sont exactes, il reste que par l’effet de la présomption légale, ce n’est pas à la caisse de rapporter la preuve que le malaise mortel de M. [I] [B] a une origine professionnelle et n’est pas dû exclusivement à une cause étrangère au travail, mais à l’employeur d’établir que le malaise du salarié ayant entraîné son décès est entièrement dû à une cause étrangère au travail.

Dès lors que le malaise mortel de la victime est survenu aux temps et lieu de travail, ce dont il résulte qu’il bénéficie de la présomption d’imputabilité, et que la société n’établit pas l’existence d’une cause totalement étrangère au travail, c’est à juste titre que la caisse a reconnu le caractère professionnel du malaise mortel dont a été victime M. [I] [B] le 7 février 2020.

Il convient en conséquence d’infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau, de déclarer opposable à la société [2] la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle du décès de M. [I] [B] survenu le 7 février 2020.

3- Sur les dépens :

Partie perdante, la société [2] supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Déclare opposable à la société [2] la décision, notifiée le 18 août 2020 par la caisse primaire d’assurance maladie du Jura, de prise en charge au titre de la législation professionnelle du décès de M. [I] [B] survenu le 7 février 2020 ;

Condamne la société [2] aux dépens de première instance et d’appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le trente novembre deux mille vingt trois et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,

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Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 30 décembre 2023, n° 22/00962