Cour d'appel de Bordeaux, 30 décembre 2015, n° 08/07464

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Bordeaux, 30 déc. 2015, n° 08/07464
Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro(s) : 08/07464
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Bergerac, 24 novembre 2008, N° 06/00125

Texte intégral

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION B


ARRÊT DU 30 DÉCEMBRE 2015

(Rédacteur : Monsieur Michel BARRAILLA, Président)

N° de rôle : 08/07464

Monsieur H B

c/

Madame J K épouse Y

Monsieur R-S Y

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 novembre 2008 (R.G. 06/00125) par le Tribunal de Grande Instance de BERGERAC suivant déclaration d’appel du 19 décembre 2008,

APPELANT :

Monsieur H B, né le XXX à XXX, de nationalité française, retraité, demeurant 'Caumont’ XXX,

Représentée par la S.E.L.A.R.L. Patricia MATET-COMBEAUD, Avocats Associés au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître R-François MORLON, membre de l’AARPI RIVIÈRE MORLON & ASSOCIES, Avocats au barreau de BORDEAUX,

INTIMÉS :

1°/ Madame J K ex-épouse Y, XXX,

2°/ Monsieur R-S Y, XXX , XXX

Représentés par la S.C.P. S BOYREAU, Avocat au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître David LARRAT, Avocat au barreau de BERGERAC,

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 26 octobre 2015 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Michel BARRAILLA, Président,

Madame Catherine COUDY, Conseiller,

Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Marceline LOISON

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

Le 21 décembre 2000, M. H B a vendu à M. R-S Y et à son épouse, née J K, la nue propriété d’un immeuble situé au XXX, pour le prix de 44 591,33 €, lui-même en conservant l’usufruit jusqu’à son décès.

Le prix a été intégralement converti en une obligation de soins et d’entretien au profit du vendeur, obligation elle-même convertible en une rente viagère de 253,98 € par mois.

Cette conversion a eu lieu et sur demande de M. B, les époux Y se sont acquittés d’une somme de 10 413,18 € pour la période comprise entre le 1er janvier 2001 et le 15 septembre 2004.

Par acte du 23 janvier 2006, M. B a assigné les époux Y devant le tribunal de grande instance de Bergerac en nullité de la vente pour vileté du prix et défaut de consentement. M. et Mme Y ont appelé en intervention forcée le notaire rédacteur de l’acte, Maître Nathalie C.

Pour leur part, les époux Y opposaient la prescription quinquennale de l’action en nullité fondée sur l’erreur et ont contesté la vileté alléguée du prix de vente.

Par jugement du 25 novembre 2008, le tribunal de grande instance de Bergerac a constaté la prescription de la demande de nullité de la vente en retenant :

— qu’aucun élément n’était fourni prouvant que M. B se serait trompé sur le contenu de son engagement,

— qu’il n’était pas établi qu’il n’aurait pris conscience de la réalité de la valeur de son bien que par une expertise de M. X, intervenu à sa demande.

Le tribunal a par ailleurs écarté l’absence de cause alléguée de la convention, ainsi que la vileté du prix dans la mesure où si celui-ci était objectivement bas, il fallait ramener les choses au contexte de l’époque où les mêmes parties avaient passé un autre acte avantageux pour les époux Y sans que nul ne s’en plaigne.

M. B n’avait par ailleurs formulé aucune demande contre le notaire rédacteur de l’acte, Maître C.

M. B a relevé appel du jugement le 19 décembre 2008, intimant uniquement dans la cause M. et Mme Y.

Par arrêt du 10 juin 2010, la cour a rappelé que lorsque le vendeur s’était réservé l’usufruit du bien vendu en rente viagère, l’appréciation de l’aléa et du caractère onéreux du prix se faisait par comparaison entre le montant de la rente et les revenus calculés à partir de la valeur vénale au jour de la vente de l’immeuble grevé, valeur qui ne pouvait être déterminée qu’à dire d’expert.

La cour a donc ordonné avant dire droit une expertise confiée à M. F D, à l’effet d’évaluer l’immeuble à la date de la vente et de fournir les éléments permettant de calculer à cette date le montant annuel des revenus que pouvait procurer le capital représentatif de la nue propriété pour permettre une comparaison avec le montant de base défini à l’acte (253,98 €).

M. N Z a été désigné en remplacement de M. D le 18 mai 2011.

Le 17 janvier 2014, M. Z a été remplacé par M. L X, lequel a été remplacé à son tour par M. L Petit auquel a été substitué M. Thierry A par ordonnance du magistrat chargé du contrôle des expertises du 14 février 2014.

M. A a déposé son rapport le 1er octobre 2014.

Par conclusions du 8 octobre 2015, M. et Mme Y demandent à la cour, au visa des articles 1304, 1591, 1976 et 1109 du code civil, de :

— déclarer irrecevables les demandes formées par M. B,

— le débouter de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

— confirmer la décision déférée,

— condamner M. B au paiement de la somme de 5 000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise judiciaire.

Par conclusions du 30 septembre 2015, M. B demande à la cour, au visa des articles 1108, 1116,1131, 1591, 2224, 1184, 1654, 605 et 606 du code civil, de :

— réformer en toutes ses dispositions la décision déférée,

— à titre principal, dire que le prix de cession de la nue-propriété est dérisoire, constater la vileté du prix de cession, dire que l’acte de cession ne présentait pas d’aléa,

— constater l’absence de cause de la cession,

— dire qu’il est victime des man’uvres dolosives de M. et Mme Y qui ont trompé son consentement,

— constater le vice du consentement,

— constater que l’action en nullité n’est pas prescrite et la dire recevable,

— en conséquence, dire nulle et de nul effet la vente intervenue devant maître C le 21 décembre 2000 entre lui-même et les époux Y,

— condamner les époux Y à lui payer les sommes de 90 000,00 € au titre de son préjudice économique et de 20 000,00 € au titre de son préjudice moral,

— à titre subsidiaire, constater l’inexécution par les époux Y de leur obligation d’entretien et de soin au titre du paiement du prix de vente,

— constater l’inexécution du paiement des rentes de 2004, des mois de janvier, mars, juin et novembre de 2008 et du mois de janvier 2009 après conversion de l’obligation d’entretien en paiement d’une rente,

— en conséquence, prononcer la résolution de la vente,

— dire et juger que les arrérages versés resteront acquis à M. B à titre de dommages et intérêts,

— condamner les époux Y au paiement des sommes de 90 000,00 € au titre de son préjudice économique et de 20 000,00 € au titre de son préjudice moral,

— à titre infiniment subsidiaire, constater le déséquilibre entre la valeur de la nue-propriété et la rente stipulée au contrat de cession,

— dire et juger la révision de la rente au montant de 675,34 € par mois,

— condamner les époux Y à payer le différentiel de 23 094,66 €, entre les années 2004 à 2014,

— constater que M. B s’est acquitté de factures incombant aux époux Y en leur qualité de nus propriétaires,

— condamner les époux Y au remboursement de tous les travaux effectués pour un montant total de 9 616,81 € et de toutes les taxes afférentes au bien dont le montant reste à parfaire,

— condamner les époux Y au paiement de la somme de 5 000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 12 octobre 2015.

Motifs :

— Sur la demande de nullité de la vente pour vileté du prix :

Aux termes de l’article 1591 du code civil, 'le prix de vente doit être déterminé et désigné par les parties.'

Selon l’article 1976 du même code, 'la rente viagère peut être constituée au taux qu’il plaît aux parties de fixer.'

L’expert judiciaire, M. A, a proposé de retenir, pour la construction litigieuse, une valeur globale de 145 000,00 €, avec une valeur de nue propriété de 110 525,00 €, susceptible de procurer un revenu potentiel théorique de 5 526,25 € par an, obtenu à partir du taux moyen de référence des bons du Trésor publié par la Banque de France en décembre 2010. Le revenu théorique dégagé par la nue propriété s’élève donc à 460,52 € par mois.

La vente a été conclue le 21 décembre 2000 avec conversion du prix de vente de 292 500,00 F en une obligation de soins à la charge de l’acquéreur et faculté de substitution d’une rente viagère à cette obligation, faculté qui a été exercée par les époux Y qui ont contracté l’obligation de s’acquitter d’une rente viagère de 253,98 € par mois.

Si la comparaison entre ce montant et le revenu théorique de la nue propriété révèle une sous-estimation de la rente viagère par rapport à la valeur du bien, elle permet de s’assurer que le prix de cession n’est pas vil pour autant. En effet, la différence constatée ne permettrait même pas d’attaquer la vente pour cause de lésion, a fortiori l’opération ne peut se voir annulée pour vileté du prix.

Il convient par ailleurs pour apprécier la vileté du prix d’envisager l’opération dans son ensemble. Or il est constant que la vente a été conclue à une époque où les relations entre les parties étaient cordiales, ce qui est de nature à expliquer qu’elles aient pu convenir d’un prix inférieur à celui du marché.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a écarté la vileté du prix.

— Sur la lésion :

Ce moyen invoqué dans le corps des conclusions de M. B n’a pas été repris dans leur dispositif et la cour n’en est donc pas saisie.

— Sur l’absence de cause :

Du point de vue du vendeur, le contrat de vente a eu une contrepartie constituée par le versement d’une rente viagère dont il a été vu qu’elle ne pouvait être assimilée à un vil prix susceptible d’affecter la validité de la convention. Ce moyen a été à bon droit rejeté par le tribunal.

— Sur le vice du consentement :

Le tribunal a déclaré l’action sur ce fondement prescrite en retenant comme point de départ de la prescription la date de l’acte de vente.

Il ressort des dispositions de l’article 1304 du code civil que l’action en nullité des conventions est soumise à une prescription de cinq ans dont le délai commence à courir, s’agissant de l’erreur ou du dol, du jour où ils ont été découverts.

En l’espèce, le point de départ de l’action de M. B fondée sur le dol doit être fixé non au jour du contrat de vente où il ne disposait pas nécessairement d’éléments de comparaison pour avoir conscience de la valeur exacte de sa maison, mais du jour du rapport d’expertise de M. X qui a révélé la discordance entre le prix du marché et celui de l’acte de vente. Ce rapport a été établi le 26 juillet 2005 et l’action exercée le 23 janvier 2006. Il n’y a donc pas prescription et le jugement sera infirmé sur ce point.

M. B soutient que son consentement a été extorqué par le dol des époux Y dans la mesure où ces derniers, informés de son état de santé, lui ont proposé la cession de la nue propriété de sa maison en contrepartie d’une obligation d’entretien qu’ils n’ont jamais eu l’intention d’exécuter. Néanmoins quels que soient les mobiles qui ont pu animer les époux Y pour les conduire à contracter, ils ne sont pas de nature à caractériser des manoeuvres constitutives d’un dol. M. B n’établit par aucun élément l’existence de manoeuvres des époux Y ayant eu pour effet de vicier son consentement. La demande de nullité fondée sur le dol sera rejetée.

— Sur la résolution de la vente :

M. B sollicite la résolution de la vente pour inexécution sur le fondement de l’article 1184 du code civil.

Cette demande ne peut toutefois prospérer dès lors que M. B a lui-même sollicité la conversion de l’obligation d’entretien en rente viagère, dont les époux Y se sont acquittés rétroactivement par le paiement des arrérages qui se sont substitués à l’obligation d’entretien initialement contractée. A supposer comme le soutient M. B que les versements ne soient pas versés régulièrement, cette carence partielle des époux Y à leur engagement n’est pas d’une gravité suffisante pour justifier la résolution d’une vente conclue depuis le 21 décembre 2000. Ce chef de demande sera rejeté.

— Sur la révision de la rente :

Aux termes de l’article 2 bis de la loi n° 49-420 du 25 mars 1949, 'le crédirentier peut obtenir du tribunal, à défaut d’accord amiable, une majoration supérieure à la majoration forfaitaire de plein droit prévue à l’article 1er, s’il apporte la preuve que le bien reçu en contrepartie ou à charge du service de la rente a acquis entre les mains du débirentier, par comparaison avec la valeur de ce bien lors de la constitution de la rente ou lors du décès du testateur, telle que cette valeur résulte du prix ou de l’estimation indiqués dans l’acte ou la déclaration de succession, un coefficient de plus-value, résultant des circonstances économiques nouvelles, supérieur au coefficient de la majoration forfaitaire (…)'.

M. B, à qui incombe la charge de la preuve, n’établit pas la survenue de circonstances économiques nouvelles bouleversant l’équilibre du contrat. Son placement en maison de retraite et les charges dont il fait état ne sont pas probants à cet égard faute de pouvoir établir une comparaison avec sa situation antérieure, de manière à vérifier la rupture de l’équilibre économique de la convention. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de révision.

— Sur la demande de remboursement des charges :

M. B sollicite la condamnation des époux Y à lui payer la somme de 9 616,81 € en remboursement des grosses réparations dont il prétend avoir supporté la charge alors qu’elles incombaient aux nu-propriétaires.

Aux termes de l’article 606 du code civil, 'les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières; celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier. Toutes les autres réparations sont d’entretien.'

Les dépenses dont M. B sollicite le remboursement concernent la réparation des volets et des fenêtres, la réfaction de la façade, le rebranchement de la fosse septique, la réparation des fuites de chaudière, mécanisme WC, travaux de fosse septique, la redevance d’assainissement du terrain, des factures de vidange de la fosse septique et des travaux de ravalement de façade.

Il s’agit, au sens de l’article 606 du code civil, de réparation d’entretien, à l’exception des travaux de ravalement de façade. Cependant, la seule production de la photocopie d’un chèque de 37 631,85 F dont l’identité du bénéficiaire est illisible ne suffit pas à démontrer que ce paiement a financé des travaux de ravalement de façade en l’absence de devis, facture ou attestation permettant de le rattacher à cette prestation. Ce chef de demande sera rejeté.

M. B sollicite la condamnation des époux Y à lui rembourser le paiement des taxes foncières qui sont à leur charge en vertu du contrat. Force est toutefois de constater que les pièces produites aux débats ne permettent pas d’identifier l’auteur du paiement de ces taxes. La demande de M. B sera là encore rejetée.

M. B qui succombe en son appel sera condamné à payer à M. et Mme Y la somme de 2 000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs ,

La cour,

Reçoit M. B en son appel.

Infirmant partiellement le jugement du tribunal de grande instance de Bergerac du 22 novembre 2008, déclare non prescrite l’action en nullité exercée par M. B sur le fondement du dol.

Confirme le jugement en ses autres dispositions.

Y ajoutant,

Déboute M. B de sa demande tendant à voir annuler l’acte de vente du 21 décembre 2000 sur le fondement du dol.

Déboute M. B de sa demande de résolution de la vente.

Déboute M. B de sa demande de remboursement de travaux et de taxes.

Condamne M. B à payer aux époux Y la somme de 2 000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. B aux dépens de l’appel.

Signé par Monsieur Michel Barrailla, Président, et par Madame Marceline Loison, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le Magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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