Cour d'appel de Bordeaux, 1re chambre civile, 9 novembre 2023, n° 21/01495

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Bordeaux, 1re ch. civ., 9 nov. 2023, n° 21/01495
Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro(s) : 21/01495
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Bordeaux, 1er mars 2021, N° 19/03790
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 18 novembre 2023
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Texte intégral

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

— -------------------------

ARRÊT DU : 09 NOVEMBRE 2023

N° RG 21/01495 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-L7ZC

[Y] [M] veuve [G]

c/

[J] [P]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 02 mars 2021 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 1, RG : 19/03790) suivant déclaration d’appel du 12 mars 2021

APPELANTE :

[Y] [M] veuve [G]

née le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 8]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 3]

représentée par Maître Lola BONNET substituant Maître Laeticia CADY de la SELAS GAUTHIER-DELMAS, avocats au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ :

Maître [J] [P], membre de la SCP [J] [P], MARIE-MARTINE VIDAL ET VALERIE LEBRIAT, titulaire d’un office notarial

né le [Date naissance 5] 1970 à [Localité 6] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 2]

représenté par Maître Nina MALBY substituant Maître Xavier LAYDEKER de la SCP LAYDEKER – SAMMARCELLI – MOUSSEAU, avocats au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 septembre 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sylvie HERAS DE PEDRO, Conseillère, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Mme Paule POIREL

Conseiller : Mme Bérengère VALLEE

Conseiller : Mme Sylvie HERAS DE PEDRO

Greffier lors des débats : M. François CHARTAUD

Greffier lors du prononcé : Mme Véronique SAIGE

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

M. [W] [G] est décédé le [Date décès 4] 2015 à [Localité 9] (33) laissant pour lui succéder son épouse Mme [Z] [M] veuve [G] avec laquelle il était marié sans contrat de mariage préalable, et sa fille Mme [U] [G].

Il dépendait de la succession diverses liquidités et trois biens immobiliers.

Aux termes d’un acte reçu par Me [H], notaire à [Localité 7], le 13 octobre 1981, M. [G] avait fait donation à son conjoint survivant :

'De la toute propriété de tous les biens et droits, mobiliers et immobiliers, qui composeront sa succession, de quelque nature et de quelque valeur qu’ils soient et en quelques lieux qu’ils soient dus et situés, sans aucune exception ni réserve. Pour la donataire audit cas de survie, jouir et disposer desdits biens et droits comme des choses lui appartenant en toute propriété à partir du jour du décès du donateur. En cas d’existence, au jour du décès du DONATEUR, de descendants de celui-ci ayant qualité d’héritiers réservataires, la présente donation, si la réduction en est demandée, sera réduite à celle des quotités disponibles entre époux alors permises par la loi que le DONATAIRE choisira.'

Le 22 juillet 2015, Mme [M] veuve [G] a signé l’acte de notoriété dressé par Me [J] [P], notaire à [Localité 6] contenant des clauses par lesquelles elle déclarait opter pour l’usufruit de la totalité des biens de la succession et renonçait au bénéfice de la donation entre époux tout en conservant sa vocation légale à la succession.

Au motif qu’elle avait réalisé a posteriori que le choix opéré l’avait lésée dans ses droits et considérant avoir consenti à ces clauses par erreur sur la nature et l’étendue de ceux-ci car elle avait été insuffisamment éclairée par le notaire, Mme [M] veuve [G] a sollicité auprès de Me [P] la réparation de son préjudice par courrier du 11 mai 2018.

Tout en contestant le préjudice subi et sa responsabilité, Me [P] a proposé en novembre 2018 de dresser un acte rectificatif de changement d’option, solution transactionnelle qui n’a pu aboutir du fait du refus de Mme [U] [G] de signer cet acte.

Par acte d’huissier du 12 avril 2019, Mme [M] veuve [G] a fait assigner Me [P], membre de la Scp [J] [P], Marie-Martine Vidal et Valérie Lebriat devant le tribunal grande instance de Bordeaux aux fins d’obtenir sa condamnation à indemniser le préjudice résultant du manquement à son obligation d’information et de conseil.

Par jugement du 2 mars 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

— débouté Mme [M] veuve [G] de l’ensemble de ses demandes ;

— condamné Mme [M] veuve [G] à payer à Me [P] la somme de 2'000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamné Mme [M] veuve [G] aux entiers dépens de l’instance ;

— dit n’y avoir lieu d’assortir la décision de l’exécution provisoire.

Mme [M] veuve [G] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 12 mars 2021 et par conclusions déposées le 30 novembre 2021, elle demande à la cour de :

— infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux du 02 mars 2021 en toutes ses dispositions, à savoir en ce qu’il a :

* débouté Mme [M] veuve [G] de l’ensemble de ses demandes ;

* condamné Mme [M] veuve [G] à payer à Me [P] la somme de 2'000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

* condamné Mme [M] veuve [G] aux entiers dépens de l’instance ;

* dit n’y avoir lieu d’assortir la présente décision de l’exécution provisoire';

Et, statuant à nouveau, faire droit à l’ensemble des demandes de Mme [M] veuve [G], à savoir :

— juger que Me [P], notaire, membre de la Scp [J] [P], Marie-Martine Vidal et Valérie Lebriat, a manqué à son obligation d’information et de conseil envers Mme [M] veuve [G] concernant le contenu et les conséquences exactes de la donation entre époux du 13 octobre 1981 et des options qui lui étaient ouvertes dans la succession de son époux, lui causant ainsi un préjudice ;

— juger que la responsabilité professionnelle de Me [P], notaire, membre de la Scp [J] [P], Marie-Martine Vidal et Valérie Lebriat est engagée pour manquement à son obligation d’information et de conseil envers Mme [M] veuve [G];

Et par conséquent :

A titre principal :

— condamner Me [P], notaire, membre de la Scp [J] [P], Marie-Martine Vidal et Valérie Lebriat à verser à Mme [M] veuve [G] la somme de 110'566,20 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’il lui a causé ;

A titre subsidiaire :

— condamner Me [P], notaire, membre de la Scp [J] [P], Marie-Martine Vidal et Valérie Lebriat à verser à Mme [M] veuve [G] la somme de 27'641,55 euros outre les intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’il lui a causé ;

— condamner Me [P], notaire, membre de la Scp [J] [P], Marie-Martine Vidal et Valérie Lebriat à verser à Mme [M] veuve [G] la somme de 10'000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner Me [P], notaire, membre de la Scp [J] [P], Marie-Martine Vidal et Valérie Lebriat aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 27 août 2021, Me [P] demande à la cour de':

— confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 2 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux ;

— condamner Mme [M] veuve [G] à verser à Me [P] une somme de 3'500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner Mme [M] veuve [G] aux entiers dépens.

L’affaire a été fixée à l’audience rapporteur du 28 septembre 2023.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 14 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité de Me [J] [P], membre de la Scp [J] [P], Marie-Martine Vidal et Valérie Lebriat

La responsabilité d’un notaire peut être retenue et ouvrir droit à des dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1240 du code civil, dès lors qu’est établie l’existence d’une faute commise par lui ayant directement causé un dommage à celui qui l’invoque.

Le notaire est ainsi tenu envers les parties à l’acte qu’il dresse d’une obligation d’information et de conseil. Tout manquement préjudiciable aux parties à cette obligation engage sa responsabilité sur le fondement précité.

Il est constant que dans le cadre de son obligation de conseil, le notaire est tenu d’éclairer les parties et d’appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique, si nécessaire en fournissant des éléments chiffrés comparatifs lorsque les parties sont invitées à exercer une option.

La charge de la preuve de l’accomplissement de ces obligations d’information et de conseil pèse sur le notaire mais une telle preuve peut résulter des circonstances ou de tous document y compris l’acte lui-même établissant que le client a été clairement averti de l’étendue et des risques inhérents à l’option choisie.

Mme [Y] [M] épouse [G] fait valoir pour l’essentiel que le notaire a failli à son obligation d’information et de conseil dont il a la charge de la preuve, que les informations données doivent être formalisées par un écrit indépendant de l’acte de notoriété, qu’il aurait dû établir un tableau chiffré comparatif des conséquences de chacune des options, qu’il l’a poussée à opter pour l’usufruit sur la totalité de la succession et à ainsi privilégier sa fille avec laquelle elle ne s’entend pas, que ce choix a eu pour conséquence une indivision avec elle ainsi qu’un démembrement de propriété, que le notaire ne lui a pas expliqué que l’action en réduction n’était pas automatique et ne pouvait être exercée que par voie d’assignation et qu’elle aurait ainsi pu verser une indemnité à sa fille pour sortir de l’indivision.

Me [J] [P] membre de la Scp [J] [P] , Marie-Martine Vidal et Valérie Lebriat réplique pour l’essentiel qu’il a respecté son obligation de conseil et d’information en exposant à Mme [Y] [M] épouse [G] les trois options possibles en cas de présence d’un héritier réservataire, que tant les mentions portées sur l’acte de notoriété qu’un mail de la fille de Mme [Y] [M] épouse [G] en font foi, qu’en l’absence de renonciation par [U] [G], fille de Mme veuve [G], à sa part réservataire et parce que cette dernière voulait conserver la jouissance de l’ensemble des biens de la succession, le choix de l’option sur la totalité de l’usufruit s’est naturellement imposé à elle, que cette solution avait aussi l’avantage de permettre à sa fille avec laquelle elle s’entendait bien à l’époque de recueillir la succession de son père au décès de sa mère.

Il est expressément indiqué dans l’acte de notoriété dressé le 22 juillet 2015 en page 3 que le conjoint survivant déclarait renoncer au bénéfice de la donation entre époux après qu’il soit porté la mention «'cette renonciation est effectuée en pleine connaissance de cause, eu égard aux explications fournies par le notaire soussigné'».

Cet acte rappelle en page 1 les droits consentis au conjoint survivant du fait de la donation entre époux intervenue en 1981': soit la pleine propriété de la quotité disponible, soit 1/4 en pleine propriété et 3/4 en usufruit, soit l’usufruit de tous les biens composant la succession.

Il ressort d’un courriel adressé par [U] [G], fille de Mme [Y] [M] épouse [G], à Me [P] le 29 janvier 2019, que sa mère a été informée à l’occasion de deux rendez-vous par le notaire des avantages et des inconvénients de chacune des options et que lors du troisième rendez-vous qui a eu lieu pour finaliser l’acte, le notaire a, avant la signature, procédé à une lecture des actes mentionnant le choix du conjoint survivant.

Au demeurant, dans son courrier de réclamation du 11 mai 2018 adressé au notaire, Mme [Y] [M] épouse [G] reconnaît avoir été reçue deux fois avant la signature de l’acte de notoriété.

C’est à tort que Mme [Y] [M] épouse [G] soutient que le mail de sa fille serait de complaisance, alors que cette dernière n’avait pas d’intérêt personnel à prendre parti pour Me [P] dans un litige qui lui est étranger s’agissant d’une action indemnitaire contre le notaire et que Mme [Y] [M] épouse [G] ne remet pas en cause les droits de sa fille tels qu’issus de l’acte de notoriété.

Il s’évince suffisamment de ces éléments que Me [J] [P], membre de la Scp [J] [P], Marie-Martine Vidal et Valérie Lebriat justifie avoir rempli son obligation d’information et de conseil sur les conséquences des différents choix qui s’offraient à Mme [Y] [M] épouse [G] en sa qualité de conjoint survivant bénéficiaire d’une donation entre époux, étant précisé qu’il n’est pas exigé que le notaire établisse un tableau chiffré des conséquences de chacune de ces options pour faire la preuve du respect de cette obligation.

En tout état de cause, même à retenir un manquement du notaire à son devoir de conseil, il n’est pas établi que le choix pour 1/4 en pleine propriété et 3/4 en usufruit aurait été plus avantageux pour Mme [Y] [M] épouse [G] puisque l’option qu’elle a choisie de l’usufruit sur la totalité des biens de la succession lui permettait de conserver la jouissance de tous les biens de ladite succession et en évitant un partage, de n’apporter aucun changement à la situation qui était la sienne avant le décès de son mari.

Enfin, Mme [Y] [M] veuve [G] est mal fondée à soutenir que le choix de l’option 1/4 en pleine propriété, 3/4 en usufruit lui aurait permis de sortir de l’indivision’en rachetant la part réservataire de sa fille, puisque cette dernière n’a pas renoncé à sa part.

Dès lors, le jugement déféré qui a débouté Mme [Y] [M] veuve [G] de toutes ses demandes sera confirmé.

Sur les autres demandes

En application de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Mme [Y] [M] épouse [G] qui succombe en son appel en supportera donc la charge.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

Mme [Y] [M] épouse [G] qui succombe, sera condamnée à payer à Me [J] [P], membre de la Scp [J] [P], Marie-Martine Vidal et Valérie Lebriat la somme de 2500 euros sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Mme [Y] [M] épouse [G] à payer à Me [J] [P] membre de la Scp [J] [P], Marie-Martine Vidal et Valérie Lebriat la somme de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [Y] [M] épouse [G] aux entiers dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

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