Cour d'appel de Chambéry, Chbre sociale prud'hommes, 25 juin 2019, n° 19/00309

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Chambéry, chbre soc. prud'hommes, 25 juin 2019, n° 19/00309
Juridiction : Cour d'appel de Chambéry
Numéro(s) : 19/00309
Décision précédente : Conseil de prud'hommes d'Annecy, 11 septembre 2017, N° F17/00040
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 25 JUIN 2019

N° RG 19/00309 – N° Portalis DBVY-V-B7D-GFD6 – ADR / LV

SAS ALPES SECURITAS

C/ C Y Z

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANNECY en date du 12 Septembre 2017, RG F 17/00040

APPELANTE :

SAS ALPES SECURITAS

dont le siège social est […]

[…]

Prise en la personne de son représentant légal en exercice

Représentée par Me Renaud GIULY de la SELARL IXA, avocat au barreau d’ANNECY

INTIME ET APPELANT INCIDENT :

Monsieur C Y Z

[…]

[…]

[…]

Représenté par Me François X de la SCP X-ESCOUBES, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue en audience publique le 30 Avril 2019, devant Madame Anne DE REGO, Conseiller désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président, qui s’est chargée du rapport, les parties ne s’y étant pas opposées, avec l’assistance de Madame Laurence VIOLET, Greffier lors des débats, et lors du délibéré :

Madame Claudine FOURCADE, Président,

Madame Françoise SIMOND, Conseiller,

Madame Anne DE REGO, Conseiller qui a rendu compte des plaidoiries,

********

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES,

M. C Y Z a été embauché le 11 févier 2013 par la société Alpes Sécuritas dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en qualité d’agent de sécurité polyvalent à temps complet.

Les relations contractuelles entre les parties sont soumises à la convention collective des entreprises de la prévention et de la sécurité.

Il a fait l’objet d’un avertissement prononcé le 8 mars 2016 suite à un contrôle de prestations effectué le 4 mars 2016 à 14h30 sur son poste de travail, à l’occasion duquel un certain nombre de manquements ont été relevés.

Selon courrier du 26 juillet 2016 M. C Y Z a mis en demeure la société Alpes Sécuritas de lui appliquer le salaire suisse.

Le 7 octobre 2016, M. C Y Z a saisi le conseil de prud’hommes d’Annecy pour demander qu’il soit fait application de la loi suisse et que son employeur lui verse divers rappels de salaires et indemnités.

Par jugement en date du 12 septembre 2017, le conseil de prud’hommes a :

— dit que la loi applicable au contrat de travail de M. Y Z est la loi suisse,

— prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. C Y Z aux torts de la société Alpes Sécuritas,

— condamné la société Alpes Sécuritas à lui payer les sommes suivantes :

* 115 242,21 euros bruts au titre du rappel de salaire,

* 11 524,22 euros bruts pour congés payés afférents,

* 8 755,12 euros bruts au titre du préavis,

* 875,51 euros bruts pour congés payés afférents,

* 3 562,04 euros bruts au titre de l’indemnité légale de licenciement,

* 26'265 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

— limité l’exécution provisoire de plein droit du jugement aux sommes visées par l’article R. 1454-28 3° du code du travail,

— fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. Y Z à la somme de 4 377,56 euros,

— débouté M. Y Z de ses autres demandes,

— débouté la Société Alpes Sécuritas de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné la société Alpes Sécuritas à verser à Me X la somme de 1 500 € en application des dispositions de l’article 37 alinéa 2 de la loi n° 91647 du 10 juillet 1991,

— dit que Me X devra renoncer à la part contributive de l’État au cas où il poursuivrait à son profit le recouvrement de cette somme,

— ordonné à la société Alpes Sécuritas de rembourser à pôle emploi les indemnités de chômage payées à M. A B dans la limite de 6 mois d’indemnités en application de l’article L.1235-4 du code du travail,

— dit qu’une copie certifiée conforme du présent jugement sera adressée à la direction générale de pôle emploi,

— condamné la société Alpes Sécuritas aux entiers dépens de procédure.

La décision a été notifiée aux parties par lettres recommandées avec demande d’accusé de réception le 20 septembre 2017.

Par déclaration reçue au greffe le 09 octobre 2017 par RPVA, la société Alpes Sécuritas a interjeté appel de la décision.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 17 janvier 2019 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits de la procédure et des moyens, la société Alpes Sécuritas qui forme appel incident demande à la cour de :

— l’accueillir en son appel,

— et statuant à nouveau, dire et juger que :

* seule la loi française est applicable aux relations contractuelles entre les parties, qu’il convient en conséquence de réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a considéré que la loi suisse devait s’appliquer,

* l’avertissement notifiés à l’intimé le 8 mars 2016 est fondé,

* il convient de rejeter la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail qui n’est pas justifiée et de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il n’a pas retenu l’existence d’un harcèlement moral,

— condamner le salarié au remboursement des sommes payées au titre de l’exécution provisoire du jugement rendu par le conseil de prud’hommes,

— condamner le salarié au paiement d’une indemnité de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que :

— Sur le contrat de travail : M. Y Z exerçait ses fonctions sur le site du CERN et plus précisément il était affecté à la surveillance d’un des accès au LHC ; il s’est montré à plusieurs reprises défaillant dans le contrôle et la surveillance qu’il devait effectuer en s’abstenant notamment de contrôler des véhicules et il a fait l’objet d’un avertissement à ce titre ;

— les installations du CERN sont situées de part et d’autre de la frontière suisse et les salariés de la société Alpes Sécuritas ne travaillent pas dans le secteur suisse, contrairement à ses affirmations ;

— il n’y a pas de sous-traitance mais co-traitance entre les sociétés Sécuritas Genève, filiale de Sécuritas SA, et la société Alpes Sécuritas qui relève du droit français et qui est également une filiale de Sécuritas SA ;

— sur la loi applicable : les accords du 13 septembre 1965 applicables depuis le 5 mars 1968 définissent l’exécution de la prestation comme étant le seul élément permettant de connaître la loi applicable ; le salarié a travaillé exclusivement en France, la loi française est donc applicable ; l’encadrement est bien français ; M. Y Z dispose de l’autorisation de circuler en suisse et non d’y travailler ; concernant les patrouilleurs mobiles les planning d’intervention sont établis soit par Alpes Sécuritas, soit par Sécuritas, étant précisé que les agents français n’interviennent que sur le territoire français et que les agents suisses n’interviennent que sur le territoire suisse;

— les sociétés sont distinctes mais appartiennent à un même groupe, composé d’une société filiale française et d’une filiale suisse de la société Sécuritas ;

— la notion d’égalité de traitement ne peut être retenue s’agissant de deux entreprises distinctes qui appartiennent à un même groupe alors que le salarié ne démontre pas qu’il travaillait pour les deux entreprises ;

— le salarié n’a pas contesté son avertissement et il ne démontre pas l’existence de manquements commis par son employeur susceptibles de justifier sa demande de résiliation judiciaire ; il doit en conséquence être débouté de celle-ci.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 4 octobre 2018 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens, M. Y Z qui forme appel incident demande à la cour de :

— confirmer les dispositions du jugement entrepris ayant condamné la société Alpes Sécuritas à lui payer un rappel de salaire et congés payés afférents,

— confirmer les dispositions du jugement entrepris ayant fixé le rappel de salaire et congés payés à lui verser à respectivement : 144 297,80 euros bruts et 14 429,78 euros bruts ;

Subsidiairement, ordonner une mesure d’instruction ayant pour objet de déterminer les périodes de travail effectuées sur chaque territoire au sens de l’article 2 de la convention conclue le 13 septembre 1965,

— condamner la société Alpes Sécuritas à lui payer les sommes suivantes :

* 12 851,10 euros à titre de frais de déplacement et temps de trajet,

* 2 337 euros à titre d’indemnité pour entretien de sa tenue de travail,

* 15 217,49 bruts à titre de rémunération de temps de pause, outre 1 521,74 euros bruts pour congés payés afférents,

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fait droit à sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur,

— confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a condamné la société Alpes Sécuritas à lui verser les sommes suivantes :

* 8 755,12 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 875,51 euros bruts pour congés payés afférents,

* 26 265 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

— porter l’indemnité légale de licenciement à la somme de 6 307,77 euros,

— condamner la société Alpes Sécuritas à lui verser la somme de 26 715 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le travail illégal ;

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Alpes Sécuritas à lui verser la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 37 al 2 de la loi n°91647 du 10 juillet 1991,

Y ajoutant,

— condamner la société Alpes Sécuritas à verser à Me X la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile dans les conditions prévues par les alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n°91647 du 10 juillet 1991 sur l’aide juridictionnelle,

— condamner la société Alpes Sécuritas aux entiers dépens y compris ceux d’exécution.

Il fait valoir que :

— la société Sécuritas est une société de droit suisse qui est le prestataire de service du CERN depuis le 1er juillet 2011 ; la société Alpes Sécuritas est une filiale de Sécuritas ; les deux sociétés ont le même président et la même activité ; les directives et documents relatifs à l’organisation sont établis sur des papiers à en-tête communs : 'Sécuritas/Alpes Sécuritas’ ;

— les agents de sécurité employés par Alpes Sécuritas sur le site du CERN exécutent leur contrat de travail sur le territoire français et sur le territoire suisse ; la direction, la hiérarchie, l’encadrement et la discipline sont ceux de Sécuritas SA ; les agents de la société Alpes Sécuritas ont l’obligation de se déplacer pour leur mission sur le territoire suisse du CERN, sur ordre, sous peine de sanction disciplinaire ;

— la convention du 13 septembre 1965 comme celle du 18 octobre 2010 imposent le paiement des salaires des agents de sécurité sur la partie suisse du CERN aux minima suisses, au prorata du temps passé par les agents sur la partie suisse étant précisé que la convention du 18 octobre 2010 impose les salaires suisses en totalité pour les agents de sécurité dont la part de travail est prépondérante en suisse ;

— il justifie de son travail sur la partie suisse en produisant : l’attestation qui constate qu’il exerce une activité lucrative en suisse, ainsi que l’attestation d’un collègue qui affirme qu’ils exercent régulièrement de nombreuses tâches en suisse ; il communique la lettre de l’inspectrice du travail datée du 20 février 2018 relevant l’obligation de l’employeur de verser une rémunération suisse en raison de travail en suisse ;

— il subit une inégalité de traitement en comparaison avec le travail qu’il effectue et les salaires qui sont versés aux salariés suisses qui effectuent le même travail ; il s’agit d’un prêt illicite de main-d’oeuvre puisqu’aucune convention de mise à disposition n’est intervenue entre les deux entreprises, ni avenant au contrat de travail des salariés ;

— les manquements de son employeur justifient la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 avril 2019, fixant les plaidoiries à l’audience du 30 avril 2019, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré jusqu’au 25 juin 2019, date de son prononcé par disposition au greffe.

SUR QUOI,

Le CERN qui a son siège en Suisse, est une organisation internationale et intergouvernementale dont le domaine s’étend à la fois sur les territoires suisses et français.

La Suisse et la France ont conclu le 13 septembre 1965 avec le CERN, une convention entrée en vigueur le 5 mars 1968, relative à l’extension en territoire français du domaine de ce dernier, réglant notamment les questions de droit applicable, de compétence des autorités françaises et suisses au regard de la partie du domaine de l’Organisation située sur le territoire français et d’autre part sur le territoire suisse.

Le CERN a conclu de nombreux contrats de prestations de services avec des entreprises pour des activités telles que le gardiennage, la sécurité, l’entretien d’installations techniques, le nettoyage et le transport.

1) Sur la loi applicable :

M. Y Z a été embauché dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à compter du 11 février 2013 avec la société Alpes Sécuritas ayant son siège social à Cran-Gevrier. Cette société, immatriculée au greffe du tribunal de commerce d’Annecy-74 fait référence à la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité.

Ce contrat précise que le salarié exercera les fonctions d’agent de sécurité polyvalent (rondier et statique) sur le site de Meyrin.

Le contrat comporte en annexe le descriptif de son poste indiquant notamment sa classification, coefficient 130- niveau 3- échelon 1, qui au terme de la période d’essai évoluera au coefficient 140- niveau 3- échelon 2, ainsi que le montant de sa rémunération en euros.

Les parties ont ainsi soumis leur contrat à une disposition impérative de la loi française faisant obligation d’application d’une convention collective à une entreprise comprise dans les champs géographique et professionnel d’une convention.

Dès lors que le contrat de travail a été conclu en France entre une société française et un salarié français pour son exercice sur le sol français, qu’il prévoit une rémunération stipulée en euros ainsi que l’application de la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité, les parties ont entendu appliquer la loi française à leurs relations contractuelles.

2) Sur l’exécution du contrat :

— Sur le rappel de salaire :

Afin de revendiquer l’application du salaire minimum suisse, le salarié met en exergue l’exécution significative du contrat de travail sur la partie suisse du CERN, une situation de co-emploi, une discrimination fondée sur la nationalité et une différence de traitement.

* sur le lieu d’exécution du travail :

Sur la base de la convention du 13 septembre 1965 entre le Conseil fédéral de la confédération Suisse, le Gouvernement de la République française relative à l’extension en territoire français du domaine de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire et de l’accord conclu le 18 octobre 2010 entre le Conseil fédéral de la confédération Suisse, le Gouvernement de la République française et l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire sur le droit applicable aux entreprises intervenant sur le domaine de l’organisation afin d’y réaliser des prestations de services revêtant un caractère transnational, le salarié soutient que le lieu de l’exécution de son contrat de travail se réalise pour une part prépondérante sur le territoire suisse, au regard des installations situées de part et d’autre de la frontière.

L’accord conclu le 18 octobre 2010, prenant effet à compter du 18 octobre 2014, n’est pas applicable au contrat de travail du salarié signé le 11 février 2013 dans la mesure où la société Alpes Securitas n’est bénéficiaire du contrat de prestations de services avec le CERN que suite à un appel d’offre réalisé en 2011 qui a pris effet seulement au 18 octobre 2014.

L’article 1er de l’annexe 2 impose aux entreprises d’appliquer à ses salariés affectés à l’activité sur l’une ou l’autre des parties du CERN, les règles du droit applicable aux travailleurs détachés de l’Etat hôte sur le territoire où se situe la part prépondérante prévisible des prestations pour ce qui concerne notamment le taux de salaire minimal, y compris les majorations pour les heures supplémentaires.

S’agissant de la convention du 13 septembre 1965, cette dernière relative à l’extension en territoire français du domaine du CERN, définit le domaine d’application des lois et règlements de la Confédération suisse et ceux de la République française à la seule partie soumise à leur autorité. Toutefois, elle ne définit pas – contrairement à l’accord conclu le 18 octobre 2010 – le sort des contrats de prestations de services revêtant un caractère transnational sur le domaine du CERN et des contrats de travail afférents à ces prestations.

Sans se prévaloir du statut de travailleur détaché en territoire suisse de manière permanente dans le cadre de l’exécution du contrat de travail sur l’emprise du CERN, le salarié affirme que son activité professionnelle s’effectue de manière significative sur le sol suisse. Pour autant, alors qu’au vu des plans produits, la partie française occupe plus de 80 % du territoire du CERN et les trois quarts des bâtiments, il ne rapporte pas la preuve du temps d’exécution du travail en Suisse par la production de son planning de travail, lequel ne mentionne pas la localisation sur la site d’une prestation de travail

sur le territoire suisse, l’attestation délivrée par les autorités de la Confédération suisse qui se contente de constater que le salarié engagé par une entreprise liée par un marché au CERN exerce une activité lucrative en Suisse sans autre précision, par une lettre de l’inspectrice du travail s’exprimant au conditionnel et quelques fiches, de surcroît non nominatives, mentionnant son passage en divers points des bâtiments.

Les moyens de M. Y Z sont sur ces points défaillants pour démontrer la réalité de son travail en Suisse.

* sur le co-emploi

Il résulte des articles L. 1221-1 et suivants du même code que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération.

En l’absence d’écrit ou d’apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d’en rapporter la preuve.

M. Y Z soutient que la société Sécuritas SA, société de droit suisse, constitue avec son employeur une unique entreprise ce qui le place dans le cadre d’une situation de co-emploi ou d’emploi conjoint.

Il lui incombe de le prouver.

En premier lieu, hors l’existence d’un lien de subordination, une entreprise faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l’égard du personnel employé par une autre que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière.

Même si à l’appel d’offres, la société Alpes Sécuritas apparaît en tant que 'membre de l’ensemble’ au côté de la société Sécuritas SA, de droit suisse, toutes deux exerçant dans le même domaine d’activité et soumises aux mêmes obligations du marché de sécurité du CERN, cet élément ne caractérise pas à lui seul une confusion d’intérêts, d’activités et de direction. En outre, l’exécution d’une même activité, par deux filiales d’un même groupe intervenant sur des zones géographiques différentes ne peut non plus caractériser une quelconque immixtion.

D’autre part la reconnaissance d’employeurs conjoints supposant en tout état de cause un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination des deux sociétés moyennant rémunération, en l’absence d’apparence de contrat, M. Y Z n’établit pas les éléments caractérisant le contrat de travail, soit le paiement d’une rémunération, la fourniture d’un travail, et l’existence d’un lien de subordination juridique.

En l’espèce M. Y Z ne démontre ni l’existence d’un contrat de travail à l’égard de la société Sécuritas SA ni la situation de co-emploi ou d’emploi conjoint à l’égard de celle-ci et la société Alpes Sécuritas.

* sur la discrimination

Lorsque le salarié n’invoque aucune caractéristique personnelle qui aurait déterminé l’employeur à le traiter différemment de ses collègues, mais revendique le même traitement que d’autres travailleurs, dont il soutient qu’ils sont dans une situation comparable à la sienne, sa demande est fondée, non sur la discrimination, mais sur l’inégalité de traitement.

Il résulte du principe « à travail égal, salaire égal », dont s’inspirent les articles L.l242-14, L.1242-15, L.2261-22.9 , L.2271-1.8° et L.3221-2 du code du travail, que tout employeur est tenu d’assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.

En application de l’article 1315 du code civil, s’il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal, salaire égal » de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération ou de traitement, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.

En l’espèce, pour caractériser une situation d’inégalité de traitement au regard des autres travailleurs embauchés par la société Sécuritas SA , le salarié invoque l’ordonnance fédérale suisse du 6 octobre 1986 et de la loi fédérale du 8 octobre 1999.

Les dispositions de l’ordonnance fédérale, qui conféraient priorité aux indigènes n’ont pas pour objet d’imposer à l’employeur le respect des rémunérations en usage dans la localité et la profession mais seulement de subordonner la délivrance des autorisations administratives à l’obtention par l’étranger d’un contrat de travail répondant à ces exigences.

Suite à l’accord sur la libre circulation des personnes entre l’Union Européenne et la Suisse, le contrôle de priorité des travailleurs indigènes ainsi que des conditions de rémunérations ont été supprimés.

La loi du 8 octobre 1999 règle les conditions minimales de travail et de salaire applicables aux travailleurs détachés pendant une période limitée en Suisse, situation dont ne relève pas le salarié travaillant en France.

Ainsi, le salarié ne peut prétendre sur ces fondements aux mêmes salaires minima suisses – tels que déterminés par la convention collective de travail pour la branche des services de sécurité conclue entre l’association des entreprises suisses de service de sécurité et le syndicat UNIA – que ceux versés par la société Sécuritas SA à ses salariés travaillant sur la partie suisse du site du CERN.

Au regard de l’ensemble des éléments du dossier, une mesure d’instruction n’a pas lieu d’être ordonnée, par application de l’alinéa 2 de l’article 146 du code de procédure civile.

En conséquence, M. Y Z sera débouté de ses prétentions tendant à la régularisation de salaire.

— sur le prêt illicite de main-d’oeuvre :

Le salarié soutient que la société Alpes Sécuritas, qui a mis à disposition à titre onéreux sa main d’oeuvre à la société Sécuritas SA et cette dernière – laquelle était la seule à exécuter le marché de sécurité du CERN sur la partie française et sur la partie suisse – ont organisé une opération à but lucratif ayant pour objet le prêt de main-d’oeuvre.

Au regard des organigrammes versés aux débats, l’effectif de la société Alpes Sécuritas comprenait en 2013/2014 dans les fonctions d’encadrement un directeur général, un chef de département ayant sous ses ordres trois responsables d’exploitation et trois contrôleurs, un responsable des ventes. Si la convention conclue le 1er avril 2014 entre les deux sociétés mentionne que 'l’officier et le chef de terrain’ sous subordination directe de la société Sécuritas SA et au bénéfice d’un contrat de travail avec cette dernière, encadrent sur le plan organisationnel le personnel de la société Alpes Sécuritas , aucune pièce ne révèle que le lien de subordination sur les salariés de la société Alpes Sécuritas a été transféré à celle-ci moyennant obligation de paiement par son intermédiaire du salaire et des accessoires tout en prélevant un bénéfice pour elle-même.

Faute de démontrer une situation de marchandage, la prétention indemnitaire du salarié sera écartée.

3) Sur la rupture du contrat de travail :

* Sur l’avertissement prononcé le 8 mars 2016 :

Le 4 mars 2016, M. Y Z a fait l’objet d’un contrôle de prestations à l’occasion duquel il a été constaté qu’il n’avait pas contrôlé six véhicules sur sept qui se sont présentés pendant ce contrôle, l’employeur rappelant opportunément que suite aux attentats du 13 novembre 2015 et

l’instauration de l’état d’urgence, une application stricte dans l’exécution des consignes en vigueur était attendue.

Il apparaît ainsi que l’avertissement était justifié et que le salarié ne l’a pas contesté immédiatement.

M. Y Z sera débouté de ses demandes de ce chef.

* Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

Il convient de façon préliminaire, de constater que M. Y Z n’a formé aucune demande en cause d’appel au titre du harcèlement moral invoqué en première instance.

Au regard de l’ensemble des éléments examinés ci-dessus, il ne peut qu’être retenu que le salarié ne démontre pas l’existence de manquements graves de son employeur susceptibles de justifier la résiliation de son contrat de travail.

M. Y Z sera donc débouté de ses demandes formulées à ce titre.

Il sera en conséquence condamné à rembourser à la société Alpes Sécuritas les sommes payées par cette dernière au titre de l’exécution provisoire du jugement rendu par le conseil de prud’hommes.

4) Sur les frais irrépétibles :

Il convient, pour des raisons d’équité de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel, et de dire que M. Y Z qui succombe sera condamné aux entiers dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions excepté en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande d’indemnité au titre de l’avertissement dont il a fait l’objet,

Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées et y ajoutant :

— Dit que la loi suisse n’est pas applicable au contrat de travail de M. Y Z qui relève de la loi française,

— Dit que l’avertissement dont il a fait l’objet le 8 mars 2016 est fondé,

— Déboute M. Y Z de l’intégralité de ses demandes,

— Condamne M. Y Z à rembourser à la société Alpes Sécuritas les sommes payées par cette dernière au titre de l’exécution provisoire du jugement rendu par le conseil de prud’hommes,

— Dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel,

— Condamne M. Y Z aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Ainsi prononcé publiquement le 25 Juin 2019 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Claudine FOURCADE, Présidente, et Madame Laurence VIOLET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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