Cour d'appel de Dijon, Chambre sociale, 29 avril 2021, n° 19/00533

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Dijon, ch. soc., 29 avr. 2021, n° 19/00533
Juridiction : Cour d'appel de Dijon
Numéro(s) : 19/00533
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Dijon, 19 juin 2019, N° 18/00621
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

GL/CH

X-P Y

C/

S.A.S.U. M N prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 29 AVRIL 2021

MINUTE N°

N° RG 19/00533 – N° Portalis DBVF-V-B7D-FJU6

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation

paritaire de DIJON, section COMMERCE, décision attaquée en date du 20 Juin 2019, enregistrée

sous le n° 18/00621

APPELANTE :

X-P Y

[…]

[…]

représentée par Me Jean-W SCHMITT, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉE :

S.A.S.U. M N prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social

[…]

[…]

représentée par Me Florence MARIONNET, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Vincent CUISINIER de la SELARL DU PARC – CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Mars 2021 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Gérard LAUNOY, Conseiller et W AA, Président de chambre, chargés d’instruire l’affaire. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

W AA, Président de chambre, président,

Gérard LAUNOY, Conseiller,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : U V,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par W AA, Président de chambre, et par U V, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Les éléments essentiels de la relation de travail nouée entre Mme X-P Y et la société M N sont les suivants :

embauche le 1er août 1996 par la SA Camaflex,

emploi : démonstratrice au magasin des «'Galeries Lafayette'» à Dijon, puis au magasin «'E F'» à Dijon à compter du 25 février 2003, en dernier lieu responsable de boutique (catégorie employée)

type de contrat : contrat de travail à durée indéterminée

convention collective visée par le contrat : néant (convention du commerce de gros visée dans les bulletins de paie)

avertissement prononcé le 4 juin 2018 pour refus d’effectuer des démonstrations dans les établissements hospitaliers

le 9 août 2018, convocation à un entretien préalable à licenciement fixé au 23 août suivant,

le 28 août 2018, licenciement pour cause réelle et sérieuse.

La société M N est venue aux droits de l’employeur initial.

Contestant l’avertissement et son licenciement, Mme Y a saisi, le 3 octobre 2018, le conseil de prud’hommes de Dijon.

Par jugement du 20 juin 2019, cette juridiction a':

— dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse,

— confirmé l’avertissement,

— débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes,

— débouté l’employeur de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné la salariée aux entiers dépens.

Par déclaration au greffe du 18 juillet 2019, le conseil de Mme Y a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 25 juin 2019.

Par ses dernières conclusions signifiées le 25 janvier 2021, Mme Y demande à la cour de':

— la dire recevable et bien fondée en ses demandes, réformer le jugement,

— annuler l’avertissement du 4 juin 2018,

— dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

— condamner la SAS M N à lui payer :

* 44.500 euros nets de CSG et CSRD de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la SAS M N aux dépens d’instance.

Par ses plus récentes conclusions signifiées le 15 janvier 2021, la société M N prie la cour de':

— confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

En conséquence,

— confirmer l’avertissement du 4 juin 2018,

— juger que le licenciement du 28 août 2018 repose sur une cause réelle et sérieuse,

— débouter Mme Y de ses demandes,

Y ajoutant,

— fixer le salaire de référence de Mme Y à la somme de 2.625,82 euros,

A titre subsidiaire,

— limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 7.877,46 euros,

A titre reconventionnel,

— condamner Mme Y au paiement de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner Mme Y aux entiers dépens.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux conclusions précitées pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 25 février 2021, l’affaire étant fixée à l’audience de plaidoiries du 23 mars 2021, date à laquelle l’arrêt a été mis en délibéré à ce jour.

SUR QUOI

Sur l’avertissement

La lettre d’avertissement précitée du 4 juin 2018 est ainsi rédigée :

« 'Il vous est reproché de faire preuve d’insubordination à l’égard de votre supérieure hiérarchique, Madame Z, mais également d’agir de façon non professionnelle.

Vous êtes employée en qualité de démonstratrice. A ce titre, nous vous rappelons que vous bénéficiez d’une rémunération variable assise sur le chiffre d’affaires réalisé.

C’est la raison pour laquelle, il vous a été notamment demandé d’effectuer des démonstrations (ateliers et présentations de nos produits et de notre activité au personnel soignant) dans les établissements hospitaliers de Dijon.

Dans ce but, le 18 mai 2018, Madame Z vous a contactée par téléphone afin d’organiser avec vous la visite des hôpitaux.

Le 29 mai 2018, elle vous a adressé un courriel en réitérant sa demande et vous a proposé deux ensembles de dates dans le courant du mois de juin pour opérer les visites sur deux jours en binôme avec elle.

Le 30 mai 2018, vous lui avez répondu par courriel en ces termes : «Comme je vous l’ai dit le 18 mai lors de votre appel je ne peux pas et ne veux pas aller passer un ou deux jours dans les hôpitaux…».

Nous ne pouvons accepter votre comportement.

Ce refus de suivre les directives de l’entreprise n’est pas le premier que nous constatons. En effet, vous ne répondez pas non plus aux mails que vous recevez d’G H et à ses demandes réitérées par téléphone en l’absence de réponse aux mails pour l’envoi de vos compte-rendus de visite dans les hôpitaux et des fiches clientes au prétexte que cela ne sert à rien sauf à vous « fliquer » (vos propres termes).

Non seulement vous faites preuve d’insubordination à l’égard de votre supérieur hiérarchique en refusant une tâche sans forme de politesse et sur un ton non professionnel, mais de surcroît, vous mettez à mal les actions commerciales mises en place pour maintenir l’activité de l’entreprise.

Vous refusez de suivre les directives et instructions [']. Par votre refus de suivre nos directives et votre manque total d’implication vous portez préjudice à l’entreprise […]'».

S’il est vrai que Mme Y devait, selon le dernier avenant du 24 janvier 2003 à son contrat de travail, exercer ses fonctions dans un magasin, elle a elle-même admis, dans sa lettre du 15 juin 2015 portant contestation de l’avertissement, qu’elle se rendait régulièrement au Centre de lutte contre le cancer R-S T (CGFL), au Centre hospitalier universitaire et à la Clinique Drevon de Dijon pour «'y faire des ateliers et de ce fait y déposer des catalogues'». Il en ressort que ses fonctions comportaient des interventions de démonstration hors du magasin qu’elle était chargée de diriger.

La société M justifie que les 13 mars, 15 mars, 12 avril et 15 mai 2018, l’assistante G H lui a demandé un compte-rendu au sujet de ses visites dans les hôpitaux, devant notamment comporter les noms des soignants et services visités, le nombre de documents déposés et les ateliers proposés à ces soignants.

C’est seulement le 30 mai 2018 que Mme Y a répondu par écrit en confirmant ses dires téléphoniques du 18 mai précédent selon lesquels passer dans des hôpitaux lui pesait beaucoup car il ne lui était pas facile de gérer au quotidien des malades à la boutique et elle ne voulait pas revivre l’expérience vécue en 2014 à l’issue de laquelle elle s’était trouvée «'au bord du gouffre'» sans recevoir d’aide.

Ces faits de 2014 ne sont évoqués que dans l’avis d’aptitude du 4 juin 2014 par lequel le médecin du travail avait précisé que la salariée avait besoin d’un soutien psychologique « en raison de la clientèle suivie'» dont les parties indiquent qu’il s’agit de femmes ayant besoin de perruques à la suite de la perte de leur chevelure entraînée par des traitements anticancéreux.

La cour constate':

— d’une part, que Mme Y s’est abstenue durant deux mois de répondre aux demandes de sa collègue,

— d’autre part, que les visites qui lui étaient demandées ne tendaient pas à rencontrer des malades hospitalisés, mais seulement des soignants pour leur présenter les produits vendus par M.

Elle a ainsi doublement manqué à ses obligations dans des circonstances qui ne justifiaient pas son refus de procéder aux visites demandées. L’avertissement a constitué une sanction proportionnée à ces manquements. En conséquence, la demande tendant à son annulation doit être rejetée.

Sur le licenciement

La lettre de licenciement précitée du 28 août 2018 est ainsi motivée :

« ['] Par courrier R/AR du 23 juin 2018, reçu le 26 juin 2018, adressé à Madame I D, Directrice Générale d’M N, vous avez écrit :

« Madame,

Jeudi 21/06/2018 au matin j’ai découvert sous ma caisse ce qui ressemble à un micro.

De ce fait je me suis rendue à la police et à l’inspection du travail pour les informer de cette «intrusion illégale » sur mon lieu de travail.

(') la loi française interdit ce genre de procédé et je compte porter plainte pour « atteinte à mon intégrité » par un procédé déloyal.'» (').

Sur la base de votre constat réalisé le 21 juin dernier, selon lequel vous auriez découvert un objet qui ressemblerait à un micro, vous avez cru pouvoir alerter la police et l’inspection du travail d’une « intrusion illégale » sur votre lieu de travail ; ceci sans solliciter préalablement d’éclaircissement de la part de votre responsable hiérarchique.

En conséquence, vous n’avez pas respecté le processus normal selon lequel vous auriez dû alerter votre responsable hiérarchique des faits constatés avant de vous rendre à la Police et à l’Inspection du travail.

Par ailleurs, vous n’avez pas non plus sollicité d’éclaircissements de la part de la Direction dans votre courrier du 23 juin 2018, ceci en affirmant que vous subissiez une « atteinte à votre intégrité par un procédé déloyal » justifiant le dépôt d’une plainte.

Par la suite, souhaitant vraisemblablement créer un conflit, le 10 juillet 2018, vous avez adressé copie de votre courrier à Monsieur K L, Directeur Général d’M N, et à Madame O Z, Direction Adjointe d’M N.

Cette diffusion auprès des autres dirigeants de la société M N aggrave la portée des propos calomniant et sans fondement de votre courrier.

Enfin, le 11 juillet 2018, par courrier R/AR reçu le 12 juillet 2018, vous avez visé personnellement Madame I D, en modifiant le récit des faits et en proférant à son encontre les accusations suivantes :

« (') quant à l’utilité du micro que j’ai découvert sous ma banque et qui a été posé par vos soins lors de votre venue le 19 juin alors que vous étiez accompagnée de M. A, Directeur Europe. (') »

Cette modification ultérieure de votre récit témoigne de votre parfaite mauvaise foi dans les accusations que vous portez.

Par LR/AR du 12 juillet 2018, nous avons contesté fermement les faits que vous alléguiez à l’encontre de la société et vous avez précisé que ces accusations particulièrement graves pouvaient faire l’objet de poursuites pénales sur le fondement du délit de dénonciation calomnieuse.

Nous considérons que vos courriers successifs contiennent des propos dénigrants, calomniant et sans fondement aucun à l’égard de la Direction de la société M N, dont la diffusion aggrave la portée et témoignent de votre volonté de créer une situation conflictuelle et de déconsidérer publiquement la Direction d’M N.

Vous conviendrez que le calendrier de vos accusations est plus que surprenant, dérangeant et qu’elles s’apparentent à une mesure de rétorsion de votre part à l’encontre de la Direction d’M N, puisqu’elles interviennent dès le 23 juin 2018, soit 8 jours après votre lettre de contestation d’avertissement daté du 15 juin 2018.

Votre comportement est inacceptable d’une Démonstratrice de votre expérience. Au regard de votre ancienneté au sein de notre entreprise, nous avons décidé de ne pas retenir la qualification de faute grave aux faits qui vous sont reprochés, et c’est pourquoi nous vous licencions pour cause réelle et sérieuse.

Vous serez tenue d’effectuer votre préavis d’une durée de 2 (deux) mois, qui débutera à la date de la première présentation de la lettre à votre domicile […]».

Selon l’attestation de Mme B, salariée membre du comité d’entreprise, Mme Y lui a téléphoné le 21 juin 2018 pour lui annoncer qu’elle avait trouvé un micro sous sa caisse et lui a demandé ce qu’elle devait faire. Mme B lui a demandé de vérifier qu’il s’agissait bien d’un micro, a pris des renseignements sur Internet et a conseillé à Mme Y de voir avec l’Inspection du travail et la Gendarmerie.

Mme Y indique dans ses conclusions que l’Inspection du travail l’a invitée à interroger son employeur tandis que les services de police, auprès desquels elle voulait faire une déclaration en main courante, ont répondu qu’ils n’étaient pas concernés par ces faits.

Le 23 juin 2018, Mme Y a adressé à son employeur le courrier, exactement relaté dans la lettre de licenciement, en précisant qu’il était fait pour «'ce que valoir de droit'». En l’absence de réponse, elle a ensuite':

— le 10 juillet suivant, envoyé à la directrice adjointe Z une lettre évoquant principalement la reprise des visites hospitalières en septembre, à laquelle étaient jointes les copies de la lettre de contestation de l’avertissement et du courrier du 23 juin, présentés par la salariée comme «'la mise en évidence de harcèlements que je subis depuis plus qu’un an'»,

— également le 10 juillet, adressé au directeur général K L copie «'pour informations'» du courrier du 23 juin et de la lettre destinée à Mme Z,

— le lendemain 11 juillet 2018, demandé à Mme D des explications au sujet de l’utilité du micro dans les termes reproduits par la lettre de licenciement.

Mme D a alors répondu, le 12 juillet 2018, qu’elle contestait les faits ainsi exposés. Relevant une coïncidence entre les courriers de la salariée et l’avertissement prononcé contre elle, elle a rappelé la teneur de l’article 226-10 du code pénal relatif à la dénonciation calomnieuse, a déclaré ne pas pouvoir tolérer les accusations en cause et s’est réservée d’agir en justice.

Ces termes n’ont pas pu donner à la réponse de l’employeur le caractère d’une sanction disciplinaire au sens de l’article L. 1331-1 du code du travail et n’ont donc pas épuisé son pouvoir disciplinaire en ce qui concerne les faits antérieurs à son envoi.

Mme Y a ensuite':

— le 23 juillet 2018, contesté tout lien entre son action et l’avertissement, invoqué l’obligation de sécurité de l’employeur, indiqué qu’elle était en arrêt de travail depuis le 12 juillet pour détresse psychologique, exposer qu’elle se sentait victime depuis mai 2017 d’un acharnement tendant à l’amener à la faute ainsi que de «'disqualification et de mépris'», en précisant que tout acte de harcèlement compromettant gravement l’équilibre psychologique d’un salarié était reconnu comme constituant une faute inexcusable,

— le 24 août 2018, postérieurement à l’entretien préalable, indiqué qu’aucune plainte n’avait été déposée, que le micro n’était pas en place avant la visite de la directrice générale, qu’elle avait découvert quelques jours après un étui à ciseaux vide, qu’elle se considérait comme harcelée et qu’elle s’étonnait de l’absence de réponse à ses dires relatifs à sa souffrance au travail,

— le 12 septembre 2018, après son licenciement, demandé que le micro retrouvé scotché à sa caisse soit laissé à la disposition de la justice en joignant photographie de cet appareil.

Les deux photographies communiquées par l’employeur (pièces n° 12-2 et 12-3 de son dossier) montrent pour l’une un boîtier bleu comportant un voyant lumineux et un bouton, pour l’autre l’arrière d’un bureau supportant un ordinateur et, en dessous, un boîtier similaire à celui qui vient d’être décrit.

Le règlement intérieur soumis à l’appréciation de la cour n’organise aucune procédure relative au traitement de faits tels que ceux dénoncés par Mme Y. Ne leur sont pas applicables les articles 12 et 13 du règlement qui n’envisagent, au sujet des obligations de confidentialité et de discrétion, que l’interdiction de divulguer des informations financières, commerciales, techniques ou industrielles.

Les courriers de Mme Y ne relèvent':

— ni de l’article L. 4131-1 du code du travail dès lors qu’il ne s’agissait manifestement pas d’une situation de travail dont elle aurait eu un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ou d’une défectuosité dans les systèmes de protection,

— ni des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dans la mesure où Mme Y ne s’est pas placée dans la posture d’un lanceur d’alerte, défini par ces textes comme une personne qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la N, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.

En réalité, elle s’est trouvée personnellement confrontée à ce qu’elle considérait comme une atteinte à ses droits et un fait participant à un harcèlement moral.

Elle n’a pas agi fautivement en consultant une salariée membre du comité d’entreprise. C’est seulement sur les conseils de cette dernière, qui avait manifestement jugé crédibles ses propos, qu’elle a saisi l’Inspection du travail et les services de police.

C’est ensuite conformément aux directives de l’Inspection du travail qu’elle a alerté son employeur le samedi 23 juin 2018. Contrairement à ce que soutient la société M, les termes de son courrier obligeaient l’employeur à procéder à des investigations, ne serait-ce que pour vérifier si les faits dénoncés visaient seulement la salariée ou au contraire tendaient plus largement à porter préjudice à l’entreprise.

La société M a donc manqué à sa propre obligation de veiller à la sécurité de Mme Y sur son lieu de travail. Elle est restée tout aussi inactive quand, les 10 et 11 juillet 2018, cette salariée a clairement situé la pose du «'micro'» dans le contexte plus large d’un processus de harcèlement moral.

En invoquant l’arrêt rendu le 8 juillet 2020 par la chambre sociale de la cour de cassation (n° de pourvoi 18-13593), Mme Y vise le principe, tiré de l’article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, selon lequel aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Il s’en déduit que le salarié ne peut être licencié pour ce motif sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

La présence sur le lieu de travail de Mme Y de l’appareil décrit par elle était de nature à faire sérieusement suspecter la commission du délit, prévu par l’article 226-1 du code pénal dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, d’atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui par le fait de capter, enregistrer ou transmettre, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel.

Il ne ressort pas du dossier la preuve que Mme Y, soit s’est livrée à une mise en scène en installant elle-même l’appareil, soit a eu conscience que l’appareil en cause n’était pas susceptible de permettre une atteinte à l’intimité de sa vie privée. Les photographies communiquées ne permettent pas de considérer l’appareil comme manifestement inoffensif. Alors que le dernier courrier de Mme Y fait apparaître qu’elle l’a laissé sur son lieu de travail lorsqu’elle a été placée en arrêt de travail avant son licenciement, la société M N ne justifie pas avoir procédé ou fait procéder à un quelconque moment à des constatations sur son exacte nature.

Le fait que la salariée ait été récemment sanctionnée de l’avertissement examiné plus haut n’établit pas qu’elle se soit comportée de mauvaise foi.

En raison de sa bonne foi, Mme Y ne pouvait donc pas être sanctionnée pour avoir relaté les faits à l’Inspection du travail et aux services de police territorialement compétent.

Il résulte en outre de l’alinéa premier du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qu’est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite ou susceptible d’être introduite par le salarié à l’encontre de son employeur, peu important que la demande du salarié soit non fondée (Voir l’interprétation de la loi (Voir l’interprétation de la loi retenue par la chambre sociale de la cour de cassation dans ses arrêts rendus les 20 mars 2019, n° 17-21.932, et 5 décembre 2018, n° 17-17.687).

La portée de cette dernière règle a été limitée par le législateur puisqu’aux termes de l’article L. 1235-2-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’article 4 de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et applicable aux licenciements prononcés postérieurement à la publication de ladite ordonnance, en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l’un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d’examiner l’ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l’évaluation qu’il fait de l’indemnité à allouer au salarié, sans préjudice des dispositions de l’article L. 1235-1.

La liberté d’expression reconnue à tout salarié en vertu de l’article 10 § 1 de la de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales comporte notamment le droit de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail.

La cour estime que Mme Y n’a abusé de cette liberté':

— ni en se plaignant d’être victime de harcèlement moral et de l’installation de l’appareil ci-dessus décrit,

— ni, compte tenu de l’absence de réponse de sa supérieure hiérarchique directe après plus de deux semaines, en alertant d’autres responsables de l’entreprise avant d’imputer à cette supérieure, dans la lettre précitée du 15 juillet 2018, la pose de cet appareil.

En l’absence de réaction de la part de sa hiérarchie, ces initiatives, non entachées d’incohérence ou de contradiction, ne peuvent être considérés ni comme le signe d’une volonté de créer artificiellement un conflit, ni comme des marques de mauvaise foi.

La saisine directe du directeur général et de la directrice adjointe n’est pas davantage révélatrice d’une volonté de déconsidérer publiquement l’entreprise alors qu’il n’apparaît pas qu’une quelconque publicité lui ait été donnée hors de l’entreprise.

Mme Y n’a pas ainsi employé de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs constitutifs d’un abus dans l’exercice de sa liberté d’expression.

Contrairement à ce qu’a jugé le conseil de prud’hommes, son licenciement doit donc être déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences pécuniaires du licenciement

Au moment de son licenciement, Mme Y avait acquis une ancienneté d’un peu plus de 22 ans au sein de ses employeurs successifs aux droits et obligations desquels est venue la société M N. Cet employeur admet dans ses dernières conclusions employer 80 salariés. Son

organigramme arrêté au 16 mai 2018 fait apparaître au moins 26 salariés, sans compter ceux occupés en boutiques.

Mme Y ne fournit aucun justificatif sur l’évolution de sa situation socio-professionnelle depuis son licenciement, indiquant seulement que n’ayant pas pu retrouver un emploi, elle s’est résignée à faire valoir ses droits à la retraite.

Ses bulletins de paie font apparaître chaque mois un salaire de base de 1.700 euros, une prime d’ancienneté de 280,79 euros, une prime sur objectif (généralement 250 euros jusqu’à avril 2018, 50 en mars),et une prime de vente d’un montant variable. Selon le dernier avenant à son contrat de travail, cette prime était égale à 3'% du chiffre d’affaires réalisé.

La moyenne mensuelle des douze derniers mois complets invoquée par elle correspond à 170,833 euros pour la prime sur objectif et 461,059 euros pour la prime de vente.

La cour parvient ainsi à une moyenne globale de 2.612,68 euros. Cependant, l’employeur admet l’application d’un salaire de référence de 2.625,82 euros (dispositif de ses conclusions) qu’il convient de retenir.

Compte tenu de l’ancienneté de la salariée, des circonstances de la rupture, du montant de sa rémunération, de son âge (née le […]), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et son expérience professionnelle, et des conséquences du licenciement, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, la somme de 18.500 euros en réparation du préjudice causé par son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

Aux termes de l’article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Il y a lieu de faire application de ce texte dès lors que le licenciement de Mme Y se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile

Les dépens doivent incomber à la société M N.

Il y a lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de Mme Y.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement rendu le 20 juin 2019 par le conseil de prud’hommes de Dijon en ce qu’il a rejeté la demande d’annulation de l’avertissement,

L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les points infirmés,

Dit que le licenciement de Mme X-P Y est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la SAS M N à payer à Mme X-P Y':

— à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice causé par le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, la somme, nette de CSG et de CRDS, de dix huit mille cinq cents euros (18.500 €),

— par application de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de mille cinq cents euros (1.500 €),

Condamne la SAS M N à rembourser à l’Institution Pôle Emploi, en application de l’article L. 1235-4 du code du travail, les indemnités de chômage versées à Mme X-P Y, du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, à hauteur de six mois d’indemnités de chômage,

Déboute cette société de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS M N à payer les dépens de première instance et d’appel.

Le Greffier, Le Président,

U V W AA

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Cour d'appel de Dijon, Chambre sociale, 29 avril 2021, n° 19/00533