Cour d'appel de Douai, Sociale c salle 2, 16 décembre 2022, n° 20/01307

  • Usine·
  • Contrat de travail·
  • Licenciement·
  • Sociétés·
  • Comités·
  • Ingénieur·
  • Salarié·
  • Modification du contrat·
  • Homme·
  • Pôle emploi

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Douai, soc. c salle 2, 16 déc. 2022, n° 20/01307
Juridiction : Cour d'appel de Douai
Numéro(s) : 20/01307
Importance : Inédit
Décision précédente : Conseil de prud'hommes d'Avesnes-sur-Helpe, 14 mai 2020, N° 19/00120
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 17 janvier 2023
Lire la décision sur le site de la juridiction

Texte intégral

ARRÊT DU

16 Décembre 2022

N° 2017/22

N° RG 20/01307 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TAQA

MLB/AL

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AVESNES SUR HELPE

en date du

15 Mai 2020

(RG 19/00120 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 16 Décembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

— Prud’Hommes-

APPELANT :

M. [T] [E]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Me Antoine BIGHINATTI, avocat au barreau de VALENCIENNES

INTIMÉE :

S.A.S. TUBOSCOPE VETCO FRANCE

[Adresse 5]

[Localité 1]

représentée par Me Xavier BRUNET, avocat au barreau de BETHUNE assisté de Me Pauline PIERCE, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Floriane ESSLING, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS : à l’audience publique du 02 Novembre 2022

Tenue par Muriel LE BELLEC

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Nadine BERLY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Soleine HUNTER-FALCK

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

Gilles GUTIERREZ

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 12 Octobre 2022

EXPOSE DES FAITS

M. [T] [E], né le 26 février 1969, a été embauché par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 décembre 1996 en qualité d’ingénieur position II par la société Vallourec Oil & Gas et affecté à l’établissement d'[Localité 4], qui a été racheté par la société Tuboscope Vetco France à effet du 1er mai 2018.

La relation de travail était assujettie à la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

En dernier lieu, M. [E] était classé position repère III B et percevait un salaire mensuel brut moyen de 12 463 euros.

L’entreprise employait de façon habituelle au moins onze salariés.

M. [E] a été convoqué par lettre remise en main propre le 8 novembre 2018 à un entretien le 19 novembre 2018 en vue de son licenciement. A l’issue de cet entretien, son licenciement lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 22 novembre 2018.

Les motifs du licenciement tels qu’énoncés dans la lettre sont les suivants :

« En effet, à l’appui des éléments que nous vous avons exposés, nous constatons une totale inadéquation de votre part au poste de directeur d’usine que vous occupez et qui se manifeste par :

— Une absence de compréhension de la situation financière de la société, des enjeux en cours et un manque d’implication de votre part dans le développement d’une relation de confiance

— Une obstruction répétée au Groupe ainsi qu’un refus de coopérer avec la Direction de Grant Prideco

— Des divergences de vue et une contestation de votre part quant aux orientations de la Direction

Concernant le premier point, nous tenons à rappeler le contexte financier très tendu dans lequel se trouve l’usine que nous avons rachetée en avril 2018. A maintes reprises, vous avez eu des discussions avec la Direction de Grant Prideco sur la nécessité de redevenir profitable, ce qui passait notamment par une gestion rigoureuse des effectifs, des coûts de production et de fabrication ainsi que de toute dépense engagée. Concernant les effectifs, vous n’avez eu de cesse de vous opposer à la décision de la Direction de ne pas réaliser de nouvelle embauche, en dépit des explications que vous étaient données sur l’impérieuse nécessité d’avancer à ISO effectif.

Pour ce qui est des coûts de fabrication et de production, vous n’avez jamais cherché à les comprendre pour les maîtriser. Ce sont deux membres du comité de direction local qui ont dû s’emparer du sujet en voyant que vous n’y prêtiez aucune attention et que cela avait de potentielles conséquences financières.

Vous n’avez pas porté plus d’intérêt au plan des 20 actions prioritaires et urgentes qu’avait établi votre comité de direction suite à une réunion avec la Direction de Grant Prideco et les nouvelles pertes constatées et n’avez pas mené les réunions nécessaires pour en suivre l’évolution.

En ce qui concerne les dépenses, vous avez by-passé les refus de 3 membres de la Direction et avez adressé directement un mail au Président pour l’inciter à valider une facture de 15K€ de sponsoring de clubs de sport local, prétextant que « c’était ce qui se faisait chez Vallourec ». Par ailleurs, vous n’avez averti personne des frais validés pour des repas et cadeaux de départ, qui ne sont pas une pratique chez Grant Prideco.

Enfin peu après la demande d’accroissement de la production, vous avez relayé avec insistance auprès de la Direction des demandes de primes des syndicats, à hauteur de 100€ par mois et par salarié. Présente lors du CHSCT extraordinaire du 8 novembre, j’ai dû expliquer aux élus qui en refaisaient la demande qu’au regard de la situation, cela n’était pas possible, ce qu’ils ont compris. Manifestement vous n’aviez pas su le leur dire avant, laissant planer un espoir qui n’a pu qu’être déçu.

Le 9 octobre lors d’un meeting avec le Responsable Financier de Grant Prideco et le comité de direction local, vous avez découvert les chiffres en séance alors que vous aviez eus 4 semaines au moins avant et vous êtes emporté violemment contre le contrôleur de gestion car vous ne les compreniez pas. Les personnes présentes ont été atterrées par votre réaction et très inquiètes sur votre capacité même à mener l’entreprise vers le redressement souhaité et la profitabilité tant vous paraissiez ne pas comprendre le sujet en général.

Concernant le second point, à plusieurs reprises (26 juin, 2 et 3 juillet notamment), vous avez décliné des réunions essentielles avec la Direction de Grant Prideco portant sur des sujets primordiaux et avez adopté une attitude d’évitement sans explication valable.

Votre refus de coopérer avec Grant Prideco s’est également manifesté par une défiance permanente et un refus constant de laisser la Direction rencontrer les syndicats et participer aux réunions du Comité d’entreprise sous le prétexte fallacieux que tout était en français ou confidentiel. Vous auriez parfaitement pu traduire mais n’avez jamais proposé de le faire. Un membre du comité de direction local l’a proposé, vous avez refusé. Vous n’avez jamais donné non plus de compte rendu des réunions alors qu’il vous était demandé par la Direction, sous le même prétexte. Vous avez également invoqué le fait que les relations avec les syndicats étaient particulièrement sensibles. Or ces derniers étaient favorables à une rencontre et ont manifesté une satisfaction réelle lors du meeting du 5 septembre durant lequel ils ont pu échanger en direct avec la Direction venue sur site. A ce moment d’ailleurs, vous avez adopté une position de retrait total qui a été prise pour certains salariés comme une absence d’adhésion au Groupe et à Grant Pridero et avez persisté lors de réunions suivantes (réunion formation du 17 octobre par exemple).

Vous avez également contesté de manière virulente la demande d’augmentation de la production à ISO effectif. Ce n’est que quand les syndicats ont accepté de le faire – et ils se sont très rapidement prononcés pour – que vous avez revu votre jugement.

Vous avez également joué de votre pouvoir de direction pour discuter et retarder l’avancée du projet de changement des logos des vêtements de travail et avez invoqué in fine le fait que cette question pouvait être réglée via le budget de l’usine donc qu’il vous revenait de décider. Ce qui n’est évidemment pas le cas, toutes ces questions de logo devant être validées au niveau du Groupe.

Enfin certaines équipes ont fait état de vos remarques permanentes sur ce qui n’allait pas dans leur fonctionnement ou leur production sans jamais avoir de parole positive de votre part. A ce jour, elles s’interrogent sur votre capacité à traiter les questions de fond qui s’imposent au Directeur d’une usine sachant que leur activité à elles est gérée par leur manager.

L’ensemble de votre comportement a des conséquences malheureusement trop importantes pour être accepté :

Pour les équipes, ces dernières s’interrogent sur la pérennité de l’usine sous votre direction. Des membres du comité de direction local ont émis des inquiétudes majeures quant à votre capacité à comprendre la situation de l’entreprise et à la diriger, tout comme le Direction de Grant Prideco. Face aux profondes divergences de vue que vous manifestez, elle ne voit aucun lien de confiance se tisser avec vous en dépit de toute l’aide et des relais qu’elle a pu mettre en place pour vous assister et de sa volonté de vous confier la responsabilité de mener l’usine vers une nouveau succès.

Dans ces conditions, il nous est impossible de maintenir notre relation de travail.»

Par requête reçue le 11 juillet 2019, M. [E] a saisi le conseil de prud’hommes d’Avesnes sur Helpe pour faire constater l’illégitimité de son licenciement.

Par jugement en date du 15 mai 2020 le conseil de prud’hommes a débouté M. [E] de l’intégralité de ses demandes et la société Tuboscope Vetco France de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, laissant aux parties la charge de leurs dépens.

Le 10 juin 2020, M. [E] a interjeté appel de ce jugement.

L’ordonnance rendue le 6 octobre 2021 par le conseiller de la mise en état, faisant injonction aux parties de rencontrer un médiateur, est restée sans suite.

Selon ses conclusions reçues le 27 août 2020, M. [E] sollicite de la cour qu’elle dise son appel recevable et bien fondé et condamne la société Tuboscope Vetco France à lui verser la somme nette de 297 000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir que les griefs ne lui sont pas opposables puisqu’il était ingénieur et non pas directeur du site d'[Localité 4], qu’il est devenu au fil des responsabilités qui lui ont été données directeur du site sans bénéficier d’un avenant à son contrat de travail ni accepter de telles fonctions, que la modification du contrat de travail nécessite l’accord exprès du salarié, que la poursuite du contrat pendant des années sans protestation, la réception sans protestation ni réserve des bulletins de salaire, le fait qu’il se présente à ses interlocuteurs comme directeur pour faciliter les échanges ou son profil LinkedIn ne valent pas acceptation expresse et non équivoque de la modification du contrat de travail, que sa demande qui porte sur la rupture et non sur l’exécution du contrat de travail n’est pas prescrite, que les griefs invoqués par la société Tuboscope Vetco France, si tant est qu’ils existent puisqu’aucune pièce ne les prouve, ne peuvent en conséquence être avancés pour justifier son licenciement, que subsidiairement aucune pièce ne vient étayer les faits décrits.

Les conclusions de l’intimée déposées le 30 novembre 2020 ont été déclarées irrecevables par ordonnance rectificative en date du 16 décembre 2020.

La société Tuboscope Vetco France a rappelé par courrier du 2 décembre 2020 et à l’audience qu’elle était réputée s’approprier les motifs du jugement.

La clôture de la procédure a été ordonnée le 12 octobre 2022.

MOTIFS DE L’ARRET

En application de l’article 954 du code de procédure civile, la partie qui ne conclut pas est réputée s’approprier les motifs du jugement.

Le conseil de prud’hommes a indiqué que le salarié avait évolué professionnellement jusqu’à devenir directeur de l’usine en 2013, qu’il n’avait jamais émis de contestation sur cette évolution, même s’il n’a pas signé de nouveau contrat, qu’il a été inscrit à une formation de directeur d’usine en 2003 (sic), qu’il occupait bien le poste de directeur d’usine au moment du rachat de l’établissement par la société Tuboscope Vetco France en avril 2018, qu’il a sollicité auprès de la DRH de la société Tuboscope Vetco France la même délégation de pouvoir que celle dont il bénéficiait chez Vallourec, que son attestation Pôle Emploi mentionne bien son statut de directeur d’établissement, que la lettre de licenciement est suffisamment précise sur les motifs qui ont conduit la société Tuboscope Vetco France à se séparer de M. [E], que M. [E] n’apporte aucune pièce dans son dossier pour réfuter les motifs de son licenciement, qu’il a saisi le conseil de prud’hommes en juillet 2019 soit plus de six ans après la prétendue modification unilatérale de son contrat de travail.

Les pièces versées aux débats sont l’extrait Kbis de la société Tuboscope Vetco France en date du 21 juin 2018, le contrat de travail, la convocation à entretien préalable, la lettre de licenciement, l’attestation destinée à Pôle Emploi et les bulletins de salaire de novembre 2017 à octobre 2018.

Les bulletins de salaire mentionnent que M. [E] occupait en dernier lieu un poste de catégorie III B coefficient 180 de la convention collective des cadres de la métallurgie, sans précision de la nature du poste. L’attestation Pôle Emploi et la lettre de licenciement font référence à la qualité de directeur de l’usine de M. [E].

M. [E] a été embauché comme ingénieur. L’attribution des fonctions et responsabilités de directeur de l’établissement d'[Localité 4] constituait une modification de son contrat de travail, qui ne pouvait pas lui être imposée unilatéralement. L’acceptation de la modification du contrat de travail ne se présume pas et ne peut résulter de la seule poursuite par le salarié de l’exécution du contrat de travail dans ses nouvelles conditions. L’absence de contestation du salarié quant à cette modification, serait-elle survenue en 2013, ne peut valoir accord de sa part. La date et l’initiateur de son inscription à une formation de directeur d’usine sont incertaines, de même que la teneur de la délégation de pouvoir qu’il aurait sollicitée au moment du rachat de l’établissement par la société Tuboscope Vetco France en avril 2018. Il ne peut en conséquence être retenu que M. [E] a accepté d’occuper le poste de directeur d’usine et d’en assumer les fonctions et les responsabilités. Ayant saisi le conseil de prud’hommes dans le délai de douze mois suivant la rupture de son contrat de travail, il est recevable à opposer à l’employeur l’inadéquation des griefs qui lui sont faits avec ses fonctions contractuelles.

Surabondamment, les pièces produites ne permettent pas d’établir la matérialité des griefs, privant le licenciement de cause réelle et sérieuse. Le jugement est donc infirmé.

M. [E] ne fournit pas la moindre explication ni la moindre pièce justificative sur sa situation postérieure à la rupture de son contrat de travail. Il convient de condamner la société Tuboscope Vetco France à lui verser la somme de 38 000 euros à titre d’indemnité pour cause réelle et sérieuse en application de l’article L.1235-3 du code du travail.

Les conditions de l’article L.1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d’ordonner le remboursement par la société Tuboscope Vetco France des éventuelles indemnités de chômage versées à M. [E] à hauteur de six mois d’indemnités.

Il ne serait pas équitable de laisser à la charge de M. [E] les frais qu’il a dû exposer et qui ne sont pas compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une somme de

2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a débouté la société Tuboscope Vetco France de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau :

Dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Condamne la société Tuboscope Vetco France à verser à M. [T] [E] :

—  38 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

—  2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Ordonne le remboursement par la société Tuboscope Vetco France au profit du Pôle Emploi des éventuelles indemnités de chômage versées à M. [T] [E] du jour de la rupture du contrat de travail au jour du présent arrêt à hauteur de six mois d’indemnités.

Condamne la société Tuboscope Vetco France aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER

Gaetan DELETTREZ

LE PRESIDENT

Soleine HUNTER-FALCK

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Extraits similaires à la sélection
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Douai, Sociale c salle 2, 16 décembre 2022, n° 20/01307