Cour d'appel de Douai, Sociale a salle 3, 16 décembre 2022, n° 22/01187

  • Associations·
  • Établissement·
  • Site·
  • Obligation·
  • Contrat de travail·
  • Entreprise·
  • Référé·
  • Personnel·
  • Service·
  • Handicap

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Douai, soc. a salle 3, 16 déc. 2022, n° 22/01187
Juridiction : Cour d'appel de Douai
Numéro(s) : 22/01187
Importance : Inédit
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Douai, 25 juillet 2022, N° 22/00200
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 17 janvier 2023
Lire la décision sur le site de la juridiction

Texte intégral

ARRÊT DU

16 Décembre 2022

N° 2070/22

N° RG 22/01187 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UN3L

IF/CL

RÉFÉRÉ

Ordonnance de référé du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DOUAI

en date du

26 Juillet 2022

(RG 22/00200 -section )

GROSSE :

Aux avocats

le 16 Décembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

— Prud’Hommes-

APPELANTE :

Mme [X] [E]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Xavier BRUNET, avocat au barreau de BETHUNE

INTIMÉE :

Association APEI DU DOUAISIS

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Samuel VANACKER, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Olivier BECUWE

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Frédéric BURNIER

: CONSEILLER

Isabelle FACON

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Séverine STIEVENARD

DÉBATS : à l’audience publique du 29 Novembre 2022

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 15 Novembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée du 18 mai 2009, l’association APEI, les papillons blancs, du Douaisis (l’association) a engagé Madame [X] [E], en qualité de comptable exerçant son activité sur le site de l’établissement ou service d’aide par le travail (ESAT) de [Localité 5], devenu celui de [Localité 7].

Son salaire mensuel brut s’élevait en dernier lieu à la somme de 3178.93 euros.

Par lettre recommandée avec accusé réception en date du 15 septembre 2021, Madame [X] [E] a été informée que son contrat de travail était suspendu en application des dispositions de l’article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, faute pour elle d’avoir présenté les justificatifs requis par la loi.

Madame [X] [E] a saisi, en référé, le conseil de prud’hommes de Douai afin qu’il ordonne à l’employeur, sur le fondement de l’exécution de bonne foi des conventions, de lui permettre d’exécuter le contrat de travail sur le site de l’entreprise adaptée La Cordée de [Localité 6], non soumise à l’obligation vaccinale des personnels et d’obtenir sa condamnation au paiement des salaires et primes depuis la suspension du contrat de travail jusqu’à sa réintégration.

Par ordonnance de référé du 26 juillet 2022, le conseil de prud’hommes de Douai a débouté Madame [X] [E] de l’ensemble de ses demandes, considérant que l’établissement La Cordée était soumis à l’obligation vaccinale.

Madame [X] [E] a fait appel de ce jugement par déclaration du 3 août 2022, en visant expressément les dispositions critiquées.

Aux termes de ses dernières conclusions, Madame [X] [E] demande l’infirmation de l’ordonnance et formule les mêmes demandes qu’en première instance, sauf à réajuster les sommes dues à titre salarial.

Aux termes de ses dernières conclusions, l’association, demande la confirmation de l’ordonnance, d’abord en ce que les conditions du référé ne sont pas réunies, ensuite sur les motifs retenus par le conseil de prud’hommes.

Il est référé aux conclusions des parties pour l’exposé de leurs moyens, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l’action en référé

Aux termes de l’article R 1455-5 du code du travail, dans tous les cas d’urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud’hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.

Aux termes de l’article R 1455-6 du code du travail, la formation de référé peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En l’espèce, l’action de Madame [X] [E] vise à obtenir sa réintégration dans un établissement secondaire de l’employeur, non soumis, selon elle, à l’obligation vaccinale.

Cette demande vise, peu important l’existence d’une contestation sérieuse relative à l’interprétation des textes, à prévenir la poursuite d’un dommage continu, la salariée étant privée de ses ressources depuis plusieurs mois, ainsi qu’à faire cesser un trouble manifestement illicite, l’employeur s’étant dispensé de lui fournir tout travail pour une période indéterminée.

En conséquence, l’action de Madame [X] [E] tendant à obtenir, en référé, sa réintégration sur un site de l’association non soumis à l’obligation vaccinale, ainsi que le paiement des salaires et prime subséquent, est recevable.

Sur l’application de l’obligation vaccinale des personnels exerçant dans les entreprises adaptées

L’article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire fixe la liste limitative des établissements ou services, au sein desquels les personnes exerçant leur activité professionnelle doivent être vaccinées contre la covid-19, sauf contre-indication médicale reconnue.

Ce texte opère par renvois à d’autres textes, ainsi l’article 12 I. 1° k) vise, parmi ceux dont les personnels sont soumis à l’obligation vaccinale, les établissements et service sociaux et médico-sociaux mentionnées aux 2°, 3°, 5°, 6°, 7°, 9° et 12° du I de l’article L312-1 du code de l’action sociale et des familles (CASF).

Le paragraphe 5° de l’article L 312-1 du CASF mentionne :

'Les établissements ou services :

a) D’aide par le travail, à l’exception des structures conventionnées pour les activités visées à l’article L. 322-4-16 du code du travail et des entreprises adaptées définies aux articles L. 323-30 et suivants du même code ;

b) De réadaptation, de préorientation et de rééducation professionnelle mentionnés à l’article L. 323-15 du code du travail'

L’association estime qu’elle relève, dans son ensemble, de l’obligation vaccinale, quel que soit la nature du lieu d’exercice professionnel, en application des paragraphes 7°, 8° et 9° susvisés quand Madame [X] [E] estime qu’il faut apprécier le champ d’application de l’obligation vaccinale, site par site, selon la finalité de l’établissement secondaire, et notamment la distinction opérée au paragraphe 5° du même article entre les établissements ou services d’aide par le travail (ESAT) et les entreprises adaptées.

L’association APEI du Douaisis est une association de niveau local des Papillons Blancs dont la vocation est d’accompagner les personnes en situation de handicap et leurs familles. Elle gère de nombreux établissements ou services sociaux ou médico-sociaux, de nature différente et aux objectifs différents à destination des personnes en situation de handicap.

Dès lors que l’article L 312-1 du CASF cite spécialement 17 catégories d’établissement ou service différents, il est inexact d’intégrer une telle association dans l’une ou l’autre des catégories, dès lors qu’elle n’est pas un établissement ou un service. Et ce d’autant plus que les paragraphes 7°, 8° et 9° visent notamment des établissements d’hébergement de personnes en situation de handicap, comme les foyers d’accueil médicalisé, ainsi que des services d’aide à domicile ou d’accompagnement médico-social en milieu ouvert, soit certaines branches d’activité de l’association APEI du douaisis.

En revanche, Madame [X] [E] a justement relevé que le paragraphe 5° concerne le travail adapté ou aidé et distingue particulièrement les entreprises adaptées des ESAT.

Précision faite que le législateur a commis une erreur matérielle en visant les articles L323-30 et suivants du code du travail, abrogés au profit des articles L 5313-13-1 et suivants du même code qui définissent sous les mêmes conditions les entreprises adaptées, ces établissements obéissent ainsi à des régimes différents.

L’élément de différence le plus net est que les personnes accueillies en ESAT ne sont pas des salariés soumis aux dispositions du code du travail, là où les entreprises adaptées emploient des proportions minimale et maximale de travailleurs reconnus handicapés, dans le cadre de la législation du travail, pour leur permettre d’exercer une activité professionnelle dans un environnement adapté à leurs possibilités.

D’ailleurs, l’employeur produit la synthèse du ministère des solidarités et de la santé sur les mesures de protection dans les établissements et services accueillant des personnes agées et des personnes en situation de handicap dans le cadre de la loi du 5 août 2021. L’annexe 1 de ce document liste les établissements et services concernés par l’obligation vaccinale et ne mentionne pas les entreprises adaptées, au contraire des ESAT, des centres de pré-orientation et de réadaptation profesionnelle.

En ce qu’elle conduit des personnes à se voir priver de l’exercice de leur emploi, l’obligation vaccinale ne doit pas être étendue à des lieux et à des personnels non visés par la loi.

En cela, le moyen subsidiaire soutenu par l’association pour retenir les entreprises adaptées au nombre des lieux soumis à l’obligation vaccinale, selon lequel elles accueillent une grande partie de personnes en situation de handicap, est inopérant.

En conséquence, il doit être retenu que les personnes exerçant leur activité dans les entreprises adaptées ne sont pas soumises à l’obligation vaccinale. Cette règle s’applique au personnel de l’APEI du Douaisis.

Sur la réintégration dans un lieu de travail non soumis à l’obligation vaccinale

L’article L 1222-1 du code du travail rappelle que le contrat de travail est exécuté de bonne foi, conformément aux règles essentielles du droit des contrats.

Aux termes du contrat de travail la liant à l’association, Madame [X] [E] a été engagée comme comptable pour exercer ses fonctions à l’ESATde [Localité 5], sous la précision 'au TAD’ ajoutée manuscritement par les parties, les parties convenant qu’il s’agit du travail adapté du douaisis.

Deux précisions y sont apportées sur le lieu de travail. D’abord, l’embauche vaut pour l’ensemble des établissements ou services gérés par l’association. Ensuite, selon les projets de l’association ou des décisions de tutelle, la salariée sera amenée à changer de lieu de travail ou d’établissement et elle s’engage à participer aux transferts d’activité.

C’est à raison que l’association rappelle qu’elle n’est pas soumise à l’obligation d’adapter le travail des personnels qui refusent de se soumettre à leur obligation légale de présenter un schéma vaccinal complet contre la covid-19 et qu’en revanche, elle encourt des sanctions pénales si elle n’organise pas la vérification du schéma vaccinal de ses salariés et ne suspend pas le contrat de travail des contrevenants.

Pour autant, le principe d’exécution loyale du contrat de travail impose une analyse, au cas par cas, des adaptations que les parties peuvent convenir d’apporter à la relation contractuelle pour permettre au salarié, dans le cadre de cette obligation légale nouvelle, dans un contexte sanitaire exceptionnel et potentiellement temporaire, de continuer à exécuter ses prestations contractuelles et partant, à bénéficier de son salaire.

Les parties conviennent que Madame [X] [E] s’occupe de la comptabilité de plusieurs établissements de travail adapté, en ce compris l’ESAT à [Localité 7] où elle travaille et l’entreprise adaptée La Cordée à [Localité 6].

Il résulte des développements précédents que les personnes exerçant leur activité en ESAT sont soumises à l’obligation vaccinale, mais pas celles exerçant en entreprise adaptée.

L’association indique que son personnel peut bénéficier d’une journée de télétravail par semaine. Dès lors, la demande d’aménagement de Madame [X] [E] porte, au maximum, sur la possibilité d’exécuter son contrat de travail dans les locaux de l’entreprise adaptée 4 jours par semaine.

Au regard des dispositions contractuelles, la demande d’exercice professionnel sur un autre site du travail adapté n’est pas, en tant que telle, celle d’une modification substantielle du contrat mais la mise en oeuvre d’une faculté de changement de lieu de travail, offerte sous conditions à l’employeur et à laquelle la salariée s’est soumise pendant les onze années d’emploi.

Dans ses écritures, l’association se contente d’affirmer que les fonctions exercée par la salariée et l’organisation en elle-même des équipes au sein de l’ESAT de [Localité 7] et de l’entreprise adaptée de [Localité 6] ont empêché de procéder au transfert de site demandé. Elle n’apporte aucune explication concrète aux raisons qui s’opposent à cette demande.

Madame [X] [E] rappelle, à juste titre, qu’en tant que personnel administratif, elle n’a pas à se déplacer dans les différents sites de l’APEI et qu’en tant que comptable en charge de plusieurs établissements, elle est à même de gérer, à distance, l’activité de sites dans lesquels elle ne se trouve pas.

En définitive, l’association ne démontre pas que l’activité de comptable de Madame [X] [E] ne pouvait pas se poursuivre sur le site de l’entreprise adaptée La Cordée à [Localité 6]

Dès lors, il convient d’ordonner à l’association d’organiser la poursuite du contrat de travail de Madame [X] [E] sur le site de cet établissement secondaire, à tout le moins, en l’état de l’obligation vaccinale en vigueur pour les personnels travaillant en ESAT.

Sur la provision relative aux salaires et prime

L’association a fait une exacte application de la loi, dans le cadre des obligations qui s’imposaient à elle, en suspendant le contrat de travail de Madame [X] [E] par lettre recommandée du 15 septembre 2021, à la suite de l’entretien relatif à l’obligation vaccinale du 8 septembre 2021, faute de justification d’un schéma vaccinal complet par la salariée.

En revanche, la bonne foi requise dans l’exécution des relations contractuelles imposait à l’association d’étudier in concreto la demande de sa salariée adressée par lettre recommandée avec accusé réception du 28 septembre 2021 visant à la reprise de son exercice professionnel, au regard des spécificités de son contrat de travail et de la nature de son emploi, dans un lieu non soumis à l’obligation vaccinale.

La faute de l’employeur a privé la salariée de son travail et du fruit de celui-ci, depuis la formulation de la demande de reprise d’activité sur le site de l’entreprise adaptée La Cordée.

Dès lors, l’association sera condamnée à payer à Madame [X] [E] une provision correspondant au salaire courant depuis le 28 septembre 2021, augmentée de la prime exceptionnelle de 150 euros octroyée aux personnels présents dans les effectifs de l’association au 30 novembre 2021.

En revanche, il ne sera pas fait droit à la demande supplémentaire relative aux congés payés, non fondée, au regard de la suspension du contrat de travail.

Sur les dépens et l’indemnité de procédure

En application de l’article 696 du code de procédure civile, l’association APEI du Douaisis, partie perdante, sera condamnée aux dépens de la procédure de première instance et d’appel.

Compte tenu des éléments soumis aux débats, il est équitable de condamner l’association à payer à Madame [X] [E] la somme de 1000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile pour la procédure de première instance et d’appel.

Le jugement sera infirmé sur les dépens, ainsi que sur l’indemnité de procédure qui en découle.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par ordonnance de référé,

Infirme l’ordonnance déférée,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :

Déclare l’action en référé recevable,

Ordonne à l’association APEI du Douaisis d’organiser la poursuite du contrat de travail de Madame [X] [E] sur le site de l’entreprise adaptée La Cordée, située à [Localité 6], en l’état de l’obligation vaccinale en vigueur pour les personnels travaillant en ESAT,

Condamne l’association APEI du Douaisis à payer à Madame [X] [E] une provision correspondant au salaire courant depuis le 28 septembre 2021 jusqu’à la date de la reprise effective de son travail,

Condamne l’association APEI du Douaisis à payer à Madame [X] [E] une provision de 150 euros, correspondant à la prime exceptionnelle octroyée aux personnels présents dans les effectifs de l’association au 30 novembre 2021,

Déboute Madame [X] [E] de sa demande en paiement de sommes relatives à des congés payés supplémentaires,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne l’association APEI du Douaisis à payer à Madame [X] [E] la somme de 1000 euros, au titre de l’indemnité de procédure,

Condamne l’association APEI du Douaisis aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER

Gaetan DELETTREZ

LE PRESIDENT

Olivier BECUWE

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Extraits similaires à la sélection
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Douai, Sociale a salle 3, 16 décembre 2022, n° 22/01187