Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 9 septembre 2021, n° 19/02995

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Lyon, ch. soc. c, 9 sept. 2021, n° 19/02995
Juridiction : Cour d'appel de Lyon
Numéro(s) : 19/02995
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Saint-Étienne, 1er avril 2019, N° 17/00562
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 19/02995 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MKWV

B

C/

SARL DJ OPTIQUE

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de SAINT-ETIENNE

du 02 Avril 2019

RG : 17/00562

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 09 SEPTEMBRE 2021

APPELANT :

X-A B

né le […] à SOISSONS

[…]

42100 SAINT-ETIENNE

représenté par Me Juliette CLARY, avocat au barreau de LYON

ayant pour avocat plaidant Me Christophe NEVOUET, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

SARL DJ OPTIQUE anciennement dénommée la société FINANCIÈRE MELOU

[…]

[…]

[…]

représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES – LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON,

ayant pour avocat plaidant Me Mathieu HERVE de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de

NANTES substituée par Me Antoine JOUHET de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 07 Mai 2021

Présidée par Bénédicte LECHARNY, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Elsa SANCHEZ, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

— Nathalie PALLE, président

— Laurence BERTHIER, conseiller

— Bénédicte LECHARNY, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 09 Septembre 2021 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Nathalie PALLE, Président et par Elsa SANCHEZ, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. X-A B (le salarié) a été engagé à compter du 11 septembre 2012 en qualité de voyageur représentant placier (VRP) exclusif, statut non cadre, par la société DJ Optique (RCS Nantes 500 570 825) aux droits de laquelle vient la société DJ Optique (RCS Nantes 535 060 776), anciennement dénommée la société financière Melou (l’employeur).

Les relations contractuelles étaient soumises à l’accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975.

Par courrier du 14 février 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 28 février suivant.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 mars 2017, l’employeur a notifié au salarié son licenciement pour motif personnel, lui reprochant « un non-respect des consignes en vigueur au sein de l’entreprise ainsi qu’un manque de loyauté dans l’exercice de [ses] fonctions ».

Le 4 décembre 2017, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Etienne, aux fins de voir dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et de voir condamner son employeur à lui payer diverses sommes à titre de rappels d’indemnités, de commissions et primes, et de dommages-intérêts.

Par jugement du 2 avril 2019, le conseil de prud’hommes, en sa formation paritaire, a :

— dit que les faits sont non prescrits,

— dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et rejeté la demande de

dommages-intérêts,

— débouté le salarié de ses demandes au titre de l’indemnité de clientèle, de l’indemnité de retour sur échantillonnage, de rappels de commission et congés payés afférents, de la prime annuelle et congés payés afférents, de l’indemnité au titre de l’occupation professionnelle de son domicile personnel et de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné l’employeur à payer au salarié la somme de 390,80 euros bruts au titre de la clause ducroire, outre 39,08 euros bruts au titre des congés payés afférents,

— débouté l’employeur de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire du jugement,

— condamné le salarié aux dépens.

La décision lui ayant été notifiée le 4 avril 2019, le salarié en a relevé appel le 29 avril 2019.

Par conclusions auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses moyens, il demande à la cour de :

— déclarer son appel recevable et bien fondé en l’ensemble de ses demandes,

— confirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’employeur à lui verser la somme de 390,80 euros bruts au titre de la clause ducroire, outre 39,08 euros bruts au titre des congés payés afférents,

— infirmer le jugement sur le surplus et, statuant à nouveau :

— juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

— condamner l’employeur à lui verser les sommes suivantes :

30 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

19 119,57 euros nets au titre du paiement de l’indemnité de clientèle sur le fondement de l’article L. 7313-13 du code du travail,

8 792,74 euros bruts au titre du paiement de l’indemnité de retour sur échantillonnage sur le fondement de l’article L. 7313-11 du code du travail, outre 879,27 euros bruts au titre du paiement des congés payés afférents,

9185,64 euros bruts à titre de rappels de commissions, outre 918,56 euros brut à titre de congés payés afférents,

5 991,50 euros bruts à titre de rappel de la prime annuelle, outre 599,15 euros bruts à titre de congés payés afférents,

390,80 euros bruts à titre de rappels de salaire concernant la clause ducroire, outre 39,08 euros bruts à titre de congés payés afférents,

6 750 euros nets au titre de l’occupation professionnelle de son domicile personnel,

3 500 euros nets à titre d’indemnité de procédure sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— débouter l’employeur de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions et de son appel incident,

— dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts dans le cadre des dispositions des articles 1231-7, 1344-1 et 1343-2 du code civil,

— condamner l’employeur aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais éventuels d’exécution forcée du jugement à intervenir.

Par conclusions auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses moyens, l’employeur demande pour sa part à la cour de :

A titre principal,

— confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :

• dit et jugé que les faits n’étaient pas prescrits,

• dit et jugé que le licenciement pour motif personnel était fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouté le salarié de sa demandes de dommages-intérêts à ce titre,

• débouté le salarié de ses demandes au titre de l’indemnité de clientèle, de l’indemnité de retour sur échantillonnage, de rappels de commissions et congés payés afférents, de la prime annuelle et congés payés afférents, de l’indemnité au titre de l’occupation professionnelle de son domicile personnel et de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

• condamné le salarié aux dépens,

— infirmer le jugement en ce qu’il a :

• condamné l’employeur au paiement d’une somme de 390,80 euros bruts au titre de la clause ducroire outre la somme de 39,08 euros bruts au titre des congés payés afférents,

• débouté l’employeur de sa demande de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Et, statuant à nouveau,

— débouter le salarié de ses demandes tendant à la condamnation de l’employeur à lui verser la somme de 390,80 euros bruts au titre de la clause qualifiée de ducroire outre la somme de 39,08 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents,

— condamner le salarié à payer à l’employeur la somme de 6 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Subsidiairement,

— apprécier dans de plus justes proportions les prétentions indemnitaires du salarié au titre de la rupture injustifiée de son contrat de travail,

— apprécier dans de plus justes proportions les prétentions indemnitaires du salarié au titre de l’occupation professionnelle d’une partie de son domicile personnel,

— apprécier dans de plus justes proportions les prétentions du salarié au titre de la commission de retour sur échantillonnage, dans la limite de 4 320,76 euros bruts, outre l’indemnité compensatrice de congés payés afférents.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 6 avril 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail

1.1. Sur les rappels de commissions et de primes

Le salarié reproche à l’employeur de ne pas lui avoir versé l’intégralité des commissions et primes qui lui étaient dues en lui retirant unilatéralement la commercialisation de la collection Eyefunc, avec pour conséquence une réduction de son chiffre d’affaires et, partant, de sa rémunération composée d’un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé et de primes liées à la réalisation d’objectifs.

L’employeur réplique que ces modifications résultent d’avenants au contrat de travail prévoyant, en contrepartie de la modification de son champ d’intervention contractuelle, de nouvelles modalités de rémunération au bénéfice du salarié avec un doublement de son salaire fixe mensuel ainsi que des objectifs de chiffre d’affaires mensuel divisés par deux.

Sur ce,

Contrairement à ce que soutient le salarié, l’employeur n’a pas modifié de manière unilatérale le contrat de travail, s’agissant des marques de montures de lunettes que le salarié était chargé de promouvoir et de vendre ainsi que de la rémunération.

En effet, ces modifications résultent de deux avenants au contrat de travail signés par les parties, la réduction du nombre de marques attribuées au salarié étant compensée par un doublement de son salaire fixe mensuel brut et par une modification des plafonds d’objectifs.

Si le salarié soutient que les avenants produits par l’employeur sont fictifs, la cour observe que, dans son courrier du 6 juillet 2017, le salarié fait expressément référence « aux termes de l’avenant à [son] contrat de travail » et cite les paliers de réalisation de chiffre d’affaires arrêtés dans les deux avenants ainsi que l’objectif de 340 000 euros ouvrant droit au versement d’une prime de fin d’année de 1 %, tel que mentionné dans l’avenant prenant effet au 1er janvier 2016.

Les modifications apportées au contrat de travail ayant été acceptées par le salarié, c’est à juste titre que les premiers juges ont débouté le salarié de ses demandes de rappels de commissions et de prime.

Le jugement déféré est confirmé sur ce point.

1.2. Sur les rappels de salaire au titre de la clause ducroire

Le salarié soutient que l’employeur réduisait le montant des commissions qui lui étaient contractuellement dues en déduisant de manière illégale une clause ducroire depuis le 1er octobre 2016.

L’employeur réplique que la clause litigieuse du contrat de travail ne peut pas être qualifiée de clause ducroire dans la mesure où elle ne vise pas à ce que le VRP se porte garant du paiement des factures ou à faire peser sur lui l’éventuelle défaillance des clients de la société, mais définit simplement les modalités de calcul des commissions sur le montant net de la facturation au client, se rapprochant ainsi d’une clause de bonne fin sans pour autant aller jusqu’à conditionner le droit à commissions à l’exécution effective, ou à l’encaissement de la commande.

Sur ce,

Aux termes de l’article 5-3 de l’accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975, est nulle et de nul effet toute clause de ducroire incluse dans un contrat de travail ayant pour conséquence de rendre le salarié pécuniairement responsable du recouvrement des créances de son employeur à l’égard des tiers.

En l’espèce, le contrat de travail du salarié comporte une clause rédigée ainsi qu’il suit : « Le paiement des commissions suite à facturation ne constitue qu’une avance sur commissions. Les commissions seront calculées sur le montant net de facturation après déduction des avoirs sur retour de marchandises, des remises éventuellement accordées, des frais de transport et d’emballage, des frais de recouvrement assurés par la société elle-même, de la TVA et autres droits et taxes présentes ou à venir ».

Encore, par un courrier à ses salariés du 1er octobre 2016 intitulé « rappel de commissions de RFA et frais de ducroire », l’employeur a indiqué mettre en place à partir du 1er octobre 2016 « l’application contractuelle des participations aux frais de ducroire et RFA supportés par la société » et précisé qu'« à ce titre, cette participation est calculée sur un taux provisoire de 5 % ».

Enfin, il ressort des bulletins de paie produits par le salarié qu’une somme totale de 390,80 euros bruts a été déduite de sa rémunération entre le 1er octobre 2016 et le 31 mai 2017 à titre de « rappels commissions RFA et ducroire : 5 % ».

Les prélèvements effectués de manière forfaitaire (5 %), systématique et en amont, sans lien avec d’éventuels impayés de la période concernée, ne peuvent être assimilés à la mise en 'uvre d’une clause de bonne fin mais constitue l’application d’une clause de ducroire, prohibée par les dispositions conventionnelles.

Aussi convient-il de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné l’employeur à payer au salarié la somme de 390,80 euros, outre 39,08 euros au titre des congés payés afférents.

1.3. Sur l’occupation professionnelle du domicile personnel

Le salarié, qui affirme qu’il ne disposait d’aucun bureau au sein des locaux de la société situés à plusieurs centaines de kilomètres de son secteur géographique, soutient qu’il utilisait une partie de son domicile à des fins professionnelles (pour effectuer l’ensemble des tâches administratives qui lui étaient confiées et pour stocker les montures de lunettes ainsi que le matériel de publicité et les dépliants afférents), sans que l’employeur ne lui verse d’indemnisation à ce titre. Il sollicite en conséquence la condamnation de l’employeur à lui verser une somme de 6 750 euros nets.

L’employeur réplique qu’il n’a jamais imposé à son salarié d’installer des équipements de travail à son domicile personnel ni d’y stocker à titre permanent des équipements professionnels, les lunettes pouvant être stockées dans le véhicule de fonction mis à disposition du salarié par la société. Il ajoute que les commandes étaient directement réalisées dans le magasin du client à l’aide d’une tablette fournie par l’employeur et que le salarié ne réalisait aucune autre tâche administrative. Aussi conclut-il à titre principal au rejet de la demande. Subsidiairement, il demande à la cour de ramener les demandes du salarié à de plus justes proportions compte tenu de l’absence de preuve de la réalité, de la fréquence et de la proportion prise par l’utilisation supposée du domicile personnel du salarié à des fins professionnelles.

Sur ce,

Le salarié peut prétendre à une indemnité au titre de l’occupation de son domicile à des fins professionnelles dès lors qu’un local professionnel n’est pas mis effectivement à sa disposition.

En l’espèce, il n’est pas contesté que le salarié ne disposait pas de bureau fourni par l’employeur alors que, contrairement à ce que soutient ce dernier, d’une part, le salarié ne pouvait stocker les montures de lunettes dans son véhicule de fonction, l’article 12 de son contrat de travail stipulant que « compte tenu de la valeur des collections confiées [au salarié] celui-ci s’engage à ne pas les laisser sans surveillance et en particulier dans sa voiture la nuit », ce qui impliquait nécessairement d’entreposer la collection à son domicile lorsqu’il n’était pas en déplacement professionnel, et, d’autre part, que le caractère itinérant des activités du salarié ne le dispensait pas de certaines tâches administratives inhérentes à ses fonctions qu’il n’était pas nécessairement en mesure d’exécuter lors de ses

déplacements.

Au vu de ce qui précède, il convient d’allouer au salarié, par infirmation du jugement déféré, une indemnité d’occupation de son domicile personnel à des fins professionnelles d’un montant de 3 000 euros.

2. Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

2.1. Sur le licenciement

2.1.1. Sur la prescription des faits fautifs

Le salarié soutient que les faits fautifs invoqués aux termes de la lettre de licenciement sont prescrits dès lors que l’employeur lui reproche de ne pas avoir respecté les consignes de la société, qui interdisent de cumuler gratuités et reprises de monture sur un même bon de commande, dans le cadre de plusieurs factures émises jusqu’au 29 novembre 2016, alors qu’il n’a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement que le 14 février 2017, soit plus de deux mois après avoir eu connaissance des prétendues fautes.

L’employeur réplique que le délai de prescription de deux mois n’était pas expiré lorsqu’il a convoqué le salarié à l’entretien préalable. Il soutient en effet que les man’uvres du salarié, consistant en l’absence systématique de déclaration sur les bons de commande des reprises de montures, ont occulté ses manquements à la politique commerciale de la société et n’ont permis à l’employeur d’avoir connaissance de ces pratiques qu’à l’issue d’une enquête approfondie menée à l’occasion du bilan commercial de l’année 2016. Il ajoute que les manquements reprochés au salarié se sont poursuivis début 2017, notamment le 6 janvier 2017.

Sur ce,

Aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

En l’espèce, si l’employeur n’établit par aucune pièce probante qu’il n’a pris connaissance des pratiques du salarié contraires à la politique commerciale de la société qu’au début de l’année 2017, à l’issue d’une enquête approfondie menée à l’occasion du bilan commercial de l’année 2016, il ressort de la lettre de licenciement que l’employeur vise notamment des faits du 6 janvier 2017, date à laquelle le salarié a, par deux documents séparés, régularisé avec la société Optique Saint-Germain un bon de commande de 26 montures, dont trois gratuites (pièce n°10 de l’employeur), ainsi qu’un « bon de reprise monture » prévoyant la reprise de sept pièces (pièce n°11 de l’employeur).

Il en résulte que les pratiques du salarié ont perduré au moins jusqu’au 6 janvier 2017, de sorte que c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que les griefs visés dans la lettre de licenciement n’étaient pas prescrits lors de la convocation du salarié, le 14 février 2017, à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

2.1.2.Sur le caractère réel et sérieux du licenciement

Le salarié soutient que l’employeur ne rapporte pas la preuve de ce qu’il ne respectait pas les consignes. Il affirme au contraire qu’il respectait l’ensemble des consignes de l’entreprise puisqu’il n’effectuait aucun cumul de gratuités et de reprise sur le même bon de commande mais établissait un autre bon de reprise. Il ajoute qu’il a toujours pratiqué depuis son embauche, cumulativement, gratuités et reprises sans que l’employeur ne lui fasse le moindre reproche. Il en déduit que ses

pratiques commerciales, tolérées par l’employeur tout au long de la relation contractuelle, ne peuvent justifier son licenciement. Il fait valoir que l’employeur se contente d’alléguer un préjudice financier, sans toutefois l’évaluer et le chiffrer.

L’employeur reproche au salarié d’avoir sciemment et fréquemment violé les consignes encadrant la politique commerciale de la société dont il avait parfaitement connaissance. Il lui reproche encore d’avoir occulté ses manquements en ne déclarant jamais sur ses bons de commande les reprises de monture qu’il avait accordées en parallèle. Il soutient qu’il n’a jamais toléré les pratiques commerciales du salarié et affirme que celles-ci ont été à l’origine, pour la société, d’un préjudice financier important. Enfin, il lui reproche d’avoir fait preuve d’une particulière déloyauté en invoquant des propos mensongers sur de prétendues pressions subies lorsqu’il a compris que son employeur était sur le point de découvrir ses manquements à la politique commerciale.

Sur ce,

En application de l’article L. 1231-1 du code du travail, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié ou d’un commun accord.

L’article L. 1232-1 dispose que le licenciement par l’employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Selon l’article L. 1235-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables, qu’il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l’article L. 1232-6 du code du travail, cette lettre fixant les limites du litige.

En l’espèce, aux termes de la lettre de licenciement, dont la longueur ne permet pas qu’elle soit reprise ici dans son intégralité, l’employeur reproche au salarié :

—  « un non-respect des consignes en vigueur au sein de [l']entreprise […] et notamment les modalités des reprises de montures et des gratuités » énoncées par la note de service signée par le salarié le 10 février 2013, l’employeur lui faisant grief d’avoir, à plusieurs reprises, cumulé, lors d’une même commande, des gratuités et des reprises de montures, et d’avoir opéré des dépassements des quotas de reprise et de gratuité,

—  « la violation grave de son obligation contractuelle de loyauté envers son employeur » pour avoir « tenté de masquer [son] comportement en ne déclarant pas sur le bon de commande [qu’il avait] établi les reprises [qu’il avait] accordées à la clientèle [qu’il avait] visitée » et pour avoir tenté d’incriminer l’employeur « en tenant des propos mensongers afin de mettre l’entreprise devant le fait accompli et de provoquer [son] départ de la société ».

Dans le cadre de la procédure, l’employeur produit à l’appui de sa position :

— le contrat de travail signé par le salarié, aux termes duquel celui-ci s’engage notamment à « se conformer strictement à toutes les instructions qui pourront lui être données » et notamment à « se conformer rigoureusement aux tarifs et conditions de vente de la société»,

— une note intitulée « Note de service / Séminaire de janvier 2013 – note commerciale », paraphée et signée par le salarié le 10 février 2013, qui mentionne :

« 1/ Reprises montures

* le quota de reprises est de une monture reprise pour cinq montures achetées

[']

[…]

* Le quota maximum de gratuité et de 10 % toutes marques confondues par commande

[']

4/ Les bons de commande

[']

* les reprises et les gratuités doivent figurer sur les bons de commande, cela n’exclut pas les dispositions précédentes

* il a été convenu que le cumul entre les gratuités et les reprises n’étaient pas possibles sur le même bon de commande »,

— un document établi par l’employeur listant des exemples de manquements reprochés au salarié, sous la forme de trois tableaux intitulés « exemples de commandes cumulant gratuités et reprises », « exemples de commandes dont les gratuités dépassent le taux fixé » et « exemples de commandes dont les reprises dépassent le taux fixé », qui précisent, pour chaque manquement allégué : le nom du client et son adresse, la date, le n°, la quantité et la marque de chaque commande, la quantité et le pourcentage des gratuités accordées, la date, le n°, la quantité et le pourcentage des reprises accordées,

— un bon de commande au nom de la société Optique Saint-Germain, daté du 6 janvier 2017 et désignant le salarié en qualité de contact, mentionnant la commande de 26 montures, dont trois gratuites,

— un « bon de reprise monture », daté du même jour et signé par un représentant de la société Optique Saint-Germain (en qualité de client) et par le salarié (en qualité de commercial), prévoyant la reprise de sept montures,

— les attestations de huit VRP de la société certifiant, le 8 janvier 2018, dans des termes strictement identiques, « avoir signé le document intitulé 'note de service en date janvier 2013', [reconnaître] avoir pris connaissance de toutes les clauses contenues dans cette note de service, [certifier] les appliquer à la lettre au quotidien et [reconnaître] notamment être en pleine connaissance que la société ['] ne tolère qu’aucun commercial ne cumule les reprises et les gratuités »,

— le témoignage de M. Y Z, VRP de la société, qui atteste en ces termes : « Suite à mon embauche en 2017 en qualité de VRP exclusif par la société ['] pour la commercialisation des collections ['] sur le secteur Rhône-Alpes, j’ai rencontré beaucoup de difficultés à faire des réassorts de commandes pour des clients existants car je n’appliquais pas les conditions de cumul reprise de lunettes plus gratuités que pratiquait mon prédécesseur M. X-A B. La société ['] ne permet pas de pratiquer de la sorte. J’ai signé et tous les VRP de la société ont signé une 'note de service’ en ce sens. Beaucoup de clients ont donc arrêté de travailler avec la société ['] ce qui m’a occasionné un manque à gagner en terme de chiffre d’affaires non négligeable ».

Il ressort de ces pièces que le salarié était tenu de respecter une politique commerciale arrêtée par l’employeur, qui lui avait été notifiée contre signature et qui précisait les quotas et les conditions d’octroi aux clients des gratuités et des reprises de montures. Il en ressort encore la preuve que le salarié n’a pas, à plusieurs reprises, respecté ces directives en accordant à ses clients des avantages (gratuités ou reprise de montures) excédant les quotas fixés, en cumulant lesdits avantages et en ne mentionnant pas les reprises de montures sur les bons de commande.

Le salarié est mal fondé à soutenir qu’il respectait les consignes de son employeur alors qu’il reconnaît, dans le même temps, qu’il a toujours pratiqué depuis son embauche, cumulativement, gratuités et reprises, et qu’il ressort du courrier qu’il a adressé à son employeur le 6 juillet 2017 qu’il « n’avai[t] aucun souvenir de [la] note de service, [qu’il n’a] jamais appliquée sur [son] secteur géographique en qualité de VRP depuis son embauche, puisque [il a] toujours pratiqué les gratuités et les reprises ».

Le salarié est encore mal fondé à alléguer l’existence d’une tolérance de la part de l’employeur, alors qu’il est établi qu’il ne mentionnait pas les reprises de montures sur les bons de commande, de sorte que seul le rapprochement des bons de commande mentionnant les gratuités et des bons de reprise mentionnant les reprises de montures était de nature à permettre à l’employeur de s’apercevoir du cumul opéré par le salarié, étant observé que l’employeur affirme, sans être contredit sur ce point par le salarié, que la gestion des commandes et celle des avoirs ne sont pas effectuées par le même service, les bons de commandes étant contrôlés par le service commercial alors que les bons reprises sont traités par le service comptabilité. Dans ces conditions, le salarié de démontre pas que l’employeur avait connaissance de ses pratiques contraires à la politique commerciale de la société et qu’il les a tolérées.

La preuve est ainsi établie de manquements répétés du salarié à ses obligations contractuelles dont il est résulté pour l’employeur un dommage tenant à une réduction de la marge réalisée pour chaque commande effectuée en violation des consignes de vente et à une rupture d’égalité entre les VRP au regard de la rémunération variable, les pratiques mises en oeuvre par le salarié étant de nature à favoriser la réalisation d’un chiffre d’affaires élevé et, partant, le versement de primes sur objectifs plus importantes.

Au vu de ce qui précède, et sans qu’il soit nécessaire d’examiner la deuxième série de griefs reprochés au salarié, il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a jugé le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts.

2.2. Sur les incidences financières du licenciement

2.2.1. Sur l’indemnité de clientèle

Le salarié fait valoir que les conditions de l’article L. 7313-13 du code du travail sont remplies et qu’il peut prétendre à une indemnité de clientèle, dès lors que sa clientèle était stable et réelle, qu’elle était personnelle, qu’elle s’est effectivement accrue en termes de chiffre d’affaires et de nombre de clients sur son secteur géographique, et qu’il a subi un préjudice du fait de la perte de celle-ci qui est restée acquise à l’entreprise.

L’employeur réplique que le salarié procède par affirmations et n’apporte absolument aucun élément de preuve de nature à établir une quelconque augmentation en nombre et en valeur de la clientèle pendant son contrat de travail.

Sur ce,

Selon l’article L. 7313-13, alinéas 1er et 2, du code du travail, en cas de rupture du contrat de travail à durée indéterminée par l’employeur, en l’absence de faute grave, le VRP a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l’importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui.

Le montant de cette indemnité de clientèle tient compte des rémunérations spéciales accordées en cours de contrat pour le même objet ainsi que des diminutions constatées dans la clientèle préexistante et imputables au salarié.

L’indemnité de clientèle a pour objet de compenser la perte pour le représentant de la clientèle qu’il a créée, apportée ou développée au profit de son ancien employeur.

Il incombe au salarié qui forme une demande relative à l’indemnité de clientèle de prouver qu’il a apporté, créé ou développé une clientèle en nombre et en valeur.

L’exigence d’une augmentation de la clientèle en nombre et en valeur suppose à la fois une augmentation du nombre des clients et une augmentation du chiffre d’affaires, ces deux conditions étant cumulatives.

En l’espèce, c’est par une juste appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont retenu que le salarié ne démontrait pas un développement en nombre et en valeur de la clientèle.

En effet, force est de constater, d’une part, que le chiffre d’affaires généré par le salarié a à peine augmenté entre 2015 (296 762,82 euros) et 2016 (297 937,85 euros) et, d’autre part, qu’il ne justifie d’aucune progression en nombre de la clientèle.

Aussi convient-il de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté le salarié de ce chef de demande.

2.2.2. Sur l’indemnité de retour sur échantillonnage

Le salarié soutient que les clients ont nécessairement transmis à la société, après la rupture de son contrat de travail, des commandes concernant les collections en cours qui étaient la suite directe de son activité. Il s’estime fondé, à défaut pour l’employeur de communiquer les éléments permettant de calculer le montant de l’indemnité de retour sur échantillonnages, et notamment les chiffres d’affaires réalisées par son successeur, à solliciter la condamnation de l’employeur à lui verser une indemnité de retour sur échantillonnages forfaitaire d’un montant de six mois de commissions.

L’employeur réplique qu’à l’occasion de la rupture du contrat de travail le salarié a été parfaitement rétribué titre des commissions dues sur les affaires qu’il avait réalisées et qu’aucune des commandes réalisées postérieurement ne peut lui être attribuée comme résultant de son activité antérieure. Aussi conclut-il à titre principal au débouté du salarié. À titre subsidiaire, il demande à la cour de limiter l’indemnisation à une somme maximale de 4 320,76 euros, représentant trois mois de commissions, conformément aux dispositions contractuelles et compte-tenu du renouvellement des collections de lunettes.

Sur ce,

En application de l’article L. 7313-11 du code du travail, quelles que soient la cause et la date de rupture du contrat de travail, le VRP a droit, à titre de salaire, aux commissions et remises sur les ordres non encore transmis à la date de son départ, mais qui sont la suite directe des remises d’échantillon et des prix faits antérieurs à l’expiration du contrat.

Selon l’article L. 7313-12, alinéa 1er, du même code, sauf clause contractuelle plus favorable au

voyageur, représentant ou placier, le droit à commissions est apprécié en fonction de la durée normale consacrée par les usages.

Ces commissions, qui ont le caractère d’un salaire, viennent rétribuer le travail de prospection accompli par le VRP avant l’expiration de son contrat de travail et dont elles sont la suite directe. Sont ainsi acquises au représentant les commissions portant sur les commandes passées et transmises à l’employeur qui sont la suite directe de son activité.

La preuve du lien entre les commandes et l’activité du VRP incombe à ce dernier. En revanche, pour la détermination du montant des commissions, l’employeur doit fournir les justificatifs des livraisons et commandes effectuées sur le secteur du VRP et produire le chiffre d’affaires en résultant.

En l’espèce, le salarié produit un tableau détaillé du chiffre d’affaires qu’il soutient avoir réalisé en janvier 2017 qui mentionne l’ensemble des commandes qu’il affirme avoir passées au cours du mois, avec la date de chaque commande, le numéro de la pièce, le code client, la raison sociale, la ville et le code postal du client, ainsi que le montant de la commande et la marque des montures. Si l’employeur remet en cause la valeur probante de ce tableau, il ne verse aux débats aucun élément contraire alors même qu’il est nécessairement en possession de ces informations.

Il en ressort que le salarié rapporte la preuve du lien entre les commandes et son activité et qu’il incombe à l’employeur de fournir les justificatifs des livraisons et commandes effectuées sur le secteur du VRP et de produire le chiffre d’affaires en résultant, ce qu’il ne fait pas.

Le salarié produit quant à lui un tableau des commissions mensuelles qu’il a perçues entre février 2016 et janvier 2017, dont il ressort une moyenne mensuelle de 1 465,46 euros.

Sur cette base et en considération d’une durée de trois mois au regard du rythme de renouvellement des collections de lunettes, il convient de fixer l’indemnité de retour sur échantillonnage à la somme de 3 x 1 465,46 euros = 4 396,38 euros.

L’employeur sera donc condamné, par infirmation du jugement déféré, à payer au salarié la somme de 4 396,38 euros, outre 439,64 euros au titre des congés payés afférents.

3. Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

L’employeur, qui succombe pour partie, sera tenu aux dépens de première instance et d’appel et condamné à payer au salarié la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement déféré sauf en celles de ses dispositions relatives aux demandes au titre de l’occupation professionnelle du domicile personnel, de l’indemnité de retour sur échantillonnage, des frais irrépétibles et des dépens,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société DJ Optique à payer à M. X-A B les sommes suivantes :

3 000 euros à titre d’indemnité d’occupation de son domicile personnel à des fins professionnelles,

4 396,38 euros à titre d’indemnité de retour sur échantillonnage, outre 439,64 euros au titre des congés payés afférents,

Dit que les sommes allouées supporteront, s’il y a lieu, le prélèvement des cotisations et contributions sociales,

DIT que ces sommes porteront intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière,

CONDAMNE la société DJ Optique à payer à M. X-A B la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société DJ Optique aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 9 septembre 2021, n° 19/02995