Cour d'appel de Nancy, 2e chambre, 9 novembre 2023, n° 23/00932

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Nancy, 2e ch., 9 nov. 2023, n° 23/00932
Juridiction : Cour d'appel de Nancy
Numéro(s) : 23/00932
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal paritaire des baux ruraux de Bar-le-Duc, 19 avril 2023, N° 51-20-05
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 14 novembre 2023
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Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D’APPEL DE NANCY

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT N° /23 DU 09 NOVEMBRE 2023

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 23/00932 – N° Portalis DBVR-V-B7H-FFH7

Décision déférée à la Cour :

Jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de BAR-LE-DUC, R.G. n° 51-20-05, en date du 20 avril 2023,

APPELANTS :

Monsieur [N] [D]

domicilié [Adresse 5]

Représenté par Me Vanessa KEYSER de la SELARL AVOCATLOR, avocat au barreau de NANCY

Monsieur [X] [S]

domicilié [Adresse 7]

Représenté par Me Vanessa KEYSER de la SELARL AVOCATLOR, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉS :

Madame [W] [E] [H] [M] [A] née [R]

domiciliée [Adresse 13]

Représentée par Me Nadège DUBAUX, avocat au barreau de la MEUSE

Monsieur [F] [G] [A]

domicilié [Adresse 13]

Représenté par Me Nadège DUBAUX, avocat au barreau de la MEUSE

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 05 Octobre 2023, en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, chargé du rapport,

Madame Nathalie ABEL, conseillère,

Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère,

qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET ;

A l’issue des débats, le président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 09 Novembre 2023, en application du deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 09 Novembre 2023, par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier ;

— ------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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EXPOSE DU LITIGE

Suivant bail rural en date du 1er janvier 1995, M. [X] [S] a donné en location aux époux [F] et [W] [A] (ci-après 'les époux [A]') diverses parcelles situées sur la commune de [Localité 23] cadastrées comme suit, après remembrement :

Section ZS n°[Cadastre 3] lieudit « [Localité 18] » pour 04ha 62a 50ca

Section ZV n°[Cadastre 3] lieudit « [Localité 20] » pour 05ha 28a 80ca

Section ZB n°[Cadastre 1] lieudit « [Localité 22] » pour 00ha 66a 00ca

Section ZL n°[Cadastre 15] lieudit « [Localité 19] » pour 01ha 47a 10ca

Section ZK n°[Cadastre 9] lieudit « [Localité 19] » pour 00ha 94a 30ca

Section ZK n°[Cadastre 10] lieudit « [Localité 19] » pour 01ha 42a 60ca

Section ZK n°[Cadastre 11] lieudit « [Localité 19] » pour 00ha 75a 80ca

Section ZI n°[Cadastre 3] lieudit « [Localité 17] » pour 00ha 92a 00ca

Section ZK n°[Cadastre 8] lieudit « [Localité 19] » pour 00ha 40a 10ca

Section ZL n°[Cadastre 14] lieudit « [Localité 22] » pour 01ha 09a 20ca

Section ZI n°[Cadastre 2] lieudit « [Localité 17] » pour 01ha 98a 80ca

Section ZK n°[Cadastre 4] lieudit « [Localité 19] » pour 01ha 61a 90ca

Section ZL n°[Cadastre 6] lieudit « [Localité 21] » pour 03ha 41a 40ca

Section ZL n°[Cadastre 16] lieudit « [Localité 22] » pour 01ha 78a 20ca,

soit au total une surface de 26ha 38a 70ca.

Par acte notarié du 13 mai 2020, M. [X] [S] a fait donation à son petit-neveu, M. [N] [D], de 5% en indivision de la pleine propriété des parcelles précitées.

Par acte d’huissier de justice en date du 29 juin 2020, M. [N] [D] et M. [X] [S] ont fait signifier aux époux [A] un congé pour reprise des parcelles précitées, la reprise devant être effectuée au bénéfice de M. [N] [D] avec effet au 31 décembre 2021.

Par acte d’huissier de justice en date du 23 décembre 2020, les époux [A] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Bar-le-Duc afin de voir prononcer l’annulation du congé pour reprise et afin de voir condamner solidairement M. [X] [S] et M. [N] [D] à leur payer les sommes de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts et de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Les parties ont été convoquées en audience de conciliation, mais aucun accord n’a pu être trouvé entre elles. L’affaire a donc été renvoyée en audience de jugement.

En audience de jugement, les époux [A] ont demandé au tribunal :

— à titre principal, de prononcer la nullité de la donation intervenue entre M. [X] [S] et M. [N] [D] le 13 mai 2020, ainsi que la nullité du congé pour reprise, et de condamner solidairement M. [X] [S] et M. [N] [D] à leur payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

— à titre subsidiaire, de prononcer la nullité du congé du 29 juin 2020 au motif que M. [N] [D] ne remplit pas les conditions légales pour bénéficier de la reprise,

— à titre infiniment subsidiaire, de proroger le bail au profit de Mme [W] [A],

— en tout état de cause, de condamner solidairement M. [X] [S] et M. [N] [D] à leur payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

M. [X] [S] et M. [N] [D] ont demandé au tribunal de débouter les époux [A] de toutes leurs demandes, de valider le congé pour reprise, de condamner les époux [A] à libérer les parcelles pour le 31 décembre 2021 sous peine d’astreinte, d’ordonner leur expulsion, de juger la demande de prorogation formée par Mme [A] forclose et l’en débouter, en tout état de cause de condamner les époux [A] à payer à chacun d’eux la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 20 avril 2023, le tribunal paritaire des baux ruraux de Bar-le-Duc a déclaré nulle la donation consentie le 13 mai 2020 par M. [X] [S] au profit de M. [N] [D] ; en conséquence, le tribunal a déclaré nul le congé pour reprise du 29 juin 2020, il a débouté M. [X] [S] et M. [N] [D] de l’ensemble de leurs demandes et les a condamnés in solidum à payer aux époux [A] une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Le tribunal a considéré que la donation du 13 mai 2020 avait été faite sans réelle intention libérale et réalisée en fraude du droit de préemption des preneurs.

Par déclaration faite le 27 avril 2023, M. [X] [S] et M. [N] [D] ont interjeté appel du jugement précité.

Par conclusions écrites, reprises oralement lors de l’audience du 5 octobre 2023, M. [X] [S] et M. [N] [D] ont demandé à la cour d’infirmer le jugement déféré et statuant à nouveau :

— de débouter les époux [A] de leur demande d’annulation de la donation et, subsidiairement, de limiter les effets de la nullité aux seules parcelles exploitées par les époux [A],

— de valider le congé pour reprise, de condamner les époux [A] à libérer les parcelles sous peine d’astreinte et d’ordonner en tant que de besoin leur expulsion,

— de débouter les époux [A] de toutes leurs demandes,

— de dire et juger forclose la demande de prorogation de bail formée par Mme [W] [A] et, en tout état de cause, de la débouter de cette demande,

— de condamner les époux [A] à leur payer à chacun la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d’appel.

A l’appui de leur appel, M. [X] [S] et M. [N] [D] exposent notamment :

— qu’aucun des arguments invoqués par les époux [A] ne permet de considérer que la donation du 13 mai 2020 ne repose pas sur une intention libérale et aurait été détournée de son objet,

— que d’ailleurs, certains des terrains objets de la donation ne sont pas exploités par les époux [A] mais par le père de M. [N] [D], que tel est le cas des parcelles cadastrées ZL n°[Cadastre 12] et ZR n°[Cadastre 4],

— que l’intention de M. [X] [S] de gratifier les membres de sa famille par des dons est établie par les attestations de ses neveux et nièces et par le fait qu’il ait proposé de faire une donation identique à [U] [D], la soeur de M. [N] [D], ce qui n’a toutefois pas abouti car [U] a refusé cette donation,

— que M. [N] [D] remplit toute les conditions de l’article L411-59 du code rural et de la pêche maritime pour pouvoir reprendre l’exploitation des parcelles.

Par conclusions écrites, reprises oralement lors de l’audience du 5 octobre 2023, les époux [A] demandent à la cour de confirmer en tous points le jugement déféré et de condamner solidairement M. [X] [S] et M. [N] [D] à leur payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d’appel.

Les époux [A] font valoir notamment :

— que la donation du 13 mai 2020 n’est pas motivée par une intention libérale, mais seulement par la volonté de contourner leur droit de préemption,

— qu’en effet, il est curieux que la donation porte sur des droits indivis et non sur la pleine propriété de parcelles précises ou sur la nue-propriété des terres,

— qu’une telle donation n’a été faite qu’au profit d’un seul des petits neveux de M. [X] [S], à savoir M. [N] [D],

— que les frais de l’acte de donation ont été mis à la charge de M. [N] [D], ce qui a réduit la donation dont il a bénéficié à l’équivalent de 1 697,78 euros net,

— que la véritable intention de cette donation était de permettre de délivrer un congé pour reprise au profit de M. [N] [D] et que c’est d’ailleurs ce qui a été fait promptement, le congé ayant suivi de peu la donation,

— que ce n’est d’ailleurs pas la première fois que M. [X] [S] réalise une donation pour permettre le droit de reprise (la même chose ayant été faite en 2011 au profit de M. [L] [D]),

— que la nullité de la donation entraîne la nullité du congé, M. [N] [D] ne pouvant légalement plus bénéficier de la reprise.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’annulation de la donation et du congé

La donation faite sans fraude n’ouvre pas au preneur le droit de préemption. Mais il appartient au preneur, s’il estime que le bailleur a méconnu son droit de préemption en passant un acte d’aliénation à titre gratuit pour échapper à ce droit, de démontrer la fraude, étant précisé qu’est frauduleuse l’opération qui a pour but de faire échec au droit de préemption du preneur.

En l’espèce, M. [X] [S] a, par acte du 13 mai 2020, fait donation à M. [N] [D], qui est son petit-neveu, de 5% de la pleine propriété de plusieurs parcelles à vocation agricole situées à [Localité 23], dont l’ensemble des parcelles données en location aux époux [A].

M. [X] [S] n’a pas fait un tel don à ses quatre autres petits-neveux. Il aurait proposé de faire un don équivalent à la soeur de M. [N] [D], mais, pour des motifs inconnus, elle en aurait refusé le bénéfice. Il en résulte que M. [N] [D] est le seul des petits-neveux à avoir bénéficié de ce type de donation. Pourtant, eu égard à la faiblesse du taux d’indivision ayant fait l’objet de la donation consentie (5%), il aurait pu faire une donation équivalente à ses quatre autres petits-neveux tout en gardant une forte quotité de propriété (75%) dans l’indivision.

En outre, l’intérêt pour M. [N] [D] du don d’une si faible quotité d’indivision n’apparaît pas évident. M. [N] [D] a beau être un jeune agriculteur en cours d’installation, devenir propriétaire indivis à hauteur de 5% de parcelles agricoles exploitées par des tiers dans le cadre d’un bail à ferme ne lui est d’aucune utilité.

En revanche, si ce don a été fait dans le but de rendre M. [N] [D] co-indivisaire, et donc co-bailleur, pour contourner le droit de préemption des preneurs et les mettre ainsi devant le fait accompli en vue de permettre à ce nouveau co-bailleur d’exercer son droit de reprise, l’intérêt de cette cession de 5% devient évident.

La manoeuvre ainsi orchestrée apparaît manifeste compte-tenu de la concomitance dans le temps entre la donation du 13 mai 2020 et le congé pour reprise au profit du donataire signifié un mois et demi plus tard, le 29 juin 2020.

Le fait que la donation litigieuse ait porté également sur quelques parcelles qui ne sont pas exploitées par les époux [A] mais par le père de M. [N] [D], M. [L] [D], n’atténue en rien l’évidence de la manoeuvre frauduleuse.

Par conséquent, la donation du 13 mai 2020 n’avait manifestement pas pour motif une intention libérale, mais la volonté de contourner le droit de préemption des preneurs et d’imposer un nouveau bailleur susceptible d’exercer le droit de reprise.

Dès lors, la fraude étant ainsi prouvée, c’est à juste titre que le tribunal paritaire a annulé la donation. M. [X] [S] et M. [N] [D] objectent toutefois avec raison qu’il n’y a pas lieu d’annuler la donation en ce qu’elle porte sur des parcelles exploitées non pas par les époux [A], mais par M. [L] [D] et ils précisent que deux parcelles répondent à ce cas de figure : les parcelles cadastrées ZL n°[Cadastre 12] et ZR n°[Cadastre 4]. Il convient donc d’annuler la donation, sauf en ce qu’elle porte sur ces deux parcelles. Le jugement déféré sera réformé sur ce point.

La donation étant annulée, M. [N] [D] n’a plus aucune qualité pour bénéficier du droit de reprise, de sorte que le congé pour reprise à son profit doit être également annulé. Le jugement déféré sera confirmé à cet égard.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

M. [X] [S] et M. [N] [D], qui sont les parties perdantes, supporteront les dépens de première instance (le jugement sera confirmé sur ce point) et d’appel et ils seront déboutés de leur demande de remboursement de leurs frais de justice irrépétibles. En outre, il est équitable qu’ils soient condamnés à payer aux époux [A] la somme globale de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile (en sus de celle de 1 500 euros déjà allouée par le tribunal).

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

DECLARE l’appel recevable,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions, mais précise que l’annulation de l’acte de donation du 13 mai 2020 ne porte pas sur les deux parcelles situées à [Localité 23] (Meuse) cadastrées ZL n°[Cadastre 12] et ZR n°[Cadastre 4],

Y ajoutant,

DEBOUTE M. [X] [S] et M. [N] [D] de leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum M. [X] [S] et M. [N] [D] à payer aux époux [A] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum M. [X] [S] et M. [N] [D] aux dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre à la Cour d’Appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Minute en sept pages.

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