Cour d'appel de Paris, 20 décembre 2012

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, 20 déc. 2012
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Sur renvoi de : Cour de cassation, 12 juillet 2010, N° 04-D-79

Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 5-7

ARRÊT DU 20 DÉCEMBRE 2012

(n° 169, 22 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 2011/05667

Décision déférée à la Cour : sur renvoi après cassation partielle d’un arrêt rendu le 13 juillet 2010 par la chambre Commerciale, Financière et Economique de la Cour de Cassation, ayant cassé et annulé, seulement en ce qu’il a rejeté le recours formé par M. X, en qualité de liquidateur de la société Vedette inter-iles vendéennes, l arrêt rendu le 09 juin 2009 par la Cour d’Appel de PARIS (Pôle 5 – Chambre 5-7), ayant statué sur le recours formé contre la décision n° 04-D-79 du 23 décembre 2004 du CONSEIL DE LA CONCURRENCE ;

DEMANDEUR à la SAISINE :

— Maître J X

demeurant : XXX – XXX

Es-qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de

la société VEDETTES INTER-ILES VENDEENNES (VIIV), S.A.R.L.

dont le siège est : Pointe de la Fosse XXX

assisté de :

— la SCP FISSELIER & ASSOCIES,

avocats associes au barreau de PARIS

XXX

— Maître L-Patrice de la LAURENCIE,

avocat au barreau de PARIS

XXX

DÉFENDERESSE à la SAISINE :

— La RÉGIE DÉPARTEMENTALE DES PASSAGES D’EAU DE LA VENDÉE

prise en la personne de son représentant légal

dont le siège social est : XXX

assistée de :

— Maître Mireille GARNIER

avocat au barreau de PARIS

XXX

— Maître Alexandre VARAUT,

avocat au barreau de PARIS

toque R 019

XXX

EN PRÉSENCE DE :

— M. LE PRÉSIDENT DE L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

XXX

XXX

représenté par Mme Laure GAUTHIER, munie d’un pouvoir

— Mme G DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE

XXX

XXX

représentée par Mme Laurence NGUYEN-NIED, Attachée d’Administration, munie d’un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 10 mai 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

— M. Michel ROCHE, Président

— Mme S T-U, Conseillère

— Mme E F, Conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : M. P Q-R

MINISTÈRE PUBLIC :

L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. François VAISSETTE, Substitut Général, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Mme S T-U, conseillère en remplacement de M. Michel ROCHE, président empêché et par M. P Q-R, greffier.

* * * * * * * *

Par sa saisine, Maître J X, liquidateur de la société à responsabilité limitée Vedettes Inter-Iles-Vendéennes (société VIIV), demande à la cour de céans statuant en qualité de cour de renvoi, de contrôler la légalité externe et interne d’une décision du 23 décembre 2004 du Conseil de la Concurrence (le Conseil) devenue l’Autorité de la Concurrence (l’Autorité), par laquelle cette autorité administrative indépendante a décidé qu’il n’était pas établi que la Régie départementale des passages d’eau de la Vendée (la Régie ou RDPEV), chargée toute l’année de la mission de service public de transport maritime entre l’île d’Yeu et le continent et en situation de quasi-monopole jusqu’en 1986, avait enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce et ainsi abusé, pour les années 1998, 1999 et 2000, de la position dominante qu’elle occupe sur ce marché de transport maritime de passagers en période estivale (d’avril à septembre), en offrant à tous ceux qui y ont recours, hors les islais, une prestation de transport à un prix inférieur à son coût de revient par compensation du déficit ainsi généré par une subvention du Département de la Vendée et en pratiquant sur ce marché des prix prédateurs sur lesquels les concurrents privés n’auraient pu s’aligner.

Il conclut encore, en cas d’annulation de la décision attaquée, à l’évocation de cette affaire par la cour de céans pour réformation de cette même décision du chef des pratiques abusives ci-dessus énoncées.

XXX

Il convient à titre liminaire de rappeler le contexte procédural de la présente affaire.

1. La procédure administrative

Par requête enregistrée le 28 mars 2001 sous le numéro F 1296, la société VIIV a saisi le Conseil devenu l’Autorité de pratiques mises en 'uvre par la Régie estimées anticoncurrentielles et sollicité par ailleurs le prononcé de mesures conservatoires en demandant à l’autorité saisie d’enjoindre à la Régie de modifier sa politique tarifaire, de lui donner accès au poste d’avitaillement en gazole de Fromentine, de mettre fin au stationnement gênant de l’Amporelle au ponton du port de Fromentine et d’enjoindre aux communes concernées de lui donner accès aux gares de Port-Joinville et de Fromentine.

Par décision n° 01-MC-02 du 1er juin 2001, le Conseil a précisé qu’il était compétent pour se prononcer sur les pratiques dénoncées, à l’exception des actes accomplis par le Conseil général de la Vendée pour la gestion de la gare de Port-Joinville qui fait partie du domaine public portuaire. Il a considéré que la saisine était recevable, a rejeté la demande de mesures conservatoires mais a souligné qu’il n’était pas exclu que les pratiques dénoncées soient contraires à l’article L. 420-2 du code de commerce.

Les services d’instruction du Conseil ont procédé à l’instruction approfondie de la saisine au fond.

Une notification de griefs du 19 décembre 2001 a retenu six griefs à l’encontre de la Régie : elle reprochait à cette dernière d’avoir abusé de sa position dominante et ainsi enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce 1°) par un financement du déficit de ses activités en partie concurrentielles par des aides du département, non justifiées par des charges de service public, 2°) par une politique depuis plusieurs années de prix bas, ou de prix prédateurs, pour les passagers, 3°) par l’utilisation en 1998, 2000 et 2001 de certains tarifs promotionnels « découverte » puis « escapade » comme prix d’appel afin d’attirer les consommateurs, 4°) par une pratique, pendant de nombreuses années, de prix de transport de marchandises inférieurs aux coûts de revient et pour certaines prestations de prix inférieurs à ceux de son concurrent, la société Ets Pajarola et Cie, 5°) par le transport gratuit durant plusieurs années de certains emballages et enfin, 6°) par un refus discriminatoire depuis 1993, de livrer du gazole à la société VIIV alors que les marins pêcheurs et les ostréiculteurs membres de la coopérative étaient livrés.

Par décision n° 02-S-01 du 29 mai 2002 le Conseil, estimant ne pas être en mesure de se prononcer avec une certitude suffisante sur l’existence de prix prédateurs, a décidé de surseoir à statuer et renvoyé l’affaire à l’instruction en soulignant la nécessité d’évaluer précisément d’une part, les recettes et coûts indirects liés à l’exécution par la Régie de ses obligations de service public telles que celles-ci sont définies dans les procès-verbaux du Conseil général de la Vendée et d’autre part, les recettes et les coûts d’exploitation directs et indirects du navire L’Amporelle, pendant la période estivale et en dehors de cette période.

Le 3 septembre 2002, le rapporteur général du Conseil a, sur demande de la rapporteure en charge de l’instruction de ce dossier, décidé de prescrire une expertise en la confiant à M. B A, expert financier près la cour d’appel de Paris et expert agréé par la Cour de cassation.

Les termes de la mission de ce technicien étaient les suivants : « L’objectif de la mission est d’apprécier si la Régie pratique des prix prédateurs sur les marchés soumis à concurrence. A cette fin, l’expert devra évaluer les coûts de la Régie départementale des passages d’eau de la Vendée pour la période 1998, 1999 et 2000, répartir ces coûts par navire, plus particulièrement afin d’apprécier le montant des charges variables et fixes du transport de passagers et déterminer si, pendant la période au cours de laquelle la Régie est en concurrence avec des compagnies privées, les prix pratiqués sont inférieurs ou non à ces charges. La mission confiée doit être réalisée de manière contradictoire entre les deux parties, la Régie et la société VIIV ».

Cette mission a ensuite été, par mesure de simplification, restreinte au test de l’appréciation de l’existence de prix prédateurs sur la vedette rapide l’Amporelle, pendant la période estivale.

Le technicien commis a procédé à l’exécution de cette mission et déposé son rapport le 25 juillet 2003 : il y conclut que « l’intérêt de pratiquer un test sur ce navire [l’Amporelle] uniquement pendant l’été, permet d’éviter le débat sur la définition du périmètre des obligations de service public » (cf. p. 44 du rapport d’expertise) et encore, que « durant la période estivale au cours de laquelle la Régie est en concurrence avec des compagnies privées, les prix pratiqués ne permettent pas de couvrir l’ensemble des charges fixes et variables » (cf. p. 46 du rapport d’expertise et point 5 de la Décision).

Le 10 novembre 2003, une nouvelle notification de griefs annulant et remplaçant la première a été établie. Le Conseil a maintenu deux griefs à l’encontre de la Régie pour avoir d’une part, pratiqué des prix prédateurs pour le transport de passagers et d’autre part, utilisé une partie des subventions du département pour financer, sur l’Amporelle, des prix inférieurs aux coûts totaux et ainsi perturbé durablement le marché.

Le 8 avril 2004, la rapporteure en charge de l’instruction du dossier a, par rapport définitif, conclu au maintien des griefs de prix prédateurs et de subventions anticoncurrentielles.

Le Conseil d’État, parallèlement saisi d’une contestation sur les conditions préférentielles d’utilisation des infrastructures portuaires par l’opérateur public, a, par décision du 30 juin 2004 n° 250124 Département de la Vendée, indiqué qu’il « ressort des pièces du dossier que la régie départementale assure en ce qui concerne la desserte de l’île d’Yeu une mission de service public qui implique des traversées régulières toute l’année et par tous temps, que l’accomplissement de cette mission explique que l’unité rapide de la régie départementale ait un tirant d’eau sensiblement plus important que celui des unités de la société Vedettes Inter-Iles-Vendéennes (V.I.I.V), ce qui la rend tributaire des horaires des marées et lui interdit notamment de sortir du port de Fromentine ou d’y accéder à marée basse ; que la société Vedettes Inter-Iles Vendéennes n’est pas, compte tenu de son activité exclusivement estivale de la taille, de la capacité et du tirant d’eau de ses bateaux, dans une situation identique à celle de l’armement chargé du service public » après avoir exposé qu’il « appartient aux autorités publiques dans des limites compatibles avec le respect des règles de concurrence et du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, d’apporter aux armements chargés d’un tel service public l’appui nécessaire à l’exploitation du service et, le cas échéant, de leur accorder des facilités particulières pour utilisation du domaine public.». Le Conseil d’Etat a ensuite conclu que dans les circonstances particulières de l’espèce, au vu des obligations incombant à la Régie, « le président du conseil général a pu, sans porter d’atteinte excessive au principe de la liberté du commerce et de l’industrie, ni méconnaître les règles de concurrence ainsi que l’égalité de traitement entre armateurs, apporter à la régie départementale l’appui nécessaire à l’exploitation du service public dont elle est chargée en faisant bénéficier la seule unité rapide de la régie, de la possibilité d’un stationnement prolongé sur le ponton flottant au cours des périodes de marée basse pendant lesquelles cette unité ne peut, compte tenu de son tirant d’eau, passer dans le chenal d’accès et en interdisant, pendant ce stationnement prolongé, toute possibilité d’accostage d’une unité rapide appartenant à la compagnie V.I.I.V, qui dispose d’ailleurs, à 500 mètres du port de Fromentine, d’un site propre de mouillage à partir duquel elle peut assurer ses liaisons maritimes vers l’île d’Yeu. ».

Le Conseil, dans sa décision n° 04-D-79 du 23 décembre 2004 (la Décision), a décidé qu’il n’était pas établi que la Régie ait enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce.

2. La procédure contentieuse antérieure à la présente instance

Saisie d’un recours formé le 28 janvier 2005 par la société VIIV, la cour d’appel de Paris ' 1re Chambre Section H – a, par arrêt du 28 juin suivant, rectifié par arrêt du 17 janvier 2006, rejeté l’exception d’incompétence présentée par la Régie ainsi que le recours formé par la société VIIV.

Sur pourvoi de la société VIIV la Cour de Cassation (chambre commerciale, économique et financière, 17 juin 2008) a cassé cet arrêt mais seulement en ce qu’il a rejeté le recours formé par la société VIIV contre la Décision, a remis en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d’appel de céans autrement composée.

Les motifs de cassation étaient énoncés de la manière suivante :

« Vu l’article 1134 du Code civil ; /Attendu que l’arrêt retient qu’il ressort d’une décision du Conseil d’État du 30 juin 2004 que la taille de l’Amporelle répond à des contraintes liées à l’état de la mer l’hiver et qu’elle correspond aux nécessités de la mission de service public assurée par la Régie qui implique des traversées régulières toute l’année et par tous les temps./Attendu qu’en statuant ainsi alors que Conseil d’État ne s’est pas prononcé sur la nécessité pour la Régie d’utiliser l’Amporelle afin d’accomplir sa mission de service public, la cour d’appel a méconnu les exigences du texte susvisé.

Vu l’ article L. 420 du code de commerce ; /Attendu que viole les dispositions de l’article précité l’entreprise qui, disposant d’une position dominante assurant une mission de service public, offre des prestations sur un marché ouvert à la concurrence à un prix inférieur au coût incrémental de ces prestations, c’est-à-dire au coût que l’entreprise ne supporterait pas si elle n’exerçait pas l’activité concurrentielle ; /Attendu que pour décider que le coût de la mise en service de l’Amporelle constituait un coût fixe commun à la mission de service public et à l’activité concurrentielle de la Régie et que ce coût ne devait pas être inclus dans le coût incrémental de l’activité concurrentielle de la Régie, l’arrêt retient encore que la Régie expose que le nombre de passagers que l’Amporelle peut transporter lui permet d’assurer en toutes circonstances les traversées rapides notamment de la population scolaire étudiante qui rentre sur l’île le mercredi ou les weeks-ends d’hiver./Attendu qu’en se déterminant ainsi par des motifs impropres à établir que si elle ne consacrait pas l’Amporelle d’avril à fin septembre à l’exploitation d’une activité sur le marché ouvert à la concurrence, la Régie, qui disposait par ailleurs de ferries, serait obligée de supporter le coût de l’Amporelle pour assurer ses missions de service public, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision. »

Saisie sur renvoi après cassation partielle par la société VIIV, la cour d’appel de Paris (Pôle 5 – Chambre 5-7) autrement composée a, par arrêt du 9 juin 2009, rejeté le recours formé par la société VIIV représentée par son liquidateur judiciaire, Maître J X.

Sur pourvoi formé par ce dernier ès qualités, la Cour de cassation (chambre commerciale, économique et financière, 13 juillet 2010) a cassé partiellement l’arrêt précité aux motifs que:

— « [en relevant] d’office le moyen tiré d’une prétendue spécificité de la détermination du marché pertinent en présence d’un opérateur chargé de missions de service public, sans inviter les parties à s’expliquer sur ce moyen », la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile;

— « en refusant de délimiter le marché concerné par les pratiques dénoncées », la Cour a méconnu son office et violé l’article 4 du code civil et l’article L.420-4 du code de commerce;

— en concluant que la segmentation du marché n’est plausible ni par la chronologie, ni par la nature des services, ni par le type de moyens utilisés et en en déduisant qu’il ne retrouvait pas la preuve que la régie ait bénéficié sur un marché pertinent clairement et rationnellement défini, d’une position qui serait conséquemment dite 'dominante'« sans rechercher si les services de transport de passagers entre l’île d’Yeu et le continent proposés par la Régie et par la société VIIV durant la période estivale étaient considérés par les voyageurs comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de leur usage », la cour d’appel a privé sa décision de base au regard de l’article L.420-2 du code de commerce;

— « en prenant en compte, au stade de la délimitation du marché pertinent, des éléments relevant de l’appréciation de l’abus reproché à la Régie consistant à pratiquer des prix prédateurs dans le cadre de ses activités concurrentielles, au lieu de se déterminer au regard de critères de substituabilité admis par la doctrine économique et adoptés par la jurisprudence », la cour d’appel a violé l’article L.420-2 du code de commerce;

— en retenant que les test utilisés par les instances européennes dans les décisions « Y » et « Deutsche Post » n’étaient ni l’un ni l’autre les instruments adéquats pour répondre aux questions de l’espèce, « alors que ces tests ont précisément vocation à permettre de calculer le coût auquel doit être comparé le prix pratiqué sur le marché concurrentiel par l’entreprise exerçant par ailleurs une mission de service public, afin de déterminer si elle a abusé de sa position dominante, la cour d’appel a violé l’article L.420-2 du code de commerce »;

C’est en cet état que la société VIIV conteste de nouveau la légalité de la Décision, devant la cour d’appel de céans autrement composée.

CELA ETANT EXPOSE,

LA COUR,

I – Sur la compétence du Conseil devenu l’Autorité

Considérant que la société VIIV rappelle dans ses dernières écritures que dans le cadre de cette procédure, la Régie faisait initialement valoir que dès lors qu’il était demandé à la cour de céans d’apprécier la légalité d’actes de puissance publique, cette affaire relevait de la seule compétence de la juridiction de l’ordre administratif ; qu’elle précise que cette thèse tendait en réalité à soutenir que l’Amporelle participe durant les mois d’été, à l’exécution des obligations de service public imposées à la Régie par le Conseil général de la Vendée ;

Considérant que la Décision rappelle effectivement en son point 71 que selon la Régie, 'le modèle économique de la RDPEV est profondément marqué par les obligations de service public qui lui sont imposées par le conseil général et (…), selon une jurisprudence bien établie, sont qualifiées d’actes administratifs, les décisions réglementaires qui émanent de personnes de droit privé investies d’une mission de service public, lorsque ces décisions sont prises dans la sphère de ses attributions’ (…)'La décision du conseil d’administration de la RDPEV de fixer des tarifs applicables aux usagers du service de transport entre le continent et l’île d’Yeu, participe étroitement à l’exécution du service public. Cette décision constitue un complément indispensable à l’exécution du service public dont elle a la charge et participe d’une prérogative de puissance publique ' ;

Considérant pourtant qu’outre le fait que la Régie est un opérateur public et non une personne de droit privé, la Cour de cassation a, dans l’arrêt du 17 juin 2008 précité, écarté la compétence des juridictions de l’ordre administratif pour se prononcer sur les pratiques incriminées en expliquant que l’arrêt de la cour d’appel soumis à sa censure retient à bon droit que si la Régie est chargée d’une mission de service public consistant à transporter les marchandises et les passagers entre le continent et l’île d’Yeu durant la totalité de l’année et si sa vedette rapide pendant la période d’avril à septembre participe à cette mission de service public, le fait que la Régie assure des obligations de service public confiées par le Conseil général de la Vendée n’implique pas que toutes ses activités relèvent par nature de ce service public, que s’agissant des transports en vedettes rapides assurés pour la période dans laquelle existe une offre concurrente, la Régie n’exerce aucune prérogative de puissance publique en déterminant librement ses prix et les activités concurrentielles qu’elle exerce d’avril à septembre, constituent des pratiques commerciales détachables de la mission de service public qui lui est confiée de sorte que le litige ne relève pas à titre principal, de la compétence du juge administratif ;

Considérant que la Régie reproche désormais au Conseil d’avoir outrepassé sa compétence pour déterminer le seuil de prédation tarifaire en se prononçant sur la nécessité pour elle d’utiliser, été comme hiver, le navire l’Amporelle pour l’exercice de la mission de service public qui lui est confiée ;

Qu’elle rappelle que le Conseil d’État a conclu, dans son arrêt du 30 juin 2004, que l’emploi de ce navire durant la saison d’été n’était pas illégitime ; que quoi qu’il en soit, l’achat de l’Amporelle ayant été décidé par le Conseil général de la Vendée pour des raisons politiques dont le contrôle relève des juridictions administratives, l’ordre judiciaire ne saurait se substituer à la juridiction administrative pour se prononcer sur cette question en considération de l’existence préalable de deux ferries ;

Que pour cette raison, elle invite la cour de céans à surseoir à statuer jusqu’à ce que le juge administratif ait répondu à la question préjudicielle qui doit lui être posée au regard de l’ensemble de sa flotte de navires, telle qu’elle existait à l’époque des faits ;

Considérant que dans son arrêt du 17 juin 2008, la Cour de cassation a, au visa de l’article 1134 du Code civil, reproché à la cour de céans autrement composée, d’avoir admis que compte tenu de l’arrêt du Conseil d’Etat, il était à suffisance établi pour l’appréciation de l’existence de prix prédateurs, que l’Amporelle était nécessaire pour accomplir la mission de service public confiée à la Régie par le Conseil général de la Vendée ;

Considérant que si est posée à la cour de céans la question de la compétence du Conseil devenu l’Autorité à l’effet de dire si celui-ci et les juridictions judiciaires sont habilitées à vérifier les éléments de coûts nécessaires à l’accomplissement d’une mission de service public et par suite, à apprécier l’adéquation des moyens mis à disposition par une entité publique pour l’accomplissement de la mission de service public confiée à un tel opérateur, ce moyen d’ordre procédural est directement lié à la solution donnée au fond et doit être examiné dans le cadre du débat se rapportant au grief de prix prédateurs ;

Qu’il suffit ici de rappeler que la délimitation du contenu de la mission de service public assignée à la Régie résultait en particulier du règlement intérieur adopté par le conseil général et du rapport annuel établi par le directeur de la Régie au titre du coût du service public, des aides économiques et sociales et des mesures spécifiques ainsi que la Décision le relève à suffisance de droit aux points 27 à 34 de sa motivation ; que partant, l’activité de liaisons rapides exercée par la Régie en période touristique, bien que s’inscrivant dans le cadre de sa mission générale de transport maritime, ne relevait pas stricto sensu de sa mission de service public de continuité territoriale entre l’île d’Yeu et le continent ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt du 17 juin 2008 ; que la présence d’une concurrence sur un segment de l’activité de service public justifie l’application du droit commun de la concurrence en conduisant simplement le Conseil devenu l’Autorité à isoler l’activité concurrencée (celle de fixation de plein tarif et non celle de fixation du tarif appliqué aux islais) de l’activité réservée ;

II ' Au fond

Considérant que l’exacte compréhension des pratiques anticoncurrentielles imputées par la société requérante à l’opérateur public conduit à définir de prime abord le marché concerné par ces pratiques et par suite, le périmètre de concurrence en cause ;

1. Sur le périmètre de la concurrence

Considérant que la Régie conteste la délimitation du marché pertinent retenu par le Conseil ainsi que sa position dominante sur le marché ; que si cette question apparaît avoir été définitivement tranchée par la Cour de cassation dans son arrêt du 17 juin 2008, cette situation, par souci d’exhaustivité, conduit la cour de céans à présenter les acteurs en présence ainsi que les caractéristiques du secteur concerné ; que ces éléments demeurent des données de départ indispensables à la compréhension des dimensions exactes de ce litige ; que si pour l’essentiel, il est renvoyé aux énonciations de la Décision, les rappels de données issues de celles-ci seront complétés par d’autres, non contestées, tirées des écritures aujourd’hui soumises à l’appréciation de la cour de céans ;

1.1. S’agissant des parties en cause et des autres éléments de la cause :

1.1.1. La Régie départementale des passages d’eau de la Vendée

Considérant que créée en 1959 par le Conseil général de la Vendée la Régie départementale des passages d’eau (la Régie) est un établissement public industriel et commercial départemental disposant de la personnalité morale et de l’autonomie financière, chargé d’une mission de service public de transport maritime entre l’île d’Yeu et le continent ;

Que d’un point de vue historique, la puissance publique a, dès le XVIIIème siècle, institué un service public entre l’île d’Yeu et le continent pour des raisons tenant à la défaillance de l’initiative privée ; qu’à l’origine, cette liaison maritime avait pour objet d’assurer le service de la Poste ; que ce service a fait l’objet d’une adjudication, le soumissionnaire retenu percevant une somme fixe à laquelle s’ajoutait le produit du transport des marchandises et des passagers dont les tarifs étaient fixés à l’avance ; que ce mode d’organisation et la raison d’être officielle de la liaison persistèrent jusqu’en 1949 alors même que l’objet principal du service était au fil des années, devenu le transport des passagers et des marchandises ; que succédant à la compagnie « l’Islaise », un armateur dénommé L M a obtenu du département la concession du service postal ; qu’il l’a conservée jusqu’au début de l’année 1959 ; que mis en liquidation judiciaire, il a fait savoir qu’il cessait l’exploitation de ce service à partir du 17 mars 1959 ; que le Préfet de la Vendée a alors prononcé, « dans l’intérêt des populations desservies », la réquisition, à compter du 17 mars 1959, du navire Insula Oya et de son équipage ; que par une délibération du même jour, le Conseil général de la Vendée a décidé de prendre en charge l’assurance de ce navire jusqu’au 31 décembre 1959 et créé, à cette occasion, une commission spéciale appelée à réfléchir aux conditions dans lesquelles le service pourrait être exercé à la fin de cette réquisition, par la recherche d’un concessionnaire éventuel ou par l’acquisition d’un navire qui serait exploité en régie ; que par une délibération du même jour, le Conseil général de la Vendée a approuvé le règlement provisoire de la régie d’exploitation de l’Insula Oya dans l’objectif d’exploiter le service postal ; que l’acquisition de l’Insula Oya a été proposée au département par délibération du 27 juillet 1959 ; que le Conseil général de la Vendée a décidé non seulement de l’acquérir pour 29 millions de francs (4 421 021, 50 euros) mais également de continuer l’exploitation du service maritime entre l’île d’Yeu et Fromentine en régie directe, sous la direction du service des Ponts et Chaussées ; que par délibération du 9 mai 1950, le Conseil général a approuvé le règlement intérieur et le cahier des charges de la Régie pour l’exploitation du service maritime entre l’île d’Yeu et Fromentine ; qu’après modifications, ce texte a été adopté par délibération du 8 mai 1951 ; qu’un nouveau règlement intérieur de la Régie a ensuite été adopté par le Conseil général de la Vendée le 19 décembre 1959, dans le sillage de modifications réglementaires résultant d’un décret du 19 octobre précédent ;

Considérant que selon l’article 1er du règlement intérieur, adopté par le conseil général le 18 novembre 1988, modifiée le 17 septembre 1990 puis le 12 mai 1995, la Régie a pour mission : – l’exploitation directe du service maritime de passages d’eau entre l’île d’Yeu et le continent, – l’exécution, accessoirement, des services occasionnels d’excursions ou voyages de service autour de l’île d’Yeu et dans les ports et eaux côtières français du littoral atlantique, – l’exploitation de la ligne éventuellement accompagnée de la fourniture de diverses prestations de services aux usagers, – en cas de nécessité, et avec l’accord du service des douanes, l’avitaillement en fuel de la Coopérative de Beauvoir-sur-Mer pour les marins de la baie de Bourgneuf relevant de sa compétence ;

Que l’article 2 du règlement intérieur précise : « le service assuré comporte :- un service quotidien, suivant les exigences des marées, effectuant le transport des voyageurs, des marchandises, des véhicules et divers, fonctionnant selon les contraintes du trafic (place disponible) ; – à chaque fois que possible et selon les besoins du trafic, y compris de voyages excursions » ;

Que l’article 7, dans sa rédaction issue de la modification de 1995, dispose que: 'le département délibérera chaque année sur le montant de sa contribution au coût des contraintes de fonctionnement du service public qu’il impose à la RDPEV (…).Si le bilan en fin d’exercice fait apparaître un déficit supérieur aux prévisions, il appartiendra au conseil général de se prononcer sur les ajustements nécessaires.' ;

Considérant que le directeur de la Régie établit chaque année, depuis 1994, un rapport sur la « participation du département de la Vendée aux charges de service public supporté par la régie départementale des passages d’eau de la Vendée. » ; qu’il y évalue les charges spécifiques supportées par la Régie au titre du coût du service public, des aides économiques et sociales et des mesures spécifiques ;

Que les charges retenues par le directeur de la Régie au titre des «contraintes de service public», d’ un montant total de 11,829 MF en 1999 et 1,292 MF en 2000 sont les suivantes : 1°) les réductions de tarifs accordés aux islais par rapport aux tarifs pratiqués aux continentaux soit, selon les cas, une réduction allant de 56 à 75 % qui, appliquées à 80 000 islais transportés en 1997, engendre un coût de 3 540 MF pour 1999 et 3 MF en 2000, 2°) l’obligation de réaliser « chaque jour un service public quotidien entre le continent et l’île d’Yeu, même les jours où la demande ne concerne qu’une dizaine de passagers et où la marchandise est quasiment inexistante et pourrait être reportée sur les jours ultérieurs au sens habituel de la rentabilité » soit 139 voyages en 1997, dont le coût a été estimé à 4,67 MF pour 1999 et à 4,525 MF pour 2000, 3°) 6 % des charges en personnel liées directement à l’exploitation du fait des contraintes liées à l’utilisation du site de Fromentine dont le ponton ne permet pas d’accueillir des camions d’un tonnage supérieur à 15 tonnes et dont les conditions d’accès au chenal obligent à un travail en équipe sur une amplitude journalière de 16 heures soit un coût de 1,7 MF en 1990 et 1,66 MF en 2000 ;

Que la Régie qui perçoit des subventions du département pour assurer sa mission de service public exploitait, à l’époque des faits, deux ferries transportant des passagers (700 chacun) et des véhicules de marchandises ; qu’en 1992, la Régie a débuté l’exploitation de l’Amporelle, vedette rapide pour passagers uniquement (350) appartenant au Conseil général de la Vendée ; que ces trois navires ont le gabarit nécessaire pour assurer le service de transport par tout temps;

Que la Régie a enfin réalisé un chiffre d’affaires annuel de 30 millions de francs (4 573 470, 52 euros) entre 1998 et 2000 ;

1.1.2. La société VIIV

Considérant qu’à partir de 1986, la société Navix, devenue la société VIIV en 1995, a assuré le transport maritime de passagers entre l’île d’Yeu et le continent pendant la saison estivale (compris entre les mois d’avril à septembre) au départ de la Fosse et de T-N-O-de-Vie ;

Que jusqu’en 1997, l’autorisation d’accoster à l’estacade de Fromentine était refusée à la société VIIV et la Régie pouvait seule assurer les liaisons au départ de ce port ;

Qu’à partir de 1998, la société VIIV a exploité une troisième liaison vers l’île d’Yeu depuis le site de Fromentine, outre le départ de la Fosse et de T-N-O-de-Vie ;

Que la société VIIV a exploité trois vedettes rapides d’une capacité respective de 171 (l’Amiral de Bougainville), 191 (l’Amiral de Joinville) et 244 passagers (l’Amiral de Tourville) et a bénéficié d’une occupation gratuite du domaine public pour sa propre gare maritime de 1987 à 2007 ; qu’elle a réalisé entre 1998 et 2001, un chiffre d’affaires annuel de 8 millions de francs (1 219 592, 14 euros) ; que le tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon a, par jugement du 6 juin 2007, ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société VIIV puis, par jugement du 3 juillet suivant, arrêté le plan de cession de cette dernière ;

XXX

Considérant que la Compagnie vendéenne assure le transport de passagers vers l’île d’Yeu pendant la saison estivale au départ de T-N-O-de-Vie et, depuis l’an 2000, au départ de Fromentine ; qu’elle exploite également une ligne touristique entre la Turballe et Belle-Isle;

Qu’un navire d’une capacité de 268 passagers assure la liaison T-N-O-de-Vie vers l’île d’Yeu tandis qu’un navire d’une capacité de 250 passagers assure celle de Fromentine vers l’île d’Yeu ;

Que la Compagnie vendéenne a réalisé un chiffre d’affaires de 3,5 millions de francs (533 571, 56 euros) en 1999 et de 4,5 millions de francs (686 020, 58 euros) en 2000 ;

XXX

Considérant que la société NGV exploite depuis juillet 2000 une liaison journalière entre l’île d’Yeu et les Sables d’Olonne de début avril à fin septembre, au moyen d’une vedette rapide d’une capacité de 97 passagers ; qu’elle a réalisé un chiffre d’affaires de 2 millions de francs (304 898, 03 euros) entre le 1er juin 2000 et le 31 mai 2001 ;

Considérant que ces trois compagnies ont pour point commun de ne transporter que des passagers, uniquement à la période durant laquelle la rentabilité de la liaison entre le continent et l’île d’Yeu peut être assurée par elles, soit entre le début des vacances de Pâques et le mois d’octobre ;

1.2. S’agissant du secteur économique concerné

Considérant qu’il est pour l’essentiel renvoyé aux énonciations de la Décision attaquée; qu’il suffit de rappeler les éléments constants ci-après, tirés notamment des écritures déposées par chaque partie dans le cadre de cette instance ;

Considérant que les transports entre l’île d’Yeu et le continent sont assurés soit par des ferries qui effectuent la traversée en 70 minutes depuis le port départemental de Fromentine situé dans la commune de la Barre de Monts (Vendée) et transportent, outre des passagers, des véhicules ou marchandises, soit par des vedettes rapides qui assurent la traversée en 40 minutes et ne transportent que des passagers ;

Que l’état de la mer en hiver impose de fortes contraintes sur la navigation entre le continent et l’île d’Yeu et qu’à l’époque des faits, seuls les ferries et la vedette de la Régie avaient le gabarit nécessaire pour assurer le service de transport de passagers par mer agitée ;

Que la demande regroupe deux catégories de clientèle : la clientèle des islais et des continentaux recherchant une liaison régulière toute l’année et la clientèle des touristes qui, pendant la saison estivale, souhaitent passer une journée sur l’île d’Yeu; que les islais qui voyagent presqu’exclusivement sur les navires de la Régie représentent pour celle-ci près de 23 % des billets vendus ; que les compagnies privées dont l’activité se limite à la saison estivale, s’adressent presqu’exclusivement à la clientèle des touristes ; que la Régie comme les sociétés privées telles la société VIIV et la Compagnie vendéenne accordent aux islais des tarifs spécifiques, inférieurs à ceux pratiqués pour les autres catégories de clientèles ;

Que du fait de l’activité touristique croissante pendant la période estivale, le nombre de passagers transportés d’avril à septembre est beaucoup plus important que celui transporté d’octobre à mars ; qu’en 1999, les passagers transportés ont représenté près de 25 % du trafic de la Régie en hiver pour 75 % en été ; que pendant les mois d’hiver, les ferries circulent tous les jours alors que l’Amporelle n’est mise en service que les fins de semaine et certains mercredis et les taux de remplissage des navires sont faibles ; que lors de la période estivale, l’afflux des touristes assure des taux de remplissage beaucoup plus élevés pour l’ensemble des navires effectuant la liaison de l’île d’Yeu au continent (86 passagers en moyenne par voyage pour l’Amporelle en décembre 1999 contre 265 en août de la même année), alors que le nombre de rotations assurées par les ferries augmente et que l’Amporelle est en service presque tous les jours et assure jusqu’à deux liaisons quotidiennes, parallèlement aux liaisons assurées par les compagnies privées ;

Que la part globale de la Régie en nombre de passagers transportés pendant la saison estivale est passée de 78 à 70 % entre 1987 et 1998 ;

Qu’historiquement, les premières liaisons maritimes vers l’île d’Yeu, accostant ou arrivant dans le port de Port-Joinville, étaient assurées au départ du site de Fromentine ; que de septembre à avril, la seule liaison pour les passagers vers l’île d’Yeu est celle de la Régie au départ de Fromentine (commune de la Barre-de-Monts en Vendée) ; que le site de Fromentine présente un intérêt particulier l’hiver car, plus abrité, il permet un voyage plus confortable que depuis T-N-O-de-Vie ; qu’en revanche, les marées et l’ensablement progressif du goulet de Fromentine posent des problèmes de sécurité particuliers pour la navigation des navires, été comme hiver (cf. point 16 de la Décision) ;

Que pendant la saison touristique, les liaisons maritimes passagers pour l’île d’Yeu sont assurés depuis plusieurs sites (Fromentine, La Fosse, T-N-O-de- Vie, Les Sables d’Olonne) ; que les sites de Fromentine et de La Fosse sont très proches l’une de l’autre (500 m) et sont situés au nord du département de la Vendée ; que le site de T-N-O-de-Vie est situé à 32 km au sud et à 30 minutes en voiture de Fromentine, jusqu’à 45 minutes en saison estivale ; que les Sables d’Olonne sont situés à 59 km au sud et à 50 minutes en voiture, jusqu’à 1 h 30 pendant la saison estivale ; que pendant la saison touristique, de début avril à fin septembre, les différentes liaisons maritimes sont relativement équivalentes, en temps et en confort ; qu’il faut environ 40 minutes pour relier l’île d’Yeu et La Fosse ou Fromentine et environ 1 heure pour relier l’île d’Yeu et T-N-O-de-Vie ou les Sables d’Olonne par vedettes rapides (points 16 à 21 de la Décision);

2. Sur les pratiques incriminées

Considérant que la société VIIV reproche à la Régie d’avoir entravé le processus concurrentiel en abusant de plusieurs manières de la position dominante qu’elle détient sur le marché pertinent ; que pour sa part, la Régie conteste le marché pertinent retenu par la Décision ainsi que les conséquences qui en sont tirées ;

2.1. S’agissant du marché pertinent

Considérant que la Cour de cassation a, dans son arrêt du 13 juillet 2010, considéré que la cour d’appel avait privé son arrêt du 9 juin 2009 de base légale, en ne recherchant pas si les services de transports de passagers entre l’île d’Yeu et le continent proposés par la Régie et par la société VIIV durant la période estivale étaient considérés par les voyageurs comme interchangeables et substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de leur usage; qu’elle a estimé qu’en prenant en compte, au stade de la délimitation du marché pertinent, des éléments relevant de l’appréciation de l’abus reproché à la Régie consistant à pratiquer des prix prédateurs dans le cadre de ses activités concurrentielles au lieu de se déterminer au regard des critères de substituabilité admis par la doctrine économique et adoptés par la jurisprudence, le dit arrêt avait violé l’article L.420-2 du code de commerce ;

Considérant que la Régie reproche de nouveau aujourd’hui au Conseil de ne pas avoir à suffisance de droit délimité le marché pertinent et conteste détenir une quelconque position dominante sur ce marché ;

Qu’elle souligne que le Conseil n’aurait pas dû retenir l’existence d’un marché unique pour le transport de passagers par ferries et par vedettes rapides ; qu’il existait en effet des offres distinctes non seulement en raison du point de départ du client mais aussi de la nécessité pour ce dernier d’emporter des bagages et sa voiture lorsqu’il envisage un séjour d’une certaine durée, étant précisé que le trajet ne peut alors être effectué sur une vedette rapide ;

Considérant que la société VIIV objecte de son côté que la Décision définit à suffisance de droit le marché pertinent, permettant de procéder à l’analyse concurrentielle nécessaire, ce marché étant défini comme le marché de transport maritime de passagers, entre avril et septembre, entre l’île d’Yeu et les ports de Fromentine, la Fosse et T-N-O-de-Vie ; qu’elle précise que le Conseil a ainsi correctement croisé les critères liés à la saisonnalité (haute et basse saison), à la substituabilité géographique et aux conditions de concurrence (existence ou non d’une délégation de service public) aux points 82 à 88 de sa Décision ; que si l’on peut débattre de l’extension géographique du marché à la liaison de l’île d’Yeu avec les Sables d’Olonne, la distance existant entre ces deux sites est nettement supérieure à celle des autres ports du continent retenus par la Décision dans le marché pertinent géographique ; que ce segment est donc à tout le moins un marché connexe ;

Considérant que dans le secteur du transport maritime comme dans celui du transport aérien, il est généralement considéré par les institutions de concurrence (et notamment par la Commission européenne) que chaque combinaison point d’origine-point de destination s’analyse en un marché séparé du point de vue du client et que, sur chaque marché ainsi défini, il y a lieu d’examiner les différentes possibilités de transport;

Considérant qu’ainsi que l’a définitivement tranché la cour de céans dans son arrêt du 28 juin 2005, non remis en cause sur ce point par l’arrêt de cassation partielle du 17 juin 2008, la Décision apparaît avoir exactement apprécié la substituabilité, pour les « escapadeurs » voyageant sans bagages, des liaisons assurées par les différents navires, en relevant que le temps de traversée est de 40 minutes en vedette rapide et de 70 minutes en ferries au départ de Fromentine ou de La Fosse, ou d’une heure en vedette rapide au départ de T-N-O-de-Vie et en considérant le temps nécessaire pour relier, par la route, les différents points de départ proposés ; qu’il est constant qu’il existe une offre concurrente sur le marché retenu du transport maritime de passagers sans bagages, entre l’île d’Yeu et le continent, au départ des ports de Fromentine, de La Fosse et de T-N-O-de-Vie, entre avril et septembre, par vedette rapide et par ferries ; que le site des Sables d’Olonne est en effet plus éloigné et apparaît peu substituable aux autres sites, notamment en ce qui concerne la clientèle estivale en provenance du sud du département et, par ailleurs, aucune substituabilité n’existe entre les ferries et les vedettes rapides pour des passagers qui transportent des bagages volumineux ou voyageant avec leurs véhicules puisque ces derniers doivent obligatoirement emprunter les ferries ; qu’au demeurant, la Régie admet favoriser la substituabilité ci-dessus identifiée en pratiquant des prix identiques facilitant le passage des voyageurs de l’unité rapide à un paquebot et inversement, tandis que les tarifs promotionnels proposés aux escapadeurs concernent aussi bien les ferries et l’Amporelle ;

Considérant qu’il y a ainsi lieu de prendre acte du fait que le Conseil a statué à suffisance de droit pour retenir le marché pertinent ainsi défini sans avoir à rechercher si, en hiver, la Régie est en situation de monopole de fait dès lors qu’aucun autre opérateur ne dispose de navires adaptés aux conditions de la mer, ou de droit, à raison des règlements régissant l’usage des ports en dehors de la période examinée ;

Que les pratiques examinées ont en effet trait à la fixation par la Régie de ses tarifs sur ce marché ;

Considérant qu’il est également acquis aujourd’hui en suite de l’arrêt précité du 28 juin 2005, définitif sur ce point, que le Conseil a fait une exacte appréciation des faits de la cause en retenant que la Régie est en position dominante sur le marché ainsi défini puisqu’il est admis qu’ elle détenait en 1998 une part de marché de 70 % sur la période estivale, de juin à septembre ; que seul, le nombre de passagers effectivement transportés est révélateur de la position de chacun des opérateurs sur le marché étudié ; que quoi qu’il en soit, c’est à juste titre que la société VIIV rappelle que la Régie propose par ailleurs des services plus attractifs que ses concurrents en raison de trois facteurs de différenciation puisqu’elle jouit d’une notoriété liée au fait qu’elle a longtemps été la seule à assurer la desserte de l’île d’Yeu et qu’elle reste la seule à le faire en période hivernale, qu’elle est également la seule à exploiter des ferries permettant de transporter à la fois des passagers, des véhicules et des marchandises et qu’enfin, elle dispose d’un accès privilégié aux équipements portuaires et aux gares maritimes en raison de la mission de service public qui lui est confiée ;

Considérant par suite que ce moyen relevant du contrôle de légalité interne sera écarté ;

2.2. S’agissant des griefs de pratiques abusives articulés par la société VIIV

Considérant que saisi du caractère prétendument anticoncurrentiel de pratiques de subventions d’équilibre et de tarifs anormalement bas au regard de l’ensemble des charges supportées lors de la période estivale, imputées par la société requérante à la Régie, le Conseil a écarté ces deux griefs en expliquant avoir mis en évidence que l’activité exercée en situation de monopole était déficitaire ;

Considérant que la société VIIV requiert l’annulation et, après évocation, la réformation de la Décision attaquée ; qu’il a déjà été dit que l’issue de la Décision a essentiellement été induite par la manière dont l’Autorité a appliqué au cas d’espèce le concept économique de coût incrémental ;

Que dans ces conditions, il convient de vérifier que cette application répond aux critères de légalité nécessaires ; qu’eu égard aux considérations ci-dessus, cette vérification portera d’abord sur les conditions dans lesquelles cette méthode d’analyse a été appliquée au premier grief, celui de prix prédateurs ;

2.2.1. Les principes applicables au litige

Considérant que d’un point de vue économique la prédation est une stratégie de prix consistant, pour une entreprise en position dominante, à pratiquer un prix délibérément bas, inférieur à ses coûts, qui n’est compatible avec la maximisation de ses profits que dans la mesure où ce prix lui permet d’éliminer son ou ses concurrents ou de décourager des concurrents potentiels d’entrer sur le marché considéré, l’autorisant alors, une fois la concurrence éliminée, à remonter ses prix sans crainte d’être concurrencée ; qu’autrement dit, une pratique de prédation n’existe que lorsqu’une entreprise s’engage dans une pratique de prix qui n’aura d’intérêt pour elle que si, par cette stratégie, elle réussit à exclure un ou des concurrents ; qu’elle ne peut plus être caractérisée dès que l’entreprise dominante a un intérêt (dans le sens de la maximisation de ses profits) à être présente sur ce marché ouvert à la concurrence, même si elle exclut un concurrent efficace ;

Considérant que cette approche théorique se heurte en pratique à la difficulté de déterminer le prix qui aurait maximisé le profit de l’entreprise en dehors de toute pratique concurrentielle ;

Considérant que pour caractériser une pratique de prédation par les prix, les autorités de concurrence s’appuient sur un test de coût très simple proposé en 1975 par la doctrine économique (test Areeda & Turner) consistant à comparer un prix et un coût ; que ce test considère ainsi de manière intuitive qu’il ne peut être rationnel pour une entreprise de vendre à un prix ne lui permettant pas de couvrir ses coûts de production sauf à admettre qu’elle veuille évincer ses concurrents ;

Que le coût pertinent a ensuite évolué ; qu’ainsi que le rappelle le Conseil dans son rapport annuel 2003, dans une étude intitulée « Les monopoles publics dans le jeu concurrentiel » (cf. pp. 87-90), une moindre priorité accordée par l’opérateur public à la maximisation des profits peut « favoriser des comportements de prix plus agressifs à travers une mise en relation des prix et des coûts plus distendue » si bien que « certaines analyses concurrentielles [doivent] être appliquées avec prudence au cas des entreprises publiques. » ;

Que le Conseil développe encore dans ce même rapport la problématique des prix pratiqués par les opérateurs publics au regard du droit de la concurrence de la manière suivante:

« Si un prix est fixé à un niveau inférieur au coût marginal, c’est-à-dire au coût encouru pour la production d’une unité supplémentaire de biens ou services, toute vente entraîne une perte. A priori, une entreprise devrait donc, si elle poursuit un objectif de maximisation de son profit, renoncer à produire une unité de plus plutôt que la vendre à un prix inférieur au coût marginal. C’est le raisonnement sous-jacent à l’arrêt Y du 3 juillet 1991 de la Cour de justice des Communautés européennes, consistant à inférer de manière automatique un objet anticoncurrentiel à partir de la constatation d’un prix inférieur au coût moyen variable, celui-ci étant a priori plus facile à mesurer que le coût marginal : « Des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables (c’est-à-dire de ceux qui varient en fonction des quantités produites), par lesquels une entreprise dominante cherche à éliminer un concurrent, doivent être considérés comme abusifs. Une entreprise dominante n’a, en effet, aucun intérêt à pratiquer de tels prix, si ce n’est celui d’éliminer ses concurrents pour pouvoir, ensuite, relever ses prix en tirant profit de sa situation monopolistique, puisque chaque vente entraîne pour elle une perte, à savoir la totalité des coûts fixes (c’est-à-dire de ceux qui restent constants, quelles que soient les quantités produites), et une partie, au moins, des coûts variables afférents à l’unité produite. Un prix inférieur au coût marginal, s’il fait baisser le profit, peut en effet accroître les ventes et les recettes de l’entreprise.».

En revanche, toute vente supplémentaire, même à un prix inférieur au coût variable, permet tout de même d’accroître le chiffre d’affaires de l’entreprise. Une plus grande priorité accordée à l’échelle des activités de l’entreprise peut donc inciter à vendre en dessous du coût marginal, indépendamment de toute intention d’éviction. Des lors que l’on admet que les entreprises publiques peuvent s’écarter de l’objectif de maximisation des profits, la présomption automatique d’un objet anticoncurrentiel, à la seule vue de pertes pérennes, est remise en cause. Dans son avis 96-A-10, le conseil indiquait : « on doit cependant constater que les prémisses, sur lesquels est fondé l’arrêt Y précédemment citées, peuvent n’être qu’imparfaitement satisfaites dans les cas où se trouvent confrontés sur un même marché des opérateurs privés et un opérateur public disposant, par ailleurs, d’une position de monopole associé à l’exercice d’une mission de service public. (') La circonstance que l’opérateur public peut ne pas être soumis à une contrainte de rentabilité du type de celles auxquelles ses concurrents sont soumis, même sur la partie de son activité ouverte à la concurrence, implique que l’on ne peut déduire du simple fait qu’il enregistre des pertes, fussent-elles importantes, sur cette partie de son activité, que sa pratique de prix ne peut s’expliquer que par un objet anticoncurrentiel ».

En résumé, des pertes, même pendant une longue période, n’indiquent pas nécessairement d’objet anticoncurrentiel ; elles peuvent refléter la forme particulière des objectifs de l’entreprise publique qui valoriserait le niveau de sa production, davantage que l’ampleur de ses coûts ou de ses pertes. L’avis 96-A-10 indiquait à cet égard que « la circonstance que l’opérateur public adopterait sur la partie concurrencée de son activité une logique d’action qui ne relèverait pas du souci de satisfaire une contrainte de rentabilité minimum ou d’équilibre de ses comptes et accumulerait des pertes, alors même qu’il serait concurrencé par des entreprises qui seraient, elles, soumises à cette contrainte de rentabilité, pourrait, dans certaines circonstances, perturber le jeu de la concurrence sur le marché. Mais, dans ce cas, la pratique serait anticoncurrentielle, non pas dans son objet (on ne peut être sûr que l’objet poursuivi par l’opérateur dominant est anticoncurrentiel) mais dans sa potentialité d’effet (si la pratique de l’opérateur public peut éliminer du marché des concurrents aussi efficaces que lui) ».

L’objet anticoncurrentiel étant souvent difficile, voire impossible, à démontrer dans le cas des entreprises publiques, c’est l’appréciation des effets qui prime.

Dans le même avis, le Conseil relativisait également le raisonnement de l’arrêt Y à propos des prix prédateurs, compte tenu des difficultés dans la comparaison des coûts respectifs d’une entreprise publique et d’une entreprise privée : « D’une part, sauf dans les cas les plus évidents, il n’est pas certain que l’on puisse établir l’objet éventuellement anticoncurrentiel de la pratique de l’opérateur dominant à partir de la seule considération de ses coûts et de sa stratégie de prix. Il est, en effet, possible que le fait qu’il assure, par ailleurs, une mission de service public entraîne nécessairement pour lui des coûts plus élevés que ceux de ses concurrents pour la partie de son activité ouverte à la concurrence. (') D’autre part, la seule circonstance que l’opérateur dominant enregistre une perte, fût-elle importante sur le marché ouvert à la concurrence, est insuffisante pour établir que sa stratégie de prix dans cette activité peut être de nature à éliminer du marché un concurrent aussi efficace que lui si les conditions de coûts unitaires des ressources qu’il emploie sont, pour des raisons associées à l’exercice de sa mission de service public ou à son statut, nettement plus défavorables que celle de ses concurrents. ».

Les comparaisons peuvent aussi poser problème, dans la mesure où une entreprise, qui accorde une priorité moindre à la maximisation du profit, peut être tentée de sous-estimer ses coûts. De même, certains choix technologiques peuvent se traduire par des coûts fixes importants et des coûts variables faibles. De tels choix peuvent conduire à une surcapitalisation et empêcher l’entrée de concurrents efficaces, mais une comparaison des coûts variables aux prix, conformément à la jurisprudence Y, ne permet pas à elle seule de conclure à la prédation.

De plus, le caractère prédateur des prix peut être particulièrement difficile à évaluer s’agissant d’activités connexes à celles exercées en monopole et qui ont des coûts importants en commun avec elles. Le partage de ces coûts communs entre activités en monopole et activités concurrentielles pose non seulement un problème de mesure mais également celui du mode de partage. La Commission européenne a retenu [Décision Deutsche Post du 20 mars 2001] que, dans le cas d’un opérateur détenant un monopole lié à une mission de service public et diversifiant ses activités, le caractère prédateur des prix pratiqués sur le marché concurrentiel doit être évalué en prenant comme référence les seuls coûts incrémentaux liés à l’activité concurrentielle, c’est-à-dire ceux qui ne seraient pas engagés par l’entreprise si elle n’exerçait pas cette activité. Les coûts communs à l’activité en monopole et qui, en tout état de cause, doivent être supportés pour la mission de service public, ne sont pas pris en compte. Les coûts incrémentaux sont, en principe, supérieurs aux coûts variables, dans la mesure où ils peuvent inclure des coûts fixes si ceux-ci ont été exclusivement engagés pour la fourniture de biens ou services sur le marché concurrentiel. Cette approche s’inspire des travaux de William Baumol, pour qui le concept de coûts pertinents pour l’appréciation de la prédation est le coût incrémental ;

Considérant, enfin, que ces données ont été dernièrement résumées par les conclusions de l’avocat général M. Z Mengozzi présentées le 24 mai 2011 devant la Cour de justice de l’Union européenne dans une affaire C-209/10 Post Danmark A/S contre Konkurrencerädet : « Pour constater les pratiques de prix prédateurs au sens des points 70 à 72 de l’arrêt Y/Commission (..), la démonstration de la mise en place d’une telle stratégie [ayant pour but d’éliminer un concurrent] est nécessaire. (') En effet, la comparaison des prix avec les coûts variables encourus par l’entreprise dominante investie d’une mission d’intérêt économique général (services publics ou service universel) s’avère inadéquate. D’un côté, elle pourrait entraîner une surévaluation des pertes puisque la mission d’intérêt économique général dont est investie l’entreprise entraîne des coûts plus élevés que ceux de ses concurrents pour la partie de son activité se développant sur le marché ouvert à la concurrence. À l’inverse, prendre uniquement comme critère les coûts variables de l’entreprise dominante pourrait aussi aboutir à sous-évaluer les coûts de celle-ci si cette entreprise opère avec des coûts fixes élevés (') et des coûts variables faibles. / Dans ces conditions, il paraît approprié de prendre en compte d’autres critères de coût, à savoir les coûts incrémentaux, qui prennent en compte les coûts fixes et les coûts variables de l’activité spécifique développée sur le marché ouvert à la concurrence. » ;

Qu’en réponse à ces conclusions la grande chambre de la Cour de justice a dans son arrêt du 27 mars 2012, répondu aux points 20 et suivants comme suit :

«20 Il ressort de la jurisprudence que l’article 82 CE vise non seulement les pratiques qui causent un préjudice immédiat aux consommateurs, mais également celles qui leur causent un préjudice en portant atteinte au jeu de la concurrence (')

21 Il est de jurisprudence constante que la constatation de l’existence d’une telle position dominante n’implique par elle-même aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée ('). En effet, l’article 82 CE n’a aucunement pour but d’empêcher une entreprise de conquérir, par ses propres mérites, la position dominante sur un marché (…). Cette disposition ne vise pas non plus à assurer que les concurrents moins efficaces que l’entreprise occupant une position dominante restent sur le marché.

22 Ainsi, tout effet d’éviction ne porte pas nécessairement atteinte au jeu de la concurrence ('). Par définition, la concurrence par les mérites peut conduire à la disparition du marché ou à la marginalisation des concurrents moins efficaces et donc moins intéressants pour les consommateurs du point de vue notamment des prix, du choix, de la qualité ou de l’innovation.

23 Selon une jurisprudence constante, il incombe à l’entreprise qui détient une position dominante et une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur ('). Lorsque l’existence d’une position dominante trouve son origine dans un ancien monopole légal, cette circonstance doit être prise en compte.

24 À cet égard, il convient également de rappeler que l’article 82 CE vise, en particulier, les comportements d’une entreprise occupant une position dominante qui ont pour effet, au préjudice des consommateurs, de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant sur le marché ou au développement de cette concurrence (')

25 Ainsi, l’article 82 CE interdit, notamment, à une entreprise occupant une position dominante de mettre en oeuvre des pratiques produisant des effets d’éviction pour ses concurrents considérés comme étant aussi efficaces qu’elle-même, renforçant sa position dominante en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites. Dans cette perspective, toute concurrence par les prix ne peut donc être considérée comme légitime ( ').

26 Afin de déterminer si l’entreprise occupant une position dominante a exploité de manière abusive sa position par l’application de ses pratiques tarifaires, il y a lieu d’apprécier l’ensemble des circonstances et d’examiner si ces pratiques tendent à enlever à l’acheteur, ou à restreindre pour celui-ci, les possibilités de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement, à barrer l’accès du marché aux concurrents, à appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée (').

27 Dans son arrêt Y/Commission, précité, où il s’agissait de déterminer si une entreprise avait pratiqué des prix prédateurs, la Cour a jugé, en premier lieu, au point 71 de cet arrêt, que les prix inférieurs à la moyenne des coûts variables (c’est-à-dire ceux qui varient en fonction des quantités produites) doivent être considérés, en principe, comme abusifs, dans la mesure où, en appliquant de tels prix, une entreprise occupant une position dominante est présumée ne poursuivre aucune autre finalité économique que celle d’éliminer ses concurrents. En second lieu, elle a jugé, au point 72 de ce même arrêt, que les prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux mais supérieurs à la moyenne des coûts variables doivent être considérés comme abusifs lorsqu’ils sont fixés dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer un concurrent.

28 Ainsi, afin d’apprécier la licéité des prix bas appliqués par une entreprise occupant une position dominante, la Cour a eu recours à des critères fondés sur une comparaison des prix concernés et de certains coûts encourus par l’entreprise dominante ainsi que sur la stratégie de celle-ci (voir arrêts précités, Y/Commission point 74, et France Télécom/Commission, point 108).

(')

40 (…) Il convient de rappeler qu’une entreprise occupant une position dominante peut justifier des agissements susceptibles de tomber sous le coup de l’interdiction de l’article 82 CE (…).

41. En particulier, une telle entreprise peut démontrer, à cet effet, soit que son comportement est objectivement nécessaire (…) soit que l’effet d’éviction qu’il entraîne peut être contrebalancé, voire surpassé, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent également aux consommateurs.

42. A ce dernier égard, il appartient à l’entreprise occupant une position dominante de démontrer que les gains d’efficacité susceptibles de résulter du comportement considéré neutralisent les effets préjudiciables probables sur le jeu de la concurrence et les intérêts des consommateurs sur les marchés affectés, que ces gains d’efficacité ont été ou sont susceptibles d’être réalisés grâce audit comportement, que ce dernier est indispensable à la réalisation de ceux-ci et qu’il n’élimine pas une concurrence effective en supprimant la totalité ou la plupart des sources existantes de concurrence actuelle ou potentielle.

(…)

44 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions[préjudicielles] posées que l’article 82 CE doit être interprété en ce sens qu’ une politique de prix bas appliqués à l’égard de certains anciens clients importants d’un concurrent par une entreprise occupant une position dominante ne peut être considérée comme constitutive d’une pratique d’éviction abusive au seul motif que le prix appliqué par cette entreprise à l’un de ses clients se situe à un niveau inférieur aux coûts totaux moyens imputés à l’activité concernée, mais supérieur aux coûts incrémentaux moyens afférents à celle-ci, tels qu’évalués dans la procédure à l’origine de l’affaire au principal. Afin d’apprécier l’existence d’effets anticoncurrentiels dans des circonstances telles que celles de ladite affaire, il y a lieu d’examiner si cette politique de prix, sans justification objective, a pour résultat l’éviction effective ou probable de ce concurrent, au détriment de la concurrence et, de ce fait, des intérêts des consommateurs » ;

Considérant qu’il a déjà été rappelé qu’au cas présent, le Conseil a transposé au transport de voyageurs l’analyse opérée par la Commission européenne dans sa décision Deutsche Post AG puisqu’il a considéré que les recettes de l’activité de transport estival de passagers par la Régie avaient été, au cours de la période incriminée (1997-1999), supérieures aux coûts incrémentaux propres à cette activité et qu’il a en outre constaté que l’activité de service public était déficitaire et ne pouvait donc subventionner l’activité concurrentielle ; qu’il en a conclu que la pratique de prédation et, par suite, l’abus de position dominante allégué n’étaient pas établis ; que c’est précisément la pertinence de cette conclusion que la société requérante conteste aujourd’hui ;

Considérant que cette conclusion tend d’abord à contester l’outil de référence sur lequel le Conseil a fondé la Décision qui, aux dires de la société requérante, serait de ce point de vue, entachée d’une erreur de droit ;

2.2.2. Sur les conditions d’application de la méthode d’analyse suivie par le Conseil

devenu l’Autorité

Considérant que la société VIIV fait grief au Conseil d’avoir apprécié la pratique de prix prédateurs reprochée à la Régie à l’aune du seul test des coûts incrémentaux dégagé par la Commission européenne dans sa décision du 20 mars 2001 dite Deutsche Post (COMP/35.141), abstraction faite de celui dit test Y, unanimement reconnu en droit français et communautaire de la concurrence ;

2.2.2.1. Le moyen tiré de la complémentarité des tests Y et Deutsche Post

Considérant que la société requérante avance que la Décision occulte le fait que ces deux tests n’étaient pas des tests alternatifs mais des tests complémentaires ;

Qu’elle souligne qu’au cas présent, la mise en oeuvre de cette complémentarité établit la réalité d’une prédation ; que le test Y a vocation à trouver application au cas d’espèce ; que la Décision a omis de relever, sur la base du rapport d’expertise établi par le technicien désigné par les services d’instruction du Conseil (M. B A), que les coûts moyens totaux de l’Amporelle n’étaient pas couverts du chef des trois années examinées (1998, 1999 et 2000) et que par ailleurs, ce navire connaissait un déficit significatif au point que la Régie avait dû camoufler ses déficits supplémentaires par des débudgétisations et des transferts de charges vers le budget du Département dénoncés en 1997 par la Chambre Régionale des comptes ; que la problématique de cette affaire, placée de facto dans la seconde branche du test Y, imposait de vérifier l’existence d’une stratégie de prédation ; que lorsque l’on est en présence d’un opérateur public déployant une double activité sur le marché considéré (l’une, ouverte normalement à la concurrence et l’autre, s’exerçant dans le cadre de l’exercice d’une mission de service public) les coûts incrémentaux, entendus comme ceux que l’entreprise chargée d’une mission de service public n’aurait pas à supporter si elle n’exerçait pas d’activité concurrentielle, remplacent les coûts variables dans la première branche du test Y, ce qui répond à un bon sens tant mathématique qu’économique ; que le fait que la Décision estime au cas présent que les coûts incrémentaux de la Régie sont couverts tandis que les coûts totaux ne le sont pas, ne pouvait donc épuiser l’analyse de l’allégation de prédation ; que c’est donc à tort que la Décision critiquée ne comporte sur ce dernier point aucune vérification ; qu’à supposer que la politique tarifaire de la Régie n’ait pu être qualifiée de prédatrice au titre de la première branche du test Y, le Conseil se devait de vérifier l’absence d’incrimination à partir de la seconde branche de celui-ci dans la « zone grise’ traditionnellement définie comme correspondant à l’hypothèse qui est celle de la présente espèce, de coûts situés au-dessus des coûts variables (en l’espèce, les coûts incrémentaux) mais en dessous des coûts totaux moyens, en recherchant si la pratique de ces coûts visait à s’inscrire dans une stratégie d’éviction de la concurrence et donc de perturbation notable du processus concurrentiel ; que de ce point de vue, tant le rapport d’enquête que la notification de griefs et le rapport définitif démontrent amplement l’intention d’éviction et le caractère prédateur de la stratégie mise en 'uvre par la Régie grâce à des pratiques de vente à perte avérées et de prix inférieurs aux coûts totaux ; que le plan d’éviction de la Régie a consisté d’une part, en une politique de prix bas en dépit des surcoûts induits par la mise en service de l’Amporelle et d’autre part, en une multiplication de barrières à l’entrée élevées par la Régie, celle-ci maîtrisant les infrastructures dont l’accès a été interdit ou fourni dans des conditions inéquitables à la société VIIV ; que la Régie a par ailleurs directement participé à l’édiction des règlements portuaires destinés à bloquer l’activité des opérateurs privés dans la mesure où elle siégeait au conseil portuaire en cause ; que c’est encore elle qui a décidé d’une augmentation vertigineuse de ses dépenses commerciales consécutivement à l’arrivée de l’Amporelle, en vue de préempter le segment concurrentiel rival ; que sa concurrente directe (la société VIIV) a ainsi été contrainte d’aller requérir la levée de ces obstacles devant les tribunaux et de multiplier les plaintes au pénal contre les dirigeants de cet opérateur ; que nonobstant le fait que ces démarches relevaient juridiquement d’autres instances contentieuses, les mesures d’élimination dénoncées n’en ont pas moins constitué les éléments d’un plan de prédation répréhensible ; qu’il est inexact de soutenir qu’en pratiquant les prix incriminés sur le marché concurrentiel, la Régie n’a supporté aucune perte et qu’elle a réalisé des bénéfices alors que toutes les expertises et toutes les décisions judiciaires dans cette affaire ont constaté que les coûts moyens totaux de la Régie en général et au niveau de l’Amporelle en particulier n’étaient pas couverts et alors par ailleurs, que l’expertise de M. A a spécifiquement mis en avant l’existence en été d’un important déficit (supérieur à 1 million de francs chaque année soit 152 449, 02 euros) du chef de l’Amporelle qui bénéficiait pourtant de la meilleure fréquentation ; que seule une construction comptable artificielle, consistant à supprimer la moitié des coûts de ce navire au nom d’une théorie mal appliquée, a conduit à transformer une perte en bénéfice ou à tout le moins en une réduction du déficit ; que quoi qu’il en soit, le dossier comporte les éléments attestant de la participation active des personnels de la Régie au plan de prédation ; qu’il ressort ainsi notamment du rapport définitif du 8 avril 2004 que M. C D, qui avait la triple casquette de Président de la Régie, Vice président du Conseil général et membre des instances portuaires, a participé aux multiples décisions des collectivités et organismes ayant multiplié les entraves au fonctionnement de la société VIIV ; que les éléments produits aux débats démontrent que celle-ci était dans une situation catastrophique dès 2001 par suite de la combinaison d’une fréquentation faible et de l’influence de prix directeurs très bas pratiqués par la Régie sur la zone de desserte de l’île d’Yeu; que les énonciations de la Décision laissant supposer que la disparition effective des concurrents de la Régie et en particulier de la société VIIV résulte de circonstances extérieures à une stratégie de prédation sont inadmissibles ; qu’elle est en mesure d’en contester utilement le caractère calomnieux et de décrire en détail la situation économique catastrophique dans laquelle elle s’est trouvée ainsi que l’aggravation de ses pertes entre 1993 et 2000 soit après la mise en service de l’Amporelle malgré des ratios de gestion bien meilleurs que ceux de la Régie ; que quoi qu’il en soit, la récupération des pertes ou la disparition du concurrent pris pour proie n’est pas une condition de la prédation ; que finalement, le seul fait pour la Décision d’avoir omis d’appliquer complètement le test Y justifie son annulation ainsi que sa réformation dès lors que les éléments retenus dans le rapport définitif des services d’instruction du Conseil devenu l’Autorité établissent le caractère prédateur de la politique tarifaire de la Régie, sans qu’il soit nécessaire de vérifier l’application correcte du test des coûts incrémentaux;

Considérant que la Régie conteste la pertinence de ce moyen en objectant que la lecture de la Décision démontre que le Conseil a bien fait application du test Y présenté par la société VIIV ; que la méthode des coûts incrémentaux rappelée dans la Décision au vu de la jurisprudence la plus récente en la matière n’est rien d’autre qu’une méthode pertinente au cas présent pour répondre à la première branche de ce test ; que quoi qu’il en soit, tant les économistes que la Cour de justice admettent que le test de prédation par la méthode des coûts incrémentaux est le test le mieux adapté à une offre multi-produits ; que le coût incrémental moyen constitue en réalité le pendant du coût total moyen utilisé dans le cas d’une offre mono-produit (test Y) ;

Considérant en l’occurrence qu’il ressort de la Décision attaquée que le Conseil a apprécié ab initio le grief de prix prédateurs à l’aune du test Y entendu dans son intégralité (cf. point 94 de cette Décision) ; qu’il s’est livré à l’examen des prix pratiqués sur le marché de transport estival en déterminant les coûts pertinents supportés par la Régie sur ce marché afin de les comparer aux recettes tirées de cette activité (cf. point 97 in fine) tout en rappelant que 's’agissant d’une entreprise chargée d’une mission de service public et offrant simultanément des prestations sur un marché sur lequel il existe une offre concurrente, la Commission européenne a considéré, dans une décision du 20 mars 2001 relative à ces pratiques dans le secteur postal (COMP/35.141 – Deutsche Post AG) que le concept de coût pertinent à prendre en compte afin d’évaluer si le prix des prestations offertes en concurrence est abusif est celui du coût incrémental, c’est-à-dire le coût que l’entreprise ne supporterait pas si elle n’exerçait pas l’activité concurrentielle » (cf. point 98 de la Décision) ; qu’elle précise que « les coûts incrémentaux qui ne seraient pas engagés par la Régie si elle n’exerçait pas d’activité sur le marché concurrentiel sont les coûts incrémentaux liés à l’exploitation de l’Amporelle pendant la période estivale c’est-à-dire ceux qui ne seraient pas supportés si l’Amporelle n’effectuait pas de traversées d’avril à septembre » (cf. point 100 de la Décision) ; qu’elle conclut enfin qu’il ressort des éléments du dossier que « la Régie a fixé, de 1998 à 2000, les tarifs du transport de passagers sur la vedette rapide l’Amporelle d’avril à septembre, à un niveau supérieur à celui des coûts incrémentaux propres à la fourniture de ce service. En conséquence, il n’est pas établi que la Régie ait abusé de sa position dominante et tenté d’évincer ses concurrents » (cf. point 109 de la Décision) ;

Considérant que méconnaît les dispositions de l’article L.420-1 du code de commerce l’entreprise qui, disposant d’une position dominante assurant une mission de service public, offre des prestations sur un marché ouvert à la concurrence à un prix inférieur au coût incrémental de ces prestations, c’est-à-dire au coût que l’entreprise ne supporterait pas si elle n’exerçait pas l’activité concurrentielle ; que, par ailleurs, un prix supérieur à la moyenne des coûts incrémentaux mais inférieur à la moyenne des coûts totaux encourus pour être présent sur ce marché ouvert à la concurrence serait également prédateur s’il était fixé par cet opérateur public dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer un concurrent selon la logique des principes traditionnels dégagés par l’arrêt Y aménagés à la lumière des enseignements de la décision de la Commission européenne dans l’affaire Deutsche Post du 20 mars 2001 (COMP/35.141);

Qu’au cas présent, le Conseil a estimé que la problématique soumise à son appréciation ne ressortait pas de cette dernière hypothèse puisque, aux termes des énonciations de la Décision et compte tenu de la méthode de calcul du coût incrémental retenue, il a estimé que la Régie avait, pour la période considérée, recouvert la totalité des coûts encourus pour être présente sur le marché ouvert à la concurrence par les recettes provenant des tarifs qu’elle avait pratiqués sur ce marché; que la Décision retient qu'« il ressort finalement de l’expertise que les recettes du transport de passagers sur l’Amporelle d’avril à septembre couvrent largement entre 1998 et 2000, les coûts variables [en fonction du nombre de passagers], les coûts semi-variables, tels que définis par l’expert et les charges « services clients et gares ». Seule la prise en compte du loyer, tel que réévalué par l’expert, déséquilibre le résultat. Dès lors que cette prise en compte du loyer n’a pas lieu d’être introduite dans les coûts incrémentaux, les traversées effectuées par l’Amporelle durant la période estivale n’aggravent donc pas le déficit de la Régie mais, au contraire, permettent de le réduire légèrement »;

Qu’ainsi et contrairement aux allégations de la société requérante, le Conseil a considéré dans sa Décision que cette activité concurrentielle était bénéficiaire et qu’elle venait réduire le déficit chronique de l’activité réservée ; que sous cet angle de vue, la question de savoir si la Régie suivait un plan d’éviction ne se posait alors plus ;

Qu’en réalité, conformément au raisonnement suivi en droit de la concurrence, la première question que pose le recours de la société VIIV reste celui de déterminer si la Décision querellée a, ou non, exactement mesuré les coûts incrémentaux liés aux tarifs de prix pratiqués par la Régie pour exploiter l’Amporelle d’avril à septembre, et par suite, vérifié le caractère éventuellement abusif de cette pratique de prix bas par une application correcte du test traditionnel développé par la jurisprudence Y (CJCE affaire C62/86, Y/Commission, Recueil 1991, p. I-3359) à la lumière de la notion d’incrément, laquelle permet de cerner précisément les coûts que le prétendu prédateur a réellement supportés pour absorber la demande supplémentaire ;

2.2.2.2. Le moyen tiré des conditions d’application de la méthode des coûts incrémentaux

Considérant que dans l’arrêt Akso c/ Commission du 3 juillet 1991, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé qu’une entreprise occupant une position dominante exerçait une pratique de prix abusifs visant à évincer la concurrence lorsque le prix proposé pour un service était inférieur à son prix de revient, c’est-à-dire à la moyenne de

ses coûts variables moyens ;

Que dans l’arrêt Deutsche Post du 20 mars 2001, il a été retenu que, dans le cas d’un opérateur détenant un monopole lié à une mission de service public et offrant simultanément des prestations sur un marché sur lequel il existe une activité concurrente, seuls devaient être pris en compte les coûts incrémentaux, c’est-à-dire les coûts qui ne seraient pas engagés par l’entreprise si elle n’exerçait pas l’activité concurrentielle, et qu’il convenait par conséquent d’exclure des coûts incrémentaux les coûts que l’entreprise serait obligée d’engager si elle n’exerçait que la mission de service public et, notamment, les coûts fixes communs à la mission de service public et à l’activité concurrentielle ;

Que pour exclure du périmètre des coûts incrémentaux les coûts fixes supportés par l’Amporelle pendant la période estivale et, notamment, le loyer payé par la Régie au département, le Conseil devenu l’Autorité a considéré que le Conseil d’Etat se serait prononcé, dans son arrêt du 30 juin 2004, en faveur de la nécessité pour la Régie d’utiliser l’Amporelle afin d’accomplir sa mission de service public ;

Qu’en statuant ainsi, alors que, sauf à méconnaître les dispositions de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 juin 2008, le Conseil d’Etat ne s’est pas prononcé sur la nécessité pour la Régie d’utiliser l’Amporelle afin d’accomplir sa mission de service public mais s’est borné à dire qu'« il ressort des pièces du dossier que la régie départementale assure en ce qui concerne la desserte de l’île d’Yeu une mission de service public qui implique des traversées régulières toute l’année et par tous les temps, que l’accomplissement de cette mission explique que l’unité rapide de la régie départementale ait un tirant d’eau sensiblement plus important que celui des unités de la société Vedettes Inter-Iles Vendéennes (V.I.I.V) », le Conseil devenu l’Autorité a effectué une inexacte évaluation du périmètre des coûts incrémentaux dès lors qu’il résulte de sa décision que la prise en compte des coûts fixes et, en particulier, du coût du loyer payé par la Régie au département, aurait ramené les prix pratiqués à un niveau inférieur à celui des coûts incrémentaux moyens liés à l’activité concurrentielle concernée;

Considérant, par ailleurs, que dans l’arrêt Akso c/ Commission du 3 juillet 1991, la Cour de justice de l’Union européenne énonce que des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux mais supérieurs à la moyenne des coûts variables doivent être considérés comme abusifs lorsqu’ils sont fixés dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer un concurrent ;

Que dans l’arrêt Post Danmark A/S c/ Konkurrencerädet du 27 mars 2012, la même Cour précise que le seul fait que les prix appliqués par une entreprise occupant une position dominante se situent à un niveau inférieur aux coûts totaux moyens imputés à l’activité concurrentielle concernée, mais supérieurs aux coûts incrémentaux moyens afférents à cette activité, ne peut être considéré comme constitutif d’une pratique abusive ; qu’elle ajoute qu’il y a lieu d’apprécier l’existence d’effets anticoncurrentiels en examinant si cette politique de prix, sans justification objective, a eu pour résultat l’éviction effective ou probable de ses concurrents au détriment de la concurrence, et ce, nonobstant le fait qu’il n’était pas établi que l’entreprise en cause avait l’intention d’évincer ses concurrents;

Considérant qu’en l’espèce, il ressort des constatations de l’expert, entérinées par la décision du Conseil, et non contestées par la Régie, qu’à supposer même que les prix de vente pratiqués par la Régie se situaient en-deçà de ses coûts incrémentaux, ils se situaient en tout état de cause au-dessus des coûts totaux supportés pour l’exploitation de l’Amporelle pendant la saison estivale;

Considérant, par suite, que l’Autorité ne peut se contenter d’affirmer que la Régie n’avait pas l’intention d’évincer ses concurrents alors qu’il ressort des affirmations de la société VIIV, non contestées par la Régie, que tous ses concurrents ont subi d’importantes pertes structurelles à partir de 1992, date de la mise en service de l’Amporelle, et que ces difficultés ont conduit à la mise en liquidation de la société VIIV en 2007 ainsi qu’à la disparition de la société NVG en 2006;

Qu’il s’ensuit qu’il n’est pas exclu que la pratique tarifaire mise en place par la Régie ait eu pour résultat l’éviction de ses concurrents sans qu’il y ait lieu de rechercher l’existence d’indices probants et concordants établissant une volonté d’évincer lesdits concurrents;

Qu’il convient, dès lors, de déterminer si la disparition de deux des trois concurrents de la Régie relève d’une mauvaise politique de gestion interne ou de facteurs extérieurs, ou si elle peut être imputée à la pratique tarifaire mise en place par la Régie, dans la mesure où lesdits concurrents seraient considérés comme étant aussi efficaces que cette dernière;

Considérant qu’eu égard à l’ensemble de ces éléments de fait et de droit, il y a lieu, sans qu’il soit besoin de statuer sur le moyen tiré du non respect du principe du contradictoire soulevé par la société VIIV, d’annuler la décision du Conseil et de renvoyer l’affaire à l’instruction de l’Autorité;

Et considérant que les dépens seront mis à la charge de l’Autorité de la concurrence;

Par ces motifs,

Annule la décision n°04-D-79 du Conseil de la concurrence aujourd’hui Autorité de la concurrence du 23 décembre 2004,

Renvoie l’examen de cette affaire à l’Autorité de la concurrence pour poursuite de l’instruction,

Dit que l’Autorité de la concurrence supportera le coût des dépens de cette affaire.

LE GREFFIER,

P Q-R

P/ LE PRÉSIDENT,

S T-U

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Cour d'appel de Paris, 20 décembre 2012