Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 21 février 2012, n° 10/02788

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 10, 21 févr. 2012, n° 10/02788
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 10/02788
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Melun, 14 décembre 2009, N° 08/00702

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRÊT DU 21 février 2012

(n° 2 , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S 10/02788

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 15 Décembre 2009 par le conseil de prud’hommes de MELUN section encadrement RG n° 08/00702

APPELANTE

ASSOCIATION DÉPARTEMENTALE DE SAUVEGARDE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE EN SEINE ET MARNE (ADSEA 77)

XXX

XXX

représentée par Me Alain SEGERS, avocat au barreau de MEAUX substitué par Me Marion PIPARD, avocat au barreau de MEAUX, en présence de Mme M N chef de service du personnel de l’ADSEA 77

INTIMÉE

Madame E F

XXX

XXX

comparant en personne, assistée de Me Isabelle WASSELIN, avocat au barreau de MELUN

PARTIE INTERVENANTE :

XXX

XXX

XXX

XXX, représenté par Me Véronique DAGONET, avocat au barreau de VAL DE MARNE substitué par Me Nathalie FERREIRA, avocat au barreau de VAL DE MARNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 Novembre 2011, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Marie-Aleth TRAPET, conseiller, chargée d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Brigitte BOITAUD, président

Monsieur Philippe LABREGERE, conseiller

Madame Marie-Aleth TRAPET, conseiller

Greffier : Monsieur Polycarpe GARCIA, lors des débats

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par Madame Brigitte BOITAUD, présidente

— signé par Madame Brigitte BOITAUD, présidente, et par Monsieur Polycarpe GARCIA, greffier présent lors du prononcé.

FAITS ET PROCÉDURE

Madame E A a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée, à temps plein, en qualité de comptable, à effet au 20 septembre 2004, par l’association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence en Seine-et-Marne, ci-après désignée : ADSEA 77.

Le 16 novembre 2006, E A a bénéficié, à effet au 1er décembre 2006, d’une promotion en qualité de chef de service administratif, avec un statut cadre. Elle exerçait son activité à la fois sur le foyer de VOSVES à DAMMARIE-LES-LYS et sur le foyer de X, près de MEAUX, continuant par ailleurs à assumer les fonctions de comptable jusqu’au mois de mars 2007, n’ayant été remplacée dans ses précédentes fonctions qu’à cette date.

E A a été licenciée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 6 septembre 2008, énonçant le motif du licenciement dans les termes suivants :

« Suite à l’entretien préalable du 3 septembre 2008, nous vous informons que nous avons pris la décision de vous licencier pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

En effet, lors de votre visite médicale du 22 juillet 2008, le médecin du travail a mentionné sur votre fiche médicale d’aptitude « Inapte à la reprise de son poste de travail. Doit revoir impérativement son médecin traitant ».

Le 5 août 2008, lors de la deuxième visite médicale, le médecin du travail vous a déclarée « Inapte définitivement à votre poste et à tous les postes existants au sein de l’ADSEA 77».

Néanmoins, dès le 6 août 2008, nous avons recherché dans nos institutions les postes vacants, afin d’envisager avec le médecin du travail la possibilité de vous les proposer.

Un poste de comptable à 0,80 ETP au service social de prévention, étant disponible, nous avons contacté le médecin du travail pour connaître sa position quant à la possibilité de vous proposer ce reclassement.

Le 25 août 2008, le médecin du travail nous confirmait, par fax, que vous étiez « inapte à toute fonction au sein de l’ADSEA 77, quel que soit le poste proposé, quel que soit l’établissement proposé ».

Nous sommes donc dans l’obligation de vous licencier pour inaptitude médicalement constatée et impossibilité de vous reclasser.

Votre préavis de quatre mois débutera à première présentation de cette lettre. Il ne pourra être effectué du fait de votre inaptitude et ne vous sera donc pas rémunéré. »

Par jugement du 15 décembre 2009, le conseil de prud’hommes de Melun, en sa section Encadrement, a condamné l’ADSEA 77 à payer à E A une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 22 684,48 €, l’indemnité compensatrice de préavis, augmentée des congés payés afférents, outre 1 000 € au titre des frais irrépétibles exposés.

Les parties ont été déboutées de leurs autres demandes. Le conseil de prud’hommes a encore ordonné le remboursement par l’ADSEA 77 aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à E A dans la limite de six mois d’indemnité.

Cette décision ' intégralement exécutée ' a été frappée d’appel par l’association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence en Seine-et-Marne. L’employeur demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de nullité du jugement considérant que le harcèlement moral n’était pas établi et que l’ADSEA 77 n’avait pas manqué à son obligation de reclassement. L’infirmation de la décision est sollicitée en ce qu’elle a retenu l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement. A titre subsidiaire, l’ADSEA 77 demande à la cour de ramener la condamnation indemnitaire à de plus justes proportions et à un mois de salaire l’obligation de restituer les allocations chômage. En tout état de cause, l’ADSEA 77 réclame une somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles.

E A a formé un appel incident, sollicitant de la cour qu’elle constate le harcèlement moral dont elle aurait fait l’objet et qu’elle prononce la nullité de son licenciement. Elle sollicite des dommages-intérêts pour harcèlement moral à hauteur de 15 000 €, des dommages-intérêts au titre de la nullité de la rupture du contrat de travail à hauteur de 35 817,60 €, des dommages-intérêts d’un montant de 1 731,80 € pour perte du droit individuel à la formation, outre 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, E A limite ses prétentions au paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 35 817,60 € et à des dommages-intérêts pour non-respect des dispositions de l’article L. 1226-12 du code du travail à hauteur de 2 984,80 €.

La capitalisation des intérêts est également sollicitée, ainsi que la publication de la décision à intervenir dans le journal « La République de Seine-et-Marne » dès la première publication intervenant postérieurement à la notification de la décision à intervenir, et ce sous astreinte de 50 € par jour de retard jusqu’à complète publication. E A demande enfin à la cour de se réserver la liquidation de l’astreinte.

Pôle emploi est intervenu volontairement à l’instance pour demander à la cour, dans l’hypothèse où elle viendrait à confirmer le jugement entrepris, de faire application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail et d’ordonner le remboursement des allocations chômage versées à l’intéressé à hauteur de 10 218,44 €. Pôle emploi réclame également 500 € au titre des frais irrépétibles.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées lors de l’audience des débats.

SUR QUOI, LA COUR

Sur le harcèlement moral

E A fait valoir que l’ADSEA 77 a procédé à son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement en considérant que cette inaptitude était consécutive à des arrêts maladie, de sorte que son employeur n’a pas fait application à son profit des dispositions spécifiques et protectrices des articles L. 1226-6 et suivants du code du travail, alors pourtant que ces règles ont vocation à s’appliquer dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine un accident du travail ou une maladie professionnelle, ce dont l’employeur avait connaissance au moment du licenciement.

E A soutient qu’un jugement définitif rendu par le tribunal des affaires de la sécurité sociale de Melun le 28 septembre 2010 a reconnu le caractère professionnel de l’accident dont elle a été victime le 26 octobre 2007. Son inaptitude serait directement liée au harcèlement moral subi de la part de Monsieur O C B et des autres membres du personnel de l’association qu’il avait « ligués » contre elle.

La salariée ajoute qu’elle démontre la dégradation de son état de santé consécutif aux faits de harcèlement qu’elle dénonce et sollicite, dans ces conditions, le prononcé de la nullité de son licenciement, des dommages-intérêts représentant un an de salaire à ce titre et une somme de 15 000 € en réparation du préjudice résultant directement du harcèlement moral subi. Elle réclame également le paiement de l’indemnité de préavis.

L’employeur, pour s’exonérer de sa responsabilité, soutient que les accusations portées par E A à l’encontre de son ancien concubin ne constituent que « l’émanation, dans la sphère professionnelle, d’un conflit d’ordre privé qui s’est mal terminé » et qui opposait O C B et E A.

L’ADSEA 77 conteste l’instrumentalisation par O C B des salariés de l’association et indique que E A a commencé à avoir, dès le mois de mars 2007, soit avant sa rupture avec l’intéressé, des difficultés avec le personnel éducatif et technique qui lui reprochait de prendre position ' au prétexte de son nouveau statut de cadre ' sur leurs décisions éducatives. Les interventions des délégués du personnel auprès de la hiérarchie auraient d’ailleurs porté sur la définition exacte des fonctions et l’étendue de l’autorité hiérarchique de E A.

L’ADSEA 77 ajoute qu’elle a toujours soutenu E A, considérant que les deux salariés étaient responsables, à part égale, de l’altercation. Au surplus, E A occupant ' au sein de l’association ' une position hiérarchique supérieure à celle de l’ensemble des salariés qui feraient preuve de harcèlement à son endroit, le règlement de conflits ou de différends relationnels serait inhérent à ses fonctions.

Sans nier la souffrance qu’avait pu subir E A « dans la sphère privée », l’ADSEA 77 fait observer que les arrêts de travail étaient consécutifs à un « stress post-traumatique dû à des coups et blessures reçus de son ami ». Loin d’établir l’existence d’un harcèlement moral dont elle aurait été victime mais dont elle ne rapporterait pas la preuve, E A aurait au contraire tenté d’abuser de son pouvoir hiérarchique pour essayer de faire licencier son ancien concubin. L’ADSEA 77 fait état de la « situation insoluble » dans laquelle elle s’est trouvée alors que Monsieur B se prétendait également victime de harcèlement de la part de E A et que les salariés avaient adressé une lettre ouverte au conseil d’administration pour solliciter la mutation de cette dernière.

Enfin, l’ADSEA 77 souligne qu’elle a mis en 'uvre de nombreuses mesures pour mettre un terme aux agissements en cause, de sorte que ' l’employeur fût-il tenu par une obligation de sécurité résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise ', sa responsabilité ne saurait être engagée lorsqu’il a tout fait pour mettre en 'uvre, pour prévenir ou pour faire cesser les agissements susceptibles de telles atteintes.

Considérant qu’aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Considérant que, selon l’article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ;

Considérant que l’article L.1152-4 du même code oblige l’employeur à prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ;

Considérant que l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment de harcèlement moral ; que l’absence de faute de sa part ou le comportement fautif d’un autre salarié de l’entreprise ne peuvent l’exonérer de sa responsabilité à ce titre ;

Considérant que l’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et qu’il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Considérant que, pour étayer ses affirmations, E A produit notamment son dossier médical tel que constitué par le médecin du travail, ainsi qu’un jugement correctionnel rendu par le tribunal de grande instance de Melun le 11 janvier 2008, condamnant O C B à une amende pour violence n’ayant entraîné aucune incapacité de travail et à payer à E A 300 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice ;

Considérant que E A a initié, en juin 2006, une relation personnelle sentimentale avec O C B, salarié de l’ADSEA 77 ; que cette relation a pris fin du fait de violences exercées par l’intéressé sur sa personne le 27 avril 2007 et à l’encontre duquel une condamnation définitive a été prononcée par le juge pénal ;

Considérant que la salariée fait valoir que, n’acceptant pas qu’elle mette un terme à la relation, O C B ' salarié de l’ADSEA 77 et délégué du personnel suppléant ' a pris le parti de porter leur histoire sur la sphère professionnelle, en mettant en 'uvre le harcèlement de celle-ci sur son lieu de travail ;

Considérant qu’il est établi par les éléments du dossier que E A a subi les attaques de Mme Y, éducatrice au sein de l’ADSEA 77, déléguée du personnel et membre du CHSCT, à l’encontre de laquelle un avertissement a été prononcé le 11 décembre 2007 à raison de son comportement ;

Considérant que O C B s’est par ailleurs présenté comme victime d’une situation qu’il n’aurait pas voulue, dans un courrier adressé à l’employeur le 28 janvier 2008 et rédigé dans les termes suivants : « Je pense que vous n’êtes pas sans savoir qu’avec Melle E F cadre administratif aux résidences et moi-même avons eu dans le passé une relation personnelle et extérieure évidemment à l’établissement. J’en suis aujourd’hui désolé. C’est ce qui m’est apparu à moi mais également à d’autres collègues, que si des glissements fâcheux du domaine personnel sur le domaine professionnel ont eu lieu, ils n’ont jamais été de mon fait. J’ai par ailleurs pu constater qu’elle a utilisé une situation conflictuelle pour tenter d’abuser les instances judiciaires devant lesquelles nous comparaissons elle et moi » ;

Considérant que le procès-verbal du comité d’entreprise du 13 mai 2008 met en évidence l’existence d’un « climat de défiance entre les salariés les uns envers les autres » ;

Considérant que cette défiance est objectivée par les documents constitués par des courriers adressés par les collègues de E A aux services de l’inspection du travail et à la direction de l’association pour dénoncer des faits dont la réalité n’est aucunement établie ; que E A a ainsi fait l’objet d’attaques directes au prétexte de faits d’importance mineure et non avérés ; qu’elle a été présentée ' sans la moindre justification ' de manière peu gratifiante et susceptible de porter atteinte à sa dignité ;

Considérant que l’association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence en Seine-et-Marne avait parfaitement conscience de l’existence de ces conflits et attitudes qui perturbaient gravement le fonctionnement des services ;

Considérant que l’employeur a été alerté à plusieurs reprises par E A ; qu’il lui a, au demeurant, apporté à plusieurs reprises son soutien ; qu’ainsi, alors qu’elle était mise en cause lors de la réunion du comité d’entreprise du 20 septembre 2007, l’ADSEA 77 écrivait, à propos de E A : « Le cadre administratif fait partie intégrante de l’équipe de direction et a toute notre confiance. Elle assure pleinement ses responsabilités dans le cadre de ses délégations » ; que le 18 octobre 2007, le directeur du foyer, reconnaissant l’attitude abusive adoptée par la déléguée du personnel, reconnaissait dans un courrier adressé à E A l’existence d’un « dysfonctionnement grave de la part d’un salarié de l’institution qui a utilisé un cahier de liaison pour vous mettre en cause, sans vous nommer, au sujet d’un problème de véhicule », ajoutant : « Il n’est évidemment pas normal que de tels comportements existent au sein de l’institution et votre questionnement est parfaitement légitime » ;

Considérant que, le 22 novembre 2007, l’ADSEA 77 écrivait encore à E A : « Les faits que vous relatez sont graves et seront, comme je vous l’ai dit lors de notre entretien de ce jour, pris en compte au plan hiérarchique. Concernant le devoir de protection des salariés, sachez que l’Association travaille en ce sens et que la révision du règlement intérieur fait partie des objectifs de la direction générale » ; qu’une semaine plus tard, le 29 novembre 2007, E A était déclarée inapte temporairement par le médecin du travail ;

Considérant que, s’adressant aux délégués du personnel le 18 avril 2008, la direction de l’ADSEA 77 écrivait : « C’est la dernière fois que nous répondons à ce genre d’affirmation qui relève de la calomnie car avancé sans preuves », les délégués du personnel ayant inscrit à l’ordre du jour une cette question relative à des feuilles blanches que E A aurait retiré de la photocopieuse et de l’imprimante un vendredi soir ,

Considérant que, par lettre du 28 juillet 2008, l’inspection du travail rappelait à l’ADSEA 77 les dispositions légales issues des articles L 1121-1 du code du travail et de L. 1152-1 portant sur le harcèlement moral ; qu’elle achevait ainsi son message : « Compte tenu de la gravité de la situation et de l’état de santé de Madame V. F, je vous prie de me faire connaître les mesures que vous préconisez pour y remédier ainsi que, le cas échéant, le programme annuel établi et les avis rendus par le CHSCT dans ce domaine afin de lutter plus efficacement contre le phénomène de harcèlement moral et de souffrance au travail au sein de votre association (Article L 4612-1 et suivants du Code du Travail) » ;

Considérant que l’ADSEA 77 n’allait pourtant jamais ' durant une période conflictuelle de plus de dix-huit mois ' consulter le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l’institution, comme en atteste un délégué syndical de l’association ;

Considérant que la santé de E A n’a cessé de se dégrader durant cette période ; que le 29 novembre 2007, E A était déclarée inapte temporairement par le médecin du travail ; que le médecin du travail décrivait au psychiatre auquel il adressait la salariée l’état dépressif réactionnel à l’agression qu’elle avait subie de la part de son ancien ami le 26 octobre 2007 sur son lieu de travail, ainsi que l’état d’insécurité permanente dans laquelle elle se trouvait, par crainte de recevoir de nouveaux coups de la part de ce salarié, et à raison de la perte de sa confiance professionnelle entraînant une attitude de retrait sur le lieu de travail ; que le tribunal des affaires de la sécurité sociale de Melun devait d’ailleurs juger, le 28 septembre 2010, que les conséquences des faits du 26 octobre 2007 devaient être prises en charge au titre de la législation professionnelle, l’agression dont la salariée avait été victime constituant bien un accident du travail ;

Considérant que le 4 décembre 2007, le médecin du travail constatait l’absence d’amélioration de l’état de santé de E A au plan psychologique et rappelait les démarches effectuées auprès de l’employeur afin de le convaincre de prendre des mesures pour un retour serein de la salariée dans son emploi, précisant : « malheureusement, l’employeur ne manifeste pas encore sa décision » ; que le psychiatre devait écrire au médecin du travail le 21 juillet 2008 pour lui indiquer que l’état psychique de la patiente ne lui permettait pas de reprendre son travail dans le climat professionnel qu’elle devait subir ; que le médecin du travail note, le 4 janvier 2008 : « Absence d’amélioration psychologique. Absence de manifestation de la part de l’employeur et de l’association suite au dossier transmis par Mme A » ;

Considérant que, le 22 juillet 2008, le médecin du travail déclarait E A inapte au travail en raison de « la souffrance psychique depuis plusieurs mois liée à un stress professionnel majeur qui ne lui permet pas de revenir sur son ancien lieu de travail » ;

Considérant que E A reproche légitimement à son employeur de n’avoir pas tiré les conséquences de la situation, manquant ainsi à son obligation de sécurité de résultat concernant la protection de la santé et de la sécurité des salariés dans l’entreprise ;

Considérant que le directeur de l’ADSEA 77 avait pourtant interrogé le médecin du travail le 19 mars 2008 ; que celui-ci avait répondu, par lettre du 31 mars 2008, qu’il était nécessaire de prendre des mesures de séparation géographique ; que l’ADSEA 77 a attendu le 10 juillet 2008, alors que la procédure pour inaptitude était en cours, pour proposer à E A de reprendre ' le moment venu ' son poste aux résidences sur le foyer de X, à Z, l’invitant tardivement à prendre contact avec la direction des résidents lors de sa reprise du travail pour organiser son retour, alors que le respect des préconisations du médecin du travail aurait pu, en éloignant la salariée du lieu d’exercice de Monsieur B, mettre un terme au harcèlement effectivement subi par E A ; qu’il importe de considérer que l’association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence en Seine-et-Marne emploie environ huit cents salariés ;

Considérant que E A établit ainsi l’existence matérielle de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre ;

Considérant que l’employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par E A sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que l’ADSEA 77 ne s’exonère pas de sa responsabilité, faute de justifier de l’existence d’une cause étrangère qui présenterait les caractères de la force majeure ; qu’il convient de tirer les conséquences de l’inexécution par l’employeur de l’obligation de résultat à laquelle il est tenu, en dépit de son soutien occasionnel à sa salariée ; que le harcèlement moral dont a été victime E A est établi ;

Considérant qu’en application de l’article L. 1152-3 du code du travail, le licenciement intervenu dans ce contexte est nul ; qu’il a été prononcé pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement alors qu’il est établi que cette inaptitude était consécutive à des actes de harcèlement moral ; que le jugement est infirmé sur ce point ,

Considérant que la cour dispose des éléments suffisants pour fixer à un an de salaire, soit 35 817,60 € – le salaire de référence n’étant pas contesté -, le montant des dommages-intérêts au titre de la nullité du licenciement de E A ;

Considérant que, compte tenu des circonstances du harcèlement subi, de sa durée, et des conséquences dommageables qu’il a eu pour E A, telles qu’elles ressortent des pièces et des explications fournies et notamment de la justification de la dégradation de l’état de santé de la salariée, le préjudice en résultant pour E A doit être réparé par l’allocation de la somme de 6 000 € à titre de dommages-intérêts ;

Considérant que la salariée réclame par ailleurs que lui soient versés, conformément aux dispositions de la convention collective applicable aux cadres de sa profession, quatre mois de salaire à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents ;

Considérant que lorsque le licenciement est nul au motif que l’inaptitude du salarié est consécutive à des faits de harcèlement moral imputables à l’employeur, le salarié peut prétendre au paiement de cette indemnité ; qu’en conséquence, les demandes de la salariée à ce titre sont justifiées ; qu’il y est donc fait droit, le jugement étant confirmé sur ce point en ce qu’il a prononcé la condamnation au paiement du préavis ;

Sur la demande de dommage-intérêts pour perte du droit individuel à la formation

E A fait valoir que l’ADSEA 77, informée qu’elle était de ce qu’une partie de ses arrêts de travail s’originaient dans un accident du travail qu’elle avait au demeurant déclaré, aurait dû appliquer en faveur de sa salariée les dispositions protectrices, applicables en matière d’accident du travail et lui permettre ainsi de bénéficier d’un préavis de quatre mois ; qu’elle aurait pu, durant cette période, demander à son employeur de bénéficier de ses droits acquis à la formation.

E A rappelle que sa lettre de licenciement faisait bien mention des 88 heures acquises au titre du DIF, lesquelles, « dans le cadre de la rupture de son contrat de travail, pouvaient se traduire par le versement d’une allocation’ ;

Considérant qu’il n’est pas contesté qu’aucune allocation n’a été versée à E A à ce titre ; que du fait de l’absence d’exécution de tout préavis, E A n’a pu bénéficier de ses droits à DIF ; qu’elle réclame une somme d e 1 731,80 € correspondant à une rémunération de 88 heures sur la base du taux horaire de 19,68 € dont elle bénéficiait ; que cette prétention n’est pas contestée ni en son principe ni en son quantum ; qu’il y est fait droit en son intégralité, le jugement étant encore infirmé sur ce point ;

Sur la demande de publication de la décision

Considérant que la publication, dans les colonnes de La République de Seine-et-Marne, du présent arrêt n’est nullement justifiée ; que ce chef de demande est rejeté, le jugement étant confirmé sur ce point ;

Sur l’intervention volontaire de pôle emploi

Considérant, en application de l’article L. 1235-4, alinéas 1 et 2, du code du travail que le remboursement des allocations de chômage peut être ordonné au profit du Pôle Emploi lorsque le salarié a plus de deux années d’ancienneté au sein de l’entreprise et que celle-ci occupe habituellement plus de dix salariés ;

Considérant que les conditions étant réunies en l’espèce, il convient d’ordonner le remboursement par l’association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence en Seine-et-Marne des allocations versées à E A, à hauteur de 10 218,44 € ;

PAR CES MOTIFS

INFIRME partiellement le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

CONDAMNE l’association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence en Seine-et-Marne à payer à Madame E A :

—  35 817,60 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

—  6 000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

—  1 731,80 € à titre de dommages-intérêts pour perte du droit individuel à la formation,

ORDONNE le remboursement par l’association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence en Seine-et-Marne à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à E A à la suite de son licenciement, à hauteur de 10 218,44 € ;

Confirme le jugement déféré pour le surplus ;

Y ajoutant ,

CONDAMNE l’association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence en Seine-et-Marne à payer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, une somme de 2 500 € à Madame E A et une somme de 500 € au Pôle emploi;

DEBOUTE l’ADSEA 77 de ses demandes ;

CONDAMNE l’association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence en Seine-et-Marne aux dépens ;

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code du travail
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