Cour d'appel de Paris, 19 décembre 2013, n° 12/22644

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, 19 déc. 2013, n° 12/22644
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 12/22644
Décision précédente : Tribunal de commerce de Paris, 3 décembre 2012, N° 201248952

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 9

ARRET DU 19 DECEMBRE 2013

(n° , pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 12/22644

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Décembre 2012 -Tribunal de Commerce de PARIS- RG n° 201248952

APPELANT :

Monsieur Q B DE D

né le XXX à Sannois

de nationalité française

XXX

XXX

représenté par : Me Dominique OLIVIER de l’AARPI Dominique OLIVIER – Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069

assisté de : Me Nicolas VERLY, avocat au barreau de PARIS, toque : B0777

INTIMEE :

SA A

ayant son siège XXX

XXX

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

représentée par : Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

assistée de : Me Arthur DETHOMAS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0099

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 31 Octobre 2013, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur G H, Président et Monsieur Gérard PICQUE, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur G H, Président de chambre

Monsieur Gérard PICQUE, Conseiller

Madame E F, Conseillère

qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur G H dans les conditions prévues par l’article 785 du Code de procédure civile,

Greffier, lors des débats : Madame Violaine PERRET

MINISTERE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au Ministère Public représenté lors des débats par Monsieur Fabien BONAN, Substitut Général, qui a été entendu en ses observations.

ARRÊT :

— contradictoire,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Monsieur G H, président et par Madame Violaine PERRET, greffier présent lors du prononcé.

A, société d’investissement spécialisée dans le développement à long terme d’entreprises leaders dans leur secteur et détient ainsi des Z dans des sociétés aussi diverses que Materis, Bureau Veritas, Saint-X ou encore Stahl ou Mecatherm est une société anonyme cotée sur le compartiment A de l’Eurolist de NYSE Euronext. Elle compte environ 42.000 actionnaires détenant les 49.543.641 actions composant son capital1, pour une capitalisation boursière supérieure à 4,8 milliards d’euros.

*

Régulièrement convoqué à l’assemblée générale de A du 30 mai 2011, Monsieur Q B de D, un de ses actionnaires depuis sa création en 2002, a adressé une question écrite au Président du directoire Monsieur O P. Cette question s’appuyait sur des articles parus dans la presse et faisait essentiellement référence à des procédures visant des collaborateurs de A à titre personnel, ainsi qu’à une décision de l’Autorité des marchés financiers concernant la prise de participation de A au capital de Saint-X en 2007.

Lors de l’assemblée générale de la société A du 30 mai 2011, après avoir lu la question de Monsieur Q B de D dans son intégralité, le directoire avait apporté la réponse suivante :

« ['] il est tout d’B fait observer à l’assemblée que la question posée comporte des affirmations calomnieuses qui : – concernent des personnes physiques et sont couvertes par le secret de l’instruction ou le secret fiscal ; – ne concernent pas la société A et ne relèvent pas de la compétence de l’assemblée générale ».

Sur les questions proprement dites, le directoire apportait les réponses suivantes : « La cession de Solfur par A à la Compagnie de l’Audon, réalisée dans le cadre de la simplification des structures du groupe A, ne constitue en rien une source de rémunération. Elle a été autorisée par le Conseil de surveillance de A du 29 janvier 2007, sur recommandation du Comité de gouvernance, et a été approuvée par l’assemblée des actionnaires du 4 juin 2007 à 98% des voix, conformément à la procédure des conventions règlementées. Cette opération n’a pas donné lieu au versement de salaires soumis à cotisation sociale. Le directoire n’a aucune intention de lancer quelque procédure que ce soit en la matière. S’agissant de la décision de la Commission des sanctions de l’AMF publiée le 17 janvier 2011, elle n’a pas autorité de chose jugée : A a déposé le 18 mars dernier un recours devant la Cour d’appel de Paris en annulation et réformation de cette décision».

*

Au 22 mai 2012, Monsieur Q B de D était toujours actionnaire de la société A puisqu’il détenait 23.900 actions, soit environ 0,047% du capital. (Pièce 1).

Il était ainsi convoqué à l’assemblée générale ordinaire appelée à se tenir le 4 juin 2012 (pièce 2 : convocation) et adressait le 25 mai 2012 a la société A une question écrite visant à obtenir des informations relatives aux moyens envisagés » pour préserver la société A et ses actionnaires » des procédures fiscales visant un certain nombre de ses dirigeants et anciens dirigeants, suite à l’appropriation par les managers de prés de 5% du capital, l’Etat ayant, d’après les informations parues dans la presse, sévèrement redressé fiscalement les intéressés, voire pour obtenir réparation, si la société se trouve atteinte. (pièce n°3: question écrite de Monsieur Q B DE D par C et courriel)

Le 4 juin 2012, à l’occasion de son discours introductif à l’assemblée générale de A, Monsieur O P toujours Président du directoire de la société, a évoqué les attaques subies par A et relayées par la presse (Pièce n°3) et au cours de l’assemblée générale, lors de l’examen des questions écrites adressées au directoire, la question de Monsieur Q B de D a été nominativement évoquée et traitée.

Ainsi après les réponses apportées aux questions d’un autre actionnaire, le Directeur juridique de la société a indiqué (Pièce 4) : « Nous avons également reçu des questions écrites de la part de Monsieur Q B de D, Madame I Y et Monsieur M T.

Nous allons les traiter ensemble dans la mesure où elles sont fondées sur des articles de presse relatifs à A ou à la situation de ses dirigeants et ex-dirigeants. La seule demande de Madame Y, qui précise qu’elle porte sur six questions, en comporte en réalité près de quarante.

L’assemblée comprendra qu’il n’est pas possible d’apporter des réponses à toutes ces questions d’autant que la plupart d’entre-elles portent sur des sujets qui sont :

— soit sans rapport avec les comptes mis à votre approbation ;

— soit couverts par le secret fiscal ;

— soit font l’objet de procédures judiciaires ou fiscales ;

— soit reprennent des articles de presse alimentés et téléguidés par les personnes-mêmes qui posent les questions ou leurs proches ; ou ont déjà été posées l’année dernière et n’appellent pas de nouvelle réponse.

Nous nous concentrerons donc, comme il se doit, sur les points nouveaux et en relation avec la vie sociale ».

Monsieur Q B de D, présent, ne s’est pas manifesté, que ce soit pour demander des précisions ou par le biais d’une question orale, étant indiqué que lors des débats avec la salle, Monsieur O P interrogé oralement sur les coûts pour A des procédures dont la presse se faisait l’écho, a précisé : « La vérité c’est que quand A ne fait pas l’objet de procédure juridique directe, et qu’il s’agit de ses dirigeants, ça ne coûte rien à la société A en termes d’honoraires, puisque ce n’est pas à A de prendre en charge la défense de telle ou telle personne physique ».

Monsieur Q B de D, considérant que :

— la société A s’est délibérément abstenue de répondre et n’a donc pas permis aux actionnaires de prendre utilement connaissance de sa question (video de l’assemblée générale et pièce n°4 : procès-verbal de constat du 14 juin 2012) ;

— la directrice juridique a tenté de justifier le défaut de réponse en se livrant à des justifications pour le moins vagues et imprécises, ne faisant aucune distinction entre sa question et celles posées par Madame I Y et Monsieur M N, également actionnaires de la société, et ne lui permettant pas de connaître avec précision les raisons du refus qui lui était oppose ;

— a sollicité par courrier recommande AR en date du 14 juin 2012, la publication sur le site Internet de la société A d’un communique permettant aux actionnaires de la société de prendre utilement connaissance de sa question écrite mais également de la réponse devant y être apportée, conformément aux dispositions de l’article L.225-108 du Code de commerce (pièce 5 : mise en demeure du 14 juin 2012).

Il a en outre sollicité que la société A l’exclut expressément de l’imputation diffamatoire selon laquelle les auteurs des trois questions susvisées auraient eux-mêmes

Par courrier en date du 21 juin 2012, la société A, « tout en conservant une position ambiguë sur les propos diffamatoires tenus à l’occasion de l’assemblée générale et sans manifester la moindre volonté de conciliation » selon Monsieur B DE D, disait avoir respecté les obligations résultant de l’article L.225-108 du Code de commerce (pièce 6).

Monsieur Q B DE D, soulignant « le mal-fondé de l’argumentation opposée par la société A » la mettait en demeure le 29 juin 2012 de se conformer à ses obligations (pièce 7).

La société A, par courrier en date du 6 juillet suivant, renvoyait Monsieur Q B DE D à sa précédente correspondance du 21 juin 2012 (pièce 8).

Monsieur Q B DE D saisissait alors le Tribunal de commerce de Paris aux fins de voir constater la violation manifeste des dispositions de l’article 225-108 du Code de commerce pour défaut de lecture de question écrite en assemblée générale d’actionnaire.

Par jugement rendu le 4 décembre 2012, le Tribunal de commerce de Paris a débouté Monsieur Q B DE D de l’ensemble de ses demandes et l’a en outre condamné au paiement d’une somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Le Tribunal a considéré que :

> D’une part, le grief tire du défaut de lecture de la question écrite de Monsieur Q B DE D ne serait pas fonde, au seul motif, selon les premiers juges, que l’article L.225-108 du Code de commerce ne comporte pas l’obligation pour le directoire de la société de procéder a la lecture intégrale des questions écrites ;

> D’autre part, le grief tire du défaut de réponse à la question du concluant ne serait pas davantage fondé, dès lors que :

— cette question aurait été regroupée avec celles de Madame I Y et de Monsieur M N et aurait été traitée dans le cadre d’une réponse commune a plusieurs questions ayant le même contenu ;

— la question de Monsieur Q B DE D n’aurait porté que sur une simple hypothèse, qui ne pouvait être considérée comme ayant réellement un lien avec la gestion et la marche des affaires, dont l’examen constitue l’objet même de l’assemblée générale annuelle des actionnaires ;

— la société A a déjà répondu lors de l’assemblée générale d’actionnaires du 30 mai 2011 à la question que Monsieur Q B DE D a posée lors de l’assemblée générale du 4 juin 2012.

Appel était interjeté le 13 décembre 2012 par Monsieur Q B DE D.

*

Monsieur Q B DE D demande à la cour :

— Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 4 décembre 2012 par le Tribunal de commerce de Paris

et, statuant à nouveau :

— Dire et juger Monsieur Q B DE D recevable en son action,

subsidiairement,

— condamner la société A à lui verser la somme de 50.000 euros a titre de dommages et intérêts, en application de l’article 123 du Code de procédure civile ;

— Dire et juger que la société A a commis une faute lors de l’assemblée générale ordinaire qui s’est tenue le 4 juin 2012, en s’abstenant de procéder a la lecture de la question posée par Monsieur Q B DE D et d’y répondre ;

EN CONSEQUENCE :

— Ordonner que la question écrite de Monsieur Q B DE D et la réponse de la société A soient portées à la connaissance de l’ensemble des actionnaires par voie de publication en page d’accueil du site Internet de la société A (www.A-investissement.com) dans le délai de 8 jours a compter de la signification de la présente décision, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

— Ordonner la publication d’un communique judiciaire faisant état de la décision à intervenir en page d’accueil du site Internet de la société A, pendant une durée d’un mois, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passe un délai de 8 jours à compter de la signification de l’arrêt ;

— Ordonner la publication d’un communique judiciaire faisant état de la décision à intervenir dans deux journaux aux frais de la société A, dans la limite de 5.000 euros par publication, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la signification de l’arrêt ;

— Condamner la société A à verser à Monsieur Q B DE D la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

— La condamner aux entiers dépens ;

— Débouter la société A de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Sur la recevabilité à agir de Monsieur Q B DE D

Si la société A soutient l’irrecevable de ses demandes, au motif que son action n’aurait pu être dirigée qu’à l’encontre des dirigeants de la société A, et non à l’encontre de la société elle-même, Monsieur Q B DE D soutient que :

— il est incontestable que la violation de l’article L.225-108 du Code de commerce a été commise lors de l’assemblée générale du 4 juin 2012 au nom de la société A et la responsabilité des organes de gestion prévue par l’article 225-251 du code de commerce (anciennement article 244 de la loi du 24 juillet 1966) n’est nullement exclusive de la responsabilité de la société des lors que les fautes commises ne sont pas détachables des fonctions exercées par les organes

— en tout état de cause, la violation de ses droits tel qu’institués par les dispositions de l’article L225-108 du Code de commerce a été commise par Madame AI AJ-AK en sa qualité de directeur juridique de la société A et donc en qualité de préposée de celle-ci.

— Ensuite, les demandes formées ne peuvent être adressées qu’à la société A, à l’exception de toute autre personne, dès lors qu’il ne sollicite que des mesures de publication et notamment la publication de sa question écrite (et de la réponse qui y sera apportée) sur le site Internet de la société A.

— Enfin, il vise également dans le dispositif de ses conclusions l’article 1382 du Code civil, lequel aurait vocation à régir le litige si par extraordinaire les dispositions de l’article L.225-108 du Code de commerce devaient ne pas être jugées applicables.

Par ailleurs, l’article 123 du Code de procédure civile dispose que : ' Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, sauf la possibilité pour le juge de condamner a des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt’ . Ainsi, si la Cour devait, par extraordinaire, faire droit à 1'argument de la société A, l’appelant se considère bien fondé à solliciter la condamnation de cette société a lui verser la somme de 50 000 euros a titre de dommages intérêts.

Sur le bien fondé des demandes

Monsieur Q B DE D considère qu’à compter de la communication prévue au premier alinéa de l’article L225-108 du code de commerce, tout actionnaire a la faculté de poser par écrit des questions auxquelles le conseil d’administration ou le directoire, selon le cas, est tenu de répondre au cours de l’assemblée, une réponse commune pouvant être apportée à ces questions dès lors qu’elles présentent le même contenu. Et la réponse à une question écrite est réputée avoir été donnée dès lors qu’elle figure sur le site internet de la société dans une rubrique consacrée aux questions-réponses.

En l’espèce, en refusant de procéder à la lecture de la question écrite et en s’abstenant par ailleurs d’y répondre, la société A a violé les dispositions du texte, dès lors que cela a privé l’assemblée des actionnaires d’un débat relevant incontestablement de la marche des affaires de la société et, partant, de son intérêt social puisqu’il s’agit :

— d’une part, de l’existence d’un « montage financier » élaboré par W-AA AB et AL-AM AN au bénéfice des principaux cadres dirigeants de la société, qualifie d’ 'abus de droit’ par la Commission des infractions fiscales (JDD, 22 avril 2012) ;

— d’autre part, du fait que les sommes perçues par ces derniers au titre de la vente de leurs actions pourraient se voir qualifier de salaires et impliquer un redressement de la société A pour ce qui concerne les cotisations sociales.

Monsieur Q B DE D souligne que :

— une précédente question de sa part avait été intégralement lue lors de l’assemblée générale du 30 mai 2011,

— lors de l’assemblée générale de la société A-Z, société mère de A dont elle détient 35% et qui regroupe les membres de la famille A, laquelle s’est tenue le 7 juin 2012, soit quelques jours après l’assemblée de la société A, sa question identique a été résumée de manière extrêmement circonstanciée et a obtenu une réponse (pièce 26 et 27).

— l’AMF a expressément insiste sur la nécessite d’un dialogue permanent entre actionnaires et émetteurs en amont et en aval de l’assemblée par :

— la possibilité pour les actionnaires d’exprimer leurs préoccupations est un élément important de dialogue, lequel se réalise par des propositions de résolution de points à l’ordre du jour ou par des questions écrites et orales.

— la publication sur Internet des réponses aux questions écrites transmises en amont de l’assemblée générale.

(pièce 30: extraits du rapport de l’AMF sur les assemblées générales d’actionnaires de sociétés cotées en date du 2 juillet 2012).

Or, aucune des questions regroupées n’a été réellement portée à la connaissance des actionnaires, de sorte que ces derniers ne pouvaient savoir si lesdites questions comportaient un même contenu qui aurait pu, le cas échéant, justifier qu’une réponse commune y soit apportée par la société A. Et la société A ne rapporte toujours pas la preuve et il y a lieu de considérer que l’amalgame et l’assimilation artificielle de sa question avec celle d’autres actionnaires a permis à la société A de se soustraire des obligations posées par l’article L.225-108 du Code de commerce.

Sa question était en lien avec la gestion et la marche des affaires de la société A et non une simple « hypothèse» qui ne serait pas en lien avec la gestion et la bonne marche des affaires de la société A puisqu’est en cause : .

montage financier» qualifié d’ 'abus de droit’ par la Commission des infractions fiscales dans le cadre du dossier dit SOLFUR ;

S’agissant en particulier du montage SOLFUR, la société A se trouve assignée par plusieurs de ses anciens cadres qui sollicitent sa condamnation solidaire aux cotes, notamment, de Messieurs W-AA AB et AL-AM AN, pour des montants de plusieurs millions d’euros (pièce 16: dépêche AFP du 20 décembre 2012 ; pièce 17: article challenges.fr du 5 décembre 2012 ; pièce 23: article L’Express du 3 juillet 2013 ; pièce 24: article france24.com du 18 septembre 2013 ; pièce 25 : article lexpansion.lexpress.fr du 18 septembre 2013).

La presse a en outre rendu compte de la proposition faite par la société A, par l’intermédiaire de l’une de ses filiales, d’indemniser ses collaborateurs ayant pris part au montage SOLFUR et de les garantir d’un éventuel redressement fiscal au titre de ce montage (pièce 12 : Article Le Parisien du 30 septembre 2012), au point que la société A a cru devoir communiquer sur cette information sur son propre site Internet (pièce 15 : communiqué de la société A en date du 30 septembre 2012). La société A a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs perquisitions dans ce cadre au cours des années 2012 et 2013 (cf not. pièce 29 : article lexpansion.lexpress.fr du 18 octobre 2013 : 'nouvelle perquisition au siège de A')

S’agissant de la vente d’Editis, la requalification des plus-values en salaires est désormais envisagée par l’administration fiscale (cf. pièce n°20 : article IDD du 31 mars 2013).

La question posée lors de l’assemblée générale du 4 juin 2012 différait de celle posée lors de l’assemblée de 2011 et n’appelait par conséquent pas la même réponse et les articles de presse ayant servi de base à la question de Monsieur Q B DE D dataient tous deux de moins de six mois au jour de la question posée par ce dernier et faisaient ainsi état de développements récents.

L’article L.225-108 du Code de commerce n’interdit nullement a un actionnaire de reposer une question a laquelle il considère qu’aucune réponse satisfaisante n’a été précédemment apportée lors de la précédente assemblée générale.

Sur les mesures de réparation

Par ses agissements, la société A a porté atteinte au droit d’actionnaire que Monsieur Q B DE D tire de l’article L.225-108 du Code de commerce et la faute de la société A lui a causé un préjudice qui s’est trouvé dans l’impossibilité de voir soumise a l’assemblée générale de la société dont il est l’un des principaux actionnaires individuels, une question justifiant un débat légitime.

S’il appartient donc a la société A de réparer le préjudice subi par lui, il ne formule aucune demande financière mais sollicite des mesures de publication judiciaires lesquelles ont pour objet d’informer les actionnaires de la société A de l’éviction irrégulière de la question posée, ainsi que de son contenu précis et de la réponse que la société A entend y apporter.

Par ailleurs, il serait inéquitable que les frais que le concluant a été contraint d’exposer pour voir respecter ses droits demeurent a sa charge. C’est la raison pour laquelle il sollicite l’allocation d’une somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

En revanche, il ne saurait être fait droit, en tout état de cause, aux demandes « totalement fantaisistes » de la société A, totalement « infondées », soulignent la volonté de la société A d’exercer une « pression économique inacceptable » sur lui.

*

La société A demande à la Cour de :

DIRE ET JUGER la société A recevable et bien fondée en son appel incident et en ses écritures ;

Y FAISANT DROIT :

A titre principal :

— INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 4 décembre 2012 en ce qu’il a jugé recevable les demandes de Monsieur Q B de D ;

en conséquence, statuant à nouveau,

juger les demandes de Monsieur Q B de D irrecevables ;

A titre subsidiaire :

— CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 4 décembre 2012 en toutes ses dispositions ;

en conséquence,

DEBOUTER Monsieur Q B de D de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

En tout état de cause :

— CONDAMNER Monsieur Q B de D à verser à la société A la somme de 50.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— CONDAMNER Monsieur Q B de D aux entiers dépens,

Sur la recevabilité des demandes de Monsieur Q B de D

La société A soutient que :

— l’argument tiré de l’irrecevabilité de l’action engagée par Monsieur Q B de D a été évoqué par A lors de l’audience de plaidoiries tenue devant Monsieur le juge-rapporteur auprès du Tribunal de commerce de Paris. Monsieur Q B de D fonde ses demandes à l’encontre de A sur l’alinéa 3 de l’article L. 225-108 du code de commerce alors que l’obligation prévue par le texte pèse sur le conseil d’administration ou le directoire de la société et non sur la société elle-même. Et les éventuels manquements aux dispositions de ce texte ne peuvent, en tout état de cause, qu’être dirigés à l’encontre des dirigeants de la société et non à l’encontre de A elle-même.

— l’article L. 225-108 al. 3 fait expressément peser l’obligation de réponse aux questions écrites sur les dirigeants et non pas sur la société. Ainsi, à défaut d’être légalement tenus à l’obligation de réponse prévue par l’article L. 225-108 du code de commerce, ni A, ni son directeur juridique n’ont pu commettre une quelconque violation de ce texte.

— aucune disposition du code de commerce ne sanctionne spécifiquement le non-respect de l’article L. 225-108.

— la demande de publication de sa question écrite sur le site internet de A n’est en rien « une simple application du dernier alinéa de l’article L. 225-108 du Code de commerce » qui dispose que « la réponse à une question écrite est réputée avoir été donnée dès lors qu’elle figure sur le site Internet de la société » et donc ce texte ne se réfère pas à la publication de la question écrite mais uniquement à la publication de la réponse, cette dernière étant au demeurant une simple faculté et non une obligation permettant de suppléer à la réponse en cours d’assemblée.

Le Jugement du 4 décembre 2012 sera donc réformé sur ce point, et Monsieur Q B de D jugé par la Cour irrecevable à agir à l’encontre de A.

Sur l’article L. 225-108 al. 3 du code de commerce

La société A rappelle que les premiers juges ont souligné :

— que l’article L. 225-108 du code de commerce « ne comporte pas l’obligation pour le directoire de la société de procéder à la lecture intégrale des questions écrites » ;

— « que ce texte prévoit également la possibilité de répondre à la question sur le site internet de la société, mais n’impose pas d’avantage l’obligation de publier intégralement le texte des questions posées » ;

— qu’une réponse à la question posée par Monsieur Q B de D « a été donnée, dans le cadre d’une réponse commune à plusieurs questions ayant le même contenu, comme le permet l’article L. 225-108 du code de commerce ;

— qu’il a été plus précisément indiqué pour quelles raisons ne seraient évoqués que les points nouveaux et en relation avec la vie sociale, les questions étant jugées par A soit « sans rapport avec les comptes mis à l’approbation des actionnaires, soit couverts par le secret fiscal en ce qu’elles, soit faisaient l’objet de procédures judiciaires ou fiscales, soit reprenaient des articles de presse’ou avaient déjà été posées l’année dernière et (') n’appelaient pas de nouvelle réponse » » ;

— qu’en outre, la question de Monsieur Q B de D qui visait l’hypothèse « si la société se trouve atteinte » « n’évoquait ainsi qu’une éventualité dont il n’est pas prouvé qu’elle s’était réalisée à la date à laquelle l’assemblée se tenait » ;

— « que Monsieur Q B de D ne peut sérieusement faire grief à A de ne pas avoir répondu à une question qui ne portait que sur une simple hypothèse, qui ne pouvait être considérée comme ayant un lien avec la gestion et la marche des affaires, dont l’examen constitue l’objet même de l’assemblée générale annuelle des actionnaires » ;

— qu’enfin « A avait (') déjà répondu à la question de M. B DE D, que celui-ci posait à nouveau en 2012 ».

En l’occurrence, le Tribunal de commerce de Paris a ainsi fait une exacte appréciation, non seulement des faits de la cause, mais aussi de l’article L. 225-108.

Le Jugement du 4 décembre 2012 ne pourra qu’être confirmé, les droits des actionnaires de A ayant été scrupuleusement respectés lors de l’assemblée générale du 4 juin 2012 et les demandes formulées par Monsieur B de D étant manifestement infondées et disproportionnées.

S’agissant de la question de Monsieur Q B de D, le directoire a valablement traité la question posée alors qu’il n’y était nullement tenu.

La loi ne contient aucune obligation de procéder à la lecture intégrale des questions écrites et pour des raisons évidentes de simplification, l’ordonnance n°2010-1511 du 9 décembre 2010 a autorisé le directoire à regrouper les questions par thèmes pour y apporter une « réponse commune ».

Le directoire a choisi de regrouper la question de Monsieur Q B de D avec celle d’autres actionnaires. Et il a été indiqué aux actionnaires réunis pourquoi ces questions étaient regroupées : il convenait de les « traiter ensemble dans la mesure où elles sont fondées sur des articles de presse relatifs à A ou à la situation de ses dirigeants et ex-dirigeants ». Il n’est pas contesté que sa question a été citée durant l’assemblée générale et que son nom a été mentionné.

De plus, l’alinéa 4 de l’article L. 225-108 dispose que « La réponse à une question écrite est réputée avoir été donnée dès lors qu’elle figure sur le site internet de la société dans une rubrique consacrée aux questions-réponses ». Ainsi, si la société souhaite ne pas répondre en séance à une question écrite, elle peut à sa guise en publier la réponse ' et la réponse seulement ' sur une page dédiée de son site.

Une fois encore, la loi ne contient aucune prescription s’agissant de la publication intégrale du texte des questions soumises.

La loi n’entend pas donner une libre tribune aux actionnaires, mais offrir à ceux-ci de se prononcer en connaissance de cause sur l’ordre du jour qui leur est soumis.

Si le rapport AMF souligne la nécessité d’un dialogue permanent avec les actionnaires, il n’indique pas qu’une lecture ou une publication intégrale des questions écrites, au demeurant contraire aux dispositions légales qui permettent le regroupement de plusieurs questions, s’impose. L’AMF n’invite pas non plus les sociétés à donner une réponse aux questions sans rapport avec les comptes de l’exercice soumis à l’assemblée. Bien au contraire, l’autorité régulatrice indique que certaines questions, telles que les questions commerciales concernant individuellement un actionnaire, devraient être écartées de l’assemblée, et traitées par un autre vecteur que l’assemblée générale.

Et si en vertu de l’article L. 225-108 al. 3 du code de commerce, le directoire est « tenu » de répondre aux questions écrites des actionnaires, il résulte du silence de la loi que le directoire est seul maître de la substance de la réponse apportée. Sauf à se trouver en matière de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, ni les actionnaires, ni même le juge, qui n’a pas à s’immiscer dans la gestion de la société, ne sauraient contrôler a posteriori le contenu de cette réponse.

Le directoire n’était pas tenu de répondre à la question car :

— elle était « sans rapport avec les comptes de l’exercice » soumis à l’approbation de l’assemblée puisque la question de Monsieur Q B de D concerne les éventuelles mesures que A serait amenée à prendre dans l’hypothèse où elle se trouve atteinte par les procédures fiscales ne la concernant pas et évoquées par les articles de presse joints à la question. D’ailleurs, plus de dix-sept mois après l’assemblée générale du 4 juin 2012, A n’est pas plus concernée qu’elle ne l’était à l’époque par ces procédures, et ne s’en trouve donc pas « atteinte ». Et la société A lorsqu’elle se défend devant les juridictions, en tient le public et ses actionnaires informés, dans le document de référence de A (Pièces n°8 et 9).

— Elle portait sur des sujets « couverts par le secret fiscal », faisant « l’objet de procédures judiciaires ou fiscales » concernant des personnes physiques et non la société A. Le premier article de presse cité par Monsieur Q B de D dans sa lettre du 25 mai 2012 évoquait « une nouvelle notification fiscale » reçue par « le Baron Seillière et onze autres dirigeants ou ex-dirigeants ». Le second article cité faisait état de « la décision des Impôts de déclencher une enquête pénale » contre les « intéressés », qui sont des personnes physiques et non la société A.

— elle avait « déjà été posée l’année dernière et n’appelait pas de nouvelle réponse », Monsieur Q B de D indiquant lui-même : « j’ai l’honneur de vous poser la question identique à l’an dernier».

— elle était spécieuse puisqu’elle était basée sur l’appropriation par les managers de près de 5% du capital alors que l’opération avait été « autorisée par le Conseil de surveillance de A du 29 janvier 2007, sur recommandation du Comité de gouvernance, et approuvée par l’assemblée des actionnaires du 4 juin 2007 à 98% des voix, conformément à la procédure des conventions règlementées ». Elle a été traitée de la même façon que la question écrite posée par Monsieur Q B de D lors de l’assemblée générale de la société A Z du 7 juin 2012 puisque la question n’a pas été lue intégralement mais résumée avec la précision que « Monsieur Q B de D revient sur les articles de presse évoquant des redressements fiscaux notifiés à des dirigeants et cadres supérieurs de A » et elle a reçu la réponse suivante : « les redressements fiscaux que vous évoquez et qui sont couverts par le secret fiscal ne concernent pas la société A-Z. Comme cela a été indiqué à plusieurs reprises et, en particulier lors de l’assemblée générale du 9 juin 2011, nous nous refusons de porter un avis sur des procédures en cours » (Pièce adverse n°27).

Il est ainsi demandé à la Cour de confirmer le Jugement.

Sur le préjudice invoqué et sa réparation

L’intimée souligne qu’alors qu’il n’alléguait l’existence d’aucun préjudice en première instance, Monsieur Q B de D prétend dans ses conclusions devant la Cour qu’il aurait subi un préjudice résultant de « l’impossibilité de voir soumise à l’assemblée générale de la société dont il l’un (sic) des principaux actionnaires une question justifiant un débat légitime ». Et il demande à voir réparer le préjudice subi au moyen des mesures suivantes :

— la publication de sa question écrite et de la réponse de A en page d’accueil du site internet de la société ;

— la publication d’un communiqué judiciaire faisant état de la décision à intervenir en page d’accueil du site internet de la société, pendant une durée d’un mois ;

— la publication d’un communiqué judiciaire faisant état de la décision à intervenir dans deux journaux aux frais de A.

La société A considère ces demandes infondées et parfaitement disproportionnées et qu’elles devront être rejetées par la Cour.

Outre le fait que l’obligation résultant pour le directoire de l’article L. 225-108 du code de commerce n’est assortie d’aucune sanction spécifique, et donc pas de la publication ex-post facto de communiqués, Monsieur Q B de D tente artificiellement de faire croire à la Cour qu’il a subi un préjudice personnel, à savoir celui de s’être « trouvé dans l’impossibilité de voir soumise à l’assemblée générale de la société dont il l’un (sic) des principaux actionnaires une question justifiant un débat légitime ».

En outre, le préjudice artificiellement allégué par Monsieur Q B de D ne lui est pas personnel : même s’il était établi, comme le soutient l’appelant, que sa question n’a pas été « réellement portée à la connaissance des actionnaires », seuls des actionnaires qui n’auraient pas eu connaissance de sa question ' ce qui n’est évidemment pas son cas ' seraient éventuellement recevables à agir en réparation d’un préjudice.

Enfin, les mesures sollicitées sont enfin manifestement disproportionnées car ce sont les sociétés cotées elles-mêmes qui doivent s’assurer « de la diffusion effective et intégrale de l’information réglementée » les concernant et même lorsque l’Autorité des marchés financiers prononce une décision visant un émetteur, celle-ci peut être publiée, mais exclusivement sur le site internet de l’AMF. Monsieur Q B de D demande donc à la Cour de prononcer une sanction que l’AMF, elle-même, n’a pas le pouvoir de prononcer.

Dès lors, constatant que les mesures sollicitées ne sont en rien susceptibles de remédier à une situation ne le nécessitant pas, la Cour, faisant une juste application du principe de proportionnalité dont elle est garante, confirmera le Jugement du 4 décembre 2012 en ce qu’il a rejeté l’ensemble des demandes de Monsieur Q B de D.

Sur les frais irrépétibles

Considérant que :

— Monsieur Q B de D a introduit son action avec une légèreté blâmable., sollicitant à l’encontre de la mauvaise personne des mesures infondées, disproportionnées et manifestement contraires à l’intérêt social,

— il a souhaité donner une certaine publicité à la qualité de ses relations avec A, la presse le comptant au nombre des « rebelles de la famille », soulignant ainsi son animosité ' même feutrée ' à l’égard de la société (Pièces n°4 et 5) et contraignant cette dernière à fournir un travail très important pour se défendre, en première instance, puis en appel.

— la société A qui a été contrainte d’engager des frais irrépétibles importants afin de simplement faire valoir ses droits dans le cadre de la présente procédure, demande donc à la Cour de condamner Monsieur Q B de D à lui verser la somme de 50.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de la présente instance.

SUR CE,

Sur la recevabilité

La cour considère que :

1 – Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages et intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt, ce qui n’est pas le cas dès lors que l’argument avait été abordé en première instance.

2- Si la réponse aux questions écrites est mise sur la personne des dirigeants, cela ne signifie pas que le débiteur de l’obligation soit ces derniers in personam ; l’obligation pèse sur la société représentée par ses mandataires. On comprend ainsi que l’obligation mise sur les dirigeants ne soit pas sanctionnée en tant que telle, elle est susceptible cependant de créer un dommage justifiant la responsabilité de l’entreprise ;

Par ailleurs, il n’y a là aucune contradiction avec les dispositions de l’article L. 225-251 du code de commerce qui prévoit que « les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ».

En effet :

* la société est engagée par les actes de ses dirigeants dans la mesure où ils agissent dans l’exercice de leurs fonctions car ils incarnent la société au nom et pour le compte de laquelle ils s’expriment, d’ailleurs, il se déduit de l’article 1842 du Code civil que les dirigeants sont non seulement des mandataires sociaux mais aussi des organes légaux de représentation.

* de la même façon que les manquements à la bonne information du public, commis au nom et pour le compte de la société, sont imputés à celle qui fait appel public à l’épargne ou émet des titres cotés sur un marché réglementé, les fautes commises dans la bonne information des actionnaires lui sont imputables.

3- Au surplus, l’article L. 225-252 du code de commerce ouvre aux actionnaires la faculté de demander réparation du préjudice subi par la société en raison d’une faute commise par un ou plusieurs de ses dirigeants, puisque la société est régulièrement mise en cause (article R. 225-170 du code de commerce).

La cour déclarera ainsi recevable le moyen soulevé par la société A et dira recevable la demande de Monsieur B DE D,

Sur la portée de l’article L 225-108 du code de commerce et le dialogue de gestion du point de vue de la « hard law »

La cour rappelle qu’au terme de l’artic1e L.225-108 du Code de commerce :

— la société ' doit adresser ou mettre à la disposition des actionnaires les documents nécessaires pour permettre à ceux-ci de se prononcer en connaissance de cause',

— le conseil d’administration ou le directoire, selon le cas, doit adresser ou mettre à la disposition des actionnaires les documents nécessaires pour permettre a ceux-ci de se prononcer en connaissance de cause et de porter un jugement informé sur la gestion et la marche des affaires de la société,

— tout actionnaire a la faculté de poser par écrit des questions auxquelles le conseil d’administration ou le directoire, selon le cas, est tenu de répondre au cours de l’assemblée et une réponse commune peut être apportée à ces questions dès lors qu’elles présentent le même contenu.

Ainsi, il ressort de ces dispositions que sur les questions écrites :

Du point de vue de la « soft law »

Un nombre croissant d’investisseurs pratiquent l'« engagement », c’est à dire une approche qui consiste à faire pression sur les entreprises par l’exercice du droit de vote ou par le dialogue dans le but de faire évoluer leurs pratiques et tant les investisseurs institutionnels que les sociétés de gestion, associations d’actionnaires individuels, organisations non gouvernementales (ONG) utilisent ce levier d’action pour pousser l’entreprise à élargir une responsabilité sociale et environnementale passée dans le droit positif, laquelle ne se limite plus au social tel que résultant du code du travail et notamment de l’obligation de sécurité ni à l’environnement stricto sensu au sens du code portant ce nom mais s’étend à ce qui constitue l’entreprise comme acteur de la Société où elle intervient, quel qu’en soit le lieu.

A, société cotée ne peut ignorer ces pratiques actionnariales qui sont aujourd’hui « normales », c’est à dire naturelles aux Etats-Unis et dans les pays du Nord de l’Europe, même si elles restent discrètes ou ponctuelles en France et plus encore dans les entreprises d’origine familiale, mais la cour ne peut ignorer que les choses évoluent puisque selon des données publiques :

—  25% des entreprises du CAC 40 ont dû aborder la question de leur responsabilité sociétale et environnementale (RSE) lors de la publication des comptes annuels 2010 (baromètre réalisé par Capitalcom).

— les questions écrites des actionnaires sur la politique sociale de l’entreprise ont représenté 14% des interrogations en 2010 contre 1% en 2009 (InvestorSight).

— de nombreuses ONG françaises préparent « une démarche d’engagement avec les entreprises » (étude de l’ORSE) et les syndicats commencent également à se pencher sur la question en France puisqu’en 2010, la CFDT a ainsi été le premier syndicat français à signer les « Principes pour un Investissement Responsable » (PRI) portés par l’ONU à travers le monde.

— la crise financière a éveillé l’attention que l’on devait porter, sinon les consciences, aux limites d’une finance exclusivement concentrée sur la rentabilité à court terme.

Cette nouvelle dimension ne figure pas encore dans la loi (hard law) mais, s’agissant de sociétés cotées sur les marchés internationaux, elle a pénétré dans les exigences des régulateurs de marché (soft law) et s’inscrit dorénavant de plus en plus dans les règles de bonne conduite de l’AMF.

En l’occurrence, il ne s’agit pas d’un droit nouveau mais de la mise en 'uvre pratique du droit ouvert aux actionnaires à l’occasion de toute assemblée générale, afin de :

— leur permettre de voter sur les résolutions à l’ordre du jour en connaissance de cause,

— leur permettre de prendre connaissance des perspectives d’avenir de l’entreprise et d’apprécier la question de savoir s’ils doivent maintenir leur participation au capital ou se retirer en fonction de l’appréciation faite par eux des difficultés réelles ou potentielles auxquelles celle-ci est ou sera confrontée, sachant que les entreprises soumises au règlement général de l’AMF ou à un standard étranger équivalent ont une obligation de contrôle interne et de conformité (compliance) les conduisant à une obligation de cartographie des risques, y compris opérationnels, et de communication sur le sujet par le jeu d’un rapport.

Ainsi, les obligations d’information à la charge des sociétés ont profondément évolué pour faire en sorte que la société « boîte noire » devienne une « boîte de verre », soumise aux contraintes des marchés qui postulent plus d’informations, à la fois en quantité et en nature, et dans un délai raccourci. Cela se traduit par une obligation de l’entreprise de rendre des comptes à la collectivité dans laquelle elle s’insère comme aux actionnaires qui la portent, via une obligation d’information financière et extra-financière renforcée, de tout ce qui la concerne non seulement au plan purement patrimonial ou financier mais plus largement de tout ce qui impacte ces données.

Du caractère recevable de la question et de l’obligation d’y répondre

La société A soutient que la question ne la concernait pas car elle porte sur une procédure fiscale et accessoirement pénale visant des dirigeants de la société A et que cela est sans lien avec la gestion et la marche des affaires, alors que l’appelant défend l’idée qu’au contraire la question les concerne et touche à l’intérêt social puisqu’il s’agit :

— d’une part, de l’existence d’un « montage financier » élaboré par W-AA AB et AL-AM AN au bénéfice des principaux cadres dirigeants de la société, qualifié d’ 'abus de droit’ par la Commission des infractions fiscales (JDD, 22 avril 2012) ;

— d’autre part, du fait que les sommes perçues par ces derniers au titre de la vente de leurs actions pourraient se voir qualifier de salaires et impliquer un redressement de la société A pour ce qui concerne les cotisations sociales.

— enfin, la société A a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs perquisitions dans ce cadre au cours des années 2012 et 2013.

La cour rappelle que l’article L 225-100 du code de commerce, à propos de l’AGO, relève que le rapport de gestion doit aujourd’hui comprendre également une description des principaux risques et incertitudes auxquels la société est confrontée et que la question écrite de Monsieur Q B de D en ce qu’elle évoque « les moyens envisagés par le directoire pour préserver la société A et ses actionnaires, voir (sic) pour obtenir réparation, si la société se trouve atteinte » par les affaires relatées par la presse concernant la situation personnelle de ses dirigeants et ex-dirigeants, n’est pas hypothétique mais rentre dans un risque ou une incertitude.

La société A soutient que la question ne rentrait pas dans l’ordre du jour.

La cour considère cependant que la question de l’ordre du jour n’est pas en cause : certes, celui-ci est fixé par le conseil d’administration et l’AGO ne peut délibérer sur une question qui n’est pas inscrite à l’ordre du jour (article L225-105 du code de commerce) mais il ne s’agit pas ici de délibérer sur les questions posées par les actionnaires mais de répondre à des questions écrites ; et l’article L 225-108 prévoit le droit de l’actionnaire de poser par écrit des questions, sans limiter ce droit, et il ajoute que le conseil d’administration ou le directoire est tenu de répondre au cours de l’assemblée ou, à compter de l’exercice 2011, sur le site internet de la société dans une rubrique consacrée aux questions-réponses, étant ajouté qu’une réponse commune aux questions est dorénavant possible dès lors qu’elles présentent le même contenu.

Et, s’il est soutenu que la directive 2007/36/CE du 11 juillet 2007 dans le considérant 8 dispose que « Chaque actionnaire devrait, en principe, avoir la possibilité de poser des questions en rapport avec les points inscrits à l’ordre du jour de l’assemblée générale et de recevoir des réponses », il n’y a lieu de soutenir qu’a contrario cela exclut la possibilité de poser des questions en dehors de l’ordre du jour, non seulement parce que le droit européen n’a vocation qu’à imposer un standard de base commun sans interdire aux États d’aller plus loin dans ses exigences mais cette directive ne tient pas compte de l’évolution de la pratique et des exigences sociétales ; on conçoit que la définition à 27 d’une règle européenne ne pouvant que résulter d’un processus long, inadapté aux évolutions de l’économie et de la finance, ait conduit à la mise en place d’une régulation de marché confiée à des organismes ou entités permettent d’être plus réactif.

Il s’en déduit que la réponse est obligatoire

La société A soutient que la réponse a été apportée puisqu’il a déjà été répondu à celle-ci.

En l’occurrence, en 2011, il avait été répondu à la même question que celle-ci et d’autres concernaient des personnes physiques et étaient couvertes par le secret de l’instruction ou le secret fiscal ; qu’elles ne concernaient pas la société A et ne relevaient pas de la compétence de l’assemblée générale. En 2012, il était répondu que la question était soit sans rapport avec les comptes mis à (votre) approbation ; soit couverts par le secret fiscal ; soit font l’objet de procédures judiciaires ou fiscales ; soit reprennent des articles de presse alimentés et téléguidés par les personnes-mêmes qui posent les questions ou leurs proches.

En l’occurrence, se trouve en cause l’opération qui a permis, en 2007, à des cadres et dirigeants de s’approprier pour 324 millions d’euros d’actions A achetées 4,5 fois moins cher et s’est traduite par un redressement fiscal lié au montage Solfur, une sanction par l’Autorité des marchés financiers pour avoir dissimulé une montée au capital de Saint X, une plainte en abus de biens sociaux, une procédure pénale pour fraude fiscale, sur fond de dissension familiale et de révélations de la presse face à une opacité organisée par les mis en cause pour expliquer la fameuse opération.

Il est donc patent que les actions en cause ont été menées à l’aide des structures d’appui familiales du Groupe A et concernent la société A directement en ce que ses titres sont manipulés et ses dirigeants et cadres sont visés, ce qui ne peut manquer d’avoir des répercussions sur le titre WENDE, au-delà des conséquences éventuelles sur les personnes physiques ou morales agissantes.

Quant à la réponse à donner à la question, elle n’impliquait nullement de violer le secret fiscal ou le secret de l’instruction.

La cour rappelle qu’il y a lieu ici de se référer à ce stade aux obligations spécifiques pesant sur les sociétés cotées et l’exigence d’ « information permanente », qui contraint l’émetteur à porter à la connaissance de l’investisseur tout fait susceptible d’avoir un impact sur le cours des titres et de délivrer une information exacte, précise et sincère.

Cette exigence impose à la société de porter dès que possible à la connaissance du public toute information « privilégiée » qui la concerne directement. Elle peut, «sous sa propre responsabilité, différer la publication d’une information privilégiée afin de ne pas porter atteinte à ses intérêts légitimes, sous réserve que cette omission ne risque pas d’induire le public en erreur et que l’émetteur soit en mesure d’assurer la confidentialité de ladite information en contrôlant l’accès à cette dernière». Et « tout changement significatif concernant des informations privilégiées déjà rendues publiques doit être divulgué rapidement selon les mêmes modalités que celles utilisées lors de leur diffusion initiale».

Autrement dit, pour les sociétés cotées, l’obligation informationnelle «classique» centrée sur les états financiers périodiques et le rapport de gestion dans le cadre des assemblées générales demeure certes une pièce importante et essentielle du dispositif informationnelle mais il n’est qu’un aspect de l’obligation d’information de l’entreprise, non seulement parce qu’il relate pour l’essentiel des faits passés qui sont, en principe, déjà incorporés dans le prix des instruments financiers mais surtout parce qu’il omet l’essentiel pour la société cotée, qui est d’assurer la permanence de sa cotation et elle se doit pour cela d’anticiper les évolutions futures et donc les risques.

Autrement dit, il appartenait à la société A d’éclairer les actionnaires autres que familiaux sur ces procédures en cours dès lors que la société se trouve cotée, sauf à admettre que les actionnaires puissent se trouver sur un pied d’inégalité alors que le code monétaire et financier prohibe les pratiques ayant pour effet, non seulement de fausser le fonctionnement du marché, mais aussi de porter atteinte à l’égalité d’information et de traitement des actionnaires ou à leurs intérêts.

En l’espèce, les dirigeants de la société A montrent s’être comportés comme les mandataires de l’actionnariat majoritaire et non celui de la société alors que par le jeu de l’appel public à l’épargne, elle sollicite l’investissement de ses actionnaires pour pouvoir satisfaire son objet social et que le métier choisi par elle soit un fonds d’investissement (société d’investissement spécialisée dans le développement à long terme d’entreprises leaders dans leur secteur et détient ainsi des Z dans des sociétés), a pour objet d’attirer des investisseurs par la rentabilité de ses prises de Z.

Sur le préjudice

Monsieur B DE D soutient que la violation de l’article L 225-108 du code de commerce (la faute) lui a causé un préjudice et que la société A lui en doit réparation.

La cour observe que l’appelant :

— n’invoque aucun préjudice personnel et la violation d’une règle propre à l’information des actionnaires concerne a priori tous les actionnaires sauf à démontrer l’existence d’un préjudice autonome ce que le seul fait d’avoir été l’auteur de la question ne suffit pas à faire.

— n’invoque aucun préjudice au nom de la société.

Dès lors, le jugement sera confirmé, par substitution de motifs, en ce qu’il a débouté Monsieur B DE D de ses demandes.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La cour fera droit aux demandes de l’appelant et celles de l’intimée seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

Déclare recevable l’action de Monsieur B DE D à l’encontre de la société A

Confirme le jugement en ce qu’il a débouté celui-ci de ses demandes, MAIS, PAR SUBSTITUTION DE MOTIFS :

Condamne la société A à verser à Monsieur B DE D la somme de 5000€ au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile

Condamne la société A aux dépens de première instance et d’appel

Rejette toutes autres demandes, fins et conclusions.

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT,

V. PERRET F. H

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Cour d'appel de Paris, 19 décembre 2013, n° 12/22644