Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 7, 20 décembre 2018, n° 18/03421

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 7, 20 déc. 2018, n° 18/03421
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/03421
Dispositif : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Texte intégral

Grosses délivrées

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 7

ARRÊT DU 20 DÉCEMBRE 2018

(n° , 19 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 18/03421 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5BJG

Décision déférée à la cour : décision n° 18-D-01 du 18 Janvier 2018 de l’Autorité de la concurrence

REQUÉRANTES :

La Société SOS-Infirmières S.A.R.L.

prise en la personne de son gérant

inscrite au RCS de Paris sous le n° 487 839 904

ayant son […]

[…]

Elisant domicile au cabinet de Maître Matthieu BOCCON-GIBOD

[…]

[…]

La Société Infirmières-Secours Orléans S.A.R.L.

prise en la personne de son gérant

inscrite au RCS d’Orléans sous le n° 513 677 179

ayant son […]

[…]

Elisant domicile au cabinet de Maître Matthieu BOCCON-GIBOD

[…]

[…]

La Société Infirmières-Secours Montreuil S.A.R.L.

prise en la personne de son gérant

inscrite au RCS de Beauvais sous le n° 511 980 203

ayant son […]

[…]

Elisant domicile au cabinet de Maître Matthieu BOCCON-GIBOD

[…]

[…]

La Société F G S.A.R.L.

prise en la personne de ses gérants

inscrite au RCS de Bordeaux sous le n° 788 561 504

ayant son siège social 6 cours de Tournon

[…]

Elisant domicile au cabinet de Maître Matthieu BOCCON-GIBOD

[…]

[…]

La Société X S.A.R.L.

prise en la personne de ses gérants

inscrite au RCS de Nanterre sous le n° 512 686 676

ayant son […]

92100 BOULOGNE-BILLANCOURT

Elisant domicile au cabinet de Maître Matthieu BOCCON-GIBOD

[…]

[…]

R e p r é s e n t é e s p a r M e M a t t h i e u B O C C O N – G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

assistées de Me Alexandre GLATZ, plaidant pour la SELAS OSBORNE CLARKE, avocat au barreau de Paris, toque C 1965

EN PRÉSENCE DE :

L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

prise en la personne de sa présidente

[…]

[…]

représentée par Messieurs B C et D E, dûment mandatés

MONSIEUR LE MINISTRE CHARGÉ DE L’ÉCONOMIE

TELEDOC 252 – ZG.C.C.R.F.

[…]

[…]

non comparant ni représenté

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 15 novembre 2018, en audience publique, devant la cour composée de :

— M. K L, président de chambre, président

— Mme Valérie MICHEL- AMSELLEM, présidente de chambre

— Mme Sylvie TREARD, conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET

MINISTÈRE PUBLIC : représenté lors des débats par Madame Madeleine GUIDONI, avocate générale, entendue en ses observations

ARRÊT :

— réputé contradictoire

— rendu par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par M. K L, président de chambre et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * *

Vu la décision de l’Autorité de la concurrence n° 18-D-01 du 18 janvier 2018, relative à des pratiques mises en 'uvre par l’ordre national des infirmiers dans le secteur des prestations de services fournies aux infirmiers ;

Vu la déclaration de recours à l’encontre de cette décision, déposée le 16 février 2018 au greffe de la cour d’appel de Paris par les sociétés SOS-Infirmières, Infirmières-secours Orléans, Infirmières-secours Montreuil, F G et X, complétée par leurs mémoires, déposés les 23

mars et 26 septembre 2018 au greffe de la cour d’appel ;

Vu les observations déposées le 24 mai 2018 au greffe de la cour d’appel par l’Autorité de la concurrence ;

Vu la lettre du 28 mai 2018, déposée le 19 septembre 2018 au greffe de la cour d’appel, par laquelle le ministre chargé de l’économie a indiqué qu’il partageait l’analyse de l’Autorité et n’entendait pas présenter d’observations dans le cadre du présent recours ;

Vu l’avis déposé le 12 novembre 2018 au greffe de la cour d’appel par le Ministère public, communiqué le même jour aux parties ;

Après avoir entendu à l’audience publique du 15 novembre 2018, en leurs observations orales, le conseil des sociétés SOS-Infirmières, Infirmières-secours Orléans, Infirmières-secours Montreuil, F G et X, ainsi que le représentant de l’Autorité de la concurrence et le Ministère public, les requérantes ayant été mises en mesure de répliquer ;

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

1.Par une lettre, enregistrée le 26 février 2016, les sociétés SOS-Infirmières, Infirmières-secours Orléans, Infirmières-secours Montreuil, Infirmières secours Cergy-Pontoise, Auxilib, F G et X ont, ensemble, saisi l’Autorité de la concurrence (ci-après l’ « Autorité'» ) de pratiques mises en 'uvre par l’Ordre national des infirmiers dans le secteur des prestations de services fournies aux infirmiers pour l’exercice de leur profession.

2.Ces sept sociétés ont plus précisément fait valoir que l’Ordre national des infirmiers avait mis en 'uvre, au niveau départemental, un ensemble d’actions visant à les évincer du marché. À ce titre, elles se sont estimées victimes de pratiques de dénigrement et de boycott constitutives d’une entente au sens des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après l'« article 101, paragraphe 1 du TFUE » ).

Le secteur concerné et les parties en cause

3.L’Ordre national des infirmiers est issu de la loi n° 2006-1668 du 21 décembre 2006 portant création d’un ordre national des infirmiers. Organisme de droit privé, il est chargé de missions de service public qu’il accomplit par l’intermédiaire de conseils départementaux (ci-après les «'CDOI »), de conseils régionaux (ci-après les « CROI ») et du conseil national de l’Ordre (ci-après le « CNOI »).

4.L’Ordre national des infirmiers veille ainsi au respect des règles professionnelles imposées au infirmiers, notamment codifiées aux articles R. 4312-1 et suivants du code de la santé publique, tels que le respect de l’indépendance professionnelle, l’interdiction de compérage, à savoir l’intelligence entre deux ou plusieurs personnes en vue d’avantages obtenus au détriment du patient ou d’un tiers, et, pour les infirmiers exerçant à titre libéral, l’interdiction d’exercer leur profession dans un local commercial ou de faire de la publicité.

5.Pour pouvoir exercer la profession d’infirmier, le professionnel doit respecter plusieurs conditions énumérées aux articles L. 4311-2 et suivants du code de la santé publique, parmi lesquelles l’obligation d’inscription à l’Ordre des infirmiers, énoncée à l’article L. 4311-15 du même code, dont le respect conditionne leur adhésion à la convention nationale du 22 juin 2007 régissant leurs

rapports avec les organismes d’assurance maladie. Cette convention contraint les infirmiers à appliquer les tarifs fixés dans la nomenclature générale des actes professionnels, en contrepartie de quoi, la Caisse nationale d’assurance-maladie rembourse leurs patients à hauteur de 60 % de ces tarifs dans le cas général, et à 100 % si ceux-ci sont en affection longue durée.

6.Les demandes d’inscription au tableau de l’Ordre des infirmiers sont traitées par le CDOI. En cas de contestation, un recours administratif, préalable et obligatoire, doit être exercé devant le CROI (articles R. 4112-4 et R. 4112-5 du code de la santé publique), puis le CNOI (articles R. 4112-5 et R. 4112-5-1 du même code), avant de pouvoir faire l’objet d’un recours contentieux devant le Conseil d’État (article R. 4112-5-1 du même code).

7.La société SOS-Infirmières, société à responsabilité limitée, créée en 2005, est à la tête d’un groupe comprenant actuellement cinq autres sociétés ayant une activité locale. Elles développent leur activité en Gironde pour la société F G, dans le Loiret pour la société Infirmières-secours Orléans, dans le Bas-Rhin pour la société Prestidel, dans les Hauts-de-Seine pour la société X et en Seine-Saint-Denis pour la société Infirmières-secours Montreuil.

8.Toutes ces sociétés exercent une activité de prestations de services destinée à faciliter l’exercice de la profession d’infirmier libéral. À ce titre, elles fournissent à leurs clients, moyennant le paiement d’une somme mensuelle, un local permettant d’exercer l’activité d’infirmier libéral, un service de réception d’appels téléphoniques, la mise à disposition d’un outil informatique spécifiquement adapté et divers consommables, comme des gants stériles, des aiguilles et des seringues de diverses tailles, des tampons alcoolisés et un collecteur d’aiguilles usagées.

9.Par leur saisine, elles ont dénoncé diverses pratiques de plusieurs CDOI qui témoigneraient, selon elles, d’une discrimination contre les infirmiers ayant conclu un contrat avec elles et traduiraient une volonté de les évincer du secteur des prestations infirmières. Ces pratiques auraient consisté en des refus d’inscription au tableau de l’Ordre, des convocations devant des CDOI ou devant la commission de conciliation à la suite de plaintes, des propos dénigrants tenus à l’encontre de ce même groupe, des courriers adressés par l’Ordre national des infirmiers à ses adhérents et à des tiers, ainsi qu’en l’éviction d’une élue du CDOI du Loiret en raison de son lien avec une société du groupe SOS-Infirmières.

10.Par décision n° 18-D-01 du 18 janvier 2018, (ci-après la «'décision attaquée'»), l’Autorité a déclaré la saisine irrecevable en ce qui concerne les pratiques relatives à l’exercice des prérogatives ordinales de l’Ordre national des infirmiers et l’a rejetée pour le surplus, faute d’éléments suffisamment probants.

11.Cinq des sept sociétés saisissantes, les sociétés SOS-Infirmières, Infirmières-secours Orléans, Infirmières-secours Montreuil, F G et X (ci-après « les requérantes ») ont formé un recours contre cette décision de l’Autorité et demandent à la cour :

' d’annuler la décision attaquée et renvoyer l’affaire à l’instruction de l’Autorité pour y être statué à nouveau,

Ou à défaut,

' d’annuler la décision attaquée et statuer à nouveau par l’effet dévolutif de l’appel après avoir fixé un nouveau calendrier de procédure à cette fin ;

Et à ce titre,

' constater que l’Ordre national des infirmiers a enfreint les règles de l’article L. 420-1 du code de commerce et de l’article 101, paragraphe 1 du TFUE en mettant en 'uvre de façon systématique et

continue depuis 2010 des pratiques destinées à évincer le groupe SOS-Infirmières du marché des services aux infirmiers ;

' ordonner la cessation des pratiques constatées ;

' ordonner la publication de l’arrêt dans un journal quotidien national ainsi qu’un journal professionnel ;

Et en tout état de cause,

' condamner l’Autorité à leur verser la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

***

MOTIVATION

À titre liminaire, sur la violation de l’article R. 464-25-1 du code de commerce invoquée par les requérantes

12.Par leur recours, les requérantes soutiennent, à titre principal, que la décision d’irrecevabilité tenant à l’incompétence de l’Autorité doit être annulée en raison de l’atteinte portée au principe d’égalité des armes garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CESDH ») et l’affaire renvoyée à l’instruction de l’Autorité, ou «'à défaut'», que la cour doit annuler la décision attaquée et statuer à nouveau par l’effet dévolutif de l’appel, après avoir fixé un nouveau calendrier de procédure à cette fin. Elles font également valoir que la décision rejetant la saisine pour le surplus, fondée sur l’insuffisance d’éléments suffisamment probants, doit être annulée en raison de l’insuffisance de sa motivation, et l’affaire renvoyée à l’instruction, ou «'à défaut'», que la cour doit annuler la décision entreprise et statuer à nouveau par l’effet dévolutif de l’appel, après avoir fixé un nouveau calendrier de procédure à cette fin.

13.Aux paragraphes 7 à 13 de ses observations, l’Autorité soulève l’irrecevabilité partielle des « conclusions subsidiaires » présentées par les requérantes, tendant à ce que la cour statue après annulation en vertu de l’effet dévolutif du recours. Elle fait valoir que la cour d’appel ne pourrait que renvoyer l’affaire à l’instruction dès lors qu’elle ne dispose ni des pouvoirs ni des moyens de procéder à l’instruction d’une saisine dans les conditions de l’article L. 450-1 et suivants du code de commerce. Elle conclut, au paragraphe 100 de ses observations, qu’au « vu de ces éléments, l’ensemble des moyens invoqués par les sociétés SOS infirmières doivent être écartés, si bien que leur recours ne peut qu’être rejeté ».

14.Les requérantes soutiennent que l’Autorité s’est ainsi affranchie des règles applicables à la présentation « des arguments » devant la cour, telles que fixées à l’article R. 464-25 du code de commerce, et en déduisent que cette demande d’irrecevabilité de leurs conclusions subsidiaires doit être rejetée.

***

15.La cour rappelle qu’aux termes de l’article R. 464-25-1 alinéas 1er et 4 du code de commerce :

« Les parties comparantes qui présentent leurs prétentions par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat sont tenues de formuler expressément leurs prétentions et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation.

[…]

[…] La cour d’appel ou son premier président ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. »

16.Si, conformément aux termes de l’article R. 464-11 du code de commerce, l’Autorité est une partie à la présente instance, force est de constater qu’elle n’a pas, dans la présente procédure, été assistée ou représentée par un avocat. Il s’ensuit qu’elle n’est pas soumise aux exigences de l’article R. 464-25-1 du code de commerce relatives à la présentation de ses écritures sous forme de dispositif et que le moyen n’est pas fondé.

Sur la déloyauté et l’atteinte au principe d’égalité des armes invoquées par les requérantes

17.Les requérantes soutiennent que, faute d’avoir été informées, avant la séance, de l’orientation des services d’instruction concernant l’irrecevabilité d’une partie de la saisine, elles ont été privées de la possibilité de présenter une contestation raisonnée de cette analyse, en violation de l’article 6, paragraphe 1, de la CESDH. Elles ajoutent que ce n’est pas la méconnaissance du principe du contradictoire qu’elles reprochent à l’Autorité, mais le fait d’avoir adopté la décision attaquée en pleine conscience de la violation de leurs droits, laquelle résultait de la déloyauté manifestée par les services d’instruction dans l’organisation de la séance, qui les a induites en erreur sur les questions en débat au cours de celle-ci.

18.Elles rappellent que, dans un arrêt du 18 février 2016 (RG 2014/23387, ci-après « l’arrêt Celtipharm »), la cour d’appel de Paris a jugé que, lorsque les éléments versés au débat ne permettent pas de constater que la requérante était informée de l’objet de la séance devant le collège de l’Autorité ainsi que des éléments de fait et de droit sur lesquels le rapporteur s’est fondé, cette requérante n’est pas en mesure de faire valoir ses moyens et arguments. Elles en déduisent qu’elles sont fondées à soutenir que l’Autorité a eu à leur égard une attitude déloyale les plaçant en situation d’inégalité des armes au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CESDH.

19.Elles exposent qu’en l’espèce la convocation que les services d’instruction leur ont adressée le 30 octobre 2017 était intitulée « Convocation à séance (rejet) » et précisait : « L’Autorité de la concurrence examinera cette affaire lors de sa séance du mardi 28 novembre 2017 à 13h45 au siège de l’Autorité. Lors de cette séance, la rapporteure proposera au collège le rejet de la saisine pour absence d’éléments suffisamment probants », de sorte qu’elles n’ont pas été informées de ce que les services d’instruction proposeraient au collège une irrecevabilité partielle de la saisine. Elles ajoutent que ce n’est pas parce qu’elles ont pu bénéficier du contradictoire en abordant spontanément la question de l’incompétence de l’Autorité dans leur «'mémorandum'» du 21 septembre 2017 et ont improvisé des arguments en séance sur l’irrecevabilité, qu’elles ont pour autant bénéficié, après la convocation et en séance, du respect du principe de l’égalité des armes sur cette question d’irrecevabilité.

20.Elles font observer que, même si cette question a été «'vaguement abordée'» durant la phase d’instruction, les services d’instruction n’ont jamais communiqué, avant la séance, leur analyse sur les éléments de fait et de droit sur lesquels se fonderait leur proposition d’irrecevabilité et que la déloyauté dans l’organisation de la séance les a placées dans l’impossibilité de faire valoir une «'contestation raisonnée'», c’est-à-dire une argumentation construite contre la position des services d’instruction, et non simplement une argumentation improvisée en séance.

21.Elles ajoutent qu’il importe peu qu’aucun texte n’impose une telle communication avant la séance dans la mesure où, eu égard aux indications portées sur la convocation, elles étaient fondées à croire que leur «'mémorandum'» du 21 septembre 2017 avait été pris en compte et que les services d’instruction considéraient que l’Autorité était compétente. Elles en déduisent qu’elles ont été placées

dans une position de net désavantage par rapport aux services d’instruction et au collège au cours de la séance.

22.L’Autorité réplique que le moyen est doublement inopérant dès lors, d’une part, que le vice allégué n’a pas irrémédiablement entaché la procédure et, d’autre part, que le rapporteur ne constitue pas une partie soumise au respect du principe de l’égalité des armes lorsqu’il estime que les faits dont l’Autorité est saisie n’entrent pas dans le champ de sa compétence et qu’il propose que la saisine soit déclarée irrecevable.

23.Elle fait tout d’abord observer que l’application du principe d’égalité des armes à la procédure conduite devant elle dépend de l’applicabilité de l’article 6 de la CESDH, laquelle est soumise à la réunion de trois critères : un critère organique (l’autorité administrative à l’encontre de laquelle est soulevé l’article 6 paragraphe 1, constitue un « tribunal » au sens de cet article), un critère matériel (ce « tribunal » doit être saisi de contestations sur des droits et obligations de caractère civil ou du bien-fondé d’accusations en matière pénale) et un critère de gravité du vice, lequel doit être de nature à compromettre de manière irrémédiable la procédure. Elle considère que le troisième critère n’est pas rempli en l’espèce, dès lors que le défaut d’annonce de l’irrecevabilité partielle de la saisine, avant la séance, n’a pas irrémédiablement compromis les droits des requérantes qui ont pu présenter des observations raisonnées sur ce point à l’oral, lors de la séance, mais surtout dans le cadre de la présente instance devant la cour. Elle fait valoir que l’exercice du contradictoire devant la cour d’appel respectant l’ensemble des garanties de l’article 6 de la CESDH a en tout état de cause purgé le vice qui aurait pu entacher la procédure devant elle.

24.Elle relève ensuite qu’aux termes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « CEDH »), et en application du principe de l’égalité des armes, «'chaque partie doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire » (CEDH, arrêts du 27 octobre 1993, Dombo Beheer AV. c. Pays-Bas, req. n° 14448/88, paragraphe 33, et du 22 septembre 1994, Hentrich c. France, req. n° 13616/88, paragraphe 56) et observe que, comme l’a énoncé la cour d’appel dans son arrêt Celtipharm, le rapporteur n’a pas le statut de partie dans la procédure.

25.Enfin, elle estime la critique non fondée. Après avoir rappelé la portée de l’arrêt Celtipharm, qui ne saurait, selon elle, être étendue au-delà de l’espèce en cause, et avoir relevé qu’une citation tronquée en avait été faite par les requérantes, elle renvoie à la jurisprudence de la CEDH et de la cour d’appel (notamment CA Paris, 6 octobre 2009, SAS Canal 9, RG 2008/21057), qui implique un contrôle in concreto. Elle relève qu’aucun texte ni principe n’impose que le rapporteur communique, avant la séance, une version écrite de son rapport aux saisissants ni aucun autre document détaillant les motifs qui justifieraient, selon lui, l’incompétence de l’Autorité, et souligne que la Cour de cassation a rappelé ce principe (Cass. Com., 19 janvier 2016, pourvois n° 14-21.670 et 14-21.671). Elle ajoute, concernant la portée de l’arrêt Celtipharm, que les circonstances propres à l’affaire peuvent conduire la cour à estimer que le principe d’égalité des armes a bien été respecté, nonobstant l’indication non-exhaustive des mentions du rejet ou de l’irrecevabilité de la saisine dans la convocation à séance. Enfin, elle indique que les requérantes ont, lors d’une discussion informelle avec le service chargé de l’instruction de leur saisine, été informées du problème de compétence qu’elle soulevait, raison pour laquelle leur conseil a, dans leur mémoire du 21 septembre 2017 (pièce jointe des requérantes n° 47), spontanément présenté des observations très étayées sur ce point, peu de temps avant la séance. Elle souligne que la lettre d’accompagnement de ces observations précise « revenir » vers les services d’instruction pour apporter des précisions exclusivement relatives à la compétence de l’Autorité, de sorte que les requérantes étaient parfaitement conscientes de l’éventuelle incompétence à laquelle leur saisine se heurtait et en avaient largement pris la mesure. Elle précise encore que les services d’instruction les avaient invitées à se désister à la suite de cette production, ce qu’elles ont expressément refusé le 18 octobre 2017, en leur répondant que « notre cliente a décidé de maintenir sa plainte dans cette affaire » (Pièce jointe des requérantes n° 1). Elle ajoute enfin que la simple lecture des paragraphes 31 à 36 de la décision attaquée, qui reprennent les

arguments développés en séance après l’exposé de la rapporteure et de la rapporteure générale adjointe, démontre qu’elles ont abondamment pu défendre leur position sur ce point.

26.Le Ministère public approuve l’analyse de l’Autorité et conclut au rejet du moyen.

***

27.La cour rappelle, en premier lieu, que l’article 6 de la CESDH, intitulé « Droit à un procès équitable », prévoit, en son paragraphe 1, que « [t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

28.Aux termes d’une jurisprudence constante, le principe d’égalité des armes, qui s’infère de ces dispositions, implique « l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause ' y compris ses preuves ' dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire » (CEDH, arrêt Dombo Beheer B. V. c. Pays-Bas, précité, paragraphe 33), mais n’a pas un caractère absolu. L’article 6 paragraphe 1, ne fait ainsi pas obstacle à ce qu’il soit dérogé à certains principes au vu des particularités de la cause (CEDH, arrêt du 2 octobre 2018, Mutu et Pechstein c. Suisse, req. nos 40575/10 et 67474/10, paragraphes 175 à 177).

29.Il convient d’observer, en l’espèce, que la séance au cours de laquelle est examinée la proposition du rapporteur de déclarer une saisine irrecevable, n’oppose pas deux parties, puisque ni le rapporteur ni le collège n’ont ce statut et que le rapporteur se borne à proposer à l’Autorité de se déclarer incompétente au regard des éléments de fait et de droit communiqués par la plainte et ceux qu’il a pu réunir dans le cadre de son enquête. Il s’ensuit que les requérantes ne sont pas fondées à invoquer le principe d’égalité des armes pour obtenir la communication, avant séance, d’une version écrite détaillant les motifs pour lesquels le rapporteur entend proposer en séance de retenir l’incompétence de l’Autorité. Aucune disposition n’imposant que le rapport oral du rapporteur ait, préalablement à la séance, revêtu une forme écrite et ait été communiqué aux parties, les requérantes ne peuvent pas davantage faire grief à l’Autorité d’avoir adopté, à l’issue de la séance, une décision retenant cette incompétence, alors qu’elles ont été mises en mesure de répliquer aux observations orales du rapporteur qui, de surcroît, concernaient une question de compétence déjà abordée au cours de la phase d’enquête et sur laquelle les requérantes avaient transmis un mémoire intitulé «'mémorandum'» de sept pages.

30.Il y a lieu d’ajouter que le principe du contradictoire, qui s’infère également de l’article 6 de la CESDH, n’a pas davantage de caractère absolu. En effet, en application de l’article L. 463-1 du code de commerce, l’instruction et la procédure devant l’Autorité de la concurrence sont contradictoires, cependant que la phase d’enquête précédant la notification de griefs n’est pas soumise à ce principe. Par suite, rien ne justifie que le saisissant bénéficie, avant toute notification de griefs, de davantage de droits que les entreprises qui encourent une sanction et qu’il se voit ainsi reconnaître un droit à communication écrite, préalable à la séance, des éléments de fait et de droit sur la base desquels le rapporteur propose une irrecevabilité partielle de la saisine au collège.

31.En second lieu, si la violation du principe de l’égalité des armes ne peut être utilement invoquée dans la situation en cause, il incombe néanmoins à l’Autorité de veiller à ce que le saisissant soit mis en mesure d’exposer les moyens venant au soutien de la recevabilité et du bien-fondé de sa saisine.

32.Mais, en l’espèce, il ne peut être reproché à l’Autorité et à ses services d’instruction aucun comportement déloyal. En effet, les sociétés d’infirmiers admettent dans leurs conclusions que la question de la compétence de l’Autorité pour connaître d’une partie des faits avait été abordée durant la phase d’instruction et il est avéré, d’une part, qu’elles ont remis, le 21 septembre 2017, un mémoire de sept pages ayant pour objet «'d’apporter des précisions sur le fonctionnement de l’Ordre national des infirmiers et des missions de service public qui lui sont conférées, afin de mettre en exergue que les pratiques visées dans la saisine sont totalement détachables de ces missions » (annexe 72 de la procédure, cotes 1310 à 1323 ), d’autre part, qu’elles ont pu développer, au cours de la séance, plusieurs arguments pour contester l’analyse du rapporteur.

33.Il n’est, par ailleurs, pas contesté que les services d’instruction ont invité les requérantes à se désister à la suite de cette production, invitation qu’elles ont expressément refusée le 18 octobre 2017, ce qui démontrait, sans équivoque, que le rapporteur n’avait pas été convaincu par leur argumentaire.

34.Il s’ensuit que l’erreur invoquée par les sociétés d’infirmiers, résultant du libellé de la convocation, n’a, en tout état de cause, pas privé ces dernières de la possibilité de faire valoir une contestation raisonnée de l’analyse qui fonde le constat de l’incompétence de l’Autorité pour connaître des pratiques relatives à l’exercice des prérogatives ordinales de l’Ordre national des infirmiers.

35.Le moyen tiré d’une atteinte au principe d’égalité des armes et d’un comportement déloyal doit être rejeté.

Sur l’insuffisance de motivation de la décision d’irrecevabilité partielle de la saisine, invoquée par les requérantes

36.Les requérantes soutiennent que la décision attaquée viole l’obligation de motivation, spécifique et explicite, résultant des articles L.'462-8 du code de commerce et l’article 6 de la CESDH, corollaire du droit à un procès équitable. Selon elles, l’Autorité n’aurait pas répondu aux arguments développés dans leur «'mémorandum'» du 21 septembre 2017 et se serait bornée à faire état des arguments improvisés en séance. Elles estiment que la question de savoir si les pratiques reprochées à l’Ordre national des infirmiers sont détachables des missions de service public qui lui sont confiées est un moyen décisif qui exigeait une réponse spécifique.

37.Elles font valoir qu’en tout état de cause, il appartient à la cour d’appel d’apprécier la pertinence des motifs de la décision attaquée, au vu des moyens qu’elles ont soulevés. Elles rappellent ainsi les nombreux documents (lettre confraternelle, articles de presse, courriers adressés par des CDOI, attestations, lettres de démission d’infirmières…) établissant que l’Ordre national des infirmiers a communiqué, sous des formes diverses, son appréciation sur la légalité de l’activité de la société SOS-Infirmières, la dénigrant pour dissuader les infirmiers d’avoir recours à ses services et la décrédibiliser auprès des tiers. Elles déduisent de l’ensemble de ces éléments que l’Ordre national des infirmiers a dépassé la défense des intérêts de la profession et que son action, qui est intervenue dans une activité de services au sens de l’article L. 410-1 du code de commerce, est étrangère aux attributions pour lesquelles il est investi de prérogatives de puissance publique. Elles invoquent plusieurs décisions aux termes desquelles les communications, par différents moyens, aux membres d’une profession ou à des tiers, par lesquelles un ordre professionnel fait une interprétation propre de la loi au sujet d’une activité de service et invite les membres à tirer les conséquences de cette interprétation, constituent une intervention, sur le marché, dans une activité de services, étrangère aux prérogatives de puissance publique déléguées à l’Ordre professionnel et qui, en conséquence, relève de la compétence de l’Autorité.

38.Elles se réfèrent également à la décision de l’Autorité n° 18-D-12 du 18 juillet 2018 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société AGN Avocats Développement dans le secteur des prestations juridiques, par laquelle celle-ci s’est déclarée compétente en citant l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 10 décembre 2014, ONP e.a./Commission (T-90/11, point 207), selon lequel, « dans [les] circonstances [de l’espèce], il n’est pas nécessaire de prendre définitivement position sur la question de savoir dans quelle mesure l’exercice par l’ordre de son pouvoir disciplinaire se rattache à l’exercice d’une prérogative de puissance publique, de sorte qu’il tombe en dehors du champ d’application de l’article 101 TFUE, il doit encore être précisé que l’existence d’une telle prérogative ne saurait offrir une protection absolue contre toute allégation de comportement restrictif de concurrence, puisque l’exercice manifestement inapproprié d’un tel pouvoir consisterait, en tout état de cause, en un détournement de ce pouvoir ». Elles rappellent que, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Commission de l’Union européenne (ci-après la « Commission ») avait, quant à elle, considéré que les décisions adoptées par cet Ordre avaient pris «  l’apparence, et seulement l’apparence de décisions relevant de l’exercice de prérogatives de puissance publique » (Commission, décision C (2010) 8952 final, du 8 décembre 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] (Affaire 39510 ' LABCO/ONP) )

39.Elles précisent qu’il n’est toutefois pas question ici d’entraîner la cour d’appel dans un débat sur la compétence de l’Autorité pour connaître des pratiques objet de la saisine, considérant que ce débat doit d’abord avoir lieu devant le premier juge qu’est l’Autorité, après annulation et renvoi de l’affaire à l’instruction de l’Autorité.

40.En réplique, l’Autorité soutient que l’obligation de motivation résultant de l’article L.'462-8 du code de commerce lui impose d’énoncer les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de ses décisions, permettant ainsi aux saisissantes d’en comprendre le sens et à la juridiction de recours d’en contrôler la légalité. Elle indique que la cour d’appel a déjà précisé que l’obligation de motivation ne signifie pas « l’obligation de répondre à l’intégralité des arguments invoqués, que les parties pourront soumettre à la cour au soutien de leur recours de pleine juridiction » (CA Paris, 15 septembre 2016, SAS Tyrol Acquisition et autres, RG 2015/06968). Elle ajoute que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est fixée dans le même sens, et cite, notamment, l’arrêt de cette Cour du 9 décembre 1994, Ruiz Torija c. Espagne (req. n° 18390/91, paragraphe 29), selon lequel « l’article 6 paragraphe 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, mais (…) ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (voir l’arrêt Van de Hurk c. Pays-Bas du 19 avril 1994, série A n° 288, p. 20, paragraphe 61). L’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision. (…) ».

41.Invoquant les principes applicables au contentieux de la légalité des actes administratifs (CE, 5 avril 2002, SCP H I et autres, n° 221890 ; CE, 18 novembre 1998, Jaeger, n° 161612), l’Autorité fait valoir que les paragraphes 21 à 24 de la décision attaquée citent le texte appliqué par elle pour déclarer la saisine partiellement irrecevable et détaillent les principes gouvernant la répartition des compétences entre elle et la juridiction administrative. Elle ajoute que les paragraphes 25 à 30 de la décision attaquée précisent en quoi plusieurs des pratiques reprochées à l’Ordre national des infirmiers ne sont pas détachables de la mise en 'uvre des prérogatives ordinales de ce dernier, lesquelles ne relèvent pas de la compétence de l’Autorité et que les paragraphes 31 à 36 apportent une réponse aux arguments développés en séance par le conseil des sociétés requérantes. L’Autorité en déduit que la décision attaquée comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, permettant à la fois à ses destinataires d’en comprendre le sens et à la cour d’appel d’en contrôler la légalité. Elle considère que la double circonstance qu’elle ne viserait pas le mémoire du 21 septembre 2017 et qu’elle ne répondrait pas à l’ensemble des arguments qui y figurent demeure, à la lumière des jurisprudences précitées, sans influence sur sa légalité. Elle ajoute qu’elle a bien pris en compte les arguments développés dans ce mémoire en s’estimant compétente pour connaître de cinq des six pratiques qui y sont invoquées et que les saisissantes estimaient détachables des prérogatives ordinales de l’Ordre national des infirmiers.

42.Elle estime que c’est bien le juge administratif qui est compétent pour connaître de pratiques qui relèvent des prérogatives d’un ordre professionnel, qu’il peut contrôler notamment au regard du droit de la concurrence, lequel est intégré à son bloc de légalité depuis plus de vingt ans. Elle cite à ce sujet les arrêts du Conseil d’Etat du 8 novembre 1996, Fédération française des sociétés d’assurances (n° 122644) et du 3 novembre 1997, Y et Marais (n° 169907).

43.Le Ministère public reprend la même argumentation et indique que les parties conservent par ailleurs la possibilité de soumettre à la cour les arguments qui n’auraient pas été examinés, si elles persistent à les estimer pertinents. Il ajoute que cette jurisprudence rejoint la jurisprudence de l’Union qui impose à la Commission de « motiver ses décisions en mentionnant les éléments de fait dont dépendent la justification légale de la mesure et les considérations qui l’ont amenée à prendre sa décision », sans qu’il soit exigé « qu’elle discute tous les points de fait ou de droit qui auraient été traités au cours de la procédure administrative ». Il estime que la décision litigieuse répond bien à ces exigences en indiquant les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement. Il en déduit que l’absence de mention du mémoire du 21 septembre 2017 n’est pas de nature à mettre en cause la légalité de la décision attaquée, d’autant que l’Autorité s’est estimée compétente pour connaître de cinq des six pratiques qui y figuraient et qu’elle les a examinées avant de conclure qu’elles n’étaient pas assorties d’éléments suffisamment probants, comme indiqué aux paragraphes 38 à 49 de ladite décision.

***

44.La cour rappelle qu’aux termes de l’article L. 462-8, alinéa 1er, du code de commerce, « [l]'Autorité de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable (…) si elle estime que les faits invoqués n’entrent pas dans le champ de sa compétence ».

45.Il n’est pas contesté que l’article 6, paragraphe 1, de la CESDH est également applicable dans le cadre de cette procédure.

46.Les sociétés requérantes ont saisi l’Autorité de six pratiques, reprochées à l’Ordre national des infirmiers, qui témoigneraient d’une discrimination contre les infirmiers qui ont signé une convention avec elles (pratiques 1 à 4) ou d’une volonté de les évincer du secteur des prestations infirmières (pratique 5 et 6), qui correspondent plus précisément (décision attaquée paragraphes 11 à 20) à :

' des refus d’inscription au tableau de l’Ordre ; (pratique n° 1)

' des convocations devant différents CDOI, dans le cadre desquelles des informations complémentaires ont été demandées à plusieurs infirmiers liés par contrat au groupe SOS-Infirmières dont certains ont été mis en garde contre ce groupe du fait de la non-conformité des contrats aux règles applicables à la profession ; (pratique n° 2)

' des convocations devant une commission de conciliation, à la suite de deux plaintes déposées devant les CDOI de Paris et du Loiret ; (pratique n° 3)

' l’éviction d’une élue du CDOI du Loiret en raison de son lien avec une société du groupe SOS-Infirmières ; (pratique n° 4)

' des propos dénigrants à l’encontre du groupe SOS-Infirmières ; (pratique n° 5)

' des courriers adressés par l’Ordre national des infirmiers à ses adhérents ou à des tiers, qui constitueraient des interventions dans son secteur d’activité. (pratique n° 6).

47.L’Autorité a, en application de l’article L. 462-8 du code de commerce, dit que les pratiques n° 1 à 4 ne relevaient pas de sa compétence, après avoir analysé le contexte juridique et factuel dans lequel ces pratiques s’inscrivaient et dont il ressortait, selon elle, que les comportements reprochés n’étaient pas détachables de l’exercice de prérogatives ordinales.

48.Au regard des missions qui lui ont été confiées par la loi n° 2006-1668 du 21 décembre 2006, l’Ordre national des infirmiers relève de la catégorie des organismes privés chargés d’une mission de service public. C’est donc à juste titre que l’Autorité a rappelé, au paragraphe 22 de la décision attaquée, les principes énoncés par le Tribunal des conflits, notamment, dans sa décision du 4 novembre 1996, Datasport e.a. (pourvoi n° 96-03038), permettant de délimiter les compétences

respectives des juridictions administratives et de l’Autorité de la concurrence pour apprécier les agissements d’un tel organisme.

49.En application de ces principes, il est constant que les décisions prises dans le cadre d’une mission de service public et qui relèvent de l’exercice d’une prérogative de puissance publique ne constituent pas, en conséquence, une activité de production, de distribution ou de services entrant dans le champ d’application du droit de la concurrence. Par suite, il n’appartient qu’à la juridiction administrative d’en apprécier la validité. Il en va de même lorsque l’acte critiqué concerne l’organisation du service public en cause, ainsi que l’a rappelé le Tribunal des conflits dans sa décision du 6 juin 1989, Ville de Pamiers (pourvoi n° 02578).

50.Comme l’indique l’Autorité, au paragraphe 5 de la décision attaquée, le fonctionnement et les compétences de l’Ordre national des infirmiers sont énoncés aux articles L. 4312-1 et suivants du code de la santé publique, incluant, au titre de ses missions de service public, la défense de l’honneur et de l’indépendance de la profession d’infirmier, par l’intermédiaire des CDOI, des CROI et du CNOI. L’Ordre national des infirmiers a ainsi la charge de veiller au respect des règles déontologiques qui s’imposent aux infirmiers, telles celles prévues aux articles R. 4312-1 et suivants du code de la santé publique, qui prévoient, notamment, que la profession d’infirmier ne doit pas être pratiquée comme un commerce, tous procédés directs ou indirects de réclame ou de publicité lui étant interdits (article R. 4312-37 du même code, ultérieurement repris, à la suite du décret n°2016-1605 du 25 novembre 2016, à l’article R.'4312-76 dudit code).

51.Il résulte de la description des pratiques dénoncées, opérée aux paragraphes 12 à 20 de la décision attaquée, et de l’analyse qui en a été faite aux paragraphes 26 à 30, que les deux premières s’inscrivent dans le cadre de l’examen des demandes d’inscription au tableau de l’Ordre national des infirmiers par des CDOI, que la troisième concerne la procédure de conciliation mise en 'uvre au stade préliminaire de l’instruction de plaintes déposées devant la chambre disciplinaire des CDOI et que la quatrième conteste la gestion d’un CDOI. Il ressort des constatations et appréciations figurant dans la décision attaquée que les pratiques querellées, qui s’inscrivent dans l’exercice des missions dont l’Ordre national des infirmiers est investi, n’entrent pas dans le champ de compétence de l’Autorité, puisque les actes et décisions les constituant ayant été pris dans le cadre de l’exercice de prérogatives de puissance publique, elles ne sont pas détachables de la mission de service public qui est confiée à cet Ordre.

52.Il convient d’ajouter de manière surabondante, compte tenu de ce que les requérantes ne demandent pas à la cour d’apprécier la compétence de l’Autorité pour connaître de l’ensemble des pratiques mais procèdent, néanmoins, par voie de comparaison pour indiquer que les pièces fournies rendaient crédibles les faits invoqués au soutien de la saisine, que les situations qui viennent d’être décrites se distinguent de celle traitée par la décision de l’Autorité n° 97-D-26 du 22 avril 1997 relative à des pratiques mises en 'uvre dans le secteur du portage de médicaments à domicile, invoquée par les requérantes. Dans cette décision qui concernait une pratique mise en 'uvre par l’Ordre des pharmaciens, lequel, par un communiqué adressé à l’ensemble de ses conseils régionaux, avait dénoncé l’illégalité du portage de médicaments, l’Autorité s’était déclaré compétente, au motif que l’Ordre des pharmaciens avait procédé à la diffusion d’un communiqué soutenant une interprétation inexacte du code de la santé publique, sur laquelle il s’était fondé pour manifester son opposition à un certain type d’activité, ce qui excédait la mission de service public qui lui est conférée en tant qu’ordre professionnel et constituait une intervention sur un marché de services. Dans la présente espèce, les refus d’inscription au tableau de l’Ordre, les convocations devant certains CDOI ou devant la commission de conciliation, les propos tenus lors des séances dédiées à l’examen des demandes d’inscription, n’ont pas reposé sur l’envoi d’une circulaire qui aurait été adressée par l’Ordre national des infirmiers à l’ensemble des CDOI sur la base d’une interprétation du code de la santé publique, mais sont exclusivement intervenus à l’occasion de l’examen individuel, effectué par certains CDOI, de demandes d’inscription au tableau de l’Ordre ou de plaintes. Par suite, ayant constaté le contexte et la nature des pratiques en cause, l’Autorité n’était pas tenue de justifier la

décision qu’elle a prise au regard d’une pratique décisionnelle antérieure qui n’était pas totalement transposable aux faits de l’espèce.

53.L’Autorité, qui a précisé, au paragraphe 21 de la décision attaquée, qu’elle faisait application de l’article L. 462-8 du code de commerce, rappelé, aux paragraphes 22 à 24, les principes mis en 'uvre pour délimiter les compétences respectives de l’Autorité et des juridictions administratives issus de la jurisprudence du tribunal des conflits et réfuté, aux paragraphes 31 à 35, les arguments invoqués au cours de la séance par les sociétés d’infirmiers, s’est ainsi suffisamment expliquée sur son incompétence pour connaître de pratiques relevant de l’exercice de prérogatives ordinales, sans être tenue de suivre ces dernières dans le détail de l’argumentation, développée dans leur mémoire du 21 septembre 2017, que ses constatations et appréciations rendaient inopérante. Le moyen tiré d’une motivation insuffisante, au sens de l’article L. 462-8 du code de commerce, comme au sens de l’article 6 de la CESDH, doit être rejeté.

54.Il convient de relever, en deuxième lieu, que l’Autorité a pris en compte les arguments exposés dans ce mémoire du 21 septembre 2017 pour retenir sa compétence et procéder à l’examen des autres pratiques décrites aux paragraphes 19 et 20 de la décision attaquée (dénigrement et interventions auprès des adhérents et tiers). Elle a également examiné les pièces complémentaires qui y étaient annexées (correspondant aux courriers des 28 février 2011 et 1er mars 2011, ainsi qu’à une lettre du 23 octobre 2012 adressée par la société SOS Infirmière à la suite de l’article paru dans le magazine «'L’infirmière libérale'» en octobre 2012) en livrant son analyse aux paragraphes 47 et 48 de la décision attaquée. Il s’ensuit que la décision n’encourt pas davantage l’annulation de ce chef.

Sur l’insuffisance de la motivation de la décision de rejet, invoquée par les requérantes

55.Les requérantes font valoir que l’obligation de motivation résultant tant de l’article L. 462-8 du code de commerce que des exigences inhérentes à tout procès équitable garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la CESDH, implique que l’Autorité procède à une analyse in concreto des éléments qui lui sont soumis et exclut qu’elle puisse se borner à rejeter une saisine sans un examen attentif des éléments qui lui sont présentés. Elles reprochent à l’Autorité d’avoir retenu que les éléments qui concernent les pratiques relevant de sa compétence ne sont pas suffisamment probants, sans autre motivation, et pour les autres éléments, d’avoir considéré qu’ils font état de comportements qui ne relèvent pas de sa compétence, tandis qu’elles considèrent comme évident que ces seconds éléments, qu’elles analysent, font apparaître, de façon crédible et vraisemblable, que l’Ordre national des infirmiers s’est livré au boycott du groupe SOS-Infirmières, violant ainsi les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101, paragraphe 1, TFUE.

56.Elles soutiennent que ces éléments montrent, en premier lieu, que l’Ordre national des infirmiers a, sur la base de son interprétation de la loi, exprimé à de multiples reprises, à l’attention soit d’infirmiers individuellement, soit de l’ensemble de la profession via des articles aux propos explicites, sa position sur une prétendue illicéité de l’activité de SOS-Infirmières. Elles estiment que le fait que les refus d’inscription au tableau de l’Ordre visant des infirmières liées à SOS-Infirmières représentent plus de 50 % de l’ensemble des refus d’inscription constitue un indice crédible du fait que l’organisation même de l’Ordre national des infirmiers conduit à mettre en place des actions de boycott à l’encontre de prestataires de services. Elles considèrent, en second lieu, que les attestations d’infirmières faisant état de menaces de refus d’inscriptions, de sanctions disciplinaires, de dé-conventionnement de la caisse primaire d’assurance-maladie et les incitant, avec succès pour certaines d’entre elles, à rompre leur contrat avec le groupe SOS-Infirmières sont également des indices crédibles de ce que l’Ordre national des infirmiers a détourné les moyens dont il disposait afin de mettre en place une stratégie d’éviction visant explicitement SOS-Infirmières.

57.Elles relèvent qu’en écartant de façon globale les pièces pour lesquelles elle a estimé qu’elles portaient sur des comportements qui échappaient à sa compétence, sans vérifier in concreto si ces pièces n’étaient pas pertinentes pour l’analyse des comportements de boycott et de dénigrement pour

lesquels elle s’est pourtant jugée compétente, l’Autorité a purement et simplement ignoré trente-sept des quarante pièces de la saisine, soit 90 %.

58.Elles ajoutent que ce n’est qu’au vu des seules pièces restantes, c’est-à-dire trois courriers, que l’Autorité a considéré que la saisine n’était pas appuyée d’éléments suffisamment probants, artifice constitutif d’un défaut de motivation suffisante, tant au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CESDH qu’au sens de l’article L. 462-8 du code de commerce. Elles soutiennent que cette carence ne peut être réparée par la tentative de justification de son incompétente présentée par l’Autorité aux paragraphes 80 à 89 de ses observations devant la cour.

59.L’Autorité réplique que les requérantes se bornent à contester l’appréciation portée sur les pièces produites, cependant que la décision attaquée comporte, en particulier à ses paragraphes 38 à 49, un exposé des circonstances de droit et de fait permettant à ses destinataires d’en comprendre le sens et au juge de contrôle d’exercer son office.

60.Elle fait observer que les pièces qu’elle n’a pas retenues pour son examen concernaient des faits qui ne relevaient pas de sa compétence, et ainsi notamment :

' celles qui font état d’échanges strictement individuels entre des CDOI et des infirmiers libéraux, notamment dans le cadre de la remise de leur attestation d’inscription au tableau de l’Ordre, échanges qui ne sont pas détachables des missions de l’Ordre national des infirmiers mises en 'uvre au moyen des prérogatives de puissance publique dont il dispose ;

' les courriers par lesquels des infirmières clientes d’une des sociétés du groupe SOS-Infirmières ont sollicité la résiliation de leur contrat du fait du refus d’inscription au tableau de l’Ordre opposé par leur CDOI et du risque, corrélatif, de déconventionnement qu’elles encouraient de la part de la sécurité sociale ;

' l’attestation d’une infirmière libérale relative au refus de l’inscrire au tableau de l’Ordre ou celle décrivant le retard pris dans l’examen de sa demande du fait de son affiliation à une société du groupe SOS-Infirmières et les poursuites disciplinaires alors susceptibles d’être mises en 'uvre à son égard du fait de la méconnaissance des règles déontologiques ;

' le courrier, strictement personnel et circonstancié, adressé par le CDOI du Val d’Oise à la gérante de la société Infirmières-secours Orléans lui relatant les divers refus d’inscription au tableau de l’Ordre opposés à des infirmiers clients de sa structure du fait de l’illégalité de certaines clauses des contrats les unissant au regard des règles déontologiques de la profession.

61.Elle en déduit, qu’en tout état de cause, la décision n’est entachée d’aucun vice d’incompétence négative.

62.Le Ministère public relève, d’une part, que les requérantes n’exposent aucun élément opérant à l’appui de ce moyen, se contentant essentiellement de contester l’appréciation de l’Autorité (légalité interne de la décision), d’autre part, que la décision comporte, sur ce point également, l’exposé des circonstances de droit et de fait permettant à ses destinataires d’en comprendre le sens.

63.Il approuve l’Autorité en ce qu’elle a, selon lui, justement observé que parmi les documents produits par les requérantes, une partie était susceptible de relever de sa compétence et a considéré que ces pièces n’étaient, au terme de son examen, pas suffisamment probantes, justifiant le rejet de la saisine, comme indiqué aux paragraphes 38 à 49 de la décision attaquée. Il approuve encore l’Autorité en ce qu’elle a considéré que les documents portant sur des échanges individuels entre les CDOI et les infirmiers libéraux n’étaient pas détachables des prérogatives de puissance publique de l’Ordre national des infirmiers et relevaient donc de la compétence du juge administratif. Il en déduit que la cour ne pourra que conclure que l’Autorité n’a commis aucune erreur d’appréciation quant à

l’étendue de sa compétence.

64.Le Ministère public relève encore que l’Autorité a, aux paragraphes 38 à 44 puis 45 à 49 de la décision attaquée, détaillé les pratiques alléguées et a conclu, à juste titre, à l’absence d’imputabilité à l’Ordre national des infirmiers des pratiques de dénigrement alléguées, d’une part, et à l’absence de caractérisation d’une pratique de boycott, d’autre part. Il en déduit qu’il ne peut davantage être reproché à l’Autorité de ne pas avoir pris en considération des éléments qui entraient dans le champ des prérogatives de puissance publique de l’Ordre national des infirmiers et qui, dès lors, ne relevaient pas de sa compétence.

***

65.La cour rappelle qu’aux termes de l’article L. 462-8, alinéa 2, du code de commerce, l’Autorité de la concurrence « peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu’elle estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d’éléments suffisamment probants ».

66.Il n’est pas contesté que l’article 6, paragraphe 1, de la CESDH est applicable dans le cadre de cette procédure.

67.La cour relève que les requérantes se bornent à demander, à titre principal, l’annulation partielle de la décision attaquée pour défaut de motivation du rejet d’une partie de la saisine, et le renvoi de l’affaire devant les services d’instruction de l’Autorité. Dès lors, il incombe à la cour d’examiner si l’Autorité a adopté une motivation répondant aux exigences des articles L.'462-8 alinéa 2 du code de commerce et 6, paragraphe 1, de la CESDH.

68.Le bordereau de pièces figurant dans l’acte de saisine des sociétés d’infirmiers, enregistré le 26 février 2016 (Annexe 1), dénombre trente-sept pièces :

69.Les pièces 1 à 4, relatives au projet de code de déontologie des infirmiers, aux statuts et extraits Kbis du groupe SOS-Infirmières, au contrat type 2011 de cette structure et aux comptes annuels 2011-2014 du même groupe, qui, ne concernant pas directement les pratiques reprochées, ne sont pas des éléments venant étayer la plainte.

70.La pièce 16 correspond à la présentation de l’Ordre national des infirmiers figurant sur le site www.ordre-infirmiers.fr, lequel indique notamment que, « depuis sa création, l’ordre a dû refuser une vingtaine d’inscriptions [au tableau] ». Cette pièce éclaire le contexte dans lequel se situe l’objet de la plainte, mais ne permet pas, en elle-même, d’établir une pratique de boycott ou de dénigrement à l’encontre du groupe SOS-Infirmières.

71.La pièce 30 est une « information du collectif infirmier 93 », sans précision concernant ses organes, alertant sur le « problème que pose une société commerciale dénommée Infirmiers Secours ». Ce document, qui se borne à indiquer que ce collectif entend saisir le CDOI d’une plainte collective, n’est pas davantage de nature à étayer la saisine de l’Autorité au titre de pratiques imputables à l’Ordre national des infirmiers.

72.La pièce 34 est une attestation d’infirmière, rapportant les propos d’un pharmacien la mettant en garde sur la société Infirmières-secours, et lui ayant indiqué qu’il avait lui-même été mis en garde «'par un infirmier du 93 qui serait syndiqué », cependant qu'« aucun nom n’a été cité ». Imprécis, les éléments de cette attestation, qui ne fait pas même référence à l’Ordre national des infirmiers, ne sont pas de nature à étayer la saisine de l’Autorité au titre de pratiques imputables à cet ordre professionnel.

73.Les pièces 5 à 15, 17 à 26 concernent les éléments relatifs à des dossiers d’infirmier(e)s (lettres, recours, convocations, décisions du CDOI, décision du CNOI, attestations sur le déroulement de

l’instance de conciliation ou de séances du CDOI ou encore de propos tenus au sein de CDOI à cette occasion…) :

' dont l’inscription au tableau de l’Ordre a été refusée par un CDOI aux motifs «'d’une pratique commerciale de la profession d’infirmier'» ou «'d’un exercice de la profession en infraction avec les devoirs professionnels'» ou «'d’un manque d’indépendance dans l’exercice de l’activité professionnelle'» (notamment les pièces 5, 6, 8, 9, 10, 11, 13 et 14) ou à raison «'d’un climat d’intimidation et d’attaques personnelles'» à l’encontre du rapporteur du CDOI (pièce 7), conduisant à un déconventionnement auprès de la caisse primaire d’assurance-maladie (notamment illustré dans les pièces 5, 10 et 14) ou à une résiliation du contrat liant l’infirmier au groupe SOS-Infirmières (pour illustrations, pièces 12, 18 et 24) dont la licéité a été contestée par certains CDOI (pour illustration, pièce 27, en sa cote 1248) ;

' ou ayant fait l’objet d’une plainte auprès d’un CDOI pour, notamment, « publicité et compérage » (pièces 5 et 6) ou d’une convocation devant la commission de conciliation à la suite d’une plainte (pièces 25 et 26) ;

' ou encore d’une invitation à se présenter devant un CDOI ou à fournir à ce dernier des informations dans le cadre de l’examen de leur demande d’inscription au tableau de l’Ordre (notamment pièces 5, 7, 8, 9, 14, 17, 19 et 23) ;

' et qui, pour certains sur recours, ont finalement obtenu leur inscription au tableau (notamment, pièces 5 (cote 707), 6 (cote 1042), 7 (cotes 744 et 745) et 23 (cote 1156) ) ;

' ou qui attestent des propos tenus lors d’un rendez-vous «'à l’Ordre infirmier'» au cours duquel ces infirmiers ont été mis en garde contre les sociétés du groupe SOS-Infirmières ou sur les risques liés au contrat commercial souscrit (notamment pièces 20, 21, 22 et 23).

74.Certaines de ces pièces font référence aux sociétés du groupe SOS-Infirmières et traduisent une prise de position de certains CDOI à raison des conditions d’exercice de la profession dans le cadre de cette appartenance.

75.Ainsi, notamment, la lettre adressée le 24 février 2010 par le président du CDOI 45 à Mme W. B. qui indique « Nous attirons votre attention sur la situation particulière de l’exercice de votre profession dans le cadre de la société Infirmières secours. Nous avons reçu de nombreux appels de la part de vos collègues en raison de la publicité faite par celle-ci dans toute la région. Nous tenons à vous rappeler fermement les principes déontologiques figurant dans le code de la santé publique à l’article R 4312-37 (') » (Annexe 1, pièce 5- cote 625).

76.De même, la lettre en date du 28 avril 2014 par laquelle Mme D., infirmière, relate la mise en garde opérée lors de son rendez-vous devant l’Ordre national des infirmiers concernant les conditions d’exercice de la profession au sein de la société F G et la réponse qui y a été apportée par le CDOI concerné, par lettre du 25 juin 2014, dans laquelle il conteste les propos qui lui sont prêtés (Annexe 26, pièce 15, cotes 1101 et 1102).

77.Il peut encore être évoqué, parmi d’autres, les documents qui suivent.

78.Une lettre adressée en octobre 2014 par une infirmière au CDOI des Hauts-de-Seine fait également état de ce qu’au cours de son entretien avec le rapporteur du CDOI il lui a été indiqué que le contrat « conclu avec la société X ne serait, selon lui, pas conforme aux dispositions du code de la santé publique » (…) « illégal par lui-même (…) Il ferait obstacle à toute inscription au tableau ») (Annexe 33, pièce 19, cotes 1132 et1133).

79.Une autre lettre, adressée en 2014 par une infirmière, sans date précise et sans que les qualités du destinataire soient identifiées, qui relate des déclarations et commentaires entendus lors de sa convocation devant le CDOI tels que « la société Infirmières Secours n’est pas la bienvenue dans le Val D’Oise », « nous réservons un traitement spécifique aux infirmiers utilisant les services de la société Infirmières Secours », et encore « la société Infirmières Secours propose un cabinet fictif » (Annexe 41, pièce 23, cote 1159).

80.Ces divers éléments relèvent d’échanges individuels qui s’inscrivent dans le cadre de l’instruction d’une plainte et/ou d’une demande d’inscription au tableau de l’Ordre. Ils sont ainsi intervenus dans l’exercice de prérogatives ordinales de l’Ordre national des infirmiers.

81.La pièce 27 (en annexe 49), qui comporte de nombreux documents, illustre la situation particulière de Mme B., qui est liée au groupe SOS-Infirmières, qui a été élue au sein d’un CDOI et en a été déclarée démissionnaire en application de l’article L. 4125-3 du code de la santé publique à la suite de certaines absences, alors que celle-ci refusait de démissionner.

82.Les différents éléments figurant dans cette pièce sont relatifs à l’organisation des CDOI et à des comportements observés dans l’exercice de leurs prérogatives de service public.

83.Les dernières pièces, 35 à 37, correspondent à des lettres de la société SOS-Infirmières et de son avocat, adressées au CNOI, et à un courrier électronique, qui dénoncent les agissements de certains CDOI à raison des mêmes types de comportement.

84.L’Autorité, qui a fait référence à la teneur de ces échanges individuels aux paragraphes 26 à 30 de la décision attaquée, en précisant que l’ensemble de ces décisions, convocations et démarches, ainsi que la situation particulière d’un membre du CDOI du Loiret, « ne sont pas détachables » et « s’inscrivent dans le cadre des missions de protection des règles professionnelles dont l’ordre est investi », n’a donc pas limité son examen à trois courriers et a procédé à une analyse in concreto des pièces.

85.Ayant retenu que ces éléments n’étaient pas détachables des conditions dans lesquelles avaient été exercées les prérogatives ordinales, l’Autorité a justifié sa décision de ne pas en faire état pour apprécier les griefs qu’elle a considérés comme relevant de sa compétence.

86.L’Autorité s’est ensuite attachée, aux paragraphes 38 et suivants de la décision attaquée, à analyser la nature des éléments de portée plus générale, procédant à la recherche d’éléments suffisamment probants pour appuyer l’existence de la pratique de dénigrement dénoncée et d’une pratique de boycott.

87.S’agissant des éléments produits au soutien du grief de dénigrement, qui ne s’inscrivent pas dans l’exercice des prérogatives ordinales de l’Ordre national des infirmiers (pièces 28, 29, 31 et 33, annexe 50, cotes 966, 968, 973, 978 et 979), la cour relève qu’ils correspondent à quatre articles publiés dans la revue « l’infirmière libérale magazine », dont l’Autorité a apprécié la portée aux paragraphes 38 à 43 de la décision attaquée. Elle a ainsi indiqué, pour chacun d’eux, les raisons pour lesquelles elle a estimé que les propos exprimés ne pouvaient être imputés à l’Ordre national des infirmiers.

88.C’est donc par une décision motivée que l’Autorité a retenu que la saisine n’était pas appuyée d’éléments suffisamment probants concernant l’existence d’une pratique de dénigrement imputable à l’Ordre national des infirmiers et qu’elle devait ainsi être rejetée, sur ce point, en application de l’article L. 462-8, alinéa 2, du code de commerce.

89.S’agissant ensuite des autres éléments produits pour démontrer l’existence d’une pratique de boycott imputable à l’Ordre national des infirmiers, qui ne s’inscrivent pas dans l’exercice de ses prérogatives ordinales (Annexe 7, pièce 5, cote 663, Annexe 72, cotes 1318, 1321 et 1322), la cour

constate qu’ils correspondent, d’une part, à une lettre circulaire du 7 février 2011 adressée par le CNOI aux infirmiers inscrits au tableau de l’Ordre, d’autre part, à un courrier adressé le 28 février 2011 à la société Pages Jaunes par le président du CDOI du Val-d’Oise et, enfin, à une lettre du 1er mars 2011 adressée à une infirmière par le président du CDOI du Loiret, dont l’Autorité a également apprécié la portée aux paragraphes 45 à 49 de la décision attaquée. Elle a, ici encore, indiqué, pour chacun d’eux, les raisons pour lesquelles elle a estimé qu’ils ne permettaient pas d’étayer la plainte relative à une pratique d’éviction imputable à l’Ordre national des infirmiers.

90.Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent, comme de l’analyse par laquelle l’Autorité a écarté les éléments qui s’inscrivaient dans l’exercice des prérogatives ordinales de l’Ordre national des infirmiers, que la motivation de la décision attaquée, relative au rejet de la saisine faute d’éléments suffisamment probants, satisfait aux exigences de l’article L. 462-8 du code de commerce, comme à celles du procès équitable. Il s’ensuit que le moyen, tiré de l’insuffisance de motivation, doit être rejeté.

91.La décision attaquée n’étant pas annulée, il n’y a pas lieu d’examiner la recevabilité de la demande «'subsidiaire'» des requérantes, contestée par l’Autorité, tendant à ce que, à défaut de renvoi à l’instruction après annulation, la cour d’appel statue elle-même, ni d’en apprécier le bien fondé.

Sur les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

92.Les sociétés d’infirmiers succombant en leur recours, il y a lieu de rejeter leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et de les condamner aux entiers dépens.

*

* *

PAR CES MOTIFS

DECLARE recevables les observations de l’Autorité de la concurrence relatives à «'l’irrecevabilité’des conclusions subsidiaires des sociétés requérantes » ;

REJETTE le recours formé par les sociétés SOS-Infirmières, Infirmières-secours Orléans, Infirmières-secours Montreuil, F G et X contre la décision de l’Autorité de la concurrence n° 18-D-01 du 18 janvier 2018 ;

REJETTE la demande que ces sociétés ont formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE les société SOS-Infirmières, Infirmières-secours Orléans, Infirmières-secours Montreuil, F G et X aux dépens.

LA GREFFIÈRE,

Véronique COUVET

LE PRÉSIDENT,

K L

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 7, 20 décembre 2018, n° 18/03421