Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 7, 26 février 2020, n° 18/26599

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 2 - ch. 7, 26 févr. 2020, n° 18/26599
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/26599
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 14 novembre 2017, N° 16/11065
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 2 – Chambre 7

ARRET DU 26 FEVRIER 2020

(n° 13/2020, 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/26599 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6YRC

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Novembre 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 16/11065

APPELANT

Monsieur Z Y

[…], […]

LONDRES – ROYAUME-UNI

Représenté et assisté par Maître Renaud LE GUNEHEC de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141, avocat postulant et plaidant

INTIMEE

Madame B C

[…]

[…]

Représentée et assistée par Maître Christophe LEMAITRE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1280, avocat postulant et plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 janvier 2020, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Jean-Michel AUBAC, Président

Mme Bérengère X, Assesseur

un rapport a été présenté à l’audience par Mme X dans les conditions prévues par les articles 804 et 805 du code de procédure civile.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Jean-Michel AUBAC, Président

Mme Anne-Marie SAUTERAUD, Assesseur

Mme Bérengère X, Assesseur

Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Jean-Michel AUBAC, Président et par Margaux MORA, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

FAITS et PROCEDURE

B C est journaliste et documentariste.

Z Y est un dirigeant de société français, domicilié à Londres.

Vu l’assignation délivrée le 11 juillet 2016 à la requête de Z Y, à B C, qui demandait au tribunal de grande instance de Paris, au visa des articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme :

— de dire et juger que B C a porté atteinte au droit au respect dû à sa vie privée,

— d’ordonner le retrait des publications accessibles aux adresses indiquées, dans un délai de 48h00 à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 150 € par jour de retard,

— de condamner B C à lui payer la somme de 10 000 € à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice,

— de condamner B C à lui verser la somme de 8 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

— de la condamner en tous les dépens avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, et d’ordonner l’exécution provisoire.

Vu le jugement contradictoire rendu le 15 novembre 2017 par la 17e chambre civile du tribunal de grande instance de Paris, qui a :

— débouté Z Y de ses demandes,

— déclaré nulles les conclusions de B C sollicitant la réparation du préjudice résultant d’insultes sur le fondement de l’article 1240 du code civil,

— débouté B C de l’ensemble de ses demandes,

— dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.

— dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens.

Vu l’appel interjeté par Z Y le 21 novembre 2018,

Vu les dernières conclusions signifiées le 21 février 2019 par voie électronique par Z Y, qui demande à la cour de :

— infirmer le jugement dont appel en ce qu’il l’a débouté de ses demandes ;

— juger que B C a porté atteinte au droit au respect dû à sa vie privée ;

— ordonner le retrait des publications visées aux termes de la présente assignation, ou à toute adresse, par tout lien, sur tout support, dans un délai de 48 heures à compter de la signification du jugement à rendre, sous astreinte de 150 € par jour de retard passé ce délai ;

— condamner B C à payer à Z Y la somme d’un euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice ;

— condamner B C à payer à Z Y la somme de 15.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner B C en tous les dépens de première instance et d’appel, et faire application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

— confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a débouté B C de l’ensemble de ses demandes.

Il expose qu’il est dirigeant de société et possède un compte sur le réseau social TWITTER, accessible à l’adresse : https://twitter.com/zebodag ; qu’en marge de la mobilisation contre la « loi Travail » au printemps 2016, le réseau TWITTER a été le théâtre de vifs débats, au cours desquels il a été la cible d’attaques personnelles répétées et virulentes et a vu son identité révélée et des informations relevant de sa vie privée diffusées publiquement sur les réseaux sociaux ; que B C a diffusé dans plusieurs tweets l’identité d’Z Y et des informations relatives à sa vie personnelle et professionnelle ainsi que l’immatriculation et la localisation de l’avion dont celui-ci est propriétaire, allant jusqu’à le « pister » et suivre ses déplacements, ce qui dénote une véritable intention de nuire ; que la diffusion des informations d’ordre personnel concernant Z Y, ainsi que la révélation de son identité, n’ont jamais été autorisées par ce dernier ; que le simple fait de révéler ainsi son identité alors qu’il avait fait le choix d’écrire sur son compte Twitter sous un pseudonyme, est une atteinte à la vie privée au sens de l’article 9 du code civil ; que l'outing par rupture de pseudonymat auquel s’ajoute la révélation d’informations personnelles constitue une telle atteinte ; que ces informations ont dû être activement recherchées et recoupées par B C sur plusieurs sites ; qu’il ne s’agit pas de journalisme d’investigation ; qu’auparavant, Z Y n’avait jamais révélé lui-même son identité ; que les tweets d’Z Y mis en avant par B C dans ses conclusions devant le tribunal sont postérieurs aux publications litigieuses ; que la divulgation de son identité et d’éléments de sa vie privée n’est de toute évidence pas justifiée par un débat d’intérêt général sur la loi travail ; qu’il a subi un préjudice moral important, du fait de la violence des attaques subies sur Twitter, une fois son identité dévoilée.

Vu les conclusions d’intimé et d’appelant incident signifiées par RPVA le 14 mai 2019, aux termes desquelles B C sollicite de la cour qu’elle :

— confirme le jugement rendu le 15 novembre 2017 en toutes ses dispositions,

— condamne Z Y à payer à B C une indemnité de 8.000 € par application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, qui sera recouvrée directement par Maître

Christophe LEMAITRE, avocat au barreau de PARIS.

— condamne Z Y aux entiers dépens d’instance.

Elle expose que dans le contexte des débats sur la loi Travail, elle a fait état sur son compte Twitter @LaVoieduChat de l’identité de la personne twittant sous le pseudonyme @zebodag, cette personne n’étant pas un anonyme, mais un professionnel intervenant dans des médias spécialisés dans l’économie, qui lui avait envoyé de nombreux messages insultants ; que la diffusion d’un simple patronyme n’est pas une atteinte à la vie privée ; qu’en outre, les nom et prénom d’Z Y avaient déjà été diffusés à de nombreuses reprises sur le réseau social twitter par d’autres utilisateurs sans que celui-ci ne s’en offusque et bien avant qu’elle-même ne le fasse, de même que sa profession ou le fait qu’il possède un avion, faits qui avaient été révélés par Z Y lui-même ; qu’en outre, Z Y n’apporte pas la preuve des conséquences irrémédiables, ou de l’impact sur ses relations professionnelles ou personnelles car il apparaît qu’au contraire, cette affaire lui ait plutôt été bénéfique.

Elle sollicite l’allocation d’une indemnité de 8.000 € par application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, qu’elle aurait exposés dans le cadre de la présente instance, si elle n’avait pas bénéficié de l’aide juridictionnelle.

Vu l’article 455 du code de procédure civile,

Vu l’ordonnance de clôture du 27 novembre 2019.

MOTIFS

Sur les publications litigieuses

Le 27 mai 2016, B C publiait sur son compte Twitter @LaVoieduChat les tweets suivants, en réponse à des tweets publiés par Z Y sur son compte @zebodag :

— 'Z Y trader à la City, ex D Brothers pro #Loi Travail. Au Casino financier, on joue les jetons des autres’ ;

— 'L’élégance d’un trader de la City, Z Y ex-D E quand on se demande en quoi la #LoiTravail le concerne'.

Le 31 mai 2016, B C publiait les tweets suivants :

— 'Les #Intermittents & #DenisRobert invités par @TraderPhil1 un ami du trader @zebodag debunké à trouver son avion’ ;

— 'Pourquoi, @zebodag ne sait plus où il l’a garé ' Heureusement les #Intermittents & #DenisRobert sont bien serviables’ ;

— 'Voilà l’avion, pictaero.com/pictures/pi et ses déplacements flightradar24.com/aircraft/… #Intermittents #DenisRobert’ ;

— 'perdu autre chose ' Si le trader @zebodag cherche sa face, c’est + difficile, c’est sûr. #Intermittents #DenisRobert’ ;

— 'C’est là qu’il est rangé finalement ' On en était resté à Lille #Intermittents #DenisRobert’ ;

— 'Et si vous reperdez votre avion suite à effacement du tweet avec son numéro, pas de panique, on a

la capture :)'.

Sur les atteintes à la vie privée

Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.

Par ailleurs, la diffusion d’informations anodines ou déjà notoirement connues du public n’est pas constitutive d’atteinte au respect de la vie privée.

Le demandeur soutient que la révélation de son identité par rupture de pseudonymat auquel s’ajoute la divulgation d’informations personnelles constitue une atteinte à la vie privée, alors qu’il n’est une personnalité ni publique, ni notoire.

La défenderesse répond notamment que le nom patronymique échappe par sa nature à la sphère de la vie privée, et que les informations données ont déjà été diffusées à de nombreuses reprises par d’autres utilisateurs du réseau social Twitter antérieurement aux tweets litigieux, la profession du demandeur et le fait qu’il soit un ancien de D-Brothers figurant sur ses comptes Linked In et Yaredo.

Il résulte des tweets rappelés ci-dessus que le nom, le prénom, la profession d’Z Y, le fait qu’il soit un ancien salarié de D Brothers et qu’il possède un avion, ont été mentionnés par B C dans des tweets publiés les 27 et 31 mai 2016.

Il y a lieu de rappeler que si l’état civil d’un individu n’est pas en principe considéré comme un élément de sa vie privée, la révélation contre son gré d’un pseudonyme peut constituer une telle atteinte, en rendant publique une partie de sa personnalité, lorsqu’il n’existe aucun intérêt légitime à le révéler.

Toutefois, les informations, une fois portées à la connaissance du public par l’intéressé lui-même, cessent d’être secrètes et deviennent librement disponibles.

S’agissant de la révélation antérieure du nom et du prénom d’Z Y, il résulte des pièces versées aux débats que le 8 juin 2015, un utilisateur twittant sous le pseudonyme de @tounet-Montana a écrit '@zebodag ce qui veut dire Dr Y '', et le 26 mars 2015, un autre internaute twittant sous son nom F G, a indiqué '@zebodag d’ailleurs le B de BFM c’est pour Bodagh ' ;)'. Par ailleurs, d’autres internautes ont interpellé à de nombreuses reprises au cours des années 2015 et 2016 @zebodag par son prénom, Z. Ainsi, le pseudonyme utilisé sur le compte Twitter à savoir @zebodag est relativement transparent, puisqu’il est proche du véritable patronyme du demandeur, et que les nom et prénom d’Z Y avaient été révélés sur le fil Twitter de celui-ci, lors des tweets indiqués ci-dessus, sans que celui-ci ne les conteste ou les supprime. Enfin, Z Y utilisait sur son profil Twitter sa véritable photographie, sur laquelle il était reconnaissable, ce qui est contraire à la volonté proclamée de faire respecter un strict anonymat.

Aussi, B C n’a pas eu besoin d’effectuer des recherches poussées ou des investigations particulières afin de connaître la réelle identité du demandeur, puisque cette identité était déjà accessible et révélée dans le cadre d’échanges précédents entre internautes sur le fil Twitter d’Z Y.

Il y a donc lieu de considérer que l’indication des nom et prénom d’Z Y par B C dans les deux tweets du 27 mai 2016 ne constitue pas une révélation dans le sens où

ces éléments étaient déjà accessibles au public, et que cette publication ne caractérise donc pas une atteinte à la vie privée eu titre de l’article 9 du code civil.

Quant aux autres éléments dont Z Y se plaint qu’ils aient été diffusés par B C, à savoir sa profession, le fait qu’il soit un ancien salarié de D Brothers et qu’il possède un avion, il résulte de ses propres tweets versés aux débats et des éléments sur son compte LinkedIn, que ces informations avaient été portées à la connaissance du public par l’intéressé lui-même, antérieurement aux publications litigieuses, et qu’il n’existe de ce fait aucune violation de l’article 9 du code civil.

Sur les mesures sollicitées

Aucune atteinte à la vie privée n’étant constatée en l’espèce, les demandes d’Z Y seront rejetées.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Au vu des circonstances de la cause, il n’y a lieu de faire application ni des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ni des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, chaque partie conservant ses frais à sa charge, y compris pour les dépens.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 15 novembre 2017, en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens d’appel.

LE PRESIDENT LE GREFFIER

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