Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 15, 13 janvier 2021, n° 20/03966

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 15, 13 janv. 2021, n° 20/03966
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 20/03966
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Paris, 18 février 2020
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées aux parties le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 15

ORDONNANCE DU 13 JANVIER 2021

(n°6, 22 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 20/03966 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBRZC

auquel est jioint le RG 20/3976

Décisions déférées : Ordonnance rendue le 19 Février 2020 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de PARIS

Procès-verbal de visite et saisies en date du 20 février 2020 pris en exécution de l’Ordonnance rendue le 19 Février 2020 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de PARIS

Nature de la décision : Contradictoire

Nous, S T-U, Conseillere à la Cour d’appel de PARIS, déléguée par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l’article L16B du Livre des procédures fiscales, modifié par l’article 164 de la loi n°2008-776 du 04 août 2008 ;

assistée de Q R, greffier lors des débats et de la mise à disposition ;

Après avoir appelé à l’audience publique du 18 novembre 2020 :

S.A.R.L. CABRELUX société de droit luxembourgeois

Élisant domicile au cabinet de Me François TEYTAUD

[…]

[…]

Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

assistée de Me Ambroise FERRETTI et Me Daniel AUBE de l’AARPI ADVEN, avocat au barreau de STRASBOURG, toque : 297

APPELANTE ET REQUERANTE

et

LA DIRECTION NATIONALE D’ENQUETES FISCALES

[…]

[…]

Représentée par Me Jean DI FRANCESCO de la SELARL URBINO ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0137

INTIMÉE ET DEFENDERESSE AU RECOURS

Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 18 novembre 2020, les avocats de l’appelante, et l’avocat de l’intimé ;

Les débats ayant été clôturés avec l’indication que l’affaire était mise en délibéré au 13 Janvier 2021 pour mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

Avons rendu l’ordonnance ci-après :

Le 19 février 2020 le juge des libertés et de la détention (ci-après JLD) du Tribunal Judiciaire (ci-après TJ ) de PARIS a rendu, en application de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales (ci-après LPF), une ordonnance à l’encontre de :

La société CABRELUX SARL représentée par son administrateur unique M. X

B, dont le siège social est sis […] au Luxembourg, et qui a pour objet le commerce de détail d’articles de textiles, de vétements,

d’accessoires ; la vente au détail ou par correspondance, l’import export, la représentation,

de chaussures, d’articles chaussants, de bijoux, de bonneterie, de maroquinerie et toutes

opérations se rattachant à cet objet ou contribuant à sa réalisation ; l’acquisition, la gestion,

la mise en valeur et l’aliénation des participations de quelque manière que ce soit, dans

d’autres sociétés luxembourgeoises et etrangères; l’acquisition et l’aliénation de toutes autres valeurs mobilières par souscription, achat, échange, vente ou autrement ainsi que

l’acquisition, la mise en valeur et l’aliénation de brevets et licences.

L’ordonnance autorisait des opérations de visite et saisie dans les lieux suivants :

locaux et dépendances sis […], susceptibles d’être occupés par la SAS CABINET GERMAIN & MAUREAU.

L’autorisation de visite et saisie des lieux susmentionnés était délivrée aux motifs que la société de droit luxembourgeois CABRELUX SARL développerait sur le territoire national une activité liée à la gestion des droits de propriété intellectuelle, sans souscrire les déclarations fiscales correspondantes et ainsi omettrait de passer les écritures comptables y afférentes.

Et ainsi serait présumée s’être soustraite et/ou se soustraire à l’établissement et au paiement des impôts sur les bénéfices et de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), en se livrant à des achats ou des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le Code général des impôts (articles 54 et 209-I pour l’IS et

286 pour la TVA).

L’ordonnance était accompagnée de 81 pièces annexées à la requête.

Il ressortirait des éléments du dossier que la société CABRELUX SARL, ayant pour gérant unique M. B X, résident français, a pour objet la prise de participations, sous quelque forme que ce soit, dans d’autres sociétés luxembourgeoises ou étrangères, ainsi que la gestion, le contrôle et la mise en valeur de ces participations, ferait partie du groupe à dimension internationale CHAUSSEA, spécialisé dans la vente de chaussures.

Il serait également établi que M. B X, qui serait à la fois gérant unique et membre du conseil d’administration de la CABRELUX SARL et directeur général délégué au sein du groupe CHAUSSEA, serait rémunéré depuis 2014 par la société CABRELUX SARL, dont le centre décisionnel se situerait en FRANCE, lieu de résidence de ce dernier.

Par ailleurs, la CABRELUX SARL, dont le siège social serait situé, à compter de 2014, à la même adresse qu’un magasin de l’enseigne CHAUSSEA ([…] 1111 et/ou L-1611 LUXEMBOURG), disposerait de moyens humains limités au LUXEMBOURG pour la réalisation de son activité (2 employés de 2014 à 2017 et 1 employé en 2018, selon les bilans déposés auprès du Registre du Commerce et des Sociétés Luxembourgeoises), au regard de ses chiffres d’affaires réalisés (766 151,97 € au titre de l’exercice 2014 ; 985 404,64 € au titre de l’exercice 2015 ; 2 041 199,20 € au titre de l’exercice 2017).

D’autres recherches laisseraient apparaître que les prestations facturées par la société CABRELUX SARL seraient réalisées au profit de sociétés appartenant au groupe CHAUSSEA.

Suite à un droit de communication exercé auprès de la SAS CHAUSSEA, principal client de la société CABRELUX SARL, il s’avérerait que les factures émises par cette dernière correspondant à des redevances de marques exploitées par le groupe CHAUSSEA, seraient présumées être établies depuis un logiciel comptable français.

En outre, la société CABRELUX serait susceptible de bénéficier du régime permettant à un contribuable ou à une société résidant au LUXEMBOURG d’exonérer 80% des revenus nets positifs issus de l’utilisation, l’exploitation, l’aliénation temporaire des droits de propriété intellectuelle (ci-après DPI).

Il ressortirait également que M. C Z, résident français, serait l’un des salariés rémunérés par la société CABRELUX SARL entre 2015 et 2017, année de son départ du groupe CHAUSSEA.

Par ailleurs, il pourrait être présumé que comme les autres cadres dirigeants du groupe CHAUSSEA, rémunérés par la SAS VGM HOLDING, associée principale indirecte de la société CABRELUX SARL, M. B X exercerait lui aussi son activité professionnelle depuis le site du groupe GROUPE CHAUSSEA sis […], tout en étant rémunéré par la société CABRELUX SARL.

Il en va de même concernant M. C Z.

Suite à d’ultimes investigations, il apparaîtrait que la SAS CHAUSSEA disposerait d’un service en charge de la gestion de droits de propriété intellectuelle du groupe CHAUSSEA, auquel appartient la société CABRELUX SARL.

Ainsi, il résulterait de tout ce qui précède que : la société CABRELUX SARL, auparavant sise à une adresse de domiciliation commerciale, aurait pour adresse de siège social celle d’un magasin du

Groupe CHAUSSEA, alors même que son chiffre d’affaires se composerait de redevances de marques à destination principale de la SAS CHAUSSEA ; son gérant unique, M. B X (travaillant, selon son profil LinkedIn, pour le groupe CHAUSSEA dans la région de METZ) résiderait sur le territoire national près du siège du groupe CHAUSSEA à VALLEROY ; les deux salariés présumés de la société CABRELUX SARL, MM. B X et C Z, seraient susceptibles d’ exercer ou d’ avoir exercé leurs activités professionnelles au sein du groupe CHAUSSEA à VALLEROY ; M. X occuperait actuellement des fonctions de directeur général délégué au sein du groupe CHAUSSEA, après avoir été directeur d’expansion, fonction sans rapport avec la gestion des droits de propriété intellectuelle ; a contrario, la SAS CHAUSSEA disposerait d’un service juridique et de gestionnaires de droits de propriété intellectuelle et au niveau communautaire du même mandataire que la société CABRELUX SARL, le cabinet GERMAIN & MAUREAU.

Dès lors, il pourrait être présumé que la société CABRELUX SARL réaliserait tout ou partie de son activité de gestionnaire de propriété intellectuelle à partir du territoire national, dans les locaux du groupe CHAUSSEA à VALLEROY, sans souscrire les déclarations fiscales y afférentes et en omettant de passer les écritures comptables correspondantes.

Attendu qu’en raison des liens commerciaux existants entre la société CABRELUX SARL et la SAS Cabinet GERMAIN & MAUREAU, cette dernière est susceptible de détenir dans les locaux qu’elle occupe pour son établissement sis […], des documents et/ ou supports d’information relatifs à la fraude présumée.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, conformément à l’article L 16B du LPF, le JLD a autorisé la DNEF à procéder aux visites et saisies nécessitées par la recherche de la preuve des agissements présumés dans les lieux ou des documents et des supports d’informations illustrant la fraude présumée sont susceptibles de se trouver, à ssvoir :

— locaux et dépendances sis […], susceptibles d’être occupés par la SAS cabinet GERMAIN & MAUREAU.

Les opérations de visite et saisie se sont déroulées le 20 février 2020 dans les locaux susmentionnés, de 9H00 à 16H40, en présence de D E, représentante de l’occupant des lieux.

Le 3 mars 2020 la société CABRELUX SARL a interjeté appel de l’ordonnance du JLD (RG 20/03966) et a déposé une déclaration de recours contre les opérations de visite et saisies (RG 20/03976).

L’affaire a été audiencée pour être plaidée le 18 novembre 2020. A l’audience du 18 novembre 2020 la jonction des dossiers est évoquée. L’affaire a été mise en délibéré pour être rendue le 13 janvier 2021.

SUR L’APPEL :

L’appelante a déposé des conclusions N ° 1 au greffe de la Cour d’appel de Paris le 10 juillet 2020, selon un courrier du 28 octobre 2020 parvenu le 3 novembre 2020 à La cour, ces conclusions ont été substituées par les conclusions déposées ultérieurement.

Par conclusions N°2 déposées le 3 novembre 2020 et par conclusions récapitulatives et responsives déposée le 13 novembre 2020, la société appelante fait valoir :

1- Faits et procédure .

Il est rappelé le déroulement des opérations de visite, dans les locaux de Valleroy (54), très mal vécu

par la société et monsieur G. X, suite à l’ordonnance du JLD.

Selon l’appelante les éléments portés à la connaissance du premier juge sont totalement insuffisants pour laisser accréditer une présomption avérée de fraude fiscale. La requête n’est pas recevable et l’ordonnance rendue doit être infirmée.

2 ' discussion et présentation de la société

Il est rappelé l’évolution de la société CABRELUX SARL, de 2010 à aujourd’hui, afin de corriger les informations erronées sur son activité contenues dans la requête et retenues par l’ordonnance.

Il est d’abord mis en exergue que la société CABRELUX SARL avait été constituée à l’origine pour la reprise et l’exploitation au LUXEMBOURG de plusieurs enseignes et magasins de prêt à porter situés au LUXEMBOURG (les magasins CACHE/CACHE, H I et BONOBO), mais que, malgré de longues négociations, le projet n’a pas abouti.

Après une période de transition, la société a ouvert en novembre 2011 un magasin LITTLE LOLITA spécialisé dans la vente de bijoux, accessoires et maroquineries, dans les locaux sis […], qui s’est toutefois avéré peu rentable. Le projet s’est terminé par la cession du bail commercial en juillet 2012.

Il est argué que l’administration n’a jamais mentionné ces activités dans sa requête, qui démontrent pourtant que l’appelante exerçait bien une activité commerciale sur le territoire luxembourgeois de 2010 à 2012.

En décembre 2013, la société CABRELUX SARL a décidé d’orienter son activité vers le secteur de la création de marques et leur exploitation et de procéder à une restructuration de l’actionnariat par la cession de l’intégralité des titres détenus par les membres de la famille X à la société VGM HOLDING SA.

Pour des raisons financières, il a été décidé, dans un premier temps, de transférer le siège social de la CABRELUX SARL au siège de la société d’expertise-comptable EXPERTA, sis […] au centre ville de LUXEMBOURG, et à partir du 30 avril 2014, en correspondance du lancement de la nouvelle activité, de louer des locaux au 40, avenue de la Grande Duchesse Charlotte à Y au LUXEMBOURG, où les employés pouvaient se rendre sans difficulté, leurs adresses de résidence en FRANCE n’étant distantes qu’ à une cinquantaine de kilomètres.

Il est souligné que l’administration a omis de préciser que le transfert de siège social à l’adresse du cabinet d’expertise-comptable n’a été que provisoire.

En décembre 2014, l’appelante a procédé à un nouveau changement de siège social au 45, […], adresse de la société de droit luxembourgeois CHAUSSEA SARL, afin de rationaliser les coûts et de bénéficier des services administratifs de cette dernière.

Dès cette période, il a également été mis en place une convention de mise à disposition de personnel avec la CHAUSSEA SARL ainsi qu’un contrat de prestations administratives, en plus des prestations réalisées par la société ARTEMON SERVICES.

A partir du 1er janvier 2015, la société CABRELUX SARL a établi un contrat de redevance de marques avec l’ensemble des sociétés du groupe CHAUSSEA, que celles-ci soient situées en FRANCE ou à l’étranger.

Il est souligné qu’un rapport d’évaluation concernant la politique de transfert de prix entre les entités situées en FRANCE ou à l’étranger, transmis par le cabinet de conseil SORGEM EVALUATION à

la société CABRELUX, a été remis à l’administration dans le cadre de la vérification de comptabilité dont celle-ci a fait l’objet.

Par la suite, l’appelante a procédé à l’acquisition des marques COBA en 2017 et SINEQUANONE en 2019, ce qui a donné lieu à la conclusion de contrats de licence entre elle et la société CHAUSSEA SAS et entre elle et d’autres sociétés tierces au groupe CHAUSSEA (ex. société SYMBIOSE).

Il est argué qu’il est parfaitement logique que la société de droit luxembourgeois CABRELUX SARL ait fait appel à des conseils français dans la mesure où les marques acquises étaient généralement détenues par des sociétés placées en procédure collective devant les juridictions françaises.

Il est souligné que l’activité liée à la gestion des marques et des licences ne nécessite pas de moyens matériels et humains très importants, dès lors qu’une grande partie de cette activité est sous-traitée, soit à la société CHAUSSEA SARL soit à son cabinet d’expertise-comptable soit, enfin, à ses conseils en propriété intellectuelle, qu’ils soient français ou étrangers.

Il est soutenu que toutes les activités de la société CABRELUX SARL ont été réalisées, dès l’origine, sur le territoire luxembourgeois avec ses propres moyens matériels et humains.

Il ressort de ce qui précède que les éléments sur lesquels se fonde la requête de l’administration reposent sur une analyse partielle et partiale de la situation de l’appelante.

' Concernant les éléments apportés par l’administration censés présumer la fraude fiscale

Il est fait valoir qu’aucun des éléments contenus dans la requête et retenus par l’ordonnance, pris individuellement ou collectivement, ne serait de nature à présumer une fraude visant à se soustraire à l’établissement et au paiement de l’impôt sur les sociétés et/ou des taxes sur le chiffre d’affaires en FRANCE.

' Rappel de la législation applicable

Il est argué que la notion d’établissement stable est essentielle pour apprécier si des activités industrielles ou commerciales exercées dans un État ou un territoire autre que celui de résidence de la personne morale concernée, sont imposable au lieu de résidence ou, au contraire, au lieu d’exercice de ces activités.

Ainsi, un établissement stable est une installation professionnelle, présentant une certaine permanence, par laquelle s’exerce une activité génératrice de profits, dotée d’une certaine autonomie, au sein d’une entité juridique à laquelle elle appartient.

' Établissement stable en matière d’impôt sur les sociétés

Il est rappelé le texte de l’article 2(3) de la convention fiscale franco-luxembourgeoise précisant la définition d’établissement stable.

' Établissement stable et TVA

Il est soutenu qu’ en matière de TVA, un établissement stable se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, par la gestion administrative et financière et par la disposition de moyens humains et matériels permettant à l’entreprise d’exercer son activité, ce qui nécessite de prendre en compte les moyens techniques (locaux, matériels…) ainsi qu’une autonomie au sens large.

Or, force est de constater, à la lumière de ces critères, que la société de droit luxembourgeois

CABRELUX SARL ne dispose pas d’une installation comportant les moyens humains et techniques permettant de caractériser l’existence d’un établissement stable et de justifier, par conséquent, l’obligation pour elle de souscrire des déclarations de résultats ou de payer de la TVA en FRANCE.

3 ' La position défendue par la société appelante

' A titre liminaire : une présentation des éléments factuels et des pièces transmises au premier juge qui ne lui ont pas permis de se prononcer équitablement

Il ressort des éléments développés supra que contrairement à la jurisprudence en vigueur, l’administration n’a pas procédé à une analyse concrète et complète du mode de fonctionnement de la société CABRELUX SARL, ni de son historique. Par ailleurs, elle n’a apporté aucune preuve de l’existence d’un établissement stable en FRANCE.

Au cas présent, l’administration a cité pêle-mêle des arguments exclusivement à charge de la société sans les contextualiser, alors qu’elle avait connaissance de tous les éléments susvisés.

' Concernant l’interprétation de la notion de présomption visée à l’article L. 16 B du LPF

Il est soutenu que l’interprétation de la DGFP selon laquelle des simples présomptions suffisent pour autoriser la mise en 'uvre de la procédure prévue par l’article L. 16 B du LPF de fraude et toute référence aux principes de la convention fiscale franco-luxembourgeoise, y compris en ce qui concerne la notion d’établissement stable doit être exclue, est erronée.

En effet, la notion d’établissement stable relève du droit fiscal tant au regard des textes nationaux que conventionnels.

Ainsi, le premier juge, pour justifier le recours aux dispositions de l’article L. 16 B du LPF, doit nécessairement baser son analyse au regard des principes établis en matière fiscale.

Par ailleurs, dans les arrêts cités par l’administration, si la Cour de cassation précise que la présomption de fraude telle qu’elle ressort de l’article L. 16 B du LPF ne nécessite aucune discussion sur l’application de la convention fiscale existante entre deux États, elle n’écarte pas la possibilité d’une discussion sur la notion d’établissement stable définie en droit interne.

L’appelante fait valoir qu’elle ne soulève aucun argument conduisant à analyser sur le fond la mise en 'uvre de la convention franco-luxembourgeoise, mais démontre, tout au long de ses conclusions, l’absence d’établissement stable en FRANCE ainsi que d’indices laissant présumer l’existence d’une fraude réalisée sur le territoire national.

De surcroît, la notion de centre décisionnel à laquelle il est fait référence est une notion qui ressort des modèles conventionnels proposés par l’OCDE et non de la définition française d’établissement stable visée à l’article 209-1 du CGI.

Ainsi, l’administration a fait mention d’une notion conventionnelle pour justifier le bien-fondé de l’ordonnance en parfaite contradiction avec ses propres affirmations.

— Concernant l’argument selon lequel la société de droit luxembourgeois CABRELUX SARL aurait établi son siège social à une adresse de domiciliation où elle ne disposerait pas de moyens propres nécessaires à l’exercice de son activité

Les références retenues par l’administration sont parfaitement fantaisistes et erronées

Il est argué que l’administration se méprend en indiquant que l’adresse du siège de la société

CABRELUX SARL serait également le siège de 276 autres sociétés, certaines d’entre elles ayant été radiées et d’autres n’ayant jamais eu leur siège social à cette adresse.

Par ailleurs, il est surprenant qu’elle ait fondé ses présomptions de fraude sur des sites internet commerciaux payants, alors qu’elle pouvait disposer d’un libre accès à des sites internet gouvernementaux, tels que www.legilux.lu et www.rcs.lu, régulièrement mis à jour à partir et bien plus fiables.

Les conclusions avancées par l’administration sont inappropriées et manquent de pertinence

Il est d’abord souligné que les sociétés J K et L M précisent sur leurs sites internet que la fiabilité des données ne peut excéder 10 ans.

Par ailleurs, la société CABRELUX SARL n’a utilisé que six mois l’adresse de son expert-comptable au […] à LUXEMBOURG, période pendant laquelle elle n’a réalisé aucune activité relative à l’exploitation, à la création ou à la reprise des marques.

Il est encore précisé que la nouvelle activité réalisée par la société CABRELUX depuis 2014 ne nécessite plus de moyens humains et matériels conséquents, dès lors qu’elle est, en grande partie, sous-traitée à des prestataires extérieurs (avocats, conseils…) et ne repose plus que sur la perception de redevances dont le montant a été fixé à la suite d’une étude réalisée par société SORGEM EVALUATION.

Concernant l’existence de deux sociétés à l’adresse du […] à LUXEMBOURG, qui est également l’adresse d’un magasin CHAUSSEA, l’appelante fait valoir qu’elle louait – en vertu d’un contrat de bail et non d’un contrat de domiciliation – un bureau meublé au 40, avenue de la Grande Duchesse Charlotte à Y, où elle disposait de l’ensemble des moyens nécessaires à la réalisation de son activité au LUXEMBOURG (salariés, lignes internet et téléphoniques…).

' La société de droit luxembourgeois CABRELUX SARL serait détenue par la holding familiale VGM HOLDING SAS

Il est argué que lorsque l’administration évoque, dans sa requête, le fait que la société VGM HOLDING puis la société CHAUSSEA SARL serait l’associé unique de la CABRELUX SARL et que M. N X puis son fils B X ont été les dirigeants successifs de cette dernière, elle ne fait que rappeler la situation juridique de l’appelante à l’égard de son associé, laquelle n’a appuie la moindre démonstration.

' Concernant l’argument selon lequel M. B X serait domicilié à proximité de la société CHAUSSEA SAS en FRANCE et non près de la société luxembourgeoise CABRELUX SARL

Il est soutenu que cet élément ne justifie en rien l’existence d’une fraude fiscale, d’autant que seuls 50 km séparent le domicile de M. B X du LUXEMBOURG.

' La société CABRELUX SARL ferait partie d’un groupe à dimension internationale, à savoir le groupe CHAUSSEA

Il est fait valoir qu’à nouveau, l’administration ne fait que décrire une situation qui n’a rien d’anormal, d’autant que le groupe CHAUSSEA est un groupe à dimension internationale, ainsi qu’elle même le précise dans ses écritures.

Il est indiqué à cet égard, que les différentes entités du groupe CHAUSSEA sont régulièrement contrôlées par l’administration fiscale française au regard des dispositions de l’article 57 du CGI, sans que celle-ci ait jamais estimé que les montants facturés étaient trop élevés ou non fondés.

' M. B X, gérant de la société CABRELUX SARL, occuperait également des postes en FRANCE au sein de la société CHAUSSEA SAS

Il est soutenu que si effectivement M. B X occupe plusieurs fonctions au sein du groupe CHAUSSEA en FRANCE, aucune de ces fonctions n’est rémunérée depuis le début de l’année 2014.

En outre, ses fonctions sont limitées du fait de la mise en place d’une direction commune large.

S’agissant de l’activité immobilière, celle-ci n’a été mise en place effectivement qu’à partir de l’année 2015 et ne conduit au versement d’aucune rémunération pour M. X au regard du peu de temps y consacré.

Il est souligné que les pièces produites par l’administration sur ce point sont illisibles et devront par conséquent être écartées.

Par ailleurs, c’est seulement une fois la politique de licence de marques mise en place, à partir de la fin de l’année 2015, que M. B X a pu se consacrer à d’autres projets pour la société CABRELUX SARL, en en orientant l’activité aussi vers l’acquisition de sociétés en difficultés dans le textile.

' La société CABRELUX SARL ne disposerait pas de moyens de télécommunication

Il est argué qu’il ne peut être présumé l’existence d’un établissement stable en FRANCE alors que l’administration ne démontre pas l’utilisation de coordonnées françaises par la société appelante.

Par ailleurs, elle se contredit elle-même dans son analyse, en indiquant « que cette société dispose de deux adresses mails luxembourgeois : webmaster@cabrelux.lu et cabrelux@yahoo.com ».

Il est souligné que M. B X dispose d’un numéro de téléphone portable luxembourgeois, +352 621 422 160, tout comme la société luxembourgeoise CABRELUX SARL dispose d’une ligne fixe, +352 27 51 04 53.

Quant à l’argument selon lequel l’adresse de contact aurait changé en 2017, il ne s’agit pas d’un changement mais simplement d’une erreur, ainsi que le confirme le fait que pour le dépôt des autres marques c’est bien l’adresse de contact de l’appelante qui est renseignée.

' Concernant le fait que la société de droit luxembourgeois CABRELUX SARL effectuerait de manière régulière en FRANCE des prestations de services à destination des différentes sociétés du groupe CHAUSSEA

Il est fait valoir que la simple réalisation en FRANCE de prestations de services par une société luxembourgeoise ne saurait être de nature à présumer l’existence d’une fraude fiscale.

Il est souligné que l’appelante facture également des redevances de marques à d’autres entités du groupe CHAUSSEA situés hors de FRANCE (LUXEMBOURG, BELGIQUE, ALLEMAGNE, ITALIE…), sans que l’administration en ait fait mention dans sa requête.

' Concernant l’affirmation selon laquelle la société luxembourgeoise CABRELUX SARL disposerait de son centre décisionnel et de moyens humains sur le territoire français

La définition de centre décisionnel

[…]

Depuis 2008, l’OCDE propose la définition suivante: « le siège de direction effective est le lieu où sont prises, quant au fond, les décisions clés sur le plan de la gestion et sur le plan commercial qui sont nécessaires pour la conduite des activités de l’entité dans son ensemble. Tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en compte pour déterminer le siège de direction effective. Une entité peut avoir plus d’un siège de direction, mais elle ne peut avoir qu’un seul siège de direction effective ».

Cette formulation invite à examiner l’ensemble des circonstances, et non pas la seule réunion des conseils d’administration, afin de localiser le siège de direction effective d’une société.

Définition du juge de l’impôt français

La jurisprudence française en la matière n’est pas abondante.

Il est cité deux décisions, une du Conseil d’État du 7 septembre 2009 et une de Cour administrative d’appel de NANCY du 23 juin 2014, permettant de déceler un certain nombre de critères de qualification d’un établissement stable.

Définition au sens du droit luxembourgeois

Selon le droit luxembourgeois, une société est considérée comme résidente fiscale si son siège statutaire ou son administration centrale se trouve au LUXEMBOURG.

La présentation des activités réalisées par la société CABRELUX SARL

Il est rappelé les activités réalisées par la société luxembourgeoise CABRELUX SARL au LUXEMBOURG : la détention et l’exploitation de différentes marques depuis 2015 et la reprise de sociétés textiles en difficulté depuis 2015 et 2019 (SINEQUANONE…).

Il est indiqué que l’ensemble de ces prestations a été réalisé par l’appelante par l’intermédiaire de son dirigeant et de M. O P, mais aussi par de nombreux prestataires extérieurs, lesquels ont toujours facturé la société au LUXEMBOURG, ainsi que les factures produites (pièce n° 27) en attestent.

S’agissant de l’activité relative à la facturation des redevances annuelles, il est souligné que la mise en place de ces contrats a été effectuée par le cabinet GERMAIN & MAUREAU, mondialement connu.

Quant à la facturation de ces redevances, elle est réalisée par M. B X, étant précisé que cela ne représente qu’une trentaine de factures par an et nécessite donc de peu de temps et surtout de peu de moyens matériels.

Enfin, dans le cadre de l’activité de reprise d’entreprises en difficulté, M. B X procède la constitution d’un dossier complet qu’il dépose auprès des tribunaux de commerce compétents afin de reprendre des sociétés placées en procédure collective.

Il est argué que cette nouvelle activité a conduit à la mise en place de prévisionnels, de négociations avec des partenaires bancaires luxembourgeois et aussi à la confection d’un dossier de présentation de la société CABRELUX SARL auprès des tribunaux permettant ainsi de justifier de son sérieux.

Il découle de ces éléments que la société CABRELUX SARL dispose bien de moyens matériels et humains ainsi que d’un centré décisionnel au LUXEMBOURG.

Un centre décisionnel uniquement présent au LUXEMBOURG

Il ressort de ce qui précède que l’appelante disposait déjà d’un bureau pouvant accueillir ses salariés, et ses fournisseurs, doté de l’ensemble de moyens de télécommunication nécessaires à la réalisation de son activité.

Il est mis en exergue que si effectivement des changements de siège ont eu lieu, il n’en demeure pas moins que la société CABRELUX SARL a toujours loué des locaux à Y au titre de son établissement principal, où elle disposait de tous les moyens matériels et humains nécessaires à l’exercice de son activité.

Il est argué que l’administration aurait dû distinguer, dans son analyse, le fait qu’une société dispose d’un siège social différent de son établissement ou de ses locaux d’exploitation.

En tout état de cause, l’appelante a souvent recours à des prestataires extérieurs spécialisés, comme le prouvent les factures produites (pièce n° 29) ainsi qu’aux services administratifs de la société luxembourgeoise CHAUSSEA SARL.

Par conséquent, toutes les décisions de gestion concernant la société CABRELUX SARL étaient bien prises au LUXEMBOURG par M. B X.

L’administration n’apporte aucune preuve de ses allégations

En l’espèce, la DGFP ne présente aucun élément de preuve incontestable lui permettant de présumer l’existence en FRANCE d’un centre décisionnel de la société luxembourgeoise mais se contente de faire référence à des constatations générales concernant le fait que M. B X serait « domicilié en FRANCE », qui ne permettent pas à elles seules de démontrer l’existence d’un établissement stable sur le territoire national et par conséquent, d’une fraude fiscale.

'4. Concernant l’argument selon lequel la société CABRELUX SARL aurait disposé d’un logiciel comptable français

Il est soutenu que si l’administration a pu constater des mentions sur les factures émises par l’appelante qui seraient proches de celles figurant sur des factures émises par des opérateurs français, cela s’explique par le fait que le droit luxembourgeois s’inspire pour l’essentiel du droit français.

Par ailleurs, la transposition des directives communautaires en matière de TVA dans chacun des États membres a conduit à une harmonisation des factures sur la forme.

Ainsi, doivent figurer tant sur les factures françaises que sur celles émises par une société luxembourgeoise ou allemande, les mentions obligatoires suivantes : le nom, l’adresse et la référence du prestataire ; les coordonnées du bénéficiaire ; les mentions relatives à la TVA ; les numéros de TVA.

En l’espèce, ces mentions figurent sur la facture transmise par l’administration, qui devra donc être écartées, d’autant que la référence au RCS ou au SIRET n’est pas propre à la FRANCE.

' Concernant l’argument selon lequel la société CABRELUX SARL n’aurait déposé aucune marque au BENELUX

Contrairement aux affirmations de l’administration, la société CABRELUX SARL a déposé 30 marques au BENELUX sur la période 2014 à 2020 (v. pièces n° 30 et 31).

Il est argué que si certaines marques sont déposées en FRANCE, ce n’est que pour respecter la dimension internationale de la marque CHAUSSEA, compte tenu également de sa popularité dans ce pays.

En outre, en matière de dépôt de marques et de brevets, la protection qui en découle est soit nationale soit internationale en fonction des options prises et du niveau de protection.

Dès lors, que le dépôt de la marque soit réalisé en FRANCE ou au LUXEMBOURG, l’appelante pourra s’en prévaloir dans n’importe quel pays visé dans la zone de protection.

' Concernant l’argument selon lequel la société CABRELUX SARL aurait disposé d’un régime fiscal de faveur en matière de droit de la propriété intellectuelle

Il est fait valoir que le régime fiscal de faveur en matière de redevances de marques IP BOX, évoqué par l’administration dans sa requête, a été abrogé depuis le 1er juillet 2016, quoiqu’en bénéficiant d’une période transitoire jusqu’en 2021, sous réserve de certaines conditions que la société CABRELUX SARL ne remplissait cependant pas pour les marques acquises postérieurement à la date d’abrogation (SINEQUANONE, UNIK, MEGIS…).

Ainsi, l’analyse de la DGFP est, encore une fois, partiale et erronée.

Par ailleurs, le régime IP BOX, même s’il présente certains avantages au regard de la fiscalité, ne permet pas de justifier de l’existence d’un établissement stable en FRANCE de la société CABRELUX SARL.

Il est argué qu’en décrivant ce régime, l’administration confond les deux notions d’établissement stable et de prix de transfert.

En outre, depuis le 22 mars 2018, le LUXEMBOURG a adopté un nouveau dispositif fiscal en faveur de certains droits de propriété intellectuelle visant à rendre le droit luxembourgeois conforme au plan d’action BEPS adopté en 2015 par l’OCDE et le G20.

Il en découle que depuis 2016, l’appelante n’a aucunement bénéficié du régime de faveur IP BOX tel que présenté par l’administration pour une partie de marques acquises depuis cette date.

En effet, seul l’exercice clos en 2015 a profité de ce régime avec des redevances facturées s’élevant à 700 000 € contre 2 200 000 € en 2019.

Il est enfin rappelé que la FRANCE dispose également d’un régime fiscal avantageux en matière de brevets et redevances, avec un taux d’imposition en matière de propriété intellectuelle de seulement 10%.

' Concernant l’argument selon lequel la société CABRELUX SARL aurait disposé du personnel de la société CHAUSSEA pour réaliser son activité

Il est soutenu que M. Z n’a jamais été en relation contractuelle avec la société CABRELUX SARL mais uniquement avec la société luxembourgeoise AZ SOLUTIONS, qui était un sous-traitant de la société luxembourgeoise CHAUSSEA SARL.

Il est argué que si M. Z et M. B X ont entretenu des relations, ce n’est que dans le cadre de l’exploitation de la société luxembourgeoise CHAUSSEA, gérée par ce dernier. Le fait que M. X ait recommandé cette personne comme d’autres membres du groupe international CHAUSSEA n’a rien d’anormal.

' Concernant l’argument selon lequel la société CABRELUX SARL aurait disposé du personnel de la société CHAUSSEA et notamment son service juridique pour réaliser son activité

Il est fait valoir que les services administratifs de la société CABRELUX SARL sont toujours

exercés depuis le LUXEMBOURG via la société de droit luxembourgeois CHAUSSEA SARL, et non pas la société de droit français CHAUSSEA SAS.

' Concernant le fait que la société de droit français CHAUSSEA SAS a fait l’objet de nombreux contrôles par l’administration fiscale française

Il est argué qu’afin d’éviter tout contentieux avec l’administration fiscale française, la société CABRELUX SARL avait fait établir par la société SORGEM EVALUATION une documentation de prix de transfert sur la période 2014-2015 justifiant les taux de redevances pratiqués, laquelle a fait l’objet d’une analyse précise par les services vérificateurs dans le cadre des différentes vérifications de comptabilité (contrôles fiscaux et contrôles URSSAF) dont le groupe CHAUSSEA a fait l’objet.

Or, à aucun moment, l’administration n’a pris l’attache avec les brigades locales de vérification pour récupérer les informations nécessaires à la bonne compréhension du dossier et notamment à la problématique des redevances et des flux financiers observés entre la FRANCE et le LUXEMBOURG.

' Concernant la présence d’indices graves et concordants conduisant à autoriser le recours aux visites domiciliaires

Il découle du texte de l’article L. 16 B du LPF ainsi que de la jurisprudence en vigueur que le premier juge doit vérifier de manière concrète le bien-fondé de la requête, ce qui implique l’obligation pour lui d’indiquer en quoi les éléments de droit et de fait présentés laissent présumer l’existence d’agissements frauduleux dont la preuve est recherchée.

En l’espèce, ces exigences ne sont nullement satisfaites.

En effet, pour autoriser la visite domiciliaire, le JLD s’est fondé sur des documents obtenus notamment sur des sites internet, dont la véracité des contenus est très difficile à vérifier.

L’appelante critique la jurisprudence de la Cour de cassation du 9 mars 2010 censurant le juge d’appel qui avait exigé des indices graves, précis et concordants de fraude fiscale pour autoriser les opérations de visite et saisie, alors que le texte de l’article L. 16 B du LPF n’exige que de simples présomptions.

Il est argué qu’en se contentant de relever, pour autoriser la visite, que la société CABRELUX SARL et les sociétés du groupe CHAUSSEA avaient le même dirigeant et des échanges intra-communautaires réguliers, le premier juge a privé son ordonnance de toute base légale, en ne démontrant pas l’existence d’une présomption de fraude sur le territoire français.

En tout état de cause, la formule d’autorisation de l’ordonnance est extrêmement large, les activités et la fraude présumée de la société n’étant pas situées dans le temps, et ne permet pas d’établir une présomption adéquate au sens de l’article L. 16 B du LPF.

' Concernant le surplus évoqué dans la requête

Il est soutenu que les éléments, évoqués par l’administration dans sa requête, selon lesquels la société CABRELUX SARL n’était pas répertoriée auprès du SIE de la Direction des Résidents Étrangers et des Services Généraux et n’avait pas déposé de déclarations d’impôt sur les sociétés et de TVA, n’apportent rien, dès lors que l’appelante a toujours exercé son activité au LUXEMBOURG.

' Concernant les intérêts en jeu

Il est rappelé qu’il est d’usage que l’administration n’engage la procédure exceptionnelle de l’article L.

16 B du LPF que pour des affaires portant sur des présomptions de fraudes importantes en volume et d’une gravité significative.

Or, l’état n’a aucunement été lésé dans cette affaire.

En effet, conformément aux principes de territorialité de la TVA ressortant des dispositions prévues par les textes, la société CABRELUX SARL a facturé à ses clients français des prestations à la TVA au taux de 0% sur les opérations intra-communautaires, à charge pour ces derniers, notamment la société CHAUSSEA SAS, de procéder à l’auto-liquidation de la TVA en FRANCE.

Il est argué que l’intégralité des opérations réalisées par l’appelante relèvent d’opérations dites « B to B », à savoir entre professionnels, dont le principe de base est la neutralité de la TVA.

Toutes ces opérations ont donc supporté la TVA en FRANCE, ayant été taxées sur le territoire français par la société CHAUSSEA SAS par voie d’auto-liquidation au titre de l’ensemble de la période litigieuse. Ces mêmes prestations ont été subséquemment soumises à la TVA lors de la facturation aux donneurs d’ordre de la société CHAUSSEA SAS.

Dans ces conditions, il est légitime de s’interroger sur la nécessité pour l’administration de recourir à la procédure de visite domiciliaire.

En conclusion, il ressort clairement de tout ce qui précède qu’aucun des éléments avancés par l’administration ne permet de conclure, pour la société CABRELUX SARL, à une présomption d’existence d’un établissement stable en FRANCE et par conséquent, de fraude fiscale.

En effet, l’appelante n’a jamais disposé sur le territoire national d’une installation fixe d’affaires, personnelle et permanente, comportant les moyens humains et techniques nécessaires à son activité ; les moyens matériels et humains dont elle dispose se situent uniquement au LUXEMBOURG, tout comme son centre décisionnel.

En conclusion, il est demandé de :

— dire l’appel de la société CABRELUX SARL recevable et bien-fondé ;

En conséquence,

— infirmer l’ordonnance rendue par le JLDdu Tribunal judiciaire de Paris le 19 février 2020 ;

En statuant à nouveau

— débouter la DGFP de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

— la condamner aux entiers frais et dépens de l’instance ainsi qu’au paiement d’une somme de 6 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’administration a fait parvenir à la cour des conclusions le 28 juillet 2020 en réponse aux concusions du 10 juillet 2020 substituées par les conclusions ultérieures de l’appelante.

Par conclusions n° 2 reçues le 12 novembre 2020, l’administration fait valoir :

1 Un rappel préalable de la procédure est exposé.

[…]

2-1 Un rappel préalable des faits et du contenu de la requête est développé.

2-2 L’agumentation développée par l’appelante ne remet pas en cause le bien fondé des présomptions retenues par le premier juge.

A titre liminaire, l’administration précise qu’elle ne répondra pas aux arguments développés par l’appelante dans les paragraphes 232, 234 et 240 de ses conclusions car ceux-ci font référence à des éléments de contexte dans l’ordonnance.

Elle tient à souligner que la société CABRELUX SARL commet une erreur fondamentale, qui fausse son entier raisonnement, en affirmant qu’il faudrait partir du droit fiscal pour établir une présomption d’établissement stable en FRANCE devant le JLD.

En effet, selon une jurisprudence constante, la discussion de l’application d’une convention fiscale relève du juge de l’impôt, ce que n’est pas le magistrat saisi d’une demande d’autorisation de visite domiciliaire, ni le Premier président statuant en appel.

De même, la discussion de l’existence d’un établissement stable en FRANCE relève du contentieux de l’impôt.

Au cas présent, conformément à la jurisprudence en vigueur, le premier juge a, à partir des éléments factuels qui étaient soumis à son appréciation, retenu qu’il pouvait être présumé que la société CABRELUX exercerait à partir du territoire national tout ou partie de son activité, après avoir relevé qu’elle disposait de moyens d’exploitation limités au LUXEMBOURG ; qu’elle semblait disposer d’un centre décisionnel, de moyens sur le territoire national affectés à l’exercice de son activité ; que l’activité semblait être réalisée sur le territoire national.

De surcroît, l’appelante ne prouve jamais la prétendue mauvaise foi de l’administration.

1) ' Sur la localisation du siège social de la société CABRELUX et ses moyens humains et matériels

L’administration constate d’abord que le siège social de la société AAA LUXURY AND SPORTS CAR n’est plus situé au […] au LUXEMBOURG depuis 2015.

Quant à la société ARISTEA SICAV, une recherche sur le site lbr.lu montre que celle-ci était bien sise au […] au moins jusqu’au 6 décembre 2017.

Il est argué que la localisation du siège social de cette société au 44, rue de la Vallée résulte d’une erreur de retranscription du site legilux.public.lu, dont l’appelante vante la fiabilité, et qu’à ce stade, rien ne prouve que les informations fournies par les bases de données sont erronées et qu’un autre site serait plus fiable.

S’agissant de la période comprise entre la création de la société CABRELUX SARL en 2010 et son changement d’activité en 2013, l’administration indique ne pas l’avoir évoqué dans sa requête, elle est sans pertinence avec l’objet des présomptions.

Par ailleurs, tous les éléments mentionnées dans la requête en rapport avec la société CABRELUX SARL sont postérieurs à 2013, y compris son objet social correspondant à la note 1 de l’annexe légale aux comptes annuels arrêtés au 31 décembre 2013.

Enfin, la suspension de l’activité a été mentionnée dans l’annexe des comptes annuels de 2012.

Cependant la reprise de l’activité n’est pas indiquée dans l’annexe des comptes annuels de 2013 ni les suivants.

Or, la lecture de l’annexe des comptes annuels de 2013 montre que l’appelante a changé d’objet social et dispose déjà d’immobilisations incorporelles.

Il est soutenu que ces éléments laissaient présumer qu’elle exerçait une activité de gestion de droits, même si son activité était déficitaire.

En outre, pendant la période du 18 décembre 2013 au 6 décembre 2016, où l’appelante a transféré son siège social à l’adresse de son expert-comptable, celle-ci pouvait être présumée exercer son activité depuis ses locaux.

Concernant enfin les locaux sis […] que la société CABRELUX SARL partage avec la société CHAUSSEA, les arguments de l’appelante viennent simplement confirmer l’existence de bureaux à cette adresse.

2)' Sur le centre décisionnel de la société CABRELUX

Il est fait valoir que comme l’établissement stable, le siège de direction effective constitue une notion de droit fiscal qui ne peut pas être appréciée ni par le JLD, ni par le Premier président.

Il découle clairement des dispositions de l’article L. 16 B du LPF que le premier juge doit s’appuyer sur de simples présomptions.

Il est argué que l’externalisation d’un nombre important de prestations, évoqué par l’appelante dans ses conclusions, semble plutôt corroborer la thèse de l’administration selon laquelle la société CABRELUX SARL disposer de moyens humains et matériels limités pour exercer son activité.

Il est rappelé que pour présumer l’existence d’un centre décisionnel sur le territoire national, le JLD n’a pas pris en compte la seule résidence en FRANCE de M. B X mais s’est appuyé sur plusieurs autres éléments : l’exercice d’autres membres de la famille X de fonctions de direction à VALLEROY dans les locaux de la société CHAUSSEA ; la présentation en tant que Directeur Général Délégué de la société CHAUSSEA SARL de M. B X au journal Le Républicain Lorrain ; la représentation de M. B X de la SAS CHAUSSEA lors de la signature d’un contrat avec la société de droit belge CODATA SERVICES à VALLEROY ; l’existence d’un numéro de portable français ainsi que d’une adresse mail utilisant un nom de domaine français.

3)' Sur les moyens matériels de la société CABRELUX

Sur les moyens de télécommunication

Il est argué que le JLD ne s’est pas seulement fondé sur l’adresse de contact renseignée dans les dossiers de dépôt de marques mais sur trois autres éléments.

S’il est vrai que le courriel de contact webmaster@cabrelux.lu est présent sur 28 noms de domaine, ces derniers ont été déposés en 2014.

D’une part, en 2017, le courriel indiqué dans le dépôt d’une marque est domain@chaussea.fr, qui est aussi le contact de la société de droit français SAS CHAUSSEA sise à VALLEROY.

D’autre part, la lecture de deux factures provenant de la société CABRELUX SARL obtenues suite à l’exercice d’un droit de communication auprès de la société française CHAUSSEA SAS, montre qu’elles ne mentionnent aucune cordonnées de contact, contrairement aux factures produites par la société AZ SOLUTIONS appartenant au même groupe.

Enfin, les recherches sur les annuaires téléphoniques des coordonnées de la société CABRELUX SARL n’a retourné aucun résultat.

Sur le logiciel de comptabilité

Il est fait valoir que le premier juge ne s’est pas fondé seulement sur le numéro de RCS mais aussi sur le numéro de SIRET, un identifiant d’établissement attribué à chaque société nouvellement créée ou établie sur le territoire français par l’INSEE.

De surcroît, la pièce n° 7 permet de comparer les deux factures émises par CABRELUX avec celles émises par AZ SOLUTIONS, qui sont identiques.

Dès lors, il pouvait être présumé que les sociétés AZ SOLUTIONS et CABRELUX, qui appartiennent au même groupe de sociétés, utilisent le même logiciel de comptabilité qui est d’origine française.

4) ' Sur le régime de faveur dont aurait disposé la société CABRELUX

Contrairement aux affirmations de l’appelante, la présomption d’exercice d’une activité en FRANCE retenue par le JLD ne se justifie pas au regard du régime favorable dont la société CABRELUX SARL est susceptible d’avoir bénéficié au LUXEMBOURG.

En effet, en évoquant le régime instauré à l’article 50bis LIR, l’administration s’est bornée à énoncer un élément factuel lui permettant de présumer que la société avait bénéficié de ses dispositions favorables, et ce au titre des exercices clos en 2014 et 2015, soit antérieurement au 1er juillet 2016, date de l’abrogation de l’article.

D’ailleurs, l’appelante confirme elle-même la présomption en indiquant que l’exercice 2015 a pleinement profité de ce régime, et relève que les dispositions susvisées restent applicables pendant une période transitoire expirant le 30 juin 2021 pour les droits constitués ou acquis avant le 1er juillet 2016.

Il est fait observer à cet égard qu’environ 80% des marques ont été déposées antérieurement au 1er juillet 2016.

5) ' Sur la présomption d’utilisation des moyens humains de la société CHAUSSEA SAS par la société CABRELUX

Il est d’abord fait valoir que le recours quasi-systématique à des sous-traitants (le cabinet GERMAIN & MAUREAU et Maître A) pour l’activité juridique de la société appelante privilégie la thèse de l’administration selon laquelle cette dernière ne dispose pas de moyens propres suffisants pour exercer son activité.

Par ailleurs, concernant l’emploi de M. Z, le JLD a relevé non seulement que celui-ci était désigné comme contact de la société CHAUSSEA mais aussi que trois collègues employés par cette même société l’avaient recommandé.

Dans ces conditions, le premier juge a pu valablement présumer que M. Z a travaillé dans les locaux de la société de droit français CHAUSSEA SAS aux côtés de M. X.

6) ' Sur l’existence de relations commerciales avec la FRANCE

Il est encore rappelé que l’article L. 16 B du LPF prévoit de simples présomptions pour la mise en 'uvre d’une visite domiciliaire.

Dès lors, le JLD et le Premier président n’ont pas à établir l’existence d’un établissement stable, qui est une notion de droit fiscal qui est donc l’office du juge de l’impôt.

En outre, la jurisprudence citée par l’appelante n’est pas pertinente dans la mesure où les faits ne sont pas similaires.

Dans l’affaire citée, le JLD avait constaté l’existence de relations commerciales avec la FRANCE alors qu’en l’espèce, le premier juge a d’abord constaté l’existence de relations commerciales avec les sociétés du groupe CHAUSSEA qu’elles soient françaises ou européennes, et a mentionné que la société CABRELUX avait réalisé des prestations de services à destination de sociétés du groupe CHAUSSEA qui ne sont pas situées en FRANCE.

Enfin, la problématique soumise n’est pas de savoir si la société CABRELUX SARL exerce une activité au LUXEMBOURG et si elle y règle ses impôts, mais de savoir s’il existe des présomptions qu’elle exerce sur le territoire national une activité liée à la gestion de droits de propriété intellectuelle.

7) ' Sur l’existence de nombreux contrôles de la société de droit français CHAUSSEA SAS

Il est d’abord rappelé que selon une jurisprudence constante, l’administration peut solliciter la mise en 'uvre de l’article L. 16 B du LPF avant, pendant ou après une vérification fiscale.

Par ailleurs, il est encore fait observer que la présomption retenue par le JLD concernait l’exercice d’une activité de la SARL CABRELUX à partir de la FRANCE, problématique étrangère à celle des prix de transfert visée à l’article 57 du CGI.

En outre, la procédure spécifique écrite visée à l’article L. 13 B du LPF, qui instaure la possibilité, pour l’administration, d’interroger l’entreprise vérifiée pour apprécier la normalité du prix de transfert n’a pas été mise en 'uvre à l’encontre de la SAS CHAUSSEA, et rien n’indique non plus que le document produit en pièce n° 17 a été communiqué lors des opérations de contrôle.

Il est argué que le fait que les rectifications proposées le 11/12/2015 et le 5/04/2016 ne concernent pas les prix de transfert, n’implique pas une validation par l’administration de la politique mise en 'uvre.

8) ' Sur l’allégation de l’établissement d’indices graves et concordants

Ainsi qu’une jurisprudence constante de la Cour de cassation le rappelle, l’article L. 16 B du LPF n’exige que de simples présomptions et ne demande pas la recherche du caractère intentionnel de la fraude.

Enfin, le juge n’a pas à préciser la période sur laquelle doit porter la recherche de preuve et aucune disposition de la loi n’impose au juge de limiter l’objet de l’autorisation qu’il accorde, permettant ainsi la saisie de tous documents se rapportant aux faits présumés pour la période non prescrite.

9 ' Sur les intérêts en jeu

Il est soutenu que l’appelante se trompe dans son appréciation des intérêts financiers en jeu, en s’abstenant d’évoquer les conséquences en matière d’impôt sur les sociétés qui résulteraient de l’exercice de son activité sur le territoire national.

Il est indiqué que le montant cumulé des résultats déclarés par la société au LUXEMBOURG au titre des exercices clos de 2014 à 2018 s’élève à la somme de 4 976 704 €, laissant présumer des enjeux significatifs.

L’appelante minimise également les enjeux en matière de TVA au motif de l’application du dispositif spécifique d’auto-liquidation qui concerne les prestations de service relevant de la règle générale de territorialité « B to B » réalisées par des prestataires non établis en FRANCE (CABRELUX SARL) à destination de preneurs assujettis établis en FRANCE (CHAUSSEA SAS notamment).

Il est rappelé que la caractérisation de l’exercice d’une activité en FRANCE pour la SARL CABRELUX implique le respect des mêmes obligations fiscales que celles auxquelles sont tenues les sociétés françaises.

Il en résulte que, dès lors que le prestataire et le preneur assujetti sont tous les deux établis en FRANCE, la taxe est due par le prestataire dans les conditions de droit commun. Dans la mesure où cette situation est établie a posteriori, l’administration notifie un rappel au titre de la TVA collectée sur les services, qui n’a pas été déclarée.

Il ressort de l’ordonnance un montant de prestations de services réalisées à destination de la SAS CHAUSSEA qui s’élève à 1 795 908 € et 1 998 489 € au titre des années 2016 et 2018.

Enfin, concernant la proportionnalité de la mesure, il est rappelé que la Cour de cassation a toujours jugé qu’aucun texte n’impose au juge de vérifier si l’administration pouvait recourir à d’autres modes de preuves ou à d’autres procédures.

En conclusion, il est demandé de :

— confirmer l’ordonnance du JLD de PARIS du 19 février 2020 ;

— rejeter toutes demandes, fins et conclusions,

— condamner l’appelante au paiement de la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens.

SUR LE RECOURS :

Par conclusions déposées au greffe de la Cour d’appel de Paris le 10 juillet 2020, la société requérantes demande au premier président de la Cour d’Appel de constater l’irrégularité du déroulement de la visite domiciliaire du 20 février 2020 dans les locaux de la SAS Cabinet germain et Maureau, et d’annuler l’ensemble des pièces saisies.

Par conclusions déposées au greffe de la Cour d’appel de Paris le 28 juillet 2020, l’administration fiscale répond aux moyens exposés par la requérante et demande le rejet des demandes .

A l’audience du 18 novembre 2020 , la société requérante dépose un mémoire de désistement concernant la contestation du déroulement des opérations de visite et saisie en date du 20 février 2020.

SUR CE

Sur la jonction :

Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il convient en application de l’article 367 du code de procédure civile et eu égard aux liens de connexité entre les affaires, de joindre les instances enregistrées sous les numéros de RG 20/03966 (appel), et RG 20/03976 (recours), qui seront regroupées sous le numéro le plus ancien.

Sur l’appel :

Il résulte des conclusions longues et denses de la partie appelante que quatre moyens peuvent être retenus comme étant soulevés cette partie .

I) Sur le moyen selon lequel les informations sur l’activité de la

société CABRELUX SARL contenues dans larequête et retenues par l’ordonnance sont erronées

Il convient de rappeler que l’administration fiscale a transmis à l’appui de sa requête des pièces en grand nombre (81), dont l’origine est apparemment licite, que d’ailleurs les pièces ne sont pas contestées par l’appelante. Le JLD a rendu son ordonnance à l’appui de ses pièces, il résulte de la motivation de cette ordonnnance que l’activité et l’évolution de la société CABRELUX SARL est parfaitement décrite : objet social de la société ( pièce 1), activité de la société (pièce 1, 3, 1-1, 6), évolution de la société depuis 2012, place de la société CABRELUX SARL au sein du groupe à dimension internationale CHAUSSEA ( pièces 1, 3, 4, 5), transferts du siège social de la société CABRELUX SARL entre 2013 et 2019 ( pièce 1, 1-3, 1-5, 8), notamment. La description très détaillée de l’activité et de l’évolution de la société dans les conclusions de l’appelante ne contredisent pas les éléments contenus dans la requête et retenus par l’ordonnance, étant observé que les éléments évoqués par l’appelante concernant la période entre la création de la société CABRELUX en 2010 et son changement d’activité en 2013 ne sont pas évoqués dans l’ordonnance, qu’ils ne sont donc pas pertinents.

Ainsi le moyen selon lequel les informations sur l’activité de la société CABRELUX SARL contenues dans la requête et retenues par l’ordonnance sont erronées sera rejeté.

2) Sur le moyen selon lequel les éléments contenus dans la requête et retenus par l’ordonnance pris individuellement ou collectivement ne sont pas de nature à présumer d’une fraude fiscale.

Il ressort de l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention que celui-ci a retenu plusieurs éléments qui permettent d’établir la présomption de fraude à l’encontre de la société CABRELUX SARL , sur le fondement de l’article L 16B du LPF.

— Sur l’appréciation de la notion d’établissement stable en France .

L’appelante argue que la notion d’établissement stable est essentielle pour apprécier si des activités industrielles ou commerciales exercées dans un État ou un territoire autre que celui de résidence de la personne morale concernée, sont imposables au lieu de résidence ou, au contraire, au lieu d’exercice de ces activités. L’appelante précise les différentes définitions de la notion détablissement stable selon le droit fiscal.

Or il convient de rappeler que selon une jurisprudence constante, la discussion de l’application d’une convention fiscale, ainsi que la discussion de l’existence d’un établissement stable en FRANCE relèvent du contentieux de l’impôt, que ce contentieux n’est pas de la compétence du magistrat saisi d’une demande d’autorisation de visite domiciliaire, ni du Premier président statuant en appel.

— Sur le centre décisionnel en France et les moyens humains et matériels insuffisants sur le territoire luxembourgeois..

L’appelante donne plusieurs définitions de la notion de centre décisionnel selon l’OCDE, le juge de l’impôt français ou le droit luxembourgeois.

Or il convient de rappeler que le siège de direction effective constitue une notion de droit fiscal qui

ne peut pas être appréciée ni par le JLD, ni par le Premier président, selon les dispositions de l’article L. 16 B du LPF, le premier juge doit s’appuyer sur de simples présomptions.

Dans son ordonnance du 19 février 2020, le juge des libertés et de la détention a relevé que X B qui est le gérant unique de la société CABRELUX SARL déclare demeurer à Saint Ail ( 54)( pièce 1), au cours de l’année 2012 il avait pour adresse d’imposition à l’impôt sur les revenus une adresse à Valleroy , en France (pièce 5), selon son profil Linkedin il est actionnaire du groupe Chaussea, membre du conseil d’administration et directeur général délégué dans la région de Metz en France , il précise être au sein de CHAUSSEA membre du conseil d’orientations stratégiques et de surveillance depuis janvier 2012 et être directeur général délégué au sein de la direction immobilière Groupe depuis janvier 2015

(Pièce 5-1), le siège principal du Groupe CHAUSSEA, […] à Valleroy (54) se situe près du lieu de résidence personnelle de B X, contrairement à celui de la société CABRELUX SARL (pièces 5 et 9), selon le bilan de la société CABRELUX SARL du 32/12/2018, X B communique pour adresse en sa qualité de gérant le […] à Valleroy ( 54)( pièce 1-1). En 2013, lors de sa nomination au poste d’administrateur unique de la société CABRELUX, X B était rémunéré par la société VGM Holding ( pièce 1 et 5-4), depuis 2014 il déclare percevoir des revenus uniquement de source luxembourgeoise (pièce 5). Dans ses conclusions l’administration fiscale rappelle que le JLD n’a pas pris en compte la seule résidence en FRANCE de M. B X mais s’est appuyé sur plusieurs autres éléments : l’exercice d’autres membres de la famille X de fonctions de direction à VALLEROY dans les locaux de la société CHAUSSEA , la présentation en tant que Directeur Général Délégué de la société CHAUSSEA SARL de M. B X au journal Le Républicain Lorrain, la représentation de M. B X de la SAS CHAUSSEA lors de la signature d’un contrat avec la société de droit belge CODATA SERVICES à VALLEROY, l’existence d’un numéro de portable français ainsi que d’une adresse mail utilisant un nom de domaine français.

Ainsi, le juge des libertés et de la détentiona pu considérer dans sa décision qu’il peut être présumé que le centre décisionnel de la société CABRELUX SARL est situé en France.

L’appelante conteste la présentation des activités par la société CABRELUX SARL dans l’ordonnance et argue que celle-ci a un activité réelle au Luxembourg ainsi qu’en atteste le factures produites.

Il convient de rappeler que le juge dans son ordonnance reléve que concernant le siège social de la société CABRELUX SARL , il résulte des pièces de l’administration que celui-ci a changé de localisation à plusieurs reprises. Le siège social est […] à Luxembourg depuis le 6 décembre 2014 ( pièce N1), lors de son immatriculation auprès du registre du commerce et des sociétés luxembourgeoise il était situé […] à Y au Luxembourg , il a été transféré le 18 décembre 2013 au […] à Luxembourg, où à cette adresse 276 sociétés sont domiciliées, le 6 décembre2014, le siège social de la société CABRELUX a été transféré au

[…] qui correpond à celle de l’enseigne CHAUSSEA ( pièces 1-6 et 8), néanmoins les recherches ( annuaires téléphoniques et factures émises par la société Cabrelux SARL ) n’ont pas permis d’identifier de coordonnées de contact de celle-ci à cette adresse.

Selon les bilans déposés par la société CABRELUX auprès du registre du commerce et des sociétés luxembourgeois, elle déclare avoir réalisé des chiffes d’affaires de : 766 151,97 € au titre de l’exercice 2014 ; 985 404,64 € au titre de l’exercice 2015 ; 2 041 199,20 € au titre de l’exercice 2017, qu’elle déclare avoir employé 2 salariés de 2014 à 2017 et 1 salarié en 2018, selon les bilans déposés auprès du Registre du Commerce et des Sociétés Luxembourgeoises que d’autres recherches

laisseraient apparaître que les prestations facturées par la société CABRELUX SARL seraient réalisées au profit de sociétés appartenant au groupe CHAUSSEA, concernant les éléments relevés sur les moyens de télécommunication et sur le logiciel de comptabilité d’origine française, cela accrédite la thèse selon laquelle les moyens matériels de CABRELUX SARL au Luxembourg sont insuffisants, ainsi le JLD en a déduit à juste titre que la société CABRELUX disposerait de moyens humains et matériels limités au LUXEMBOURG pour la réalisation de son activité au regard de ses chiffres d’affaires réalisés

, et qu’il résulte des pièces de l’administration (pièce 6) que les prestations facturées par la société CABRELUX SARL sont réalisées au profit de sociétés appartenant au groupe CHAUSSEA.

— Sur la présomption d’utilisation de moyens humains de la société CHAUSSEA SAS par la société CABRELUX .

Le JLD dans sa décision a relevé que la SAS CHAUSSEA dispose d’un service en charge de la gestion de droits de propriété intellectuelle du groupe CHAUSSEA auquel appartient la société CABRELUX SARL. Au niveau communautaire les sociétés CABRELUX SARL et SAS CHAUSSEA disposent du même mandatire, le Cbinet GERMAIN & MAUREAU (pièce 9 , 1 et 5)..

L’administration fiscale rappelle que que le recours quasi-systématique à des sous-traitants (le cabinet GERMAIN & MAUREAU et Maître A) pour l’activité juridique de la société appelante privilégie sa thèse selon laquelle la société CABRELUX ne dispose pas de moyens propres suffisants pour exercer son activité.

En ce qui concerne les fonctions exercées par M. Z, le JLD dans son ordonnance a relevé que celui -ci était domicilié en France, qu’il avait occupé un poste de gestion au sein de la CHAUSSEA entre 2015 et 2017, qu’il était désigné comme contact de la société CHAUSSEA et que trois collègues employés par cette même société l’avaient recommandé (pièce 8).

Dans ces conditions, le premier juge a pu valablement présumer que M. Z a travaillé dans les locaux de la société de droit français CHAUSSEA SAS aux côtés de M. X, tout en étant rémunéré par la société CABRELUX.

Ainsi, il peut-être présumé que la société CABRELUX SARL utilise les moyens humains de la société CHAUSSEA SAS pour exercer son activité.

Ainsi les éléments contenus dans la requête et retenus par l’ordonnance pris individuellement ou collectivement sont de nature à présumer d’une fraude fiscale, sans qu’il soit besoin de répondre aux arguments fondés sur le 'régime fiscal de faveur en matière de droit de la propriété intellectuelle’ et 'l’absence de dépôt de marque au Bénélux'.

Ce moyen sera rejeté

3) Sur le moyen selon lequel le JLD doit indiquer en quoi les éléments de droit et de fait présentés laissent présumer l’existence d’agissements frauduleux dont la preuve est recherchée.

Dans son ordonnance (page 15), le juge des libertés et de la détention rappelle de façon synthétique les éléments qui permettent d’affirmer qu’il peut être présumé que la société CABRELUX SARL réaliserait tout ou partie de son activité de gestionnaire de droits de propriété intellectuelle à partir du territoire national, dans les locaux du groupe CHAUSSEA à VALLEROY (54), sans souscrire les déclarations fiscales y afférentes et en omettant de passer les écritures comptables correspondantes.

Ainsi, selon le JLD , il résulte des éléments précités que :

'- la société CABRELUX SARL,a pour adresse de siège social actuel celle d’un magasin du Groupe CHAUSSEA, alors même que son chiffre d’affaires se compose de redevances de marques à destination principale de la SAS CHAUSSEA . Elle était auparavant à une adresse de domiciliation commerciale

— son gérant unique, M. B X réside sur le territoire national près du siège du groupe CHAUSSEA à VALLEROY (54). Selon son profil LinkedIn,M B X travaille pour le groupe CHAUSSEA dans la région de METZ) ;

— les deux salariés présumés de la société CABRELUX SARL, MM. B X et C Z, sont présumés exercer ou avoir exercé leurs activités professionnelles au sein du groupe CHAUSSEA à VALLEROY ;

— M. X occupe actuellement des fonctions de directeur général délégué au sein du groupe CHAUSSEA. Il était avant directeur d’expansion, fonction sans rapport avec la gestion des droits de propriété intellectuelle ;

— a contrario, la SAS CHAUSSEA dispose d’un service juridique et de gestionnaires de droits de propriété intellectuelle . Au niveau communautaire, les sociétés CABRELUX SARL et SAS CHAUSSEA disposent du même mandataire le cabinet GERMAIN & MAUREAU.'

Le JLD dans sa décision, a développé et précisé tous ces arguments, et a ainsi exposé tous les éléments de droits et de fait laissant présumer l’existence d’agissements frauduleux dont la preuve est recherchée, en s’appuyant sur les pièces de l’administration fiscale, dont l’origine apparemment licite n’est pas contestée par l’appelante, et ce conformément à l’article L 16 B DU LPF.

Ce moyen sera rejeté.

4) Sur le moyen selon lequel l’administration fiscale n’engage la procédure exceptionnelle de l’article L16B du LPF que pour des affaires portant sur des présomptions de fraudes importantes et graves.

L’appelante argue que la société de droit français CHAUSSEA SAS a fait l’objet de nombreux contrôles par l’administration fiscale française avant cette mesure, que pour éviter tout contentieux avec cette administration la société CABRELUX SARL avait fait établir par la société SORGEM EVALUATION une documentation de prix de transfert sur la période 2014-2015 justifiant les taux de redevances pratiqués, laquelle a fait l’objet d’une analyse précise par les services vérificateurs dans le cadre des différentes vérifications de comptabilité (contrôles fiscaux et contrôles URSSAF) dont le groupe CHAUSSEA a fait l’objet, qu’il apparaît que l’administration n’a pris l’attache avec les brigades locales de vérification pour récupérer les informations nécessaires à la bonne compréhension du dossier et notamment à la problématique des redevances et des flux financiers observés entre la FRANCE et le LUXEMBOURG, qu’il est d’usage que la procédure exceptionnelle de l’article l 16 B du LPF ne soit utilisée que pour des affaires portant sur des présomptions de fraudes importantes et graves, qu’en l’espèce l’administration fiscale n’était pas légitime à recourir à la procédure de visite domiciliaire.

Il convient de rappeler qu’en exerçant son contrôle in concreto sur le dossier présenté par l’administration fiscale, le JLD exerce de fait un contrôle de proportionnalité. En cas de refus, il peut inviter l’administration fiscale à avoir recours à d’autres moyens d’investigation moins intrusifs (droit de communication, vérification de comptabilité…). En conséquence, la signature de l’ordonnance par le JLD signifie que ce dernier entend privilégier l’enquête dite «'lourde'» de l’article L.16 B du LPF et que les diligences auprès du contribuable seraient insuffisantes et dénuées de «'l’effet de surprise'». Selon une jurisprudence constante l’administration peut solliciter la mise en oeuvre de l’article L 16B du LPF, avant, pendant iou après une vérification fiscale.

la Cour de cassation a toujours jugé qu’aucun texte n’impose au juge de vérifier si l’administration pouvait recourir à d’autres modes de preuves ou à d’autres procédures.

Il convient également de préciser que l’articel L 16 B du LPF ne limite nullement la procédure de visite domiciliaire aux cas de présomption de fraude fiscale 'les plus graves et les plus importantes', et n’impose aucun 'indice grave et concordant', d’ailleurs au stade de la procédure de visite domiciliaire qui est fondée sur de simples présomptions, l’étendue de la 'fraude’ supposée et encore inconnue.

L’article 8 de la CESDH, tout en énonçant le droit au respect de sa vie privée et familiale, est tempéré par son paragraphe 2 qui dispose que 'il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui'.

En l’espèce, il n’y a pas eu de violation des dispositions de l’article 8 de la CESDH et la mesure n’a aucunement été disproportionnée eu égard au but poursuivi.

Ce moyen sera rejeté

Ainsi , l’ordonnance du 19 février 2020 du juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Paris sera confirmée.

Sur le recours :

Il convient de prendre acte du désistement de la SARL CABRELUX de son recours par courrier du 17 novembre 2020 déposé à l’audience du 18 novembre 2020, ledit désistement ayant été accepté par l’administration fiscale à l’audience.

Aucune circonstance dans le dossier ne justifie l’octroi du bénéfice de l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement et en dernier ressort:

— Ordonnons la jonction des instances enregistrées sous les numéros de RG 20/03966 (appel), et RG 20/03976 (recours), qui seront regroupées sous le numéro le plus ancien ;

—  Confirmons en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de PARIS en date du 19 février 2020 ;

— Donnons acte à la SARL CABRELUX de son désistement d’instance et d’action concernant le recours contre les opérations de visite domiciliaire du 20 février 2020 dans les locaux et dépendances sis […], susceptibles d’être occupés par la SAS cabinet GERMAIN & MAUREAU ;

— Disons que le désistement est parfait ;

—  Disons n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Rejetons toute autre demande ;

—  Disons que la charge des dépens sera laissée à la partie appelante.

LE GREFFIER

Q R

LE DÉLÉGUÉ DU PREMIER PRESIDENT

S T-U

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 15, 13 janvier 2021, n° 20/03966