Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 29 juin 2021, n° 19/04564

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 4 - ch. 13, 29 juin 2021, n° 19/04564
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/04564
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 30 janvier 2019, N° 17/12649
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

(Anciennement pôle 2 – chambre 1)

ARRÊT DU 29 JUIN 2021

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/04564 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7NOY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Janvier 2019 – Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 17/12649

APPELANTS

Madame L V X W

Née le […] à […]

[…]

[…]

Représentée et assistée par Me U TREMOLET DE VILLERS de la SCP TREMOLET DE VILLERS SCHMITZ LE MAIGNAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0163

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/063916 du 10/01/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)

Monsieur I-U Z, agissant an qualité de mandataire de Madame X et à titre personnel

Né le […] à Limoges

Le Village

[…]

Représenté et assisté par Me U TREMOLET DE VILLERS de la SCP TREMOLET DE VILLERS SCHMITZ LE MAIGNAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0163

INTIMÉS

Madame J Y épouse Y

Née le […] à Paris

[…]

[…]

ET

Monsieur K Y

Né le […] à […]

[…]

[…]

Représentés et assistés par Me Alexis FOURNOL, avocat au barreau de PARIS, toque : E1601

SAS CS FRANCE, immatriculée au RCS de Paris sous le n° 303 263 735,

prise en la personne de son représentant légal

[…]

[…]

Représentée et assistés par Me Rémi SERMIER de la SELEURL REMI SERMIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0298

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Avril 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Nicole COCHET, Première présidente

Mme Marie-Françoise D’ARDAILHON MIRAMON, Présidente

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Séphora LOUIS-FERDINAND

ARRÊT :

— Contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Nicole COCHET, Première présidente de chambre et par Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière présente lors de la mise à disposition.

* * * * *

Mme L X a hérité de son père, M X, un manuscrit non signé, achevé par un

portrait du maréchal Q R, intitulé « La Guerre Mondiale 1914 -1918 » qui décrit la grande guerre et les mécanismes des batailles avec précision, ce document étant illustré par 77 croquis également manuscrits.

Elle a consenti à M. I-U Z un mandat aux termes duquel elle lui confiait le soin de découvrir l’auteur du manuscrit, de faire constater son authenticité et de le vendre, aux termes d’un acte authentique du 30 avril 2008.

C’est ainsi que M. Z a fait expertiser le manuscrit par deux experts, M. N G, A, et Mme AB S-T, expert judiciaire assermenté en écritures manuscrites près la cour d’appel de Toulouse, qui ont authentifié le manuscrit comme écrit de la main du maréchal R.

Après plusieurs entrevues avec notamment le conservateur général du Patrimoine, le conservateur en chef des Bibliothèques et l’adjoint au général chef du service historique de la défense de Vincennes, le manuscrit a été édité en avril 2014 avec une préface rédigée par M. O P, historien biographe et spécialiste du maréchal R.

M. Z, en sa qualité de mandataire de Mme X, a ensuite signé un mandat de vente avec la société Cs France les 24 et 29 septembre 2014 en vue de la vente du 18 décembre 2014, l’estimation haute chiffrant sa valeur à 400 000 euros et le prix de réserve étant fixé à 250 000 euros.

Le 12 décembre 2014, Cs a fait part à M. Z d’un doute sur l’authenticité du manuscrit né d’échos négatifs reçus après la présentation du document en public. Un expert extérieur consulté par Cs ayant émis un avis négatif, il a été convenu le 15 décembre 2014 entre Cs et M. Z du retrait du lot de la vente du 18 décembre 2014, afin de permettre à l’expert d’établir un rapport d’expertise plus complet.

Le 13 avril 2015, se fondant sur un rapport signé par M. K Y et Mme J Y, Cs a notifié à M. Z la résiliation définitive de la vente.

Un autre expert auquel M. Z a fait alors appel, M. D de E, a vivement critiqué le rapport de M. et Mme Y, fait siennes les analyses de M. G et de Mme S-T, et conclu comme eux à l’authenticité du manuscrit.

Dans ce contexte, Mme X et M. Z ont actionné en dommages et intérêts Cs et M. et Mme Y devant le tribunal de grande instance de Paris.

Dans son jugement du 31 janvier 2019, le tribunal

— a débouté Mme X et M. Z de l’ensemble de leurs demandes ;

— a débouté M. et Mme Y de leur demande de dommages et intérêts ;

— a condamné Mme X et M. Z à payer à la société Cs France d’une part et à Mme J Y et M. K Y d’autre part, la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— a condamné Mme X et M. Z aux dépens.

Par déclaration du 26 février 2019, Mme X et M. Z ont interjeté appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 14 février 2020, Mme L X et M. I-U Z demandent à la cour

— de constater l’inexécution par Cs de son mandat, et sa renonciation à celui-ci ;

— dire cette inexécution et cette renonciation injustifiées ;

— de constater les fautes commises par les époux Y dans la réalisation d’une expertise amiable visant à trancher le différend entre Cs et les appelants ;

— de condamner solidairement Cs France et la Galerie K Y au paiement de 140 000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel causé à Mme X ;

— de les condamner solidairement au paiement de 40 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé à M. Z ;

— de les condamner solidairement au paiement de 10 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé à Mme X ;

— de les condamner au paiement de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— de les condamner aux entiers frais et dépens ;

et, à titre subsidiaire

— d’ordonner la désignation d’un expert judiciaire en « écritures manuscrites et documents », avec pour mission de :

— donner son avis sur l’attribution du manuscrit « La Guerre Mondiale 1914- 1918 » à Q R,

— donner son avis sur la validité scientifique de l’avis négatif émis par la Galerie Y sur cette attribution ;

— de dire que les frais d’expertise seront supportés par Cs.

Dans leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 8 avril 2020, Mme J Y et M. K Y demandent à la cour

— de confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 31 janvier 2019, en ce qu’il a débouté Mme L X et M. I-U Z de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre des consorts Y ;

— de juger qu’en délivrant leur avis sur l’authenticité du manuscrit, les consorts Y n’ont fait qu’user de leur droit à la liberté d’expression ou d’opinion ;

et, à titre subsidiaire,

— de confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 31 janvier 2019, en ce qu’il a débouté Mme L X et M. I-U Z de l’ensemble de leurs demandes visant à engager la responsabilité des consorts Y ;

et, à titre infiniment subsidiaire, de :

— de confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 31 janvier 2019, en ce qu’il a débouté Mme L X et M. I-U Z de leur demande visant à désigner un expert

judiciaire ;

et, en tout état de cause,

— de condamner in solidum Mme L X et M. I-U Z au paiement de la somme de 5.000 € au titre de la procédure abusivement menée à l’encontre de Mme J Y et de M. K Y, sur le fondement de l’article nouveau 1240 du code civil ou 1382 ancien du code civil ;

— de condamner in solidum Mme L X et M. I-U Z au paiement de la somme de 10.000 € au bénéfice de Mme J Y et de M. K Y, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d’instance qui seront recouvrés par Me Alexis Fournol, avocat aux offres de droit.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 24 juillet 2019, la société Cs France demande à la cour

— de confirmer dans son intégralité le jugement rendu le 31 janvier 2019 par le tribunal de grande instance de Paris ;

— de débouter en conséquence M. I-U Z et Mme L X de toutes leurs demandes ;

— de condamner in solidum M. I-U Z et Mme L X au paiement de la somme de dix mille euros à Cs au titre de la procédure d’appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d’instance qui seront recouvrés par l’AARPI Pamina Avocats.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 mars 2021.

SUR CE,

Sur la responsabilité de la maison de ventes et des experts

Se fondant sur les termes du contrat conclu entre Mme X et Cs en vue de la vente, le tribunal a en premier lieu considéré qu’informée des rumeurs courant sur l’authenticité du manuscrit, Cs, de par sa responsabilité d’opérateur de ventes volontaires, ne pouvait que solliciter un avis extérieur à ceux des experts antérieurement mandatés par les vendeurs.

Il a ensuite relevé qu’au vu de cet avis négatif, un courrier de Cs du 15 décembre 2014, contresigné par M. Z, a matérialisé leur accord pour différer la vente dans l’attente du résultat d’un rapport plus complet, après examen approfondi du manuscrit, qui serait suivi d’une nouvelle évaluation entre eux de la situation.

Il a également constaté que les époux Y ont été saisis d’une expertise dont d’une part, il n’était pas prévu qu’elle doive se dérouler contradictoirement, et qui d’autre part n’entrait pas dans le cadre de l’organisation d’une vente aux enchères publiques au sens des articles L 321-29 et suivants du code de commerce, étant à la fois officieuse et organisée postérieurement à la rédaction du catalogue.

Reprenant la méthode de travail utilisée par les époux Y, il en a retenu que leur rapport était le résultat d’un travail sérieux à l’issue duquel l’avis qu’il ont émis correspond à l’exercice de leur liberté d’opinion, ce dont il a déduit qu’il ne pouvait leur être reproché aucune faute de nature à engager soit leur responsabilité contractuelle vis à vis de Cs, soit leur responsabilité délictuelle à l’égard des demandeurs.

Il poursuit en constatant que confronté à ce rapport négatif, Cs a logiquement retiré de la vente un ouvrage dont il ne pouvait garantir qu’il était effectivement rédigé de la main du Maréchal R, ce qu’il a fait sans informer le public des motifs de ce retrait, et qu’aucun manquement contractuel ne peut non plus lui être utilement reproché par les demandeurs.

Mme L X et M. I-U Z, appelants, contestent la décision des premiers juges , faisant valoir les éléments suivants

En ce qui concerne Cs

Alors que Cs s’était contractuellement engagée à vendre le manuscrit sur la base de la présentation qui lui en avait été faite et des expertises G de 2007 et S-T de 2008, et qu’elle en avait vanté dans la presse l’intérêt historique majeur, elle a quelques jours avant la vente commencé à en mettre en doute l’authenticité, et a persévéré au cours de la soirée préalable à la vente, par une attitude très en retrait de son représentant, alors même que deux offres d’achat préliminaires étaient émises ce soir là.

L’expertise dont M. Z a accepté la mise en oeuvre le 15 décembre 2014 n’a pas donné lieu aux échanges prévus par le courrier de ce même jour, en ce sens qu’il est resté absolument sans nouvelles pendant trois mois avant de recevoir le 13 avril 2015 un courrier lui annonçant la résiliation définitive de la vente, sans qu’aucune discussion contradictoire ne puisse non plus avoir lieu par la suite.

Cs a conclu avec Mme X un mandat, l’article 1991 du code civil prévoyant que le mandataire répond des dommages éventuellement causés par son inexécution, la renonciation étant possible selon l’article 2007 du code civil, sous la réserve cependant que le mandataire indemnise le mandant si elle préjudicie à ce dernier.

La rumeur n’a pu fonder le retrait de la vente, en l’absence de tout élément nouveau ouvrant un doute légitime sur l’authenticité du manuscrit par rapport aux éléments dont disposait Cs au moment de la conclusion du mandat, et dès lors la clause de retrait, qui exige l’apparition fortuite d’un élément nouveau, donc postérieur à la conclusion du contrat, sérieux, et qui soit extérieur aux parties, n’avait pas à être mise en oeuvre.

Cs a en fait, pour une raison ignorée, voulu créer un doute qui n’existait pas, ultérieurement légitimé par le rapport d’expertise.

Non sérieux, l’élément invoqué n’est pas non plus extérieur aux parties, la lettre du 15 décembre 2014 démontrant que c’est Cs elle-même qui entend revenir sur son appréciation antérieure du manuscrit.

Cs a donc engagé sa responsabilité dans la mesure où elle a retiré le manuscrit de la vente sans raison sérieuse, n’a pas mis le mandant en mesure de discuter l’expertise, et a résilié le mandat de mauvaise foi.

En ce qui concerne les époux Y,

Ils ne sont pas critiqués pour l’avis qu’ils ont émis, qui relève de leur libre appréciation, mais pour les conditions dans lesquelles ils ont travaillé.

Présenté par Cs comme un expert extérieur et neutre, M. Y est en fait en relations très suivies avec la maison de ventes, le travail de M. Et Mme Y n’a pas été contradictoire, ils se sont montrés négligents dans la conduite de leur recherche, menée uniquement sur des fac similés, en trop petit nombre pour que le travail puisse être probant, et en appliquant une méthode sans analyse

du contenu ni de l’auteur du texte, uniquement centrée sur la graphologie, et encore de manière sommaire.

Leur rapport est finalement non un travail de recherche impartiale et sincère de l’authenticité du document, mais de démonstration, entièrement à charge, en vue d’établir son caractère inauthentique, leur conclusion faisant d’ailleurs état de ce que leur étude a permis de confirmer l’impression initiale, ce qui n’est pas exactement le but d’une expertise.

Intervenus à l’occasion d’une vente aux enchères, ils sont des experts au sens des dispositions de l’article L 321- 29 du code de commerce, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, et doivent donc répondre de leurs manquements, leur liberté d’expression ne les exonérant pas de leur responsabilité, qui joue indifféremment lorsque l’expert authentifie un bien ou lorsqu’il refuse de l’authentifier : ayant agi avec légèreté ou mauvaise foi, ou en tout cas négligence manifeste, ils doivent être tenus avec Cs à réparer le dommage qui est en est résulté.

La société Cs répond

— qu’elle a fait preuve de prudence en sollicitant l’avis d’un expert extérieur mandaté par elle, lorsqu’elle a été confrontée à des rumeurs négatives insistantes sur l’authenticité du manuscrit ;

— qu’il était de son devoir de ne pas se contenter des expertises fournies par les appelants, et elle a donc sollicité des experts reconnus ;

— que poursuivre la vente en présence de ces expertises contradictoires dont il aurait nécessairement fallu informer les acquéreurs potentiels aurait ruiné les chances de pouvoir vendre le bien à hauteur des estimations initialement retenues ;

— qu’elle était fondée, au vu du rapport des époux Y, à retirer le bien de la vente sans engager sa responsabilité, son doute légitime étant bien né d’une circonstance extérieure, à savoir l’avis des époux Y.

Les consorts Y soutiennent pour leur part

— qu’ils ne peuvent être considérés comme experts au sens du code de commerce, et le régime de responsabilité des experts ne leur est donc pas applicable ;

— qu’il n’existe aucune solidarité entre eux et la société Cs ; la mission qui leur a été confiée consistait en une prestation déterminée contre rémunération, sans représentation aucune ;

— que leur rapport n’avait pas vocation à être rendu public, et le contradictoire n’était pas nécessaire, dans la mesure où une telle exigence ne leur a pas été imposée ;

— que l’établissement de leur l’avis relevant de la liberté d’expression ou d’opinion, leur responsabilité ne peut être engagée à ce titre ;

— qu’en toute hypothèse, ils n’ont commis aucune faute dans la rédaction de leur expertise, et les appelants ne peuvent leur reprocher d’avoir commis une inexécution contractuelle dont leur cocontractant – Cs – n’a lui même jamais fait état ;

— que le rapport du cabinet d’Urfé établi par M. D de E se borne à établir une comparaison entre les rapports contradictoires existants pour conclure en épousant les thèses des experts des vendeurs, alors même que ce cabinet a également vocation à vendre ce manuscrit, ce qui discrédite son caractère d’expertise scientifique et sa valeur de preuve de l’authenticité du manuscrit qu’il affirme ;

— que si un tel manuscrit avait été écrit par Q R, les Archives nationales auraient nécessairement procédé à sa revendication, le document ayant alors une nature d’archive publique au sens de l’article L.211-4 du code du patrimoine.

Il convient de rappeler à titre liminaire que la faculté de retirer d’une vente un bien, ouverte à tout opérateur de vente volontaire du fait même de son statut, qui lui en fait même l’obligation en cas de doute légitime sur son authenticité, n’est pas discrétionnaire, mais doit être exercée de bonne foi.

En septembre 2014, Cs France a accepté de conclure avec M. Z, au nom de Mme X, un mandat de vendre le manuscrit avec un prix de réserve de 250 000 euros, vente prévue le 18 décembre suivant.

La maison de vente, pour conclure ce mandat, avait nécessairement acquis la conviction de l’authenticité du document, dont au demeurant M. Z travaillait depuis plusieurs années à faire la démonstration.

Aussi bien, cette authenticité était très solidement étayée

— par les expertises produites, l’expertise de M. G de 2007 et l’expertise de Mme S-T de 2008, extrêmement sérieuses bien qu’émanant d’experts provinciaux. En particulier le rapport de Mme S-T reposait sur une étude globale et complète du manuscrit, comportant des observations d’ensemble sur l’ordonnancement du texte, sur son niveau graphique, sa dimension, l’inclinaison, la direction, la continuité, la vitesse de mouvement et le trait de l’écriture, avant un examen détaillé de la forme des lettres et des croquis.

Pour l’effectuer, Mme S-T s’est référée à des éléments de comparaison en original, à savoir des écrits collationnés par le Fonds R du centre des archives nationales, et d’autres détenus par le service historique de la défense à Vincennes, consistant notamment en des lettres officielles et personnelles, des notes, des cahiers de cours donné par R à l’Ecole de guerre et des croquis de batailles établis de sa main.

De cette étude approfondie, l’expert a conclu que le texte était écrit de la main d’un unique scripteur, et que les similitudes massives entre l’écriture du manuscrit et les éléments de comparaison dans les composantes du geste graphique, dont certaines ' très significatives des caractéristiques personnelles', sans qu’aucune dissemblance synonyme d’incompatibilité ne ressorte de l’analyse comparative, établissaient qu’il s’agissait d’un écrit authentique du général R ;

— par les prises de position favorables confortant ces expertises émanant des responsables institutionnels de la conservation de documents historiques et de M. O P, historien spécialiste du maréchal R.

Dans ce contexte, Cs, qui avait organisé et officiellement promu la vente du manuscrit, ce jusqu’à une date très proche de celle retenue, a entrepris trois jours avant celle-ci de la suspendre, cette demande ayant été acceptée par M. Z, dans le but de rassurer les doutes subitement venus à la connaissance de la maison de ventes à l’encontre de la position initiale.

Force est cependant de constater en premier lieu qu’à ce stade, le tribunal, en se limitant, pour admettre la légitimité de cette démarche initiale et l’obligation dans laquelle se serait trouvée Cs de prendre des assurances sur l’authenticité d’une oeuvre dont elle était jusque là persuadée, à faire état de ce qu’elle avait été 'informée de rumeurs sur l’authenticité du manuscrit… à la suite de la présentation de ce manuscrit dans le cadre de ses opérations commerciales', a trop rapidement retenu des 'rumeurs’ comme une cause légitime à la suspension de la vente.

La cour considère à cet égard qu’en l’absence de toute précision sur l’origine, le nombre et le ou les

auteurs de ces rumeurs, il demeure un flou certain sur les circonstances censées motiver la suspension de la vente, l’ébranlement soudain des certitudes de Cs sur l’authenticité du manuscrit demeurant ainsi sans justification.

Par ailleurs, la référence ultérieurement faite, au soutien de cette rumeur, à une 'première analyse émanant de M. Y', auquel Cs a ensuite choisi de confier 'l’établissement d’un rapport d’expertise plus complet’ ne donne pas non plus toute garantie sur l’extériorité des causes de sa volte- face.

Bien au contraire, le courrier de Mme H directrice du département livres de Cs, en date du 15 décembre 2014, fait état de 'certaines interrogations soulevées sur l’attribution et l’absence d’intérêt de clients pour les manuscrits de Cs France, d’où il est soudain résulté 'en reprenant l’étude du manuscrit', que 'certains éléments dans l’écriture du manuscrit pouvaient ne pas être cohérents’ pour justifier 'l’avis neutre d’un expert extérieur et réputé en matière de manuscrits autographes’ qu’elle ne nomme pas, d’après lequel 'en première analyse… ce manuscrit ne serait pas de la main de Q R', ce qui constitue 'un élément de nature à fonder un doute légitime', tout cela en se référant à une réunion du 'staff’ de Cs où a été évoqué ' le manuscrit visé en objet', ce qui plaide en faveur d’une origine purement interne des interrogations élevées dans les jours précédant la vente, mettant sérieusement en question leur pertinence.

En second lieu, les circonstances dans lesquelles Cs a organisé, puis utilisé l’intervention des époux Y ne sont pas non plus exemptes de toute critique quant à son comportement contractuel vis à vis des appelants. En effet :

— Dans ce même courrier du 15 décembre 2014, Mme H, s’adressant à M. Z, fait état de ce que 'nous avons convenu d’un commun accord que la meilleure option était de retirer le lot de la vente … afin de permettre à l’expert que nous avons sollicité d’établir un rapport d’expertise plus complet, après avoir analysé le manuscrit de manière plus approfondie. L’expert sera mandaté en ce sens.

Une fois ce rapport complet établi, nous pourrons à nouveau évaluer la situation ensemble, contradictoirement, et prendre les décisions qui s’imposeront au regard des conclusions apportées'.

M. Z est resté ensuite sans nouvelles de l’expertise ni du manuscrit, jusqu’à être averti par Cs par courrier du 13 avril 2015, après un appel téléphonique du 7 avril précédent, de la résiliation définitive et non discutable du mandat de vente en raison des conclusions négatives du rapport Y, ses demandes en vue d’instaurer une discussion contradictoire de ce rapport n’ayant eu aucun aboutissement concret.

L’expertise 'neutre’ censée devoir déboucher sur une réévaluation contradictoire de la situation, sereinement acceptée par M. Z dans l’esprit de voir lever les doutes émis, a ainsi été pilotée par Cs sans concertation, M. Z n’ayant eu aucun contact avec les époux Y, qui n’ont pas non plus contacté les précédents experts du manuscrit.

De même, la décision de résiliation au vu de ce rapport a été prise unilatéralement par Cs, sans l’ombre de la discussion pour réévaluation contradictoire préalable de la situation que M. Z était en droit d’attendre au vu des termes du courrier de décembre 2014, la tentative organisée en ce sens sous l’égide de Cs, le 16 juin 2015 ayant tourné au fiasco compte tenu du refus des époux Y de discuter les termes de leur rapport avec Mme S-T.

Quant à l’expertise des consorts Y elle-même, la cour, confrontée à des expertises graphologiques divergentes qui ont pour point commun d’ émaner d’experts aux compétences reconnues et indiscutables, fait les constats suivants :

— Comme l’a déjà souligné à juste titre le tribunal, les époux Y ne sont pas intervenus en tant qu’experts dans le cadre d’une vente volontaire. En effet, leur saisine ne s’inscrivait pas dans le cadre de la vente au sens de l’article L 321-19 du code de commerce, puisqu’il ne s’agissait pas pour eux d’apporter leur concours à Sotheby’ dans la description, la présentation et l’estimation des biens mis en vente en amont de celle-ci, mais de donner un avis, hors toute vente à venir programmée, sur l’authenticité du manuscrit ;

— Cs ayant sollicité leur désignation sans la moindre concertation avec M. Z, il est impossible de connaître avec exactitude le contenu de la mission qu’il leur a été demandé de remplir, sur laquelle leur rapport dit d’expertise n’apporte aucune précision ;

— N’ayant contracté qu’avec Cs, ils peuvent légitimement soutenir qu’ils n’étaient missionnés que pour donner à la maison de vente un avis scientifique sur l’authenticité du manuscrit, et qu’ils étaient donc maîtres de la méthode de son examen, libres d’en avoir l’opinion qu’ils pensaient devoir émettre, et sans obligation d’échanger contradictoirement avec Mme S-T sur leurs travaux respectifs comme le souhaitait M. Z, pas plus en cours d’examen du manuscrit qu’après avoir remis leur avis, puisqu’ils n’avaient contractuellement de comptes à rendre qu’à Cs. Ainsi non seulement ils n’étaient pas en l’espèce experts 'en vente volontaire’ , mais n’étant pas commis par les deux parties, ils n’avaient pas non plus les obligations d’un expert qui aurait été contradictoirement désigné.

Dans ce contexte, la cour peut abonder dans le sens de la décision des premiers juges pour considérer que leur analyse comparative du manuscrit attribué au maréchal R, avec les éléments de comparaison dont ils disposaient, constitue un travail apparemment sérieux sur le plan technique , dans l’exécution duquel ils n’ont commis aucune faute, ni contractuelle, qu’au demeurant Cs ne leur reproche pas, ni délictuelle à l’encontre de M. Z et de Mme X.

Ainsi, alors que M. Z indique leur faire grief non pas leur avis, mais la manière dont ils l’ont élaboré, il apparaît à la cour que le grief que les appelants font à ce rapport ne peut tenir qu’ à l’utilisation qui en a été faite par Cs, nettement critiquable.

En effet, ayant en mains ce rapport commandé aux époux Y, dans des conditions précises connues d’elle seule, Cs n’a pu manquer de constater qu’il n’était ni aussi complet ni aussi fouillé que celui de Mme S-T sur la base duquel elle avait accepté de conduire la vente, qu’en particulier la comparaison avait porté sur un nombre bien moindre de documents et non sur des originaux, mais sur de simples fac-similés.

Tant en raison de la prudence qu’elle-même recommande, qui doit être mise en oeuvre aussi bien pour écarter l’authenticité d’une oeuvre que pour la reconnaître, que par respect de l’engagement pris à l’égard de M. Z dans le courrier de Mme H du 15 décembre, il incombait à Cs, à réception de l’opinion négative émise par les époux Y, d’instaurer la discussion contradictoire à laquelle elle s’était engagée, qui aurait vraisemblablement conduit à la désignation d’un autre expert, celui-ci réellement neutre, et non de se précipiter pour confirmer sur cette seule base la résiliation du mandat.

Il n’y a plus lieu cependant de recourir maintenant à la désignation d’un expert judiciaire que les appelants sollicitent à titre subsidiaire, alors qu’une telle expertise ne serait pas utile pour qualifier la faute éventuelle de la société Cs dans la rupture du mandat de vente dont la cour est saisie.

C’est donc à tort que les premiers juges ont considéré que Cs n’avait commis aucune faute contractuelle de nature à engager sa responsabilité en résiliant comme elle l’a fait le mandat de vendre le manuscrit conclu avec M. Z pour Mme X, et sa décision est donc infirmée en ce qui concerne la maison de vente, le rejet pertinent de la demande de Mme X et M. Z en ce qu’elle est dirigée contre les époux Y étant en revanche confirmé.

Sur le lien de causalité et le préjudice

Mme L X et M. I-U Z considèrent

— que le manuscrit a perdu de sa valeur du fait de cette expertise Y bâclée et à la suite de l’entreprise de démolition ainsi conduite par Cs et les auteurs du rapport, lequel devra désormais être produit à toutes les étapes de la vie du manuscrit ;

— que la protestation de M. Z par voie de presse, par laquelle Cs lui reproche d’avoir ainsi lui même fait connaître une information négative qu’elle même avait pris soin de ne pas diffuser, était le seul moyen de diminuer le ressenti négatif résultant du retrait de la vente ;

— que l’estimation moyenne de l''uvre étant située à 300 000 euros, 100 000 euros peuvent être réclamés au titre de la perte financière de l''uvre par Mme X, qui est également fondée à être dédommagée des frais qu’elle a engagés depuis que la vente aurait dû avoir lieu, qu’elle évalue à hauteur de 40 000 euros, soit 15% du résultat d’une vente hypothétique en-deçà des évaluations initiales ; elle demande 10 000 euros au titre de son préjudice moral ;

— que le préjudice moral de M. Z, qui se consacre depuis quinze ans à la reconnaissance de cette 'uvre, est manifeste, ses efforts ayant été réduits en cendres et sa considération atteinte, ce qui justifie une réparation à hauteur de 40 000 euros.

Cs reste taisante sur le préjudice tout en soulignant que les seules informations données sur les motifs du retrait du manuscrit de la vente l’ont été par M. Z, en des termes outranciers dont il a la responsabilité mais qui en toute hypothèse le disqualifient pour prétendre à la réparation d’un préjudice moral dont seuls ses propres propos pourraient être la cause.

Bien qu’effectivement la contestation sur l’authenticité du manuscrit ait été publiquement révélée par M. Z pendant que Cs restait taisante sur les motifs de son retrait de la vente, il reste que ce retrait, émanant d’une maison de ventes aussi prestigieuse, suffit en soi à faire suspecter une difficulté de cet ordre, dont les tenants et aboutissants précis n’auraient pu manquer d’être révélés, en sorte que la stratégie adoptée par M. Z de porter les faits sur la place publique ne peut être tenue pour un facteur aggravant du préjudice, celui-ci résultant de ce que le manuscrit, quelle que soit son histoire à venir, est aujourd’hui définitivement marqué par le doute né de cet épisode, et ne peut plus être remis en vente sans information transparente et complète sur les expertises et avis contradictoires dont il a fait l’objet, qui dégradent sa valeur.

Cette perte de valeur du manuscrit, même si elle est difficile à évaluer, est ainsi certaine, tout espoir de voir en particulier son prix atteindre la prévision haute formulée à 400 000 euros au moment de la vente devant être abandonné.

En fonction de son statut aujourd’hui dégradé, mais en considération aussi de l’aléa important que comporte la négociation d’un tel bien, dont on ne peut non plus exclure que la polémique sur son authenticité ne puisse constituer finalement un élément d’attractivité, la proposition de M. Z d’évaluer cette perte de valeur par référence à un prix moyen de 300 000 euros sera reprise, mais jaugée par référence au prix plancher plutôt qu’au prix moyen, et évaluée par conséquent à 50 000 euros, somme que Cs devra payer à Mme X en réparation du préjudice matériel résultant de cette perte de valeur.

Quant à la somme de 40 000 euros demandée au titre des dépenses exposées pour M. Z pour continuer d’assurer la mise en valeur du manuscrit depuis l’annulation de la vente, elle ne peut être accueillie, s’agissant d’une demande forfaitaire qui en outre, pour les trois quarts de son montant, correspond à des dépenses dites 'prévisionnelles’ qui, comme il l’indique lui-même, viendront s’imputer sur le prix d’une vente éventuelle dont ne sont connues ni la date, ni les modalités, ni le

montant et qui sont donc purement hypothétiques.

Les dépenses déjà engagées à ce titre à partir de décembre 2014 et 2019, qui correspondent aux frais de la participation de M. Z à divers salons, conférences, réunions et rencontres, à hauteur de 8943 euros, qui découlent du choix de M. Z de poursuivre la promotion du document, ne peuvent non plus être indemnisées, faute d’un lien de causalité direct avec la rupture de la vente.

Au titre du préjudice moral, M. Z, s’étant vu parvenir au terme de ses efforts de plusieurs années en vue de la valorisation du manuscrit, a vécu avec la résiliation de la vente sinon leur anéantissement, du moins la nécessité de les reprendre avec le risque de ne plus aboutir, par l’effet du comportement contractuel fautif de Cs.

Au surplus Cs a, dans la conduite du processus de rupture, montré pour M. Z et pour la qualité de ses efforts une faible considération, non exempte de condescendance, sinon de mépris, pour ses protestations répétées sur le rapport Y et les conséquences que la maison de vente entendait en tirer.

Son indemnisation de ce chef apparaît ainsi justifiée, à hauteur de la somme de 6 000 euros.

Il n’ y a pas lieu d’accorder en revanche une indemnisation à ce titre à Mme X, qui, étant représentée par M. Z dans tout le processus de la valorisation et de reconnaissance de l’importance du manuscrit, au cours duquel elle n’est pas en un quelconque moment apparue, ne justifie pas, de ce fait, d’un prejudice moral réparable.

Sur la demande de dommages-intérêts pour abus du droit d’agir en justice

Il ne résulte pas de la confirmation par la cour du rejet des demandes dirigées par M. Z et Mme X contre les époux Y que ces demandes caractérisent pour autant de leur part une faute ni un abus d’usage, au détriment des époux Y, de leur droit d’agir en justice.

Leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive à l’encontre des appelants est donc rejetée.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

L’équité justifie la condamnation de Cs à payer à M. Z et Mme X la somme de 8000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

En revanche, aucun motif tiré de l’équité ne justifie qu’une somme soit accordée à ce titre aux époux Y.

Cs, partie principalement succombante, est condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Condamne la SA Cs France à payer à Mme X la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice matériel,

Condamne la SA Cs France à payer à M. Z la somme de 6 000 euros en réparation de son préjudice moral,

Rejette toutes les autres demandes,

Condamne la SA Cs France aux entiers dépens de première instance et d’appel,

Condamne la SA Cs France à payer à M. Z et Mme X ensemble la somme de 8000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 29 juin 2021, n° 19/04564