Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 3, 12 janvier 2022, n° 19/06644

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Chronologie de l’affaire

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Charles-édouard Brault · Gazette du Palais · 15 novembre 2022
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 3, 12 janv. 2022, n° 19/06644
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/06644
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 13 janvier 2019, N° 17/04152
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 3

ARRET DU 12 JANVIER 2022

(n° , 8 pages)


Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/06644 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7TFR


Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Janvier 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 17/04152

APPELANTE

SCI EMERIGE COMMERCES agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 811 017 516

[…]

[…]


Représentée par Me Philippe RENAUD de la SCP SCP D’AVOCATS RENAUD ROUSTAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0139

INTIMEE

SARL CORIOLAN FOR MEN agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 622 004 414

[…]

[…]


Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090, avocat postulant


Assistée de Me André JACQUIN de la SAS JACQUIN MARUANI & ASSOCIES, avocat au b a r r e a u d e P A R I S , t o q u e : P 0 4 2 8 , a v o c a t p l a i d a n t s u b s t i t u é p a r M e K a h i n a TADJADIT-MAHMOUD de la SAS JACQUIN MARUANI & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0428, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :


L’affaire a été débattue le 23 Novembre 2021, en audience publique, devant la Cour composée de : Monsieur Gilles BALA', président de chambre

Madame Sandrine GIL, conseillère

Madame Elisabeth GOURY, conseillère

qui en ont délibéré,

un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE

ARRET :


- contradictoire


- par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.


- signé par Monsieur Gilles BALA', président de chambre et par Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

*****

FAITS ET PROCEDURE


Par acte du 4 avril 2007, la société Gecina, aux droits de laquelle vient la société Emerige Commerces, a donné à bail commercial à la société Coriolan For Men des locaux sis l carrefour de la croix Rouge à Paris 6ème pour une durée de neuf ans à compter du 1er janvier 2007 jusqu’au 31 décembre 2015.


Par acte d’huissier en date du 19 juin 2015, la société Emerige Commerces a notifié à la société Coriolan For Men un congé à effet au 31 décembre 2015 avec refus de renouvellement du bail et offert de lui verser une indemnité d’éviction.


Par ordonnance en date du 23 octobre 2015, le juge des référés a désigné M. X en qualité d’expert afin de donner son avis sur les montants des indemnités d’éviction et d’occupation.


L’expert a rendu son rapport en date du 8 décembre 2016 aux termes duquel il estime que l’éviction entraînerait la perte du fonds de commerce et propose de fixer :


- le montant de l’indemnité d’éviction à la somme totale de 4.226.000 euros en cas de plafonnement tenant compte d’une indemnité principale égale à 3.800.000 euros, outre des indemnités accessoires à hauteur de 426.000 euros, et à la somme totale de 3.602.000 euros en cas de déplafonnement, tenant compte d’une indemnité principale égale à 3.233.000 euros, outre des indemnités accessoires à hauteur de 369.000 euros, et le remboursement des frais de licenciement,


- le montant de l’indemnité d’occupation à la somme de 138.938 euros par an hors taxes et charges, fondée sur une surface pondérée de 61,75 m² et une valeur de déplafonnement de 2.500 euros/m², outre l’application d’un abattement de 10% pour précarité.


Par assignation en date du 1er mars 2017, la société Coriolan For Men a saisi le tribunal aux fins de fixation des indemnités d’éviction et d’occupation.
Par jugement du 14 janvier 2019, le Tribunal de grande instance de Paris a jugé que par l’effet du congé signifié le 19 juin 2015, le bail a pris fin le 31 décembre 2015, et que le refus de renouvellement à ouvert pour la société Coriolan For Men un droit au paiement d’une indemnité d’éviction. Considérant l’accord des parties sur la perte du fonds de commerce en cas d’éviction, et leur accord pour considérer que la valeur du droit au bail est supérieure à la valeur marchande du fonds, retenant l’hypothèse qu’en cas de renouvellement, le loyer aurait été plafonné, il a fixé à la somme globale de 3.915.694,50 euros (trois millions neuf cent quinze mille six cent quatre vingt quatorze euros et cinquante centimes), outre les frais de licenciement et les frais de déménagement sur justificatifs, l’indemnité d’éviction due par la SCI Emerige Commerces à la SARL Coriolan For Men qui se décompose ainsi:


- indemnité principale : 3.517.797,50 euros


- indemnités accessoires :


- 351.779 euros pour les frais de remploi,


- 34.121 euros pour le trouble commercial,


- 6.997 euros pour la perte sur stock


- 5.000 euros pour les frais administratifs et juridiques,


- frais de licenciement : sur justificatif,


- frais de déménagement : sur justificatifs.


Le tribunal a jugé que la SARL Coriolan For Men est redevable d’une indemnité d’occupation à compter du 1er janvier 2016 et jusqu’à la libération des lieux, qu’il a fixée à la somme annuelle de 153.000 euros hors taxes et hors charges, et il a constaté que la SARL Coriolan For Men et la SCI Emerige Commerces étant créancières l’une de l’autre, la compensation entre leurs créances réciproques s’opère de plein droit.


Il a débouté les parties de leurs demandes respectives de condamnation au paiement des indemnités d’éviction et d’occupation, et il a condamné la SCI Emerige Commerces aux dépens, en ce inclus les frais d’expertise judiciaire qui pourront être recouvrés dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile, et à payer à la SARL Coriolan For Men la somme de 5.000 au titre de l’article 700 du code de procédure civile.


Par déclaration en date du 25 mars 2019, SCI Emerige Commerces a interjeté appel de ce jugement.


L’ordonnance de clôture a été prononcée le 23 septembre 2021.

MOYENS ET PRETENTIONS


Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 26 octobre 2020 par lesquelles la société Emerige Commerces demande à la Cour de confirmer le jugement en ce qu’il a jugé que le bail a pris fin le 31 décembre 2015, fixé la surface pondérée des locaux à 68m², débouté la société Coriolan For Men de sa demande indemnitaire au titre des frais de réinstallation et jugé qu’elle était redevable d’une indemnité d’occupation à compter du 1er janvier 2016 jusqu’à la libération des lieux, se compensant avec l’indemnité d’éviction de plein droit ; mais d’infirmer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau de :


- Fixer le montant de l’indemnité d’éviction à la somme de 897.600,00 euros,


- Fixer le montant de l’indemnité d’occupation à compter du 1er janvier 2016 à la somme annuelle en principal de 204.000,00€ hors taxes hors charges,


- Condamner la société Coriolan For Men à payer à la société Emerige Commerces la somme de 4.000,00 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
- Condamner la société Coriolan For Men aux entiers dépens dont les frais et honoraires d’expertise de Monsieur X, avec distraction au profit de la SCP Renaud Roustan.


Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 7 octobre 2019, par lesquelles la société Coriolan For Men demande à la Cour de :


- Confirmer le jugement rendu le '1er mars 2019" (sic) par le Tribunal de Grande Instance de Paris en ce qu’il a jugé que le bail a pris fin le 31 décembre 2015, et que le refus de renouvellement à ouvert pour la SARL Coriolan For Men un droit au paiement d’une indemnité d’éviction, constaté que la SARL Coriolan For Men et la SCI Emerige Commerces étant créancières l’un de l’autre, la compensation entre leurs créances réciproques s’opère de plein droit, et en ce qu’il a condamné la SCI Emerige Commerces aux dépens, en ce inclus les frais d’expertise judiciaire confiée à M. X, et qui pourront être recouvrés dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile ; mais d’infirmer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau de :


- Condamner la société Emerige Commerces à lui payer une indemnité principale d’éviction d’un montant de 4.221.000 euros, à parfaire en cours d’instance, et des indemnités accessoires pour les montants de :


- 422.100 euros au titre des frais de remploi,


- 34.121 euros au titre du trouble commercial,


- 6.997 euros au titre de la perte sur stock,


- 10.000 euros au titre des frais de formalités diverses,


- 181.460 euros au titre des frais de réinstallation,


- Condamner la société Emerige Commerces au paiement des indemnités de licenciement, et de déménagement, sur justificatifs ;


- Dire et juger que le paiement de l’indemnité d’éviction interviendra selon les modalités prévues à l’article L 145-29 du code de commerce ;


- Fixer le montant de l’indemnité d’occupation dû par la société Coriolan For Men à compter du 1er janvier 2016 à la somme annuelle en principal de 92.000,00 euros HT et HC,


- Condamner la société Emerige Commerces au paiement de la somme de 15.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.


- Condamner la Société Emerige Commerces aux entiers dépens de première instance, et d’appel, outre les frais d’expertise judiciaire qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.


En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.


Pour une compréhension facilitée du présent arrêt, il convient de préciser que l’appelante évalue le droit au bail à 816.000 euros par la différence entre la valeur locative de marché qui ne peut excéder 4.500 euros/m² soit pour 68 m² un montant de 306.000 euros, et la valeur locative en renouvellement avec déplafonnement du fait de la variation notable des facteurs de commercialité pouvant être fixée à 204.000 euros, et en appliquant à la différence un coefficient de situation de 8. Concernant les indemnités accessoires, elle conteste l’existence d’un trouble commercial, les frais de réinstallation faute de preuve de frais spécifiques, et les frais de stock en raison de l’exploitation par la société locataire d’un autre fonds de commerce similaire à proximité, estimant par ailleurs que les frais administratifs et juridiques ne pourraient être pris en compte que sur justificatifs. Concernant l’indemnité d’occupation, l’appelante, par une analyse de différentes références, propose de la fixer sur la base d’une valeur locative de 3000 euros/m² sans abattement de précarité, au lieu des 2500 euros/m² retenus par le tribunal avec un abattement de 10%.


De même il doit être rappelé que l’intimée évalue le droit au bail à 4.221.000 euros. Bien qu’estimant la valeur locative de marché à 6500 euros/m², elle accepte la valeur de 5.500 euros/m² conforme à l’avis de l’expert soit 374.000 euros pour 68 m², mais prétend, compte tenu d’un loyer en renouvellement plafonné au montant de 22.220,25 euros HT et HC qu’il faut appliquer à la différence un coefficient de situation de 12. Elle accepte le montant du trouble commercial fixé par l’expert et retenu par le tribunal, bien qu’inférieur à 15 jours de chiffre d’affaires moyen, et prétend, contrairement à l’avis de l’expert et à la décision du tribunal, que son préjudice d’éviction doit tenir compte de frais de réinstallation correspondant aux frais d’aménagements semblables à ceux qu’elle perd, et aux frais d’adaptation des nouveaux locaux à son activité future qui doit correspondre à son concept propre, suivant le montant du devis qu’elle produit aux débats. Concernant l’indemnité d’occupation, l’intimée, par une analyse de différentes références, propose de la fixer sur la base d’une valeur locative de 1500 euros/m² avec un abattement de précarité de 10%.

MOTIFS DE L’ARRET


Les dispositions non critiquées du jugement dont appel sont définitives, selon lesquelles par l’effet du congé signifié le 19 juin 2015, le bail a pris fin le 31 décembre 2015, ouvrant droit pour la société Coriolan For Men au paiement d’une indemnité d’éviction et l’obligeant à payer une indemnité d’occupation statutaire à compter du 1er janvier 2016 pour le temps de son maintien dans les lieux.


Sur le montant de l’indemnité d’éviction


Considérant l’accord des parties sur la perte du fonds de commerce en cas d’éviction, et leur accord pour considérer que la valeur du droit au bail est supérieure à la valeur marchande du fonds, il convient de déterminer cette valeur par différence entre la valeur locative de marché et la valeur locative en renouvellement, et application d’un coefficient de situation.

1. La détermination de la valeur locative de marché


L’expert fait une description de l’immeuble dans lequel sont situés les lieux loués, qui n’appelle pas de remarque et ne fait pas l’objet de critiques des parties, lesquelles s’accordent dans leurs conclusions sur une surface pondérée de 68 m² et sur la méthode de calcul de la valeur locative de marché suivant les dispositions de l’article L.145-33 du code de commerce, par comparaison avec les prix couramment pratiqués dans le voisinage pour des locaux équivalents ou après correctifs, suivant les indications des articles R.145-7 et R.145-8 du même code.


Après avoir rappelé les principes applicables et leur justification économique, l’expert judiciaire a relevé place Y Z et […], ou à proximité, six locations nouvelles dans une fourchette de loyer entre 3200 et 6087 euros/m²B, six loyers reconstitués en réintégrant le droit au bail au loyer dans une fourchette de loyer entre 4312 et 8764 euros/m²B, trois renouvellements de baux dans une fourchette de loyer entre 1084 et 2087 euros/m²B et une fixation judiciaire de renouvellement d’un bail au 15 octobre 2011, pour un local d’une superficie de 81,6 m²B et un loyer de 674 euros.


L’expert, comme le tribunal, a retenu une valeur locative de marché de 5.500 euros/m2 en fonction de ces éléments, en relevant :
• la très bonne situation pour du prêt-à-porter, dans un secteur recherché pour les commerces de luxe, avec notamment la proximité du Bon Marché et d’Hermès, le quartier abritant une population résidentielle à fort pouvoir d’achat et bénéficiant d’un important flux de touristes les locaux qui dépendent d’un immeuble Haussmannien d’assez bonne facture• l’importante superficie moyenne (134 m² environ) qui est recherchée• la répartition des locaux sur trois niveaux, leur configuration irrégulière au rez-de-chaussée•

• les commerces autorisés par le bail : « commerce d’articles vestimentaires pour hommes et femmes »

• l’état du marché locatif des locaux commerciaux qui s’inscrit en baisse à Paris à l’exception des meilleurs emplacements tels la place Y Z.


La société Emerige Commerces critique avec pertinence la référence au montant le plus élevé de la boutique Oméga, soit 8764 euros/m² en observant qu’il s’agit d’une faible surface et d’une boutique à très forte rentabilité ; en revanche, sa critique des loyers de référence de la boutique Caron et de la boutique Pouchkine, respectivement situées 153 et 155, boulevard Saint-Germain, n’est pas pertinente car si l’adresse est prestigieuse en raison de la proximité d’établissements très touristiques, la situation du local litigieux est tout aussi excellente pour le commerce, et la tendance soulignée par l’expert est à la hausse pour les commerces particulièrement bien situés.


Il en résulte que la valeur de 5500 €/m² résulte de comparaisons pertinentes et d’appréciations objectives qu’il convient d’approuver.

2. La valeur locative en renouvellement

le tribunal doit être approuvé d’avoir écarté le déplafonnement ; la critique de sa motivation, en ce que le premier juge ne relève aucun changement majeur de la commercialité, n’est pas pertinente même s’il convient en effet de préciser que les changements de commercialité pendant la durée du bail expiré, qui ont été mentionnés par l’expert judiciaire, ne sont pas notables au sens de l’article R 145-6 du code de commerce.


Il n’est en effet pas contestable que le secteur a bénéficié de la construction de nouvelles surfaces commerciales et de bureaux, a connu une augmentation du nombre des enseignes et une augmentation de la fréquentation des stations de métro avoisinantes, et de la rénovation du Bon Marché, outre le classement du secteur en zone commerciale internationale permettant l’ouverture des commerces de la zone le dimanche et en soirée.


Cependant, la population du secteur a plutôt légèrement baissé et ces évolutions ne sont pas notables au sens du texte précité, dans la mesure où lors de la prise d’effet du bail à renouveler, le local était déjà situé dans un secteur très touristique, et bénéficiait déjà d’une clientèle de quartier à fort pouvoir d’achat. L’évolution favorable du quartier n’est donc pas particulièrement notable et ne justifie pas le déplafonnement.


Il en résulte qu’en cas de renouvellement du bail litigieux, le loyer aurait été, par application du plafond, fixé au 1er janvier 2016 au montant de 22'220,25 euros suivant l’application de la variation des indices et le calcul de l’expert non contesté par les parties.

3. Le coefficient de situation/commercialité


L’expert avait retenu un coefficient de 12 ; mais le tribunal doit être approuvé d’avoir retenu, en fonction du très bon emplacement, le coefficient 10, car il ne peut être considéré comme le meilleur emplacement de la capitale.

4. Le montant de l’indemnité principale
Il s’établit comme suit :

68 m² x 5500 € x 10 = 3'517'797,50 euros.


Sur les indemnités accessoires


L’indemnité de remploi doit être fixée selon un taux forfaitaire de 10 % de l’indemnité principale, en l’espèce au montant de 351'779 euros.


L’indemnité dite de « trouble commercial » a pour objet de réparer le préjudice causé par la perturbation dans l’exploitation liée au refus de renouvellement. La perte du fonds de commerce qui résultera de l’éviction, ainsi que les parties le reconnaissent, suffit à démontrer que l’exploitation commerciale sera perturbée avant la fermeture.


L’expert doit être approuvé, alors que l’excédent brut d’exploitation du dernier exercice est négatif, d’avoir évalué ce trouble commercial à 15 jours de chiffre d’affaires, pour un montant de 34'121 € qui est accepté par la société intimée.


Le jugement sera en conséquence confirmé à cet égard.


De même, la perte du stock évaluée à 6997 euros doit être retenue, dans la mesure où il n’est pas établi par la société appelante que dans une période de fermeture, le stock pourrait être vendu sans rabais, ou repris par un autre établissement sans perte.


Enfin, l’expert doit être approuvé d’avoir mentionné que les frais de réinstallation pouvant être dus par principe, même en cas de disparition du fonds, ne le sont qu’à proportion du degré d’amortissement des investissements abandonnés, et pour éviter un enrichissement sans cause, limités au coût des seules installations non amorties des locaux délaissés puisque la perte du fonds de commerce est indemnisée. Or, la cour ne dispose pas d’éléments de preuve concernant l’existence d’aménagements spécifiques que le preneur évincé devrait remettre en place dans de futurs locaux, et qui n’auraient pas déjà été amortis.


Les frais de déménagement, comme les frais administratifs et juridiques en cas de réinstallation, ne peuvent être dus que sur production de justificatifs.


De même, les frais de licenciement seront payés sur justificatifs.


Récapitulatif


L’indemnité d’éviction due par la société Emerige Commerces à la société Coriolan For Men doit en conséquence être fixée comme suit :

indemnité principale : 3'517'797,50 euros

frais de remploi : 351'779 euros

trouble commercial : 34'121 euros

pertes sur stocks : 6997 euros

frais administratifs et juridiques en cas de réinstallation : sur justificatifs

frais de licenciement du personnel : sur justificatifs frais de déménagement en cas de réinstallation : sur justificatifs


Total : 3'910'694,50 euros, outre les frais ci-dessus sur justificatifs


Il sera fait droit à la demande de condamnation au paiement d’une indemnité d’éviction pour ce montant, sous réserve des dispositions de l’article L 145-29 du code de commerce.


Sur l’indemnité d’occupation


Aux termes de l’article L 145-28 du code de commerce, le locataire évincé a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l’indemnité d’occupation est alors déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d’appréciation.


Il n’y a pas lieu d’appliquer pour cela les règle du plafonnement, et il peut être appliqué un abattement d’usage pour tenir compte de la précarité de la situation de tout locataire évincé ; en l’espèce, en l’absence d’éléments de preuve particulier sur l’importance de la perturbation, il y a lieu d’appliquer un abattement de principe de 10 %.


La valeur locative, suivant les critères posés par l’article R 145-7 du code de commerce, implique de tenir compte des différents niveaux de prix pratiqués dans le voisinage. Or, les termes de référence relevés par l’expert correspondent à des loyers dans une fourchette comprise entre 1714 et 4781 euros/m² pour les loyers pratiqués avec versement d’un droit au bail, à des loyers en renouvellement dans une fourchette comprise entre 1475 et 2087 euros/m², et pour les locations nouvelles dans une fourchette entre 3000 et 6000 euros/m².


Le tribunal doit donc être approuvé d’avoir retenu, suivant l’avis de l’expert, une valeur locative en renouvellement de 2500 euros/m² soit pour 68 m² un montant de 170'000 € et après abattement de 10

% une indemnité d’occupation annuelle au 1er janvier 2016 d’un montant de 153'000 €.


Sur les frais irrépétibles et les dépens


Les dispositions du jugement entrepris relative aux dépens et frais irrépétibles doivent être confirmées en ce que les frais d’instance sont la conséquence de la délivrance d’un congé avec refus de renouvellement du bail.


De même, succombant pour l’essentiel dans ses prétentions en cause d’appel, la société Emerige Commerces devra supporter les dépens de l’instance d’appel dont la distraction sera ordonnée, et payer à la société Coriolan For Men une indemnité complémentaire de 5000 € pour frais irrépétibles, en application des articles 696, 699 et 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS


Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,


Réforme partiellement le jugement rendu le 14 janvier 2019 par le tribunal de grande instance de Paris,


L’infirme sur le montant de l’indemnité d’éviction et en ce qu’il a débouté la société


Coriolan For Men de sa demande de condamnation au paiement de l’indemnité d’éviction,


Statuant à nouveau de ces seuls chefs,
Condamne la société Emerige Commerces à payer à la société Coriolan For Men la somme de 3'910'694,50 euros à titre d’indemnité d’éviction, outre, sur justificatifs, les frais administratifs et juridiques et les frais de déménagement en cas de réinstallation, ainsi que les frais de licenciement du personnel,


Confirme pour le surplus le jugement déféré en toutes ses dispositions y compris celles relatives aux dépens et frais irrépétibles,


Y ajoutant,


Condamne la société Emerige Commerces à payer à la société Coriolan For Men la somme de 5000 euros en indemnisation des frais irrépétibles exposés à l’occasion de l’instance d’appel,


La condamne aux dépens et autorise Maître Nathalie Lesenechal, avocat, à recouvrer directement ceux dont elle a fait l’avance sans recevoir de provision.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
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  2. Code de procédure civile
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