Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 15 mars 2022, n° 19/12510

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 11, 15 mars 2022, n° 19/12510
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/12510
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Créteil, 13 novembre 2019, N° 18/01044
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 11

ARRET DU 15 MARS 2022

(n° , 10 pages)


Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/12510 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CBFZH


Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Novembre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRETEIL – RG n° 18/01044

APPELANTE

Madame B X

[…]

[…]


Représentée par Me Maude BECKERS, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque: 141

INTIMEE

SA CREDIT LOGEMENT

[…]

[…]


Représentée par Me Arnaud CHAULET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461

COMPOSITION DE LA COUR :


En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 Janvier 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, chargée du rapport.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Madame Laurence DELARBRE, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Mathilde SARRON ARRET :


- contradictoire


- par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.


- signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière présente lors du prononcé.

EXPOSE DU LITIGE


A compter du 6 septembre 2004, Mme B X, née en 1978, a été engagée par la société SA Crédit Logement (société de financement spécialiste de la garantie de prêts immobiliers aux particuliers distribués par les banques), en qualité d’analyste recouvrement confirmé par un contrat de travail à durée déterminée et à compter du 1er janvier 2006, par contrat à durée indéterminée, avec reprise d’ancienneté, en application de la convention collective nationale des sociétés financières.

Mme X a été promue Responsable développement client le 17 septembre 2007 et le 1er janvier 2010, la salariée a bénéficié du statut Cadre.

Mme X a été placée en arrêt maladie le 25 janvier 2017.


La société Crédit Logement occupe à titre habituel plus de dix salariés.

Demandant la résiliation judiciaire de son contrat de travail et diverses indemnités, outre des dommages-intérêts pour harcèlement moral et des rappels de salaires pour heures supplémentaires, Mme X a saisi le 13 juillet 2018 le conseil de prud’hommes de Créteil qui, par jugement du 14 novembre 2019, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :


- débouté Mme X de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la société Crédit Logement,


- débouté la société Crédit Logement de sa demande d’application de l’article 700 du code de procédure civile,


- condamné Mme X aux éventuels dépens comprenant les éventuels frais d’exécution en application de l’article 699 du Code de procédure civile.

Par déclaration du 20 décembre 2019, Mme X a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 21 novembre 2019.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 10 janvier 2022, Mme X demande à la cour de :


- d’infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Créteil en ce qu’il a débouté intégralement la salariée de ses demandes.


Statuant à nouveau,


- condamner la société Crédit Logement aux sommes suivantes :

* 33.499, 367 € à titre de rappels de salaire pour heures supplémentaires de mars 2015 au 31 janvier 2017 à parfaire ;

* 3.349, 93 € à titre de congés payés afférents ;

* 23.635, 92 € de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;

* 40.000 € de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de prévention ;

* 60.000 € de dommages-intérêts pour harcèlement moral à titre principal ;

* 60.000 € à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité à titre subsidiaire ;


- ordonner la résiliation judiciaire du contrat aux torts de la société Crédit Logement.


En conséquence,


- condamner la société Crédit Logement aux sommes suivantes :

* 11.817, 96 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

* 1.181, 79 € à titre de congés payés afférents ;

* 29.544,90 € à parfaite à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

* 60.000 € à titre d’indemnité pour licenciement nul à titre principal ;

* 43.322,52 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire;

* 4.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 janvier 2022, la société Crédit Logement demande à la cour de :


A titre principal,


- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de Prud’hommes de Créteil le 14 novembre 2019 ;


- par conséquent, débouter Mme X de l’ensemble des demandes, fins et prétentions;


- y ajoutant, condamner Mme X à payer à Crédit Logement la somme de 2.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens;


A titre subsidiaire,


- réduire à de plus justes proportions le montant des indemnités susceptibles d’être octroyées.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 19 janvier 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 25 janvier 2022.


Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les heures supplémentaires


Pour infirmation de la décision sur ce point, Mme X soutient essentiellement que, compte tenu de ses fonctions de responsable développement client et de chef de projet, elle était contrainte d’effectuer de très nombreuses heures supplémentaires.


La société Crédit Logement réplique que Mme X ne peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires dès lors d’une part que, dans le cadre d’un dispositif d’horaires variables, les heures effectuées au-delà de la durée hebdomadaire ne sont pas, en tant que telles des heures supplémentaires et d’autre part, que les heures en question ont donné lieu à des « crédits d’heures » qui ont été récupérées sous forme de repos ; qu’en tout état de cause, Mme X n’apporte par la preuve d’heures supplémentaires qui n’auraient pas été rémunérées ou récupérées.


En application de l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.


A l’appui de sa demande, Mme X produit :


- Les fiches personnelles de pointage du 2 janvier 2014 au 7 octobre 2016 ;


- Un décompte des heures effectuées du 2 janvier 2014 au 25 janvier 2017 avec mention notamment des congés, des repos compensateurs, des rendez-vous, des déplacements ;


- Un tableau hebdomadaire des heures supplémentaires réalisées.

Mme X présente ainsi des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’elle dit avoir réalisées, permettant ainsi à la société Crédit Logement qui assure le contrôle des heures effectuées d’y répondre utilement.


A cet effet, la société fait valoir que les salariés bénéficient d’un système d’horaires variables prévu par les articles L.3121-48 à L.3121-52 du code du travail, ce qui permet à chacun de déterminer librement le début et la fin de chacune de ses périodes de travail et que le décompte fondé sur les heures de badgeages ne tient pas compte du fait que les heures ont pu être effectuées au-delà de 35 heures, certaines semaines étant « compensées» les semaines suivantes par des durées plus réduites ou des jours de repos.


Cependant, il résulte de la note en date du 18 octobre 1999 destinée à l’ensemble du personnel et ayant pour objet les horaires variables que tous les collaborateurs, quelque soit leur niveau hiérarchique, doivent se soumettre à la comptabilisation de leurs horaires de travail ; que l’horaire variable permet à chaque collaborateur, dans les limites compatibles avec les impératifs et le bon fonctionnement des services ou directions, d’aménager, dans la limite de 35 H par semaine – horaire collectif de l’entreprise – son temps de travail dans le cadre d’horaires pré-définis. Pour que l’horaire de travail soit comptabilisé, la société précise dans cette note qu’il est obligatoire de badger le matin à l’arrivée, le midi en partant déjeuner, l’après-midi en revenant de déjeuner, le soir en quittant l’entreprise ; que les plages mobiles se situent en début et en fin de journée du lundi au jeudi le matin de 8H à 9H30, le soir de 17H à 18H45 et le vendredi le matin de 8H à 9H30 et le soir de 16H30 à 18H45, étant précisé qu’à l’intérieur de ces plages mobiles, chaque salarié a toute latitude pour choisir son heure d’arrivée et de départ en tenant compte des impératifs de travail et de service.


Contrairement à ce que soutient la société Crédit Logement, il ne s’agit nullement de la mise en place du dispositif d’horaires individualisés permettant un report d’heures d’une semaine à une autre prévu par les articles L.3121-48 et suivants du code du travail, mais d’une organisation du temps de travail toujours dans la limite de 35 heures par semaine, sans qu’il soit prévu de compensation d’une semaine sur l’autre.


Alors que la société Crédit Logement a mis en place un système de badgeage et des horaires variables impératifs pour l’ensemble du personnel y compris les membres de la direction, elle ne saurait prétendre, sans se fonder sur des éléments de fait pertinents, que les relevés de badgeage correspondent tout ou plus aux passages de Mme X à l’entrée et à la sortie de l’immeuble sans pour autant représenter du travail effectif. En outre, elle ne saurait invoquer l’article 146 du code de procédure civile pour se dispenser de répondre aux éléments présentés par la salariée alors qu’elle détient nécessairement les décomptes du badgeage de la salariée jusqu’à son arrêt de travail, badgage ayant pour objet de contrôler le temps de travail de ses collaborateurs.


En conséquence, eu égard aux éléments présentés par la salariée et à l’absence d’élément de réponse utile et pertinent apporté par l’employeur, la Cour a la conviction que Mme X a exécuté des heures supplémentaires qui n’ont pas été rémunérées et après analyse des pièces produites, par infirmation du jugement déféré, condamne la société Crédit Logement à verser à Mme X la somme 33.499 € brut à ce titre outre la somme de 3.349,90 € brut de congés payés afférents.

Sur le harcèlement moral


Pour infirmation de la décision entreprise, Mme X fait grief au conseil de prud’hommes de ne pas avoir respecté les règles de preuve en matière de harcèlement et soutient en substance qu’elle a été victime de harcèlement moral ou à tout le moins que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité.


Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.


En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.


A l’appui de sa demande, Mme X présente les éléments suivants :
- Des mails, courriers et entretiens d’évaluation corroborant la surcharge de travail de la salariée confrontée au pilotage du projet Extranet en l’absence de ses deux collègues (Mmes Y et Z) et à son poste de responsable développement client depuis 2013 ainsi que les sollicitations de la salariée à ce sujet sans réponse de sa hiérarchie ;


- Des échanges de mails et de SMS corroborant une ambiance de travail difficile ;


- Des pièces médicales démontrant une détérioration de l’état de santé évoquant des troubles dépressifs sévères, un 'burn out souffrance au travail’ ;


- L’entretien du 25 janvier 2017 avec son responsable hiérarchique M. A, à l’issue duquel elle est partie en pleurs et a été placé en arrêt de travail.


Les éléments de fait ainsi présentés par la salariée, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement.


Il appartient donc à l’employeur de prouver que les agissements invoqués par la salariée ne sont pas constitutifs de harcèlement et sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.


A cet égard, contrairement à ce que soutient le Crédit Logement, selon la fiche de poste de responsable développement client, la participation à des projets transversaux et l’intervention dans le cadre de projets confiés par la hiérarchie sont prévues dans le cadre des activités spécifiques du responsable développement client conseil tandis que le cadrage des projets est prévu dans les activités de gestion, organisation et stratégie du chef de projet marketing.


La société reconnaît avoir confié le projet Extranet Recouvrement à Mme X et que dans ce cadre, elle assurait la représentation du service développement clients. Elle ne contredit pas davantage que la salariée a su concilier avec efficacité ses objectifs de développement de son portefeuille avec le projet Extranet Recouvrement comme indiqué dans ses évaluations professionnelles. Elle admet également dans ses conclusions que la salariée était l’interlocutrice désignée au sein de la direction de la relations clients pour participer au projet et piloter ensuite son déploiement auprès des clients.


La Cour relève que lors de son évaluation de l’année 2013, alors que M. A, son responsable hiérarchique N+1 notait 'un très bon exercice sur des réseaux difficiles' ainsi que 'la persévérance et l’opiniâtreté' de la salariée, celle-ci précisait dans le bilan, qu’elle souhaitait que son travail pour CRELOG Recouvrement soit pris en compte, les mois le nécessitant, par le biais du paiement des heures supplémentaires et réitérait sa demande d’évolution.


Si la société soutient que lors de l’évaluation de son activité pour l’année 2014, Mme X avait émis le souhait de 'piloter de nouveaux projets transverses', il n’en demeure pas moins que la salariée a également relevé un contexte difficile et politiquement sensible et s’agissant du projet CRELOG Recouvrement, compte tenu du travail réalisé, elle précisait 'réitérer’ sa demande d’augmentation.


A l’issue de l’entretien d’évaluation à mi parcours du 31 juillet 2015, la société relevait au titre des faits marquants que 'en collaboration avec la DRC et les RDC concernés, B a piloté le lancement de CRELOG Recouvrement sur les réseaux LCL, BNPP et SG'. Lors de l’évaluation de son activité durant l’année 2015, la salariée indiquait le 23 février 2016, que l’entretien était satisfaisant, que 'cependant, compte tenu de l’importante charge de travail que j’ai en tant que responsable commercial et de chef de projet sur l’extranet recouvrement et des résultats obtenus, je souhaite que mon salaire soit revalorisé en conséquence'.


Enfin, à l’issue de l’entretien d’évaluation du 4 août 2016, le responsable hiérarchique de Mme X, après avoir relevé au titre des faits marquants que 'B a formé les équipes et déployé l’Extranet Recouvrement sur ses réseaux partenaires ; outre les actions menées sur son portefeuille, elle a piloté le projet pour le compte de la DCL et apporté un appui technique aux RDC sur leurs portefeuilles respectifs', il notait 'un 1er semestre chargé où B a mené de front avec succès la gestion de son portefeuille client et la supervision du projet Extranet Recouvrement'.


Pour autant, alors que la société reconnaissait la charge importante de travail de Mme X, à la demande d’une tâche supplémentaire le 15 novembre 2016 et à son interrogation sur la charge de travail qu’engendre le projet Extranet Recouvrement à organiser en sus de ses missions de responsable développement client, mais également sur la valorisation de son travail, il appert que M. C (N+2) a seulement répondu 'je m’en charge'.


La société n’établit pas qu’elle a répondu à la relance de Mme X du 16 décembre 2016 qui sollicitait M. C sur l’organisation et la valorisation de son travail eu égard à la charge de travail que le projet et son pilotage généraient et son articulation avec ses missions de responsable développement.


Enfin, dans ses conclusions, la société Crédit Logement reconnaît que M. A a souhaité organisé un entretien du 25 janvier 2017 'pour faire un point avec Mme X notamment sur le mode de communication de cette dernière, mode de communication qui pouvait être excessif et source de tensions avec d’autres collaborateurs', sans toutefois préciser ni établir le caractère excessif de son mode de communication et les tensions avec d’autres collaborateurs et alors même que le 21 juillet 2015, le même responsable hiérarchique avait noté au sujet de Mme X 'Bonne gestion des relations transverses dans un contexte difficile'.


Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la société Crédit Logement ne justifie pas par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, d’une part la surcharge de travail importante confiée à Mme X, salariée dont l’employeur ne pouvait ignorer la grande implication professionnelle et son souci permanent de remplir ses missions, et d’autre part l’absence de réponse à ses sollicitations sur la reconnaissance et la valorisation de son travail, de surcroît en organisant un entretien de recadrage sur ses modes de communication dont il n’est nullement établi qu’ils n’étaient pas adaptés.


Peu important l’intention de la société et de M. C, ce mode de gestion du personnel qui consiste à tirer profit du fort investissement de sa salariée, sans retour et sans réponse à ses demandes notamment d’organisation de son travail, est constitutif de harcèlement dès lors que, comme en l’espèce, la santé de la salariée s’en est trouvée considérablement dégradée comme le démontre l’ensemble des éléments médicaux versés aux débats.

Mme X est placée en arrêt de travail de façon continue depuis le 25 janvier 2017. Elle présente un syndrome anxio-dépressif qui nécessite une prise en charge, un protocole de soin ayant été établi jusqu’au 26 juin 2020 pour 'troubles dépressifs récurrents sévères avec burn out, souffrance au travail, suivi psychiatrique et traitement par escitalopram 20". A l’issue d’une expertise médicale du 26 octobre 2018, la société AXA France a estimé que l’état de santé de Mme X justifiait 'toujours une incapacité temporaire de travail’ et poursuivait le versement de ses prestations. Le médecin conseil de la CRAM a estimé que Mme X présentait un état d’invalidité des 2/3 au moins de sa capacité de travail ou de gain justifiant son classement dans la catégorie 2, une pension d’invalidité lui ayant été attribuée à compter du 1er novembre 2019. La CPAM atteste que Mme X est bénéficiaire de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés par une entreprise à compter du 3 février 2020 pour une durée de 5 ans.


La Cour disposant des éléments nécessaires à l’évaluation du préjudice subi par la salariée eu égard à la durée des faits de harcèlement (depuis 2013) et aux conséquences sur la santé de la salariée, par infirmation du jugement déféré, il convient de condamner la société Crédit Logement à lui verser en réparation la somme de 10.000 €.
Sur l’obligation de prévention


En application de l’article L.1153-5 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n°2014-873 du 4 août 2014, l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner.


Dans les lieux de travail ainsi que dans les locaux ou à la porte des locaux où se fait l’embauche, les personnes mentionnées à l’article L. 1153-2 sont informées par tout moyen du texte de l’article 222-33 du code pénal.


La société Crédit Logement établit avoir mis en place une action de sensibilisation des managers aux situations de RPS -Prévenir, détecter et gérer les situations de tensions – sur plusieurs jours en 2014. Son règlement intérieur du 30 octobre 1997 et ses avenants contiennent également des dispositions sur le harcèlement moral et sexuel en rappelant leur définition et en prévoyant des sanctions disciplinaires étant précisé que ce règlement prévoit son affichage dans les locaux de la société sur le panneau réservé à cet effet sans que cette affichage soit contesté.


Il convient donc de débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts à ce titre. La décision sera confirmée de ce chef.

Sur la résiliation judiciaire


En application de l’article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral.


Eu égard aux éléments déjà développés, il appert que le harcèlement moral subi par Mme X est constitutif d’un manquement grave de l’employeur de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail et se trouve être à l’origine de sa demande de résiliation.


Il s’en déduit que la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme X doit être prononcée et doit produire les effets d’un licenciement nul à la date de la présente décision.

Sur les conséquences financières

Sur l’indemnité compensatrice de préavis


En application de la convention collective, il convient de condamner la société Crédit Logement à verser à Mme X une indemnité compensatrice de préavis correspondant aux salaires qu’elle aurait perçus durant une période de 3 mois, soit la somme de 10.943.52 € (3x3.647,84 €), la prime variable devant être proratisée comme étant un élément de rémunération, outre la somme de 1.094,35

€ de congés payés afférents.

Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement


En application de l’article 4 de la convention collective, « Sous réserve de dispositions plus favorables résultant de conventions particulières, d’accords d’entreprise ou de contrats individuels, en cas de licenciement, tout membre du personnel relevant de la qualification « cadre » ayant plus de 1 an d’ancienneté dans l’établissement a droit, indépendamment du délai de préavis, et sauf faute grave caractérisée de sa part, à une indemnité.


L’indemnité de licenciement est calculée sur la moyenne des appointements effectifs perçus par l’intéressé durant les 12 derniers mois.


Elle est déterminée sur la base :
- de 1/2 mois par année de présence ;


- de 3/4 de mois par année de présence pour la tranche dépassant 10 ans.


Toutefois, l’indemnité ne peut dépasser la valeur de 18 mois de traitement.


Pour déterminer le nombre d’années de présence, les années passées dans un ou plusieurs

établissements ayant été absorbés sous une forme quelconque par celui dans lequel l’intéressé est employé au moment de son licenciement, sont prises en considération. »


Il résulte des bulletins de salaire versés aux débats que Mme X a perçu les 12 mois précédant son arrêt de travail une rémunération totale de 47.271,95 €, soit 3.939,32 € brut par mois.


En conséquence, eu égard à son ancienneté de 12 ans et 4 mois, il convient de condamner la société Crédit logement à verser à Mme X la somme de 25.605,62 € net à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement [ (3.939,32 x 1/2 x 10 ans) + (3.939,32 x 3/4 x 2 ans) ].

Sur l’indemnité pour licenciement nul


En application de l’article L.1235-3-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n°2018-217 du 29 mars 2018, l’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.


Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :


2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4.


Compte tenu du préjudice subi par Mme X résultant de la perte de son emploi à l’âge de 44 ans alors qu’elle était embauchée dans la même entreprise depuis septembre 2004 avec une progression de sa carrière, la salariée ayant justifié de son classement en invalidité dans la catégorie 2, de l’attribution d’une pension d’invalidité à compter du 1er novembre 2019 et du bénéfice du régime de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés par une entreprise à compter du 3 février 2020 pour une durée de 5 ans, il convient d’allouer à Mme X la somme de 48.000 € net au titre des effets du licenciement nul produits par la résiliation judiciaire.

Sur le travail dissimulé


Aux termes de l’article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l’employeur a recours dans les conditions de l’article’L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.


L’article L.8221-5, 2°, du code du travail dispose notamment qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.


Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.


Le montant de l’indemnité forfaitaire doit être calculé en tenant compte des heures supplémentaires accomplies par le salarié au cours des six derniers mois précédant la rupture du contrat de travail.


En l’espèce, au constat d’une part que Mme X avait fait part à son employeur de sa charge de travail et de son souhait de voir les heures supplémentaires payées et d’autre part que la société Crédit Logement disposait des relevés de badgeage, il s’en déduit que c’est de manière intentionnelle que la société n’a pas réglé les heures supplémentaires et a ainsi dissimulé une partie de l’activité de sa salariée.


Au regard des salaires perçus les 6 mois avant l’arrêt de travail du 26 janvier 2017 et des heures supplémentaires réalisées, il convient de condamner la société Crédit Logement à verser à Mme X la somme de 23.635,92 € d’indemnité au titre du travail dissimulé dans la limite de la demande.

Sur les frais irrépétibles


La société Crédit Logement sera condamnée aux entiers dépens et devra verser à Mme X la somme de 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS


La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté Mme B X de sa demande de dommages-intérêts au titre de l’obligation de prévention ;


Statuant à nouveau,

ORDONNE la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme B X ;

DIT que la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement nul au jour de la présente décision ;

CONDAMNE la SA Crédit Logement à verser à Mme B X les sommes suivantes :


- 10.000 € net de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral ;


- 33.499 € brut au titre des heures supplémentaires ;


- 3.349,90 € brut de congés payés afférents ;


- 23.635,92 € net à titre d’indemnité au titre du travail dissimulé ;


- 10.943.52 € brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;


- 1.094,35 € brut de congés payés afférents ;


- 25.605,62 € net à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;


- 48.000 € net d’indemnité au titre des effets du licenciement nul produits par la résiliation judiciaire ;

RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil des prud’hommes, les autres sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue ;

CONDAMNE la SA Crédit Logement aux entiers dépens ;

CONDAMNE la SA Crédit Logement à verser à Mme B X la somme de 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.


La greffière, La présidente.
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Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 15 mars 2022, n° 19/12510