Cour d'appel de Paris, Pôle 6 chambre 7, 16 mars 2023, n° 20/02740

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 ch. 7, 16 mars 2023, n° 20/02740
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 20/02740
Importance : Inédit
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Paris, 28 novembre 2019, N° 18/07983
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 21 mars 2023
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Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 7

ARRET DU 16 MARS 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/02740 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBZIP

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Novembre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 18/07983

APPELANTE

Madame [X] [N]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Maude BECKERS, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 141

INTIMEES

Société [Adresse 6]

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentée par Me Ariane BENCHETRIT, avocat au barreau de PARIS, toque : C2405

Société DOMUSVI

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Ariane BENCHETRIT, avocat au barreau de PARIS, toque : C2405

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre, et Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre,

Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre,

Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Marie-Charlotte BEHR

ARRET :

— CONTRADICTOIRE,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre et par Madame Marie-Charlotte BEHR, Greffière en stage de préaffectation sur poste à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Mme [X] [N] a été engagée par la société [Adresse 6] qui gère une maison de retraite pour personnes âgées, par contrat à durée indéterminée du 17 juillet 2014, en qualité de secrétaire administrative.

Le lieu de travail de la salariée était l’ehpad «[Adresse 6]» situé à [Localité 7].

La société [Adresse 6] comptait au moment des faits plus de dix salariés. Elle est une filiale à 100 % de la société Domusvi, cette dernière étant par ailleurs présidente de sa filiale.

La convention collective applicable est celle de l’hospitalisation privée du 18 avril 2002.

Du 3 février 2016 au 23 février 2016, la salariée était mise en arrêt maladie.

A compter du 29 août 2016, à son retour de congés, elle était mise en arrêt maladie jusqu’au 7 septembre 2016.

Le 29 septembre 2016, elle a subi un accident du travail reconnu comme tel par la CPAM, et était mise en arrêt accident du travail. Elle n’a pas repris son poste.

Le 26 octobre 2016 la salariée a déposé plainte à l’encontre du directeur de la structure M. [B] pour harcèlement et agressions sexuels.

Par courrier en date du 29 novembre 2016, elle a dénoncé les mêmes faits à son employeur.

Par courrier en date du 6 janvier 2017, la société lui a répondu qu’elle était informée pour la première fois de tels faits, que le directeur avait quitté son poste fin novembre 2016 et elle lui proposait un rendez-vous, proposition à laquelle la salariée n’a pas donné suite.

Par un avis du 20 juin 2017, le médecin du travail a considéré que la salariée était inapte au poste de secrétaire administrative mais qu’elle pourrait occuper «'une activité similaire dans un environnement différent, c’est-à-dire dans un autre établissement. »

Par courrier du 13 septembre 2017, la société a indiqué à la salariée que les recherches de reclassement s’étaient avérées négatives puis par courrier du 4 octobre 2017, Mme [N] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 18 octobre 2017.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 23 octobre 2017, la société [Adresse 6] lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Contestant son licenciement, Mme [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris, le 23 octobre 2018.

Par jugement contradictoire du 29 novembre 2019, le conseil de prud’hommes a:

— dit que la SAS Domusvi est co-employeur de Mme [N] ;

— fixé le salaire à la somme de 1673,93 euros ;

— condamné solidairement la SAS [Adresse 6] et la SAS Domusvi à verser à Mme [N] :

6695,72 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêt au taux légal à compter du prononcé de la décision ;

1854,21 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

185,42 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

116,99 euros à titre d’indemnité spéciale de licenciement

avec intérêt au taux légal à compter de la réception par les parties défenderesses de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation ;

— condamné solidairement la SAS [Adresse 6] et la SAS Domusvi à verser 1000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

— ordonné la remise des documents sociaux conformes à la décision ;

— ordonné l’exécution provisoire en application de l’article 515 du code de procédure civile;

— débouté Mme [N] du surplus de ses demandes ;

— débouté la SAS [Adresse 6] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamné solidairement la SAS [Adresse 6] et la SAS Domusvi aux dépens.

Par déclaration notifiée par le RVPA le 21 mars 2020, Mme [N] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 29 juillet 2022, Mme [N] demande à la cour de :

— confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a dit que la SAS Domusvi est son co-employeur';

— confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a condamné solidairement les deux défenderesses à verser les sommes suivantes :

rappel d’indemnité compensatrice de préavis : 1.854,21 euros

congés payés afférents : 184, 42 euros

rappel d’indemnité spéciale de licenciement : 116, 99 euros

— infirmer le jugement en ses autres dispositions';

— condamner solidairement la société [Adresse 6] et la société Domusvi à lui verser les sommes suivantes :

dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant du harcèlement sexuel et des agressions sexuelles : 30.000 euros

dommages et intérêts pour violation de l’obligation de prévention et de formation sur le harcèlement sexuel : 20,000 euros

dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité : 20.000 euros

dommages et intérêts pour discrimination : 20.000 euros

rappel d’heures supplémentaires: 7.564,39 euros

congés payés afférents : 756,43 euros

indemnité forfaitaire pour travail dissimulé (6 mois): 10.043,58 euros

à titre principal : indemnité pour licenciement nul : 40.000 euros

à titre subsidiaire : dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 40.000 euros

article 700 du code de procédure civile : 3.000 euros

— constater l’acquiescement de la société à la demande de Mme [N] sur le fondement de l’article L1226-11 du code du travail relative à la somme de : 5.189,18 euros,

— condamner la société à payer cependant les congés payés afférents : 518,91 euros

— ordonner la remise des bulletins de salaire, certificat de travail, attestation Pôle Emploi conformes à l’arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document que le «'Conseil'» se réservera le droit de liquider,

— condamner solidairement les sociétés [Adresse 6] et Domusvi aux entiers dépens de l’instance.

Dans leurs dernières conclusions transmises par la voie électronique le 16 septembre 2022, la société [Adresse 6] et la société Domusvi demandent à la cour de :

à titre liminaire :

— infirmer le jugement en ce qu’il a dit que la SAS Domusvi est co-employeur de Mme [N] et constater qu’il n’existe pas de situation de coemploi de Mme [N] entre la société [Adresse 6] et la société Domusvi ;

en conséquence ;

— prononcer la mise hors de cause de la société Domusvi ;

à titre principal :

— confirmer le jugement en ce qu’il a constaté que les éléments produits par Mme [N] ne permettent pas de présumer de faits de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle ;

— confirmer le jugement en ce qu’il a constaté que la société [Adresse 6] a respecté l’obligation de sécurité dont elle est redevable envers ses salariés et notamment son obligation de prévention du harcèlement sexuel

— confirmer le jugement en ce qu’il a constaté que Mme [N] ne démontre l’accomplissement d’aucune heure supplémentaire ;

— infirmer le jugement en ses autres dispositions ;

— constater que la société [Adresse 6] a réglé à Mme [N] la somme de 4.679,56 euros au titre du rappels de salaires et des congés payés afférents sollicités par Mme [N] sur le fondement de l’article L.1226-11 du Code du travail.

en conséquence,

— rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de Mme [N] ;

en tout état de cause :

— condamner Mme [N] à verser à la société [Adresse 6] la somme de 7.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

— condamner Mme [N] aux entiers dépens de l’instance.

Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions notifiées par RPVA.

'

L’instruction a été déclarée close le 21 septembre 2022.

MOTIFS

Sur le co-emploi

La salariée soutient que la société Domusvi est son co-employeur puisqu’elle est non seulement actionnaire à 100% de la société [Adresse 6], mais également la Présidente de cette société, c’est-à-dire légalement titulaire du pouvoir de direction en son sein.

Les sociétés intimées contestent une situation de co-emploi et font valoir que bien que la société Domusvi soit la société mère de la société Océane, la directrice de la [Adresse 6] détient une délégation permanente lui permettant de prendre en toute autonomie les décisions afférentes aux salariés.

Hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière.

En l’espèce, la salariée ne soutient pas l’existence d’un lien de subordination avec la société Domusvi mais considère que la confusion d’intérêts, d’activités et de direction entre les deux entités et la perte d’autonomie de son employeur par rapport à la société mère caractérisent le co-emploi allégué.

L’existence d’une confusion d’intérêts, de direction et d’activités est insuffisante à caractériser une situation de co-emploi et le fait que les fonctions de président de la filiale soit occupées par la société mère, ne peut également, à lui seul, caractériser une situation de co-emploi, les deux sociétés restant deux entités juridiques distinctes même si l’une exerce un mandat social au sein de l’autre.

En l’occurrence, si la société Domusvi exerce un mandat social au sein de la société [Adresse 6], il ne ressort pas des pièces produites une immixtion permanente de la première dans la gestion économique et sociale de la seconde qui serait détachable du mandat social exercé et qui conduirait à la perte totale d’autonomie d’action de la filiale.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a retenu une situation de co-emploi.

Sur l’exécution du contrat de travail

Sur le harcèlement sexuel

La salariée soutient qu’elle a été victime d’un harcèlement sexuel de la part du directeur de l’établissement, M. [B], allégation contestée par l’employeur.

L’article L. 1153-1 du code du travail dispose que :

« Aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers. »

L’article L.1154-1 du code du travail précise que : « Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152 1 à L. 1152 3 et L. 1153 1 à L. 1153 4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »

Mme [N] soutient que dès 2014, elle a subi de la part de M. [B], directeur de la résidence, des propos déplacés à connotation sexuelle, ainsi que des attouchements sur sa personne et des pressions pour obtenir des relations sexuelles, faits qu’elle a détaillés dans la lettre adressée à son employeur le 30 novembre 2016.

Au soutien de ses affirmations, elle verse en premier lieu aux débats':

— des échanges de SMS avec sa collègue Mme [Z] [G], dans lesquels cette dernière désigne M. [B] [L], directeur de l’établissement en ces termes : «[L] le sadique qui veut niquer toutes les meufs», «[L] a voulu coucher avec beaucoup de filles d'[Adresse 6]» ou précise «j’ai peur j’ai pas envie de le dire mais je vais le balancer à Mme [J]»';

— la copie d’une feuille sur laquelle sont griffonnés quelques mots partiellement lisibles, soit «xxx, Toucher, Goûter, xxx »

— un échange de SMS entre elle et le directeur en ces termes :

R. [B] : «Dès que elle clôture les V2 elle nous le dira»

F. [N] : « OK. Merci »

F. [N] : « Tout se passe bien à la Résidence ' »

R. [B] : Oui

R. [B] : « Tjs seul ' »

F. [N] : « Ok tant mieux non pourquoi ' ».

Dans les échanges entre la salariée et Mme [G], il n’est pas fait état d’un comportement du directeur à l’égard de Mme [N] et l’enchaînement des messages peu explicites ne permet pas non plus de déterminer l’identité de la personne visée par Mme [G] dans la dernière phrase citée ci-dessus.

Il ne ressort par ailleurs de l’unique échange produit avec le directeur, ni de termes à connotation sexuelle, ni une quelconque pression, la société faisant d’ailleurs remarquer que c’est la salariée qui a relancé la discussion avec M. [B] et que la suite de la discussion n’est pas produite.

Enfin, s’agissant du message peu lisible écrit à la main, il n’est possible d’en identifier ni l’auteur, ni le destinataire.

En second lieu, si la salariée justifie avoir déposé une plainte pénale le 26 octobre 2016 à l’encontre de M. [B] pour harcèlement sexuel et agressions sexuelles, il n’apparaît pas qu’une suite lui a été donnée en dépit de ses relances adressées au parquet et au commissariat durant l’été 2019.

Enfin, si Mme [N] indique qu’une autre de ses collègues dénommée [U] a été également victime et que le délégué du personnel M. [M] était venu la voir pour lui demander si elle avait subi du harcèlement sexuel de la part du directeur de l’établissement, comme d’autres salariées et stagiaires, elle ne produit aucun témoignage de ces deux salariés corroborant ses dires.

Ainsi, les seules affirmations de la salariée et des arrêts de travail mentionnant « état dépressif » sont insuffisants à laisser présumer l’existence de faits de harcèlement sexuel sur sa personne.

Le jugement sera confirmé en ce sens.

Sur l’obligation de prévention du harcèlement sexuel et sur l’obligation de sécurité

La salariée soutient que son employeur n’a pas mis en place les moyens nécessaires pour prévenir les faits de harcèlement, tels que des formations et un process permettant au personnel de savoir comment réagir en cas de harcèlement sexuel et ce en violation de son obligation de prévention'; qu’en outre, il n’a pas entrepris d’enquête après qu’elle l’ait informé de sa plainte à l’égard du directeur, en violation cette fois de son obligation de sécurité. Elle sollicite deux indemnités de ces chefs.

L’employeur considère avoir respecté ses obligations par l’affichage des dispositions relatives aux harcèlements et par la proposition d’un entretien faite à la salariée après réception de son courrier, le directeur n’étant plus en poste.

En application de l’article L4121-1 du code du travail l’employeur est soumis à une obligation de sécurité quant à la santé physique et mentale de ses salariés. Il doit démontrer qu’il a pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et notamment des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement.

Ainsi, non seulement l’employeur doit prendre les mesures de réaction nécessaire lors de la dénonciation de faits de harcèlement (enquête, sanction de l’auteur) mais il doit également avoir pris toutes les mesures de prévention nécessaires pour éviter toute forme de harcèlement.

S’agissant de l’obligation de prévention, si la société justifie de l’affichage d’un certain nombre de documents notamment sur la «'lutte contre le harcèlement moral et sexuel'», elle n’établit pas avoir mis en 'uvre des formations sur ce point ni avoir organisé une procédure permettant la dénonciation de tels faits. Pour autant, la cour n’ayant pas retenu l’existence d’un harcèlement sexuel à l’égard de la salariée, ce manquement ne lui a pas causé de préjudice.

En revanche, s’agissant de l’obligation de sécurité de l’employeur, il lui appartenait lorsque la salariée s’est plainte de ses conditions de travail et du comportement du directeur d’engager une enquête, même si ce dernier avait alors quitté la structure et la seule proposition d’un entretien à la salariée n’est pas suffisante sur ce point, étant relevé que l’employeur soutient avoir questionné les salariés de l’établissement sans qu’aucun fait similaire ne lui soit dénoncé, sans en justifier

Ainsi, même si la réalité d’actes illicites du directeur n’a pas été retenue au vu des pièces produites, la société a manqué à son obligation de sécurité à l’égard de la salariée, ce qui justifie l’allocation de la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice.

Sur le rappel d’heure supplémentaires

La salariée soutient qu’elle a exécuté 593,70 heures supplémentaires non rémunérées et qu’il lui est due par son employeur la somme de 7 564,39 euros ainsi que les congés payés afférents à hauteur de 756,43 euros. Elle fait valoir que sa durée de travail était de 151,67 heures par mois, qu’elle devait travailler 10h par jour avec des semaines alternativement de 4 jours les lundi, mardi, mercredi et dimanche (soit en théorie 40 heures) ou de 3 jours les jeudi, vendredi et samedi (soit en théorie 30 heures) mais qu’elle avait en réalité pour horaire : 8h-20h soit une amplitude horaire journalière au minimum de 12 heures et que du fait de sa charge de travail, elle ne s’arrêtait presque jamais pour manger le midi et qu’en toute hypothèse les pauses déjeuner qu’elle a pu prendre ne dépassaient jamais plus de 15 minutes.

La société conteste la réalisation d’heures supplémentaires impayées.

De manière générale, selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Au soutien de sa demande, la salariée produit un tableau mentionnant par mois entre juillet 2014 et septembre 2016 notamment’ le nombre d’heures payées, les heures réellement effectuées, le nombre d’heures supplémentaire de travail alléguées par semaine et le rappel de salaire mensuel correspondant.

Ainsi, la salariée présente des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement.

La société considère en premier lieu que le tableau établi unilatéralement par la salariée est dépourvu de toute force probante et qu’étant secrétaire administrative, il lui aurait été facile de justifier d’éventuelles heures supplémentaires par la production d’emails envoyés en dehors de ses horaires de travail.

Ainsi, la société critique les éléments avancés par la salariée sans produire aucun document récapitulant le temps de travail que celle-ci aurait accompli, ni justifier de quelle manière elle mesurait son temps de travail, alors qu’il lui appartient d’établir les documents nécessaires en ce sens.

En outre, si la société affirme dans ses conclusions que «'l’absence d’heures supplémentaires non payées est de plus fort démontrée par les plannings produits aux débats par la concluante'», elle ne vise aucune pièce et lesdits plannings, qui ne figurent pas sur le bordereau des pièces communiquées, ne sont pas produits.

Au vu de l’ensemble des éléments ainsi soumis à la cour, il apparaît que la salariée a bien accompli des heures supplémentaires non rémunérées et il lui sera alloué un rappel de salaire de ce chef avec les congés payés afférents dans les termes de sa demande.

Le jugement sera infirmé en conséquence.

Sur l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

Selon l’article L. 8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 (dissimulation d’activité) ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L’article L. 8221-5 du code du travail dispose qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

La dissimulation d’emploi salarié n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.

La salariée soutient que c’est en parfaite connaissance de cause que son employeur la faisait travailler autour de 12 heures par jour payées 10 heures et que la sous-déclaration de ses heures de travail réelles est ainsi parfaitement caractérisée.

Or, sont insuffisants à caractériser l’intention de dissimulation de l’employeur le seul fait d’avoir mentionné sur les fiches de paie un nombre inférieur d’heures travaillées ou de ne pas avoir payé toutes les heures effectuées.

Dès lors, en l’absence d’autre élément, l’intention de dissimulation n’est pas établie et la demande d’indemnité au titre du travail dissimulé doit être rejetée.

Le jugement sera confirmé en conséquence.

Sur le rappel de salaire

La salariée expose qu’en violation de l’article L.1226-11 du code du travail, elle n’a perçu aucun salaire entre le 20 juillet 2017 et la rupture de son contrat de travail notifiée le 23 octobre 2017 et que si la société Domusvi a versé la somme de 4679,56 euro nets, correspondant à la somme de 5189,18 euros bruts, il reste dû les congés payés à hauteur de 518,91 euros.

L’employeur, qui reconnaît devoir ces sommes, fait valoir à juste titre en s’appuyant sur les mentions de la fiche de paie établie en novembre 2021 que la somme de 518,91 euros a bien été réglée à Mme [N] puisque le montant brut du rappel de salaire avec les congés payés afférents s’élevait au total à 5708,09 euros bruts pour un montant net versé correspondant de 4679,56 euros.

La demande à ce titre sera donc rejetée, la salariée ayant été remplie de ses droits.

Sur la rupture du contrat de travail

La salariée fait valoir que son licenciement est nul, d’une part, parce qu’il est consécutif à un harcèlement sexuel qu’elle a subi et, d’autre part, parce qu’il est discriminatoire puisqu’intervenu en raison de sa dénonciation desdits faits. À titre subsidiaire, elle considère que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse dans la mesure où l’employeur n’a pas respecté son obligation de reclassement, aucune offre ne lui ayant été faite et qu’il ne justifie pas de l’information et de la consultation régulière des délégués du personnel après l’avis d’inaptitude et avant le déclenchement de la procédure de licenciement.

L’employeur affirme que le licenciement n’a aucun lien avec la dénonciation de faits de harcèlement, que Mme [N] a été licenciée pour inaptitude, après avis en ce sens du médecin du travail et que conformément au cadre jurisprudentiel, des recherches de reclassement ont été effectuées dans l’ensemble du groupe Domusvi, lesquelles n’ont pas permis de trouver une solution de reclassement.

Sur la nullité du licenciement

Est nul le licenciement consécutif à un harcèlement et au refus de subir un harcèlement en application de l’article L1153-2 du Code du travail ou consécutif à la dénonciation de délits ou de crimes en application de l’article L,1132-3-3 du code du travail.

La cour n’a pas retenu l’existence d’un harcèlement sexuel à l’égard de la salariée.

Sur le second motif de nullité, il est constant que le 29 novembre 2016, la salariée alors qu’elle était en arrêt pour accident du travail a dénoncé à son employeur des faits de harcèlement sexuel qu’elle aurait subi de son directeur d’établissement M. [B].

Toutefois, force est de constater que le licenciement de la salariée est intervenu le 23 octobre 2017, soit quasiment une année après cette dénonciation et au terme d’une procédure pour inaptitude avec l’intervention du médecin du travail.

Par conséquent, cette chronologie ne permet pas de laisser présumer une mesure discriminatoire.

Les demandes de dommages et intérêts pour discrimination et de nullité du licenciement seront donc rejetées.

Sur le bien fondé du licenciement

Il n’est pas discuté que le licenciement de la salariée est consécutif à une inaptitude d’origine professionnelle.

Aux termes de l’article L.1226-10 du code du travail dans sa version applicable au jour du licenciement lorsque le salarié victime d’un accident du travail est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel, cette proposition devant prendre en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise.

Il appartient donc à l’employeur de procéder à une recherche sérieuse et loyale de reclassement et de solliciter l’avis des délégués du personnel.

En l’occurrence, la société se borne à affirmer qu’elle a exécuté de bonne foi son obligation de reclassement en recherchant une solution de reclassement au sein de l’ensemble des sociétés du groupe, sans justifier avoir consulté les délégués du personnel sur le reclassement et sur le licenciement pour inaptitude de Mme [N], ni justifier de l’absence régulière de délégué du personnel établie par un procès verbal de carence.

La consultation des délégués du personnel étant une formalité substantielle, la violation par l’employeur de son obligation de reclassement est établie et le jugement sera confirmé en ce qu’il a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes indemnitaires de Mme [N]

L’article L. 1226-14 du code du travail applicable à l’inaptitude d’origine professionnelle dispose :

«La rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l’article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis prévue à l’article L. 1234-5 ainsi qu’à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité prévue par l’article L. 1234-9».

Par ailleurs, en application de l’article L.1234-1 du code du travail, le salarié qui a une ancienneté d’au moins deux ans a droit à un préavis de deux mois et l’article L. 5213-9 précise qu’en cas de licenciement, la durée du préavis déterminée en application de l’article L. 1234-1 est doublée pour les travailleurs handicapés, sans toutefois que cette mesure puisse avoir pour effet de porter au-delà de trois mois la durée de ce préavis.

En l’espèce, Mme [N] justifie de sa qualité de travailleuse handicapée au moment de son licenciement.

Elle a donc droit à une indemnité compensatrice de 3 mois de salaire, soit, compte tenu de son salaire mensuel moyen de 1 673,93 euros, une somme de 5 021,79 euros. Ayant perçu lors de la rupture la somme de 3 167,58 euros, il lui reste due 1 854,21 euros et les congés payés afférents à hauteur de 185,42 euros.

S’agissant de l’indemnité de licenciement, l’article R. 1234-2 dispose qu’elle ne peut être inférieure aux montants suivants, à savoir un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans puis un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans.

Compte tenu de l’ancienneté de la salariée, il sera fait droit à sa demande d’une indemnité spéciale de licenciement d’un montant de 2 720,13 euros, soit compte tenu de la somme déjà versée, un solde restant dû de 116,99 euros.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a fait droit à ces demandes.

Enfin, l’article L.1226-15 du code du travail dispose que lorsqu’un licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte prévues aux articles L. 1226-10 à L. 1226-12, le tribunal saisi peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis et en cas de refus de réintégration par l’une ou l’autre des parties, le juge octroie une indemnité au salarié dont le montant est fixé conformément aux dispositions de l’article L. 1235-3-1».

L’article L. 1235-3-1 dispose quant à lui que lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l’ancienneté de la salariée, de son âge lors de la rupture, de la rémunération versée et des pièces produites sur sa situation postérieure, il lui sera allouée la somme de 12 000 euros au titre du préjudice subi du fait du licenciement injustifié.

Sur les demandes accessoires

Conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l’employeur devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonne. Les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

Eu égard aux développements qui précèdent, la société devra transmettre à la salariée un bulletin de paie récapitulatif, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes à la présente décision, sans qu’il soit nécessaire d’ordonner une astreinte.

L’employeur, qui succombe, doit supporter les dépens et participer aux frais de procédure engagés par la salariée à hauteur de 2 000 euros, étant relevé que si dans ses conclusions il est fait état de l’article 700-2° du code de procédure civile, dans le dispositif qui seul lie la cour il est demandé la condamnation des sociétés au paiement d’une somme à la salariée et non à son conseil.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement en ce qu’il a':

— condamné la société [Adresse 6] à verser à Mme [N] :

1854,21 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

185,42 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

116,99 euros à titre d’indemnité spéciale de licenciement';

1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— rejeté la demande de nullité du licenciement';

— déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse';

— rejeté les demandes de dommages et intérêts pour travail dissimulé, pour harcèlement sexuel et agressions sexuelles, pour violation de l’obligation de prévention et de formation, pour discrimination';

— condamné la société [Adresse 6] aux dépens';

L’INFIRME pour le surplus';

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant':

REJETTE la demande de co-emploi et MET la société Domusvi hors de cause ;

CONDAMNE la société [Adresse 6] à verser à Mme [N] les sommes suivantes :

1 000 euros de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité : 7.564,39 euros bruts de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et 756,43 euros bruts de congés payés afférents :

12 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile';

DIT que les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l’employeur devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonne';

CONSTATE l’acquiescement de la société à la demande sur le fondement de l’article L.1226-11 du code du travail relative à la somme de 5.189,18 euros,

REJETTE la demande en paiement de la somme complémentaire de 518,91 euros';

ORDONNE à la société de remettre à la salariée un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes à l’arrêt dans le délai d’un mois de sa notification';

REJETTE la demande d’astreinte';

CONDAMNE la société [Adresse 6] aux entiers dépens de l’instance.

La greffière, La Présidente.

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Cour d'appel de Paris, Pôle 6 chambre 7, 16 mars 2023, n° 20/02740