Cour d'appel de Poitiers, du 24 septembre 2003, 03/00249

  • Propriété·
  • Élevage·
  • Lisier·
  • Nuisance·
  • Installation classée·
  • Consorts·
  • Trouble de voisinage·
  • Canard·
  • Trouble manifestement illicite·
  • Juge des référés

Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

Pour la mise en jeu de la responsabilité sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, le trouble manifestement illicite, autorisant la saisine du juge des référés, peut résulter d’une activité légalement autorisée. En effet, le trouble illicite peut se manifester en présence d’une installation légale méconnaissant le principe juridique, affirmé par la jurisprudence, selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Poitiers, 24 sept. 2003, n° 03/00249
Juridiction : Cour d'appel de Poitiers
Numéro(s) : 03/00249
Importance : Inédit
Dispositif : other
Date de dernière mise à jour : 15 septembre 2022
Identifiant Légifrance : JURITEXT000006942652
Lire la décision sur le site de la juridiction

Texte intégral

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LA ROCHE SUR YON ORDONNANCE ORDONNANCE DE REFERE rendue le 24 Septembre 2003 par M. LAPEYRE, Président, assisté de Madame X…, Greffier. DEMANDEUR(S) : Epoux Y…

Z…(S) : Consorts A…

B… :

L’affaire a été évoquée à l’audience du 19 mars 2003, renvoyée au 16 avril 2003, au 14 mai 2003, au 4 juin 2003, au 8 juillet 2003 et mise en délibéré au 24 Septembre 2003.

Ordonnance exécutoire à titre provisoire et sans caution en application des articles 484 et suivants du Nouveau Code de Procédure Civile. Nous, Président,

Après avoir entendu les parties comparantes ou leur(s) conseil(s), et après en avoir délibéré ;

Par exploit d’huissier en date du 4 février 2003, les époux Y…, propriétaires d’un immeuble, au visa des dispositions de l’article 809 du Nouveau Code de Procédure Civile, ont assigné les consorts A…, père et fils, devant le juge des référés pour voir condamner ces derniers à leur payer: – la somme de 10.000 ä à titre de provision en réparation des troubles de voisinage subis ; – la somme de 3.00 ä par an à titre de provision sur les mêmes préjudices jusqu’à régularisation des distances de l’élevage ; – la somme de 2500 ä au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

A l’appui de leur demande, ils exposent dans l’exploit introductif d’instance auquel il est par ailleurs expressément référé, les éléments suivants : – lors de l’achat de la propriété, Monsieur Auguste A… pratiquait l’élevage de chèvres et les nuisances qui en résultaient étaient anodines et normales au regard de la vie en campagne; – la situation s’est radicalement modifiée à partir de 1995, date à laquelle Monsieur Auguste A… et son fils Karl ont installé et exploité un élevage de canards dans une grange toute

proche, puis dans d’autres bâtiments construits en supplément.

La situation est devenue insupportable ; – La réglementation relative aux distances d’implantation, par rapport au nombre d’animaux équivalents exploités dans l’élevage, au stockage et à l’épandage des déjections ne sont pas respectées ; – Les consorts A… ne vident pas de façon suffisamment fréquente, et laissent même déborder leur fosse à lisier créée à moins de 100 mètres de leur habitation ;

Ils n’épandent pas de façon régulière et n’enfouissent pas dans les délais réglementaires ;

Il n’est pas évident qu’ils aient un plan d’épandage suffisant et en bonne et due forme. – Les services Préfectoraux répondent de manière invariable « que le dossier est en cours de régularisation », cependant les nuisances sont importantes tant au regard des nuisances olfactives que de la présence de myriades de mouches.

Ils considèrent notamment que le caractère insupportable du trouble de voisinage subi résulte en particulier d’un constat d’huissier du 2 septembre 2002 et que les infractions suivantes ont été relevées : – infraction manifeste à la loi, s’agissant d’installation classée, tant en ce qui concerne la bâtiment d’élevage qu’en ce qui concerne la fosse à lisier situés respectivement à 51 m et 75 m de leur immeuble, alors que ceux-ci doivent être implantés au moins à 100 m de toute habitation; – fosse à lisier débordante et enfouissement des lisiers après épandage non effectués de manière immédiate ; – absence de lutte contre la prolifération des insectes.

Aux termes de cet exposé, ils estiment que la preuve d’un trouble anormal de voisinage qu’il convient de faire cesser est rapportée et que le juge des référés est compétent pour constater celui-ci et accorder une provision.

Dans leurs écritures (conclusions déposées le 15 avril 2003 et le 8 juillet 2003), pléthoriques, répétitives, et largement développées à

l’audience, les défendeurs affirment avoir obtenu toutes les autorisations d’exploitation nécessaires à la mise en place de la production d’élevage, avoir ensuite procédé aux modifications nécessaires auprès des services concernés à l’effet de respecter les prescriptions légales, affirment par ailleurs qu’il résulte des pièces versées aux débats et émanant des diverses autorités administratives compétentes que des visites d’inspection de l’élevage de canard ont été effectuées depuis son installation, parfois de manière inopinée, tout récemment depuis l’an 2003 et qu’il résulte de ces pièces que la réglementation est intégralement respectée tant en ce qui concerne les distances que les normes d’exploitation, ainsi d’ailleurs que les plans de maîtrise des pollutions d’origine agricole.

S’agissant notamment des distances, ils considèrent que l’implantation des bâtiments et l’activité effective d’élevage se situent dans le respect des distances de 50 ou 100 m selon les installations et qu’en tout état de cause aucune infraction n’a été mise en évidence, faisant référence au rapport de la Direction des Services Vétérinaires de la VENDEE dont le dernier en date du 6 mars 2003.

En tout état de cause, ils concluent à : – l’incompétence du Juge des Référés, s’agissant d’une installation classée, et ce au profit de l’autorité administrative ; – à titre subsidiaire et sur le fond, à l’absence de trouble illicite et au rejet de l’intégralité des demandes, sollicitant enfin paiement d’une indemnité de 1500 ä au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par conclusions récapitulatives et en réponse adressées au greffe le 20 mai 2003, les époux Y… contestant l’ensemble de l’argumentation développée par les défendeurs tant sur la réalité des troubles que sur l’exactitude des distances, ont conclu au bénéfice de

l’intégralité de leur exploit introductif d’instance.

Il est renvoyé pour plus ample exposé des faits et du litige, ainsi qu’aux moyens ou à l’argumentation développés par les parties à leurs écritures respectives. DISCUSSION :

Sur le droit applicable :

Attendu que, en droit, le Juge des Référés, statuant sur le fondement de l’article 809 alinéa 1 du Nouveau Code de Procédure Civile, apprécie de manière souveraine l’existence ou l’imminence du trouble manifestement illicite ou du dommage allégué ;

Que le trouble manifestement illicite peut à l’évidence résulter d’une atteinte portée, par voie d’action ou d’omission, aux dispositions légales ou réglementaires, ou à une décision de l’autorité légitime ayant reçu pouvoir à cet égard de la loi (cf. ordonnance de référé T.G.I. LA ROCHE SUR YON – 21 mai 2003, époux C…/ GAEC LE LIAS) ;

Attendu qu’en d’autres termes et pour être plus précis, une activité légalement autorisée peut être constitutive d’un trouble manifestement illicite autorisant la saisine du Juge des Référés et la mise en jeu de la responsabilité de l’exploitant pour troubles de voisinage ;

Que le Juge des Référés, sur le fondement du trouble manifestement illicite ou du trouble anormal de voisinage, peut ordonner une indemnisation par provision, voire la fermeture de l’activité, sauf s’il s’agit, en ce qui concerne la dite fermeture, d’une installation classée ;

Que la légalité n’est, en l’occurrence, que l’une des conditions de la licéité et qu’un trouble illicite peut se manifester en présence d’une installation légale, dès lors que celle-ci viole d’autres principes juridiques que la loi, notamment celui, affirmé par la jurisprudence, selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble

excédent les inconvénients normaux du voisinage;

Que cette dernière notion entre en conséquence dans la licéité, même si elle est extérieure à la légalité intrinsèque ;

Qu’après avoir constaté le trouble considéré comme illicite, le Juge des Référés a encore la possibilité, s’il l’estime utile, d’ordonner éventuellement une mesure d’expertise à l’effet d’en déterminer l’importance et de préconiser les mesures de nature à y remédier ;

Sur l’application de ces principes au cas d’espèce :

Attendu que dans le cas d’espèce, pour apprécier la réalité de la situation, il apparaît utile de procéder à un rappel, aussi complet que possible, de la création de l’élevage dont s’agit ;

Que la création de cet élevage de canards en 1995 pour 1500 places à gaver à l’époque, s’est faite sans aucune formalité ;

Que l’importance de l’élevage assujettisait le dit élevage à la réglementation des installations classées, sous le régime de la déclaration, cette déclaration devant être au préalable évidemment à la mise en service de l’élevage ;

Que par ailleurs, la grange ne constituant pas un bâtiment d’élevage et les prescriptions tenant à l’aménagement de ce bâtiment pour le rendre utile à cet usage impliquaient des travaux de mise en conformité, et s’agissant d’un changement d’affectation, soit un permis de construire, soit une déclaration de travaux ;

Que le Tribunal ne peut que constater, ce qui n’est apparemment pas contesté, qu’aucune de ces formalités n’a été à l’époque effectuée et qu’en conséquence l’élevage était dès l’origine illicite ;

Attendu qu’en décembre 1997, la Direction Départementale de l’Action Sanitaire et Sociale et l’autorité préfectorale ont clairement indiqué que compte tenu du nombre de canards, cet établissement relevait de la législation sur les installations classées soumises à déclaration (lettres des 13 et 18 décembre 1997) ;

Qu’une première demande de régularisation a résulté du dépôt d’un dossier le 21 janvier 1998 au nom des consorts A… père et fils, les distances du projet par rapport au voisinage n’étant pas précisées et la création d’une fosse à lisier de 500 m3 étant prévue ;

Que l’autorité préfectorale a demandé le 3 septembre 1998 de compléter le dossier et qu’à la date du 13 décembre 1998 une fiche de renseignements a été adressée pour création ou extension d’élevage, la fosse à lisier étant désormais existante et la distance indiquée par rapport aux habitations étant de 100 m environ, ce qui, selon le constat d’huissier du 2 septembre 2002, serait inexact ;

Attendu qu’ensuite un récépissé de cette déclaration a été délivré le 18 décembre 1998, mais que le régime étant seulement déclaratif du fait du nombre des animaux équivalent, il n’y a pas eu lieu à autorisation préalable, les défendeurs étant obligés de se conformer aux prescriptions d’un arrêté du 23 février 1996 ;

Attendu qu’un nouveau dossier de reprise et d’extension a été présenté par Karl A… le 28 juin 2000, l’emplacement des installations n’étant pas modifié, seule l’importance de l’élevage étant augmentée et qu’un récépissé a été délivré le 23 octobre 2000, cependant que la grange située à 51 m des habitations et la fosse à lisier à 75 m étant toujours utilisées ;

Attendu que dans le cas d’espèce, les consorts A… contestent l’application à leur élevage de la distance de 100 m qui résulte de l’article 2 de l’arrêté susvisé du 23 février 1996 en invoquant les dispositions de la loi du 19 janvier 1976 qui, pour les élevages sur litière prévoyait la possibilité d’une distance réduite de 50 m pour les existants jusqu’au 31 décembre 1998 et le maintien de cette même distance dans le cadre d’extension d’installations existantes pour le nouveau bâtiment et affirment ainsi que sur la base de cette exception à la règle aucune infraction ne saurait être retenue ;

Attendu cependant que les consorts A… ne s’expliquent nullement sur le bénéfice de cette exception qu’ils invoquent ;

Qu’au surplus, celle-ci ne pourrait s’appliquer qu’au profit d’installations déjà en règle au moment de la demande ;

Que lors des déclarations du 23 janvier 1998, régularisée par celle du 13 novembre 1998, il s’agissait déjà d’obtenir une régularisation de la situation antérieure, par définition irrégulière, de sorte que l’installation initiale de 1998 ne pouvait que se voir appliquer que l’arrêté-type établi en application de la loi du 19 juillet 1976 et du décret du 21 septembre 1977 et que cet arrêté prévoyait une distance de 100 m, sans dérogation possible ; Que de plus la fosse à lisier paraît avoir été créée avant toute autorisation, qu’il en résulte que l’irrégularité des distances paraît être établie, mais qu’en tout état de cause, à supposer qu’il puisse subsister un doute qui ne pourrait être écarté que par l’organisation d’une mesure d’instruction qu’aucune des parties ne sollicite, reste à apprécier,- à supposer à l’activité légalement autorisée – s’il subsiste ou non des troubles illicites.

Attendu que sur la réalité des troubles, les consorts A… invoquent essentiellement un courrier de la Direction Départementale des Services Vétérinaires de la VENDEE du 6 mars 2003, soit postérieure à l’assignation délivrée, lequel indique notamment que depuis 1999 ils ont répondu à toutes les observations effectuées pour réduire au minimum la gène éventuelle pouvant provenir du dit élevage, ce qui ne fait que confirmer évidemment que des nuisances ont été auparavant constatées, ainsi qu’il résulte notamment des courriers de la Direction des Services Vétérinaires en date des 28 juillet 1998, 19 avril, 21 juillet et 27 septembre 1999… ;

Attendu que dans ces conditions l’affirmation selon laquelle aucune pollution n’a été constatée apparaît totalement inopérante, et qu’il

en va de même de l’affirmation selon laquelle les nuisances résulteraient de la présence d’autres élevages sur le secteur et que les diverses attestations produites émanant pour la plupart de personnes ne résidant pas dans le secteur et qui ne font état que de considérations pour le moins générales sur la vie en campagne, sans contester d’ailleurs la réalité des nuisances, ne présentent que peu d’intérêt;

Attendu que reste à apprécier les divers constats d’huissiers versés aux débats par les parties ;

Que selon le procès-verbal de Me DAMOUR du 2 septembre 2002, mandaté par les époux Y…, lequel s’est déplacé à six reprises courant septembre 2002 et a par ailleurs vérifié les distances des installations par rapport aux habitations, d’importantes nuisances notamment olfactives ont été relevées ;

Qu’un nouveau constat des nuisances olfactives a été réalisé douze fois du 31 mai au 29 juin 2003, soit après l’introduction de la procédure ;

Que certes, les consorts A… ont dans ces conditions dépêché un autre huissier, en l’occurrence Me GILBERT qui s’est déplacé les 17, 20 et 24 juin 2003 à des dates différentes de son confrère lequel a indiqué que les odeurs de fientes étaient perceptibles mais supportables, mais indiquait par ailleurs que le vent modéré soufflait de l’ouest, c’est à dire de la propriété des époux Y… vers l’élevage, soit en sens inverse ;

Que le Tribunal ne peut que constater que ces deux officiers ministériels ne sont jamais venu le même jour, mais que, quoi qu’il en soit, la preuve de nuisance est rapportée ;

Attendu que, abstraction faite du respect des distances réglementaires qui paraissent ne pas être respectées, mais qui justifierait d’un supplément d’information ou d’une enquête relevant

de la compétence d’une autre juridiction, force est de constater que l’existence d’un trouble manifestement illicite, quoi qu’en disent les défendeurs, est suffisamment rapportée, que si des améliorations ont été effectivement apportées depuis plusieurs années, ainsi qu’il résulte des pièces administratives versées aux débats, force est de constater que les dites pièces ne font jamais état des distances réglementaires, respectées ou non ;

Attendu que la responsabilité de l’exploitant apparaît ainsi manifestement engagée pour troubles de voisinage et que suivant le principe de droit rappelé ci-dessus, il convient de condamner les défendeurs à payer aux époux Y… une indemnité provisionnelle de 7500 ä à valoir sur le préjudice subi à la date de la présente décision ;

Qu’en revanche, sur l’indemnité réclamée à titre de provision jusqu’à une mise en conformité éventuelle des distances de l’élevage, s’agissant d’un préjudice futur, cette demande sera rejetée et qu’en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, il convient d’allouer au demandeur la somme de 1000 ä.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ;

Vu l’article 809 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Nous déclarons compétent ;

Condamnons les consorts A… à payer aux époux Y… une indemnité provisionnelle de 7500 ä (sept mille cinq cent euros) à titre de dommages et intérêts à valoir sur le trouble de voisinage subi ;

Les condamnons au paiement de la somme de 1000 ä au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Les condamnons au paiement de la somme de 1000 ä au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Rejetons toute demande plus ample ou contraire ;

Condamnons in-solidum les défendeurs aux dépens.

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
Extraits similaires à la sélection
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Poitiers, du 24 septembre 2003, 03/00249