Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 9 novembre 2023, n° 22/04161

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Rouen, ch. soc., 9 nov. 2023, n° 22/04161
Juridiction : Cour d'appel de Rouen
Numéro(s) : 22/04161
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Dieppe, 6 décembre 2022
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 18 novembre 2023
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Sur les parties

Texte intégral

N° RG 22/04161 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JH6P

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 09 NOVEMBRE 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Ordonnance du TRIBUNAL JUDICIAIRE DE DIEPPE du 07 Décembre 2022

APPELANTE :

Société LA POSTE

[Adresse 7]

[Localité 5]

représentée par Me Eric DI COSTANZO de la SELARL ACT’AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Julie LEMAIRE ETIENNE, avocat au barreau de ROUEN

INTIMES :

SYNDICAT RÉGIONAL SUD-PTT DE HAUTE-NORMANDIE

[Adresse 1]

[Localité 6]

représenté par Me Victoric BELLET, avocat au barreau de DIEPPE substitué par Me Julien RODRIGUE, avocat au barreau de PARIS

COMITÉ D’HYGIÈNE DE SÉCURITÉ ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL DE LA PPDC [Localité 9] (CHSCT)

[Adresse 4]

[Localité 9]

représenté par Me Victoric BELLET, avocat au barreau de DIEPPE substitué par Me Julien RODRIGUE, avocat au barreau de PARIS

Société AXIUM EXPERTISE

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Victoric BELLET, avocat au barreau de DIEPPE substitué par Me Julien RODRIGUE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 15 Septembre 2023 sans opposition des parties devant Madame ALVARADE, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame ALVARADE, Présidente

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 15 septembre 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 09 novembre 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 09 Novembre 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

La direction de la Poste (la société) a convoqué le comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (le CHSCT) de la plate-forme de préparation et de distribution du courrier (PPDC) de [Localité 10] – Etablissement de [Localité 9], à une réunion de consultation fixée au 21 juin 2022 relativement à un nouveau projet de réorganisation du site.

Le CHSCT, estimant qu’il s’agissait d’un projet important, a adopté une délibération aux fins de voir désigner un expert sur le fondement de l’article L.4614-12 du code du travail. Les travaux ont été confiés au cabinet Axium Expertise, qui a rendu son rapport le 2 août 2022.

C’est dans ces circonstances que le CHSCT du site de Eu, établissement de Dieppe, le syndicat Sud PTT et l’expert Axium ont assigné la société la Poste en référé devant le tribunal judiciaire de Dieppe à l’audience du 14 septembre 2022 afin de voir, au visa des dispositions des articles 834 et 835 du code de procédure civile :

— faire interdiction à la Poste de déployer le projet du site de [Localité 9] en ce que sa conception et son dimensionnement induisent, par une charge de travail mal calibrée, la violation de la durée conventionnelle de travail des agents impactés et de leurs horaires collectifs,

— ordonner à la Poste d’évaluer, selon sa procédure normalisée et de façon exhaustive et transparente, la charge de travail et le dimensionnement du projet d’adaptation du site de [Localité 10] en intégrant à cette évaluation et à ce dimensionnement les secteurs du samedi et d’en transmettre les résultats au cabinet et au CHSCT,

— ordonner à la Poste de communiquer au CHSCT et à l’expert Axium un certain nombre d’informations précisément listées,

— proroger le délai de consultation du CHSCT de 30 jours à compter de la transmission de l’ensemble des informations,

— faire interdiction à la Poste de déployer le projet d’évolution de l’organisation, à tout le moins le suspendre, dans l’attente d’un avis régulier du CHSCT.

Par ordonnance en référé du 7 décembre 2022, le tribunal judiciaire a :

— déclaré recevables les demandes du CHSCT, du syndicat Sud PTT et de l’expert Axium , ordonné à la société la Poste de communiquer au CHSCT et à l’expert Axium les informations sollicitées dans le tableau récapitulatif joint à l’ordonnance, et ce, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par document, passé le 8e jour après sa notification et ce, pendant un mois,

— prorogé le délai de consultation du CHSCT de 30 jours à compter de la transmission de l’ensemble de ces informations,

— fait interdiction à la société la Poste de déployer le projet d’évolution de l’organisation dans l’attente d’un avis régulier du CHSCT,

— rejeté toutes autres demandes,

— condamné la société la Poste à verser au CHSCT de [Localité 9] la somme de 4 000 euros TTC au titre de ses frais d’avocat exposés dans le cadre de l’instance,

— condamné la société la Poste à verser au Syndicat Sud PTT et à l’expert Axium la somme de 1 500 euros chacun, au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné la Société la Poste aux entiers dépens de l’instance.

La société la Poste a interjeté appel le 23 décembre 2022.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 7 septembre 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions remises le 13 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société la Poste demande à la cour de voir :

— déclarer l’appel de l’ordonnance de référé recevable et bien fondée,

— infirmer l’ordonnance en ce qu’elle lui a interdit de déployer son projet d’évolution de l’organisation dans l’attente d’un avis régulier du CHSCT,

— infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a dit qu’elle devait communiquer au CHSCT et à l’expert Axium des informations, et ce sous astreinte,

en conséquence,

— déclarer qu’elle a correctement évalué la charge de travail dans le cadre de l’élaboration du projet litigieux,

— déclarer qu’elle a transmis à l’expert et au CHSCT l’ensemble des documents et informations nécessaires à la réalisation de leurs missions respectives,

— déclarer qu’il n’existe ni trouble manifestement illicite, ni dommage imminent,

— juger en conséquence qu’il n’y avait pas lieu à référé,

— débouter le CHSCT de l’ensemble de ses demandes,

— débouter le CHSCT de sa demande de prise en charge des honoraires de son avocat et subsidiairement réduire le montant de ces honoraires,

— débouter le cabinet Axium et le syndicat Sud PTT de leurs demandes s’élevant à 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

y ajoutant,

— condamner le cabinet Axium ainsi que le syndicat à lui verser la somme de 1 500 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

La SA la Poste explique :

qu’en raison des mesures gouvernementales annoncées le 14 mars 2020, ordonnant la fermeture effective de tous les lieux publics non indispensables à la vie du pays à compter du 17 mars 2020, elle a dû s’organiser et satisfaire à cette mesure en fermant tous les établissements ouverts aux publics ne relevant pas d’une activité essentielle à la vie de la nation,

que dès le 23 mars 2020, elle a donc annoncé que l’organisation du courrier se ferait sur la base de 4 jours travaillés, puis de 3 jours à compter du lundi 30 mars 2020, et que les prises de services décalées se poursuivraient tout en maintenant les services essentiels, pour revenir à une organisation sur 4 jours à compter du 21 avril 2020, puis 5 jours à la levée du confinement le 11 mai 2020,

que postérieurement, dans le contexte général de baisse constante des envois postaux au niveau national, elle entendait faire évoluer l’organisation de tous ses établissements et notamment celui de [Localité 9], ainsi que ceux d'[Localité 10], de [Localité 11] et de [Localité 8],

que c’est ainsi que lors d’une réunion qui s’est tenue le 21 juin 2022, elle présentait au CHSCT du site d'[Localité 10] la nouvelle organisation envisagée,

que s’estimant insuffisamment informé sur un projet important, le CHSCT a adopté une délibération aux fins de désigner un expert,

que dès le 1er juillet 2022, elle a communiqué l’ensemble des documents sollicités par l’expert, lequel attendait le 25 juillet 2022 pour formuler de nouvelles demandes, auxquelles une réponse était apportée le 26 juillet 2022,

que le 29 juillet 2022, l’expert considérait néanmoins que les éléments communiqués étaient incomplets ou manquants et transmettait son rapport le 1er août suivant,

qu’une restitution dudit rapport a eu lieu le 2 août 2022 et le CHSCT a estimé une nouvelle fois qu’il ne disposait pas d’éléments suffisants pour rendre un avis,

que des modalités de mise en place d’une réorganisation similaire a été faite sur le site de [Localité 9] et une décision étant intervenue le 6 avril 2022, jugeant qu’elle n’avait pas communiqué tous les éléments conformément aux dispositions de l’ordonnance, elle a communiqué les éléments sollicités le 23 mai 2022,

qu’elle a également tenu compte de cette décision dans le cadre de la communication des pièces dans le cadre du projet de [Localité 10],

que cependant, le 2 août 2022, le CHSCT du site de Eu, établissement de Dieppe l’a assignée en référé devant le président du tribunal judiciaire de Dieppe.

Elle fait valoir :

sur la compétence du juge des référés,

— que le trouble manifestement illicite n’est pas caractérisé dès lors que le régime de travail sera de 35 heures en moyenne sur une période de deux semaines avec un jour de repos le samedi, de sorte que le CHSCT ne peut se prévaloir du non-respect de la durée conventionnelle des horaires collectifs de travail, pour faire interdire le déploiement du projet, ce qui supposerait un débat de fond,

qu’il n’existe donc pas de dommage imminent en l’absence de violation des droits des facteurs,

que cette organisation est d’ailleurs en place dans plusieurs établissements en France,

sur l’évaluation de la charge de travail

— sur le recours à l’expert,

que si en application de l’article L. 4614-12 du code du travail, les représentants du personnel siégeant au CHSCT ont la faculté de faire appel à un expert agréé lorsqu’un risque grave est constaté dans l’établissement et en cas de projet important modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail, l’expert désigné devant pouvoir librement entrer dans l’établissement et se voir remettre par l’employeur les informations nécessaires à l’exercice de sa mission, les dispositions précitées ne prévoyant nullement la communication de pièces à l’expert « qu’il estime nécessaires », alors qu’il revient au juge d’apprécier les informations réclamées par ce dernier pour accomplir sa mission,

que l’employeur n’a ni l’obligation de répondre aux préconisations de l’expert, ni l’obligation de contester le contenu de son rapport, lequel est établi à destination du seul CHSCT afin de l’éclairer sur le projet envisagé et lui permettre de rendre un avis conformément à sa mission,

qu’il convient de n’accorder aucun crédit à l’analyse de l’expert Axium, laquelle est en réalité dictée par le CHSCT qui tente d’obtenir de la juridiction qu’il lui soit imposé une certaine méthode d’évaluation,

qu’elle a parfaitement respecté son obligation d’évaluation de la charge de travail et a adressé à l’expert et au CHSCT l’ensemble des documents et explications nécessaires à sa mission,

que l’expert qui prétend ne pas avoir été en possession de l’ensemble des informations a cependant été en mesure de rendre un rapport de 104 pages critiquant dans le détail tous les éléments, analyses, études qu’elle lui a fournis,

qu’aucune rétention d’informations ne peut donc lui être reprochée, alors que l’expert a présenté son analyse exhaustive de la situation permettant ainsi à l’instance de pouvoir rendre un avis éclairé sur le projet,

qu’au contraire, lors de la restitution du rapport, le CHSCT et l’expert l’ont mis dans l’impossibilité de répondre et d’apporter des pièces complémentaires ou donner son avis sur les éléments évoqués comme manquants ou incomplets,

— sur la méthode d’évaluation,

qu’en exigeant l’application d’une certaine méthode par le truchement de l’expert, le CHSCT tente d’imposer l’application de ses recommandations et par voie de conséquence une cogestion qui lui donnerait toute latitude pour participer à la prise de décision relevant du seul pouvoir de l’employeur.

que le CHSCT tente encore de lui imposer sa propre méthode d’évaluation de la charge de travail « selon la procédure normalisée et de façon exhaustive »,

que la procédure normalisée au sein de la Poste est la « méthode de conduite du changement » qui résulte en dernier lieu de l’accord collectif du 19 juin 2013 relatif à la qualité de vie au travail à la Poste (accord QVT), cette méthode n’impliquant pas le recours à des logiciels de dimensionnement déterminés (type géoroute), mais exigeant le respect des différentes étapes dans l’élaboration d’un projet de réorganisation se traduisant par la concertation entre la direction, les agents et les organisations syndicales,

que la méthode de conduite du changement a bien été mise en 'uvre dans le cadre de l’élaboration du projet,

que si elle n’a pas utilisé ces outils de dimensionnement pour évaluer la charge de travail du samedi, dont la légitimité a été contestée par le CHSCT pendant plusieurs années, cette évaluation a néanmoins été faite dans le cadre d’une concertation et en respectant toutes les étapes de la méthode de conduite du changement (entretien avec les agents, présentation aux agents du diagnostic établi et des différentes solutions envisagées, recueil des souhaits, réunion avec les organisations syndicales, réunion plénière, information consultation du CHSCT),

que l’évaluation de la charge de travail ne saurait se faire par application de l’accord du 7 février 2017, comme soutenu par les intimés, alors que ledit accord a été conclu pour une durée de quatre ans, les effets ayant été reconduits une fois et ce jusqu’au 30 avril 2021,

que si elle est tenue par une obligation d’évaluer la charge de travail, aucune obligation légale ne lui est imposée quant à la méthode à appliquer,

que le fait que cette opération n’ait pas été effectuée en appliquant la méthode telle que préconisée n’est pas de nature à démontrer l’existence d’un trouble manifestement illicite,

— sur l’évaluation de la charge de travail,

que le projet respecte la durée de travail hebdomadaire de 35 heures prévoyant une durée de travail journalière sur la semaine répartie selon les tournées, un samedi sur deux étant de repos,

qu’elle a parfaitement évalué la charge de travail, du lundi au vendredi à l’aide des outils de dimensionnement, en transmettant à l’expert l’ensemble des restitutions individuelles, incluant celles du samedi, le régime de travail dans l’organisation actuelle et le régime de travail dans l’organisation future,

qu’elle a également évalué la charge de travail du samedi, par le report de charge sur les autres jours de la semaine, cette évaluation ayant été faite par l’analyse du temps opérationnel de distribution, alors que la liste des produits priorisés le samedi, les secteurs de distribution du samedi et une restitution de la charge de travail projeté en termes de durée journalière de travail ont été communiqués au CHSCT,

que cette charge de travail a été précisément évaluée sur la base des comptages chiffrés du trafic le samedi et sa comparaison mathématique avec le trafic des autres jours de la semaine,

— sur l’évaluation de la charge de travail pour la constitution des secteurs du samedi,

qu’elle a décidé de mettre en place une organisation du travail permettant aux agents de bénéficier d’un jour de repos un samedi sur deux, le volume d’activité étant adapté ce jour, seul le courrier prioritaire et les petits colis étant mis en distribution,

que cette organisation avait déjà été expérimentée dans le cadre de la mise en place des adaptations des rythmes de travail durant la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid 19, certaines tournées du samedi étant déjà regroupées en secteur et les tournées organisées en binôme,

sur le report de charge,

que la construction des secteurs a été faite sur la base de données chiffrées et objectives, notamment au regard des données du trafic tant de la semaine que du samedi, ce, en concertation avec les agents, cette organisation n’entraînant pas de surcharge de travail pour les facteurs,

qu’ainsi seul le courrier prioritaire et les petits colis, représentant 25 % du trafic, sont mis en distribution le samedi, la distribution des autres courriers et colis étant reportée du lundi au vendredi,

que le report de charge du samedi a bien été pris en considération, dans le calcul de la charge de travail, ce report représentant 75 % sur le reste de la semaine, soit 15 % par jour,

que le fait que les documents produits n’intègrent pas les secteurs du samedi n’a aucune incidence, alors que la construction par secteur a été établie à l’issue de l’évaluation de la charge de travail du samedi et que les conséquences de la réduction du volume d’activité du samedi ont été anticipées par la mise en place de tournées renfort,

qu’aucune aggravation de la charge de travail ne peut donc être soutenue,

que l’ensemble des documents justifiant le report de charge et que l’évaluation de la charge de travail ont bien été pris en compte ont été transmis à l’expert et notamment les éléments sur les conséquences en matière de troubles musculo-squelettiques, la prévention des risques psychosociaux et les protocoles sécurité,

— sur l’utilisation des temps opérationnels à la distribution (TOD) ou nouvelles normes et cadences,

qu’elle utilise de nouvelles normes appelées « temps opérationnels à la distribution » pour calculer la charge et la dimensionner, celles-ci étant établies sur la base de chronométrages communiqués au CHSCT, lesquels contribuent à la construction de ses nouveaux projets de réorganisation de tournées,

que de nombreux projets ont ainsi été mis en 'uvre depuis l’utilisation des TOD,

que le CHSCT ne peut critiquer cette méthode, alors que le débat a déjà été tranché par la Cour de cassation, qui dans un arrêt du 1er juillet 2020, a jugé que l’expert, et par conséquent le CHSCT était en mesure de réaliser sa mission, au besoin par la critique des outils de l’entreprise, sans nécessité de connaître les documents de conception de ces outils,

qu’elle a bien évalué la charge de travail des agents dans le cadre du projet soumis à la consultation du CHSCT,

que si ce dernier estime cette évaluation défectueuse, il ne démontre pas qu’elle aurait été faite en violation d’un quelconque principe légal ou conventionnel de nature à caractériser un trouble manifestement illicite,

sur l’obligation de sécurité,

que l’expert et le CHSCT ne rapportent pas la preuve du moindre risque qu’ils invoquent,

que si les contentieux ayant pour but d’empêcher la mise en 'uvre des projets de réorganisation sont nombreux, rares sont ceux relatifs aux conséquences engendrées,

que les projets de réorganisation des tournées des facteurs n’emportent en réalité dans leur mise en 'uvre aucune conséquence néfaste pour la santé et la sécurité des agents,

que les seules juridictions qui ont eu à se prononcer en la matière ont conclu à l’absence de manquement à l’obligation de sécurité, de sorte que pas plus à ce niveau, il n’est justifié d’un trouble manifestement illicite ou un dommage imminent relevant de la compétence du juge des référés,

— sur les réponses apportées à l’expert,

que si l’employeur se doit d’adresser à l’expert les documents nécessaires à l’exercice de sa mission, il n’a pas l’obligation de créer des documents qui n’existent pas et qui ne sont pas légalement obligatoires et s’il revient à l’employeur d’examiner les recommandations de l’expert, il est le seul à en apprécier la pertinence, à les mettre ou non en 'uvre et en aucun cas, n’est tenu par ses recommandations,

que le juge des référés ne peut d’ailleurs ordonner l’exécution d’une obligation de faire, que dans le l’hypothèse où l’obligation n’est pas sérieusement contestable,

que l’expert disposait de toutes les informations nécessaires, pour avoir rendu un rapport de 104 pages, comportant une analyse et des conclusions détaillées alors qu’il n’est pas précisé en quoi chaque pièce demandée dans le cadre de la présente instance et de manière exhaustive lui serait utile dans le cadre de sa mission.

Par conclusions remises le 5 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de leurs moyens, le CHSCT, le syndicat Sud PTT et l’expert Axium Expertises demandent à la cour de :

— recevoir le CHSCT de [Localité 9], le Cabinet Axium Expertise et le Syndicat Sud PTT de Haute-Normandie en leurs conclusions et appel incident,

En conséquence,

— confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a :

. ordonné à la Poste de communiquer au CHSCT et à l’expert Axium les informations sollicitées, à savoir :

. Système d’attribution et de répartition des tournées et/ou de la charge (notamment les samedis) : nombre et rôle des titulaires, rouleurs, facteurs d’équipe, facteurs qualité et/ou facteurs service expert, périmètre des tournées, types d’objets distribués et/ou d’opérations effectuées.

. pour les secteurs de distribution du samedi : découpage des tournées et circuits de collecte avec les temps alloués et, le cas échéant, les modifications par rapport à l’organisation actuelle(bulletins d’itinéraires et explication des temps théoriques moyens de distribution (HLP, HLPI, parcours actif dont temps de séjour, temps de remise) (bordereaux de restitution individuels du diagnostic et des tournées projetées).

. dimensionnement de l’effectif nécessaire pour écouler la charge de travail dans le cadre de la nouvelle organisation, par métier et par statut d’emploi (CDI, CDD, intérimaire, sous-traitance…).Écarts constatés avec l’ancien dimensionnement. Quelles justifications'

. les projections du TRTP réalisées par la direction nationale ou locale jusqu’à aujourd’hui. La méthodologie de calcul de l’évolution projetée du TRTP et du TRPP sur les années à venir prise en compte dans le calcul de la charge du projet.

. tout document expliquant avec précision les raisonnements(constats, calculs, ratios, productivité, données de trafic ou autres…), ayant entraîné les changements de régime horaires depuis le début de la période de référence du projet de réorganisation jusqu’à aujourd’hui.

. tout document exprimant clairement comment les flux de courrier (et notamment ceux du samedi) seront gérés en amont par la Pic pour garantir une charge de travail adaptée aux nouveaux horaires de travail. Ici il est demandé les raisonnements et calculs intermédiaires et finaux de la charge et les mécanismes de sa rétention à la PIC en fonction de la priorisation de la distribution. Il n’est pas seulement demandé les modes opératoires destinés aux utilisateurs des logiciels.

. tout document synthétique précisant pour chaque réorganisation(les trois dernières et la future) les jours de sécabilité ainsi que les raisonnements et calculs qui ont permis de les dimensionner.

. tout document expliquant comment la future charge de travail a été évaluée (raisonnements et calculs intermédiaires et finaux) pour chaque jour de la semaine.

. tout document expliquant l’évaluation de la charge de travail non réalisée du samedi (du fait du repos du facteur non remplacé) et son report sur la charge des autres facteurs les lundi, mardi, mercredi, jeudi et vendredi suivants.

. les CREF des trois dernières réorganisations et de la future distinguant précisément les MRP.

. les chiffres et leur évolution du nombre de titulaires et de CDI depuis les trois dernières réorganisations par site.

. tout document expliquant clairement la stratégie de l’organisation des MRP depuis les trois dernières réorganisations ainsi que celle projetée. Effectifs des MRP sur la plaque, l’établissement et le(s)site(s)expertisé(s).

. les modalités de prise en compte, en termes de temps, de la variabilité de l’expérience et de l’expertise du facteur à réaliser l’ensemble des activités inhérentes à sa tournée (préparation, distribution).

. le découpage des tournées et circuits de collecte avec les temps alloués et, le cas échéant, les modifications apportées par rapport à l’organisation actuelle (PDI, PRE ajoutés et enlevés + % de modification de tournée+ nombre de tournées démontées, % de TI/TE avant et après, cartographie précise par tournée(avant et après) pour la semaine et le samedi avec les PDI et l’ordonnancement de la tournée sur la carte) (changement de MOLOC).

. le temps nécessaire évalué par les facteurs dans leur BI pour les TI/TE liés aux IP, l’évaluation de la charge de travail liée aux imprimés repris à ADREXO, la volumétrie de ces imprimés, le comptage en «main » et la priorisation de la distribution de ces imprimés.

. le BI complet pour la journée du samedi, l’évaluation du potentiel report sur la journée du lundi défini comme jour à 125 %, mesures prises en cas de tournées à découvert le samedi, explications sur la priorisation du samedi au niveau local, découpage clair et explicite des secteurs du samedi avec l’évaluation haute et basse de la charge de travail.

Sous astreinte de 10.000 euros par document et jour de retard, ce pendant un mois,

— prorogé le délai de consultation de 30 jours à compter de la transmission de ces informations,

— fait interdiction à la Poste de mettre en 'uvre son projet dans l’attente de l’avis régulier du CHSCT,

— condamné la Poste à prendre en charge les frais judiciaires mais en réformer le quantum pour le porter à la somme de 6 000 euros, outre les dépens,

— condamné la Poste à verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au profit du Cabinet Axium Expertise et du syndicat Sud PTT,

Y ajoutant et statuant des chefs infirmés,

— faire interdiction à la Poste de déployer le projet du site de [Localité 9] en ce que sa conception et son dimensionnement induisent, par une charge de travail mal calibrée, la violation de la durée conventionnelle de travail des agents impactés et de leurs horaires collectifs,

— ordonner à la Poste d’évaluer, la charge de travail et le dimensionnement du projet d’adaptation du site de [Localité 10] en intégrant à cette évaluation et à ce dimensionnement les secteurs du samedi et d’en transmettre les résultats au cabinet et au CHSCT.

En tout état de cause,

— condamner la Poste à verser au CHSCT de [Localité 9] (site de [Localité 10]) la somme de 7 200 euros TTC au titre de ses frais judiciaires exposés en cause d’appel,

— condamner la Poste à verser à Axium et au Syndicat Sud la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

— la condamner aux dépens d’appel.

Les intimés exposent que la société la Poste envisage de modifier les régimes de travail et les durées hebdomadaires moyennes d’organisation en positionnant unilatéralement les jours de repos les samedis, jours où elle bloque une partie du courrier ordinaire, aboutissant à mettre en place deux types d’organisations différentes,

qu’ainsi du lundi au vendredi, les facteurs reprennent les itinéraires de leurs tournées mais avec une charge et un rythme de travail modifiés, le volume de trafic étant impacté par la rétention volontaire faite par l’entreprise les samedis, l’entreprise modifiant les jours de repos de cycle placés en semaine,

et les samedis, alors que sont créés deux secteurs constituant des assemblages des tournées pour lesquels interviennent des binômes, les facteurs assurant alternativement un samedi sur deux la distribution du secteur les samedis,

que la Poste a en conséquence supprimé les jours de repos du cycle antérieur à la crise sanitaire qui étaient placés en semaine,

qu’en procédant de la sorte, elle a supprimé de facto les positions de travail dont l’objet était de remplacer les facteurs en repos de cycle, ce qui correspond à plusieurs positions de travail par rapport à l’organisation antérieure, les titulaires « s’auto- remplaçant » et absorbant les reports de charge du samedi,

que la société a en outre utilisé des outils logiciels pour modéliser la charge de travail en procédant au calcul d’une durée moyenne estimée des tournées pour en tirer un dimensionnement des tournées aboutissant à un nouveau découpage et à une nouvelle répartition de la charge entre les facteurs sous forme de secteurs,

qu’à compter de la fin de l’année 2021, la direction a initié différentes procédures de consultation portant sur la réorganisation des sites de [Localité 8], [Localité 9] et [Localité 11],

que saisi du projet du site de Dieppe, le tribunal judiciaire le suspendait le 6 avril 2022 en ordonnant l’évaluation de la charge de travail et la communication d’un certain nombre d’informations, la Cour d’appel de ROUEN venant confirmer l’ordonnance, le 16 mars 2023, estimant que la Poste avait transmis les informations nécessaires à hauteur d’appel, soit postérieurement à la décision de première instance,

que la Poste convoquait toutefois le CHSCT le 2 juin 2022 afin de présenter le projet de réorganisation du site de [Localité 10], identique dans son principe à celui du site de [Localité 9], ignorant la décision judiciaire du 6 avril 2022, et transmettait un document de présentation marqué par les mêmes lacunes et insuffisances que les précédents,

que dès le lendemain, elle se rapprochait de la Poste aux fins de solliciter une réunion de cadrage et les premiers documents, demande réitérée suivant mise en demeure du 29 juin suivant,

qu’une réunion était fixée au 7 juillet 2022, au cours de laquelle la Poste présentait de nouveaux documents, contraignant l’expert à solliciter un délai supplémentaire, tout en adressant sa lettre de mission,

que le 25 juillet 2022, l’expert était de nouveau contraint de rappeler à la direction l’insuffisance des documents et explications et détaillant les informations qui faisaient défaut, reformulant sa demande le 29 juillet en communiquant un tableau recensant les éléments manquants,

qu’un rapport incomplet était donc remis le 1er août 2022, de sorte que les membres du CHSCT ont voté une délibération refusant de rendre un avis et listant les documents et informations manquants,

que le 2 août 2022, lors de la restitution du rapport et de la consultation du CHSCT, la direction n’a pas communiqué les pièces complémentaires qui permettaient de répondre à leurs interrogations, l’expert ayant par ailleurs mis en évidence de multiples zones d’ombre,

que suivant ordonnance du 7 décembre 2022, le juge des référés faisait droit partiellement à leurs demandes.

Ils font valoir :

Sur la compétence du juge des référés et sur l’évaluation de la charge de travail,

que la mise en 'uvre du projet de [Localité 9] est constitutive d’un trouble manifestement illicite et d’un dommage imminent,

que l’employeur est tenu en application de l’article L.4121-1 du code du travail d’une obligation de sécurité et en application de l’article L. 4121-3 dudit code, compte tenu de la nature de ses activités, d’évaluer les risques pour la santé et la sécurité y compris dans la définition des postes de travail et à la suite de cette évaluation, de mettre en 'uvre des actions de prévention,

qu’il est non seulement tenu d’identifier les risques pour la santé et la sécurité induits par l’organisation du travail, la charge de travail constituant un facteur de risque psychosocial, mais également de préciser les moyens de prévention qu’il entend mettre en 'uvre dans l’accompagnement des salariés concernés par l’organisation qu’il entend déployer,

qu’il n’y a pas lieu de distinguer entre l’évaluation de la charge de travail qui incombe à l’employeur dans le cadre de l’exécution du contrat de travail, de l’obligation d’évaluation lors de la mise en 'uvre d’un projet important comme le fait la Poste, la Cour de cassation lui ayant fait obligation de communiquer toutes les informations permettant d’appréhender le travail effectif des facteurs (Cour de cassation ' 1er juillet 2020 n°18-24.501),

qu’aux termes de l’article 2-1 de l’accord du 7 février 2017, applicable au projet du site de [Localité 9], les facteurs sont étroitement associés à l’évaluation du travail, cette association permettant de construire l’organisation de chaque tournée en assurant une répartition équilibrée de la charge et des conditions de travail, un guide d’évaluation des tournées de distribution ayant été édité en janvier 2018 pour permettre le respect des dispositions dudit accord, définissant et précisant les modalités de transmission des fiches de restitution, lesquelles doivent être effectuées portion de voie par portion de voie dans le cadre de plusieurs entretiens contradictoires,

que ces fiches de restitution contenant ces informations n’ont pas été communiquées pour les positions de travail au sein des différents compartiments du site de [Localité 9] et la Poste ne justifie d’aucune discussion contradictoire des premières et deuxièmes fiches de restitution,

que par ailleurs, la note méthodologique du 14 janvier 2020, issue des travaux initiés dans le cadre de l’accord facteurs de 2017, distingue deux étapes à l’occasion de la conception du projet, décrites aux articles 3 et 4, relatifs à la collecte par le facteur des informations essentielles concernant sa tournée, cette étape de collecte se faisant par le biais d’un « bordereau de collecte » et d’un « questionnaire de partage de connaissance des tournées » et à l’évaluation de la charge de travail des tournées, un projet d’évaluation, formalisé au travers d’une fiche individuelle de restitution, étant présentée au facteur et donnant lieu à échanges,

que la note précise notamment que les facteurs reçoivent une fiche descriptive de position de travail qui décrit toutes les activités et un descriptif détaillé de la tournée portion de voie par portion de voie,

que la transmission des fiches de restitution, portion de voie par portion de voie, dans le cadre de plusieurs entretiens contradictoires est par conséquent une obligation normative préalable à la conception du projet et par conséquent à sa mise en 'uvre,

que c’est ainsi, au visa de ces dispositions légales et conventionnelles, que la Poste a été enjointe par différentes juridictions d’évaluer de façon pertinente la charge de travail et les risques professionnels découlant de ces projets, (Cour d’appel de Rouen 30 octobre 2019 n°19/00621 et 1er octobre 2020 n°20/00796… ),

que l’absence d’une telle évaluation doit conduire le juge des référés à caractériser un trouble manifestement illicite résultant du manquement flagrant de l’employeur à l’obligation légale qui pèse sur lui, autant qu’un dommage imminent pour les agents amenés à subir une réorganisation dont les risques pour leur santé n’auront pas fait l’objet d’une évaluation sérieuse,

que la Poste ne justifie pas d’une telle évaluation de la charge du travail et des risques professionnels pour le site de [Localité 10],

que ses observations, relativement au comportement déloyal de l’expert, ne sont ni pertinentes, ni fondées, alors que ce dernier pouvait légitimement réclamer les documents et informations qui découlent de l’application de la loi et des accords collectifs auxquels est soumise la société, le projet de réorganisation du site de [Localité 9] n’étant pas la conséquence d’un état d’urgence ou un projet transitoire, comme c’était le cas dans les décisions citées qui ont considéré les éléments remis par l’entreprise suffisants pour permettre la consultation des CHSCT concernés,

que les documents communiqués au CHSCT et à l’expert ne justifient ni de l’évaluation légale et conventionnelle de la charge de travail et des risques professionnels, ni d’une information suffisante du CHSCT,

que ne figurent pas l’évaluation de la charge de travail du samedi, les reports de charge qui découlent du blocage du courrier le vendredi sur les autres jours de la semaine, informations que les cours d’appel de Versailles (22 septembre 2022), CAEN (19 janvier 2023) et Rouen (16 mars 2023) exigent de l’entreprise,

que contrairement aux affirmations de la Poste, le CHSCT n’exige pas une évaluation qui recueillerait son assentiment mais seulement le respect de la méthode de conduite du changement, de l’accord du 7 février 2017 et des guides opérationnels qui définissent la méthode normée applicable à toutes les adaptations de l’organisation,

que la Poste a produit un document projet transmis au CHSCT, ne contenant que très peu d’informations exploitables en le modélisant en outre par l’intermédiaire d’un logiciel géoroute aux fins de définir une durée moyenne des tournées, soit une durée moyenne de 6h21,

qu’elle ne justifie pas avoir préalablement à la consultation interrogé les agents sur les différentes mesures envisagées,

qu’elle ne produit aucune pièce qui démontrerait que le report de charge a bien été pris en compte par une répartition de 75 % du trafic non distribué le samedi sur les autres jours de la semaine à hauteur de 15 %, d’autant qu’elle reconnaît ne pas être en capacité de définir les points de distribution du samedi qui seront desservis,

qu’en l’état des documents fournis, le CHSCT ne peut rendre un avis éclairé.

MOTIFS

L’article 834 du code de procédure civile dispose que dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse.

L’article 835 du code de procédure civile énonce « Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »

En présence d’une contestation sérieuse, il incombe au demandeur de démontrer que les mesures sollicitées ont pour but de prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, le trouble manifestement illicite étant défini comme « toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit qu’il incombe à celui qui s’en prétend victime de démontrer », et le dommage imminent comme un dommage qui ne s’est pas encore réalisé, mais qui se produira certainement si la situation présente se perpétue.

Les intimés invoquent en outre les dispositions de l’article L.4121-1 du code du travail qui énonce que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, et de l’article L. 4121-3 du même code qui dispose que l’employeur, compte tenu de la nature des activités, doit évaluer les risques pour la santé et la sécurité, y compris notamment dans la définition des postes de travail et, à la suite de cette évaluation, mettre en 'uvre les actions de prévention.

L’employeur est ainsi tenu à l’égard de son personnel, non seulement d’identifier les risques pour la santé et la sécurité induits par l’organisation du travail, outre la charge de travail, mais également de préciser les moyens de prévention qu’il entend mettre en 'uvre aux fins de préserver leur santé et leur sécurité.

Les intimés considèrent que la mise en 'uvre du projet d’évolution de l’organisation du site de [Localité 10] est constitutive d’un trouble manifestement illicite et d’un dommage imminent justifiant la compétence du juge des référés, en ce que ledit projet ne respecte pas la durée conventionnelle et les horaires collectifs du travail et en ce qu’il implique la violation des droits des facteurs auxquels il ne peut être imposé une organisation reposant sur une surcharge de travail.

La Poste réplique qu’elle démontre avoir évalué la charge de travail et notamment celle du samedi, lui permettant de constituer les secteurs de distribution, avoir pris en considération le report du volume d’activité non assumé le samedi sur les autres jours de la semaine, par la mise en place d’une durée journalière de travail renforcée les lundi et vendredi, que l’argumentation des intimés n’est motivée que par le souhait de voir imposer une méthode de travail qui aurait reçu l’aval du CHSCT ainsi que celui de l’expert, alors même qu’ils disposent de l’intégralité des documents et informations pour mener à bien leur mission respective, qu’ils ne démontrent l’existence ni d’un trouble manifestement illicite, ni d’un dommage imminent qui justifierait la saisine de la juridiction en référé.

Il convient de préciser que si l’employeur ne peut s’opposer à l’entrée de l’expert dans l’établissement et doit lui fournir les informations nécessaires à l’exercice de sa mission, il n’a pas à communiquer celles que l’expert estime nécessaires ou utiles à sa mission, revenant au juge d’apprécier si les informations sollicitées sont effectivement nécessaires.

L’expert ne peut en tout état de cause exiger la production de documents inexistants ou dont l’établissement n’est pas obligatoire et il lui incombe d’être suffisamment précis dans la détermination exacte des documents ou pièces dont il entend obtenir la communication.

Il est acquis aux débats que la société n’a pas contesté le principe du recours à l’expertise voté par le CHSCT en sa délibération du 21 juin 2022.

Il ressort du dossier que le projet de la société soumis à la consultation du CHSCT a pour objectif d’adapter les tournées et activités des facteurs du site de [Localité 10] à la diminution du volume du courrier et à l’évolution de la charge de travail des agents,

qu’outre la modification de la structure des effectifs, la suppression d’une équipe de travail et de cinq positions de travail, distribution ménage, et celle d’une position de travail à la cabine, ce qui correspond à la suppression de plusieurs tournées par rapport à l’organisation antérieure, il est prévu des modifications des horaires et des régimes de travail.

En ce que le projet vise à mettre en place une nouvelle organisation du travail ayant une incidence directe sur les régimes de travail, sur la durée hebdomadaire de travail, avec un jour de repos désormais positionné le samedi, induisant une nouvelle répartition de la charge entre les facteurs sous forme de secteurs, ainsi qu’une évaluation de la charge de travail, éléments de nature à caractériser un trouble manifestement illicite, il y a lieu de retenir la compétence du juge des référés, l’ordonnance étant confirmée sur ce point.

Sur la demande tendant à faire interdiction à la Poste de déployer son projet, les intimés font valoir que cette dernière ne peut prétendre à la mise en place de cette organisation pour les motifs exposés ci-avant.

Aux termes de l’expertise diligentée, le cabinet Axium expertise s’est estimé insuffisamment éclairé pour mener à bien sa mission, considérant certains documents préalablement réclamés, comme manquants ou incomplets. Il revient à la juridiction des référés d’apprécier les caractères suffisant de ces informations, leur fourniture consistant en une obligation pour l’employeur, afin de permettre à l’instance de se faire un avis utile sur le projet soumis et pertinent, dès lors qu’elles doivent être de nature à permettre au CHSCT d’apprécier les incidences dudit projet sur la santé des travailleurs concernés, leur sécurité ou/et leurs conditions de travail.

Il sera rappelé que par courrier du 22 juin 2022, l’expert a sollicité les premiers documents nécessaires à sa mission, réitérant sa demande aux termes d’une mise en demeure du 29 juin 2022, la Poste y répondant en fournissant divers documents, complétée suite à un échange de courriels les 7 et 8 juillet 2022, d’autres échanges s’en étant suivis les 25, 26 et 29 juillet 2022, les conclusions de l’expert ayant été restituées le 2 août 2022.

Aux termes de son rapport, l’expert a listé en premier lieu les éléments manquants ou incomplets comme suit :

«  Documents incomplets

1 -Système d’attribution et de répartition des tournées et/ou de la charge (notamment les samedis) : nombre et rôle des titulaires, rouleurs, facteurs d’équipe, facteurs qualité et/ou facteurs service expert, périmètre des tournées, types d’objets distribués et/ou d’opérations effectuées. (document n°3)

2 – Tout document exprimant clairement comment les 'ux de courrier (et notamment ceux du samedi) seront gérés en amont par la Pic pour garantir une charge de travail adaptée aux nouveaux horaires de travail. Ici il est demandé les raisonnements et calculs intermédiaires et finaux de la charge et les mécanismes de sa rétention à la PIC en fonction de la priorisation de la distribution. Il n’est pas seulement demandé les modes opératoires destinés aux utilisateurs des logiciels.(document n°22)

3- Document synthétique précisant pour chaque réorganisation les trois dernières et la future) les jours de 'sécabilité’ ainsi que les raisonnements et calculs qui ont permis de les dimensionner. (document n°23)

4 – Tout document expliquant l’évaluation de la charge de travail non réalisée du samedi (du fait du repos du facteur non remplacé) et son report sur la charge des autres facteurs les lundi, mardi, mercredi, jeudi et vendredi suivants.(document 25)

5 – Tout document expliquant clairement la stratégie de l’organisation des MRP depuis les trois dernières réorganisations ainsi que celle projetée. Effectifs des MRP sur la plaque, l’établissement et 1e(s)site(s) expertisé(s). (document n°28)

6 – Les modalités de prise en compte, en termes de temps, de la variabilité de l’expérience et de l’expertise du facteur à réaliser l’ensemb1e des activités inhérentes à sa tournée (préparation, distribution). (document n°29)

7 – Les conséquences en matière de santé et sécurité au travail pour les séniors et les agents sous restriction d’aptitude. (document 30)

Documents incomplets

8 – Pour les secteurs de distribution du samedi : découpage des tournées et circuits de collecte avec les temps alloués et, le cas échéant, les modifications par rapport à l’organisation actuelle(bulletins d’itinéraires et explication des temps théoriques moyens de distribution (HLP, HLPI, parcours actif dont temps de séjour, temps de remise) (bordereaux de restitution individuels du diagnostic et des tournées projetées) (document 5)

9 – Évaluation de la charge de travail correspondant au nouveau régime horaire (trafic par produit ou opération, fréquence de distribution, calculs des durées de travail théoriques déduits de ces volumes). Les données chiffrées et raisonnements de projection, la charge et les temps théoriques sur lesquels le projet de réorganisation a été construit. (document 7)

10 – Dimensionnement de l’effectif nécessaire pour écouler la charge de travail dans le cadre de la nouvelle organisation, par métier et par statut d’emploi (CDI, CDD, intérimaire, sous-traitance…). Écarts constatés avec l’ancien dimensionnement. Quelles justifications’ (document 8)

11 – Les projections du TRTP réalisées par la direction nationale ou locale jusqu’à aujourd’hui. La méthodologie de calcul de l’évolution projetée du TRTP et du TRPP sur les années à venir prise en compte dans le calcul de la charge du projet. (document 20)

12 -Tout document expliquant comment la future charge de travail a été évaluée (raisonnements et calculs intermédiaires et finaux) pour chaque jour de la semaine (document 24)

13 -Le découpage des tournées et circuits de collecte avec les temps alloués et, le cas échéant, les modifications apportées par rapport à l’organisation actuelle (PDI, PRE ajoutés et enlevés + % de modification de tournée + nombre de tournées démontées, % de TI/TE avant et après, cartographie précise par tournée (avant et après) pour la semaine et le samedi avec les PDI et l’ordonnancement de la tournée sur la carte) (changement de MOLOC). (document 40) ».

L’expert a en outre notamment relevé que « les documents transmis concernant la charge de travail (46, 40, 26, 24, 20, 8) sont incomplets et ne permettent pas de comprendre comment La Poste projette la force de travail et la charge de travail. Les arbitrages restent 'ous et interprétables. Concernant la tournée renfort, le document projet est imprécis sur le découpage de cette tournée, les données de projection sur la charge de travail avec renfort sont basées sur le jour moyen, sans prise en compte des écarts de trafic et de la charge de travail entre le lundi, les mardis, vendredis et le samedi. S’agissant de la journée du samedi, le projet met en place le cycle de 2 semaines, avec un samedi de repos, cycle qui induit un auto-remplacement sur la journée du samedi par les facteurs, la tournée du samedi est alors un secteur composé de 2 tournées (celle du facteur présent et celle d’un collègue de repos) et les secteurs sont fixes. Les informations transmises ne permettent pas d’apprécier les impacts de cette mise en place »

et sur la durée du travail, que « le projet prévoit 6h22 de DIT (durée journalière de travail) avec un samedi sur deux de repos. Dans sa conception, ce projet présente une durée hebdomadaire de 38h11. Mais en supprimant les positions de travail de cycles, les agents absorbent la charge de ces positions en plus de l’auto-remplacement effectué le samedi. Les tournées seront prises en charge par les seuls titulaires (il n’y a plus de rouleurs de cycle) si bien que la durée de travail d’un facteur titulaire (35h) devient la DHT (38h11/Durée hebdomadaire de travail). Donc, même en ayant un régime de travail de 35h en moyenne, la conception du projet fait que la charge de travail à écouler est basée sur 38h11 toutes les semaines. Sachant que ce projet prévoit un régime de travail de 38h11 une semaine et de 32h l’autre semaine, il n’y a pas d’adéquation entre la charge de travail et la force de travail. Soit les facteurs travaillent 38h11 toutes les semaines ou soit le projet inclut mécaniquement cette surcharge de travail (en prévoyant des positions de travail supplémentaires). Le défaut de conception du projet est dans le fait qu’il soit dimensionné à 38h11. (… la charge de travail présente un écart de 3h11 par tournée et par semaine soit une charge d’activité de 38h11 impossible à réaliser en 35h) ».

L’expert a ainsi mis en évidence l’existence de nombreuses zones d’ombre, des manques d’informations et des biais organisationnels, laissant imaginer un risque de sous-dimensionnement de l’activité et donc une surcharge de travail pour les facteurs, alors que s’agissant du calcul de la charge de travail, il est observé qu’en travaillant 35 heures en moyenne sur deux semaines, les facteurs titulaires ne pourront pas écouler la charge de travail journalière telle qu’évaluée par la direction, induisant par la même une durée de travail au-delà de la durée conventionnelle de travail et qu’en ce qui concerne l’actualisation des temps opérationnels à la distribution, tant au niveau des travaux intérieurs qu’extérieurs, pour calculer la charge de travail et la dimensionner, il a été relevé une utilisation de cadences différentes de celles auditées, une restitution confuse de la charge de travail avec une absence de prise en compte des retours des facteurs.

Au vu des documents communiqués, étant observé que l’expert a amplement expliqué sous forme de tableau transmis à la Poste, en quoi les informations demandées étaient utiles à sa mission, alors que la Poste ne démontre pas avoir satisfait à ces demandes et qu’elle ne contredit pas utilement les observations et commentaires présentés par l’expert, le premier juge a exactement considéré comme insuffisante l’évaluation de la charge de travail et l’évaluation des risques professionnels présentés au CHSCT, s’agissant du projet d’organisation soumis à consultation et qu’elle ne permettait pas d’évaluer de façon pertinente les risques sur la santé et la sécurité des agents du site de [Localité 10], étant retenu que si aucune obligation légale n’est imposée à la société la Poste quant à la méthode à appliquer, il lui est fait obligation de communiquer toutes les informations permettant d’appréhender le travail effectif des facteurs de façon claire et précise.

L’ordonnance déférée sera en conséquence confirmée en ce qu’elle a ordonné à la Poste de communiquer au CHSCT et à l’expert Axium expertises, les informations sollicitées au tableau récapitulatif figurant au rapport d’expertise, et si ce tableau n’était pas joint en annexe de la décision de première instance comme annoncé, il y avait tout lieu de penser qu’il était fait référence aux demandes complémentaires de l’expert formulées le 25 juillet 2022 et restituées le 2 août 2022.

La décision sera également confirmée en ce qu’elle a interdit à la société la Poste de déployer son projet d’évolution de l’organisation sur le site de [Localité 10], dans l’attente d’un avis régulier du CHSCT.

Sur les frais judiciaires de l’article L.4614-13 du code du travail

En vertu des dispositions précitées, l’employeur doit supporter les frais judiciaires inhérents à l’action ou à la défense du CHSCT, lequel ne dispose pas d’un budget propre de fonctionnement, peu important que ce dernier ait été débouté de ses demandes, cette prise en charge n’étant pas applicable au seul cas d’abus.

Il demande la réformation de la décision qui a limité la condamnation à la somme de 4.000 euros, les frais engagés se fixant à 6 000 euros, alors que la Poste ne demandait pas, ni ne justifiait une telle réduction. Il sollicite en outre, sur le même fondement, la somme de 7 800 euros TTC au titre des frais exposés en cause d’appel.

Il sera fait droit à la demande à hauteur de 7 200 euros au titre des frais exposés en appel, compte tenu des pièces produites, l’ordonnance étant confirmée en ce qu’il a octroyé au CHSCT la somme de 4 000 euros en l’absence de justification.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la société La Poste qui succombe, sera condamnée aux dépens ainsi qu’à payer au CHSCT et au syndicat Sud PTT la somme de 1 000 euros chacun.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud’homale,

Confirme l’ordonnance en ses dispositions soumises à la cour, sauf à préciser, s’agissant des informations sollicitées par l’expert, qu’il convient de se reporter au corps des motifs, en particulier, aux points 1 à 13, paragraphes documents incomplets et documents manquants,

Y ajoutant,

Condamne la société La Poste aux dépens de la procédure d’appel,

Condamne la société La Poste à payer au CHSCT de la plate-forme de préparation et de distribution du courrier (PPDC) du site de [Localité 10] la somme de 7 200 euros au titre des frais judiciaires de l’article L.4614-13 du code du travail,

Condamne la société La Poste à payer au CHSCT de la plate-forme de préparation et de distribution du courrier (PPDC) du site de [Localité 10] et au Syndicat régional Sud PTT de Haute Normandie une somme de 1 000 euros, chacun, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.

La greffière La présidente

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code du travail
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Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 9 novembre 2023, n° 22/04161