Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, Chambre civile tgi, 16 décembre 2022, n° 21/00561

  • Autres demandes relatives aux dirigeants du groupement·
  • Compte courant·
  • Gestion·
  • Titre·
  • Associé·
  • Assemblée générale·
  • Indemnité·
  • Expertise·
  • Vote·
  • Comptabilité

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Saint-Denis de la Réunion, ch. civ. tgi, 16 déc. 2022, n° 21/00561
Juridiction : Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion
Numéro(s) : 21/00561
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal judiciaire, 25 janvier 2021, N° 18/01718
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 3 février 2023
Lire la décision sur le site de la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT N° 22/579

PF

N° RG 21/00561 – N° Portalis DBWB-V-B7F-FQ32

[M]

S.C.I. AZUR

C/

[P]

[M]

RG 1èRE INSTANCE : 18/01718

COUR D’APPEL DE SAINT- DENIS

ARRÊT DU 16 DECEMBRE 2022

Chambre civile TGI

Appel d’une décision rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE SAINT-DENIS en date du 26 janvier 2021 RG n°: 18/01718 suivant déclaration d’appel en date du 30 mars 2021

APPELANTES :

Madame [V] [M] épouse [N]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Laurent PAYEN de la SELARL PAYEN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

S.C.I. AZUR

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentant : Me Laurent PAYEN de la SELARL PAYEN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMEES :

Madame [T] [P]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentant : Me Jean claude DULEROY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

Madame [D] [M]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentant : Me Jean claude DULEROY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

CLÔTURE LE : 28 avril 2022

DÉBATS : En application des dispositions de l’article 804 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 Octobre 2022 devant la Cour composée de :

Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre

Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère

Conseiller : Madame Magali ISSAD, Conseillère

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.

A l’issue des débats, le président a indiqué que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 16 Décembre 2022.

Greffier lors des débats : Madame Marina BOYER, Greffière.

ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 16 Décembre 2022.

* * * * *

LA COUR

La SCI Azur, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Saint-Denis le 6 juillet 1987, est propriétaire d’un local discothèque à Saint Gilles.

Elle est gérée par Mme [V] [M], épouse [N] et son capital est détenu par :

— Mme [T] [P], détentrice de 25 % des parts sociales.

— Mme [D] [M], détentrice de 25 % des parts sociales.

— Mme [M] [V] épouse [N], détentrice de 50% des parts sociales.

Suivant assignation en date du 21 janvier 2015, Mmes [T] [P] et [D] [M] ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Saint-Denis afin que soit ordonnée une expertise comptable de la SCI Azur dénonçant une absence de tenue de comptes et d’assemblées générales, outre diverses demandes d’explication sur des dépenses restées sans réponses.

Il y a été fait droit par ordonnance du 19 février 2015, désignant M. [K], expert-comptable, lequel a déposé son rapport le 17 juin 2016.

Suivant acte d’huissier du 19 avril 2018, Mmes [T] [P] et [D] [M] ont assigné Mme [V] [M] devant le tribunal de grande instance de Saint-Denis au titre de l’action individuelle, dénommée action ut singuli, et en remboursement de leur compte courant d’associées.

Par jugement en date du 26 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Denis a :

— Rejeté l’exception de prescription de l’action sociale à l’exception de celle engagée au titre de l’absence de tenue d’assemblée générale pour les exercices 2001 à 2003 et 2008,

— Homologué le rapport d’expertise,

— Condamné Mme [V] [Y] [X] [M], épouse [N], à payer à la SCI Azur, à titre de dommages et intérêts, la somme de 99.232,84 € correspondant à :

33.234, 84 € au titre de son compte courant débiteur,

2.000 € au titre du chèque n° 8071156 non justifié,

22.106,15 € au titre des sommes versées à la société Transafim,

5.335, 75 € au titre de virements injustifiés vers une autre banque,

26.056,10 € au titre des mouvements bancaires non justifiés,

10.500 € correspondant à des versements non affectés au titre des comptes-courants d’associés,

— Dit que Mme [T] [P] est titulaire au 1er janvier 2015, dans les comptes de la SCI Azur, d’un compte courant d’associés, d’un montant de 83.167,88 euros ;

— Dit que Mme [D] [M] est titulaire au 1er janvier 2015, dans les comptes de la SCI Azur, d’un compte courant d’associés, d’un montant de 74.955,89 euros ;

— Condamné la SCI Azur à payer à Mme [T] [P] la somme de 83.167,88 euros au titre de son compte courant d’associé au 1er janvier 2015;

— Condamné la SCI Azur, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [D] [M] la somme de 74.955,89 euros au titre de son compte courant d’associé au 1er janvier 2015 ;

— Débouté du surplus des demandes ;

— Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;

— Condamné Mme [V] [Y] [X] [M] épouse [N] à payer à Mme [T] [P] et à Mme [D] [M] la somme de 2000 euros en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile;

— Condamné Mme [V] [Y] [X] [M] épouse [N] à payer à Mme [T] [P] et à Mme [D] [M] les entiers dépens, en ceux compris les frais d’expertise judiciaire.

Par déclaration du 30 mars 2021, Mme [V] [M], épouse [N] et la SCI Azur ont formé appel.

* * * * *

Aux termes de leurs dernières conclusions d’appelantes déposées le 23 décembre 2022, elles demandent à la cour de :

— Infirmer le jugement ;

A titre principal,

— Débouter Mme [T] [P] et Mme [D] [M] de leurs demandes fondées contre la SCI Azur, comme étant injustifiées sauf à les déclarer irrecevables ;

A titre subsidiaire,

— Dire que les demandes afférentes à la période 2004-2010 sur laquelle porte la mission confiée à l’expert judiciaire est prescrite et débouter les intimées de leurs demandes au titre de cette période ;

— Débouter Mme [T] [P] et Mme [D] [M] de leurs demandes formées contre LA SCI Azur ;

— A défaut, ordonner une nouvelle expertise comptable confiée à un autre expert mais avec la même mission que celle de l’ordonnance de référé ;

— Le cas échéant et à titre subsidiaire, dire que la SCI Azur bénéficiera d’un report de deux ans pour rembourser les comptes courants de Mme [T] [P] et de Mme [D] [M] ;

— Déclarer irrecevables les demandes nouvelles formées en cause d’appel par les intimées pour voir condamner Mme [M] à leur verser les sommes de 3.484 et 3.897 € à titre de dommages et intérêts ;

— A défaut, confirmer le jugement entrepris en ce qu’il les aurait déboutées de leur demande de ce chef ;

— Condamner in solidum Mme [T] [P] et Mme [D] [M] à payer à Mme [V] [M] épouse [N] la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Condamner in solidum Mme [T] [P] et Mme [D] [M] à payer à la SCI Azur la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Condamner in solidum Mme [T] [P] et Mme [D] [M] aux entiers dépens, en ceux compris les frais d’expertise de première instance et futurs.

Les appelantes critiquent la méthodologie de l’expert ainsi que son traitement des pièces ; elles en déduisent que les condamnations pécuniaires imputées à la gérance de Mme [V] [M] sont mal fondées.

Elles font valoir que Mme [V] [M] ne s’est jamais rémunérée et s’est contentée d’un remboursement forfaitaire de frais, dans la limite légale et avec l’accord de ses associées. Par procès-verbal du 10 novembre 2012, les associées ont ensuite décidé à l’unanimité de confier la gestion courante de la SCI Azur à la SARL Transafim contre une indemnité mensuelle de gestion. Faute d’accord entre les associées, il appartenait le cas échéant aux intimées de saisir le tribunal compétent pour contester cette indemnité mensuelle, ce qu’elles n’ont pas fait. Par ailleurs, il s’agit d’une décision de gestion courante pouvant être prise par la gérance sans accord formel des associés. Les appelantes ajoutent que Mme [V] [M] n’est pas redevable d’un chèque, des virements auprès d’une autre banque de la SCI Azur et des versements non affectés au titre des comptes-courants d’associés résultant d’une erreur d’écriture comptable.

Les appelantes soutiennent également que la condamnation pécuniaire de la SCI Azur est mal fondée. D’une part, les intimées n’ont jamais formulé une demande en remboursement intégral du compte courant d’associé. D’autre part, les demandes afférentes à la période allant de 2004 à 2010 sont prescrites car les intimées n’ont saisi en référé le tribunal de grande instance que le 21 janvier 2015. L’expertise comptable qui a été ordonnée par ordonnance du 15 février 2015 ne pouvait légitimement tenir compte de la période allant de 2004 à 2010, dès lors que cette dernière était frappée par la prescription quinquennale.

Les appelantes affirment enfin que l’appel incident est mal fondé. Elles font valoir que cet appel est irrecevable car les demandes des intimées sont nouvelles. En tous les cas, dès lors qu’il s’agit d’impôts qui étaient bien dus, il ne s’aurait s’agir d’un préjudice indemnisable, quand bien même elles auraient eu à les payer à rebours.

* * * * *

Aux termes de leurs dernières conclusions d’intimées déposées le 10 février 2022, Mmes [T] [P] et [D] [M] demandent à la cour de :

— Confirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Saint-Denis le 26 janvier 2021 en ce qu’il a :

Rejeté l’exception de prescription de l’action sociale à l’exception de celle engagée au titre de l’absence de tenue d’assemblée générale pour les exercices 2001 à 2003 et 2008.

Homologué le rapport d’expertise judiciaire.

Condamné Mme [V] [Y] [X] [M] épouse [N] à payer à la SCI Azur, à titre de dommages et intérêts, la somme de 99.232,84 € correspondant à :

33 234,84 € au titre de son compte débiteur.

2.000 € au titre du chèque n° 8071156 non justifié.

22 106,15 € au titre des sommes versées à la société Transafim.

5.335,75 € au titre des virements injustifiés vers une autre banque.

26.056,10 € au titre de mouvements bancaires non justifiés.

10.500 € correspondant à des versements non affectés au titre des comptes courants d’associés.

Dit que Mme [T] [P] est titulaire au 1er janvier 2015, dans les comptes de la SCI Azur, d’un compte courant d’associés d’un montant de 83 167,88 €.

Dit que Mme [D] [M] est titulaire au 1er janvier 2015, dans les comptes de la SCI Azur, d’un compte courant d’associés d’un montant de 74 955, 89 €.

Condamné la SCI Azur à payer à Mme [T] [P] la somme de 83 167,88 € au titre de son compte courant d’associé au 1er janvier 2015.

Condamné la SCI Azur à payer à Mme [D] [M] la somme de 74 955, 89 € € au titre de son compte courant d’associé au 1er janvier 2015.

Condamné Mme [V] [Y] [X] [M] épouse [N] à payer à Mme [T] [P] et à Mme [D] [M] la somme de 2.000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

Condamné Mme [V] [Y] [X] [M] épouse [N] aux entiers dépens en ce compris les frais d’expertise.

— Infirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Saint-Denis le 26 janvier 2021 en ce qu’il a débouté Mme [T] [P] et Mme [D] [M] du surplus de leurs demandes ;

Et, statuant à nouveau,

— Condamner Mme [V] [Y] [X] [M] épouse [N] à payer à Mme [T] [P] la somme de 3.484 € à titre de dommages et intérêt ;

— Condamner Mme [V] [Y] [X] [M] épouse [N] à payer à Mme [M] [D] la somme de 3.897 € à titre de dommages et intérêts ;

— Débouter Mme [V] [Y] [X] [M] épouse [N] de l’ensemble de ses demande ;

Et y ajoutant :

— Condamner Mme [V] [Y] [X] [M] épouse [N] à payer à Mme [T] [P] et à Mme [D] [M] la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile;

— Condamner Mme [V] [Y] [X] [M] épouse [N] à payer à Mme [T] [P] et à Mme [D] [M] les entiers dépens de première instance, en ce compris les frais d’expertise judiciaire fixés au montant de 16.275 euros TTC ainsi que les dépens d’appel.

Selon les intimées, l’action sociale n’est pas prescrite. Par courrier du 18 janvier 2013, les intimées ont sollicité de l’appelante des explications sur la gestion de la SCI Azur. La prescription de l’action sociale a donc commencé à courir dès janvier 2013 jusqu’à janvier 2018. En application de l’article 2241 du code civil, l’assignation en référé, délivrée le 21 janvier 2015, a eu pour effet d’interrompre la prescription relative aux faits reprochés à l’appelante, faisant courir un nouveau délai de cinq ans à compter de l’ordonnance ayant désigné l’expert, soit à compter du 19 février 2015. De surcroît, en cas de dissimulation, la prescription court à compter de la révélation des faits dissimulés. En l’espèce, les irrégularités de gestion de la SCI ont été révélés aux intimés à compter du dépôt du rapport d’expertise du 7 juin 2016. En effet, l’appelante a dissimulé aux intimées les opérations comptables illicites qu’elle réalisait, notamment en omettant sciemment d’établir une comptabilité régulière.

Les intimées ajoutent que la demande d’une nouvelle expertise formulée par l’appelante doit être rejetée car les opérations comptables entre 2004 et 2010, prises en compte par l’expert, n’étaient pas prescrites.

Les intimées affirment également que la responsabilité de l’appelante en tant que gérante de la SCI doit être reconnue. D’abord, l’appelante a commis plusieurs fautes dans la gestion de la SCI.

En effet, l’absence de tenue régulière d’assemblée générale et de comptabilité régulière et sincère constituent de graves manquements dans la gestion de la SCI Azur.

Elles soutiennent que la rémunération prise par la gérante n’a pas fait l’objet d’un vote et n’a donc pas été approuvée par les intimées et de plus, le versement d’une indemnité de gestion à la SARL Transafim par la SCI Azur aurait dû être stoppé lors du vote de l’assemblée du 16 mars 2013 en raison du désaccord des associés de la SCI sur le maintien de cette indemnité. Par ailleurs, l’expertise révèle que divers mouvements financiers sont injustifiés.

Ensuite, le préjudice de la SCI et le lien de causalité sont établis car les préjudices financiers résultent des fautes susmentionnées qui ont commises par l’appelante.

Les intimées soutiennent également que la responsabilité personnelle de la gérante est engagée. La charge fiscale supplémentaire supportée par les intimées est la conséquence directe des fautes commises par la gérante dans la tenue de la comptabilité de la SCI Azur. Dès lors, les intimées sont fondées à solliciter la condamnation de l’appelante à les indemniser à hauteur du redressement fiscal dont elles ont fait l’objet. Étant précisé que cette demande est recevable car elle avait été formulée en première instance.

Enfin, les intimées sollicitent le versement des sommes figurant sur leurs comptes courants d’associés. Elles font valoir qu’en l’absence de disposition conventionnelle contraire, ce qui est le cas en l’espèce, la jurisprudence admet de manière constante que l’associé titulaire d’un compte courant peut solliciter librement à tout moment le remboursement des sommes figurant en compte courant.

* * * * *

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées, figurant au dossier de la procédure, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 28 avril 2022.

MOTIFS

Sur les demandes au titre de la responsabilité du gérant

Vu l’article 1850 du code civil;

A titre liminaire, la cour relève que l’action de Mmes [T] [P] et [D] [M] à raison de la gestion fautive de Mme [V] [M] en sa qualité de gérante de la SCI Azur vise d’une part à la réparation du préjudice subi par la société (sommes détournées et subsistance d’un compte courant débiteur) et d’autre part à la réparation d’un préjudice personnel des associées (redressement fiscal).

Les fautes reprochées, outre l’absence de tenue des assemblées générales et de tenue de comptabilité d’entreprise dénoncées comme ayant permis la dissimulation, se concentrent sur trois questions:

— la rémunération ou l’indemnité de gestion de Mme [V] [M] ou de la SARL Transafim;

— les mouvements débiteurs suspects sur le compte de la SCI;

— les sommes mises en compte courant d’associées.

1/ Sur la nouveauté de la demande en condamnation de Mme [V] [M] en indemnisation de préjudices personnels.

Vu l’article 564 du code de procédure civile;

Il résulte de la lecture du dispositif des conclusions déposées devant les premiers juges le 8 avril 2020 que la demande d’indemnisation des préjudices liés au redressement fiscal subi par Mmes [T] [P] et [D] [M] avait déjà été présentée en première instance (pièce 25).

La fin de non-recevoir tirée du caractère nouveau de la demande doit dès lors être écartée.

2/ Sur la prescription de l’action.

Vu l’article 2224 du code civil;

L’appelante sollicite confirmation du jugement ayant retenu que l’action de Mmes [T] [P] et [D] [M] pour les années 2004-2010 était prescrite pour n’avoir été introduite qu’en 2015 alors même qu’elle prétend avoir rendu compte de sa gestion aux associées et donné communication des documents comptables.

Les intimées soutiennent que c’est l’expertise qui a révélé l’étendue des fautes dont elles ne pouvaient avoir connaissance préalablement.

Toutefois, c’est par un juste raisonnement que la cour adopte que les premiers juges ont retenu que, dès 2013, les demanderesses pouvaient avoir connaissance des irrégularités dénoncées comme en témoigne l’envoi de courrier de demande d’explication à la gérante en date du 18 janvier et 16 mars 2013 et qu’elles ne pouvaient se prévaloir de l’absence de tenue des assemblées générales entre 2001 à 2003 et 2008.

Par ailleurs, alors que Mmes [T] [P] et [D] [M] n’ont pas fait valoir leurs droits pour provoquer les explications de la gérance en dépit de l’absence de tenue d’assemblées générales de 2001 à 2012, avant la demande en référé formée en 2015, les actions personnelles et ut singuli sont prescrites pour la période de 2001 à février 2010.

Le jugement entreprise sera ainsi infirmé en ce qu’il n’a que partiellement fait droit à la fin de non-recevoir tirée de la prescription, laquelle doit être constatée pour la période 2001 à 2010.

3/ Sur les fautes.

A titre liminaire, la cour relève que Mme [V] [M] n’établit pas la tenue d’assemblées générales de 2003 à 2012 puis de 2014 à la date de l’assignation, pour le respect des obligations de l’article 1856 du code civil.

De même, alors que le gérant a la responsabilité de la tenue d’une comptabilité régulière, il n’est pas contesté que la SCI n’a pas tenu une comptabilité d’engagement alors qu’elle avait opté pour un régime d’imposition réel et qu’elle ne pouvait se limiter à une comptabilité de caisse.

3. a. sur la faute liée aux mouvements bancaires non expliqués

A titre liminaire, la cour rappelle qu’elle a jugé prescrites les demandes afférentes aux fautes de Mme [V] [M] qui auraient été commises avant 2010.

Aussi, il n’y a pas lieu d’examiner les mouvements critiqués sur la période, soit:

— chèque n°8071156 de 2.000 euros émis le 30 juin 2005;

—  5.335,75 euros de virements vers une autre banque en 2004;

Les demandes en paiement indemnitaire étant irrecevables comme prescrites.

La reconstitution de la comptabilité sur la période réalisée par l’expert, et notamment du compte courant d’associée de Mme [V] [M], n’est toutefois pas impactée par cette prescription, dès lors que l’expert indique en pages 20-21 et 22 de son rapport que les chèques et virement non justifiés ont été comptabilisés par ses soins dans un compte courant non affecté.

— S’agissant de la somme de 26.056,10 euros, les demanderesses plaident que cette somme correspond à des "sommes dont l’affectation au profit de la SCI Azur n’a pu être justifiée par Mme [V] [M], qui est dès lors redevables de celles-ci".

La lecture combinée du rapport p. 23 et de l’annexe 9 afférente au compte courant non affectée révèle que cette somme correspond à trois mouvements portées au crédit dudit compte à raison de relevés bancaires manquants dans la reconstitution de comptabilité au titre de mai 2005, janvier 2006 et septembre à décembre 2011 n’ayant permis de justifier des dépenses.

Il peut être observé, qu’en tout état de cause, les fautes qui seraient nées de la non justification comptable de ces sommes au titre de mai 2005 (1.340,44 euros) et janvier 2006 (5.215,44 euros) sont prescrites et qu’elles ne peuvent donner lui à condamnation.

Mme [V] [M] produit en outre les relevés bancaires de la SCI de septembre à décembre 2011 (pièces 9 à 12). Il en résulte que, hors les mouvements débiteurs liés aux « indemnités de gestion » qui seront examinés infra, les comptes font apparaitre comme dénués d’explications les mouvements suivants :

—  28/10: chèque débité pour 2.117 euros;

—  15/11: virement de 4.000 euros au profit de Mme [V] [M] ;

—  15/11: virement de 2.000 euros au profit de "M. ou Mme [G] [N]";

—  13/12: virement de 3.450 euros au profit de Mme [V] [M] ;

Soit au total, 11.567 euros.

Cette absence de justification des débits est fautive. Mme [V] [M] sera ainsi condamnée à verser ladite somme à la SCI et le jugement sera infirmé en ce qu’il l’a condamnée au versement d’une somme plus élevée à ce titre.

— S’agissant de la somme de 10.500 euros, Mme [V] [M] fait valoir que les versements correspondant entre septembre 2009 et novembre 2012 ont été effectués à son profit en remboursement de compte courant associés et qu’ils auraient ainsi dû être comptablement affectés à son compte courant.

Le fait d’avoir prélevé les sommes sans les avoir affectées comptablement au débit du compte courant d’associée pour les exercices clos devant être approuvés entre 2010 à 2013 est précisément la faute de gestion reprochée à Mme [V] [M] par les appelantes. La condamnation prononcée par le premier juge à ce titre en réparation du préjudice subi par la SCI doit être confirmée.

3.b. sur la faute liée à l’indemnisation et la rémunération de la gestion.

Mmes [T] [P] et [D] [M] soutiennent que Mme [V] [M] ne pouvait être rémunérée pour sa gestion entre 2001 et 2012 et contestent avoir approuvé l’indemnité de gestion à la SARL Transafim pour la période postérieure à 2012.

Sur ce,

Vu l’article 1852 du code civil;

Il résulte de la lecture des statuts de la SCI Azur qu’il n’est prévu ni indemnité ni rémunération du gérant. La fixation d’une telle rémunération ou indemnité doit ainsi être votée par l’assemblée générale.

— Pour justifier de l’existence d’une décision d’octroi d’une indemnité à sa personne, Mme [V] [M] se réfère à l’assemblée générale de 2001 portant délibération d’approbation d’une indemnité de 12%.

Toutefois, la pièce de référence versée aux débats est intitulée « fiche de présence AGE/AGO du 19 mai 2001 » (pièce 5 intimée) et correspond à une feuille manuscrite à laquelle est annexée un ordre du jour, suivi de la mention « toutes les décisions sont prises à l’unanimité » et de la signature du gérant. Cette annexe, qui comporte un point « Indemnité de gestion (12% des loyers encaissés) » ne peut être regardé comme un procès-verbal relatant précisément les questions soumises à l’assemblée générales et le résultat des votes attestés par le bureau.

Aussi, Mme [V] [M] échoue à démontrer l’existence d’un vote d’indemnité de 12% accordé par l’assemblée générale au gérant.

Par ailleurs, aucune des mentions ou points votés lors de l’assemblée générale du 10 novembre 2012 ne permet d’inférer que le principe d’une indemnité ou rémunération du gérant pour les années passées était validée (pièce 6 intimés). Le point 3 « frais de gestion » du procès-verbal de l’assemblée générale du 16 mars 2013 comporte plusieurs questions, dont celle d’une régularisation de frais de gestion depuis 2001, mais il n’apparait pas clairement que cette dernière question ait été soumise au vote de l’assemblée.

Dès lors, les intimées sont fondées à soutenir de l’attribution fautive d’une indemnité par Mme [V] [M] à sa personne de 12% des loyers perçus au titre des années non prescrites de 2010 et 2011 et la comptabilisation de ces sommes en débit du compte courant de Mme [V] [M] dans la reconstitution de son compte courant d’associé.

Cependant, comme le critiquent les appelants, l’expert a également comptabilisé au débit du compte courant d’associée de Mme [V] [M] les versements d’indemnités pour les années 2003 à 2009, prescrites, dans sa reconstitution de comptabilité. Alors qu’il résulte des données comptables de l’expertise que le loyer s’élève à la somme de 74.000 euros annuels, l’indemnité de 12 % annuels représente ainsi sur 7 ans une somme d’environ 62.000 euros, d’un montant supérieur au solde débiteur fixé par l’expert.

Aussi, eu égard à la prescription de l’action liées aux demandes pour les faits antérieurs à 2010, le solde du compte courant d’associée de Mme [V] [M], arrêté au 1er janvier 2015, ne peut être considéré comme débiteur.

Le jugement entrepris doit ainsi être infirmé en ce qu’il a condamné Mme [V] [M] à verser à la SCI la somme de 33.234 euros au titre de son compte courant calculé par l’expert comme débiteur, et la demande, rejetée.

— S’agissant du bienfondé du versement d’une indemnité de gestion à la SARL Transafim;

Le point 3 « frais de gestion » comporte une question « indemnité de gestion à la société Transafim à compter de 2012 », avec le résultat de vote suivant "[T] est contre/ [D] est contre/ [N] favorable – maintien conforme article 24 et conforme objet social "

Mmes [T] [P] et [D] [M] font valoir que si elles avaient voté pour l’approbation de cette indemnité de gestion et de conseil à la SARL Transafim en 2012, elles s’y sont en revanche opposées en 2013 ; elles en déduisent que celle-ci ne pouvait alors être versée.

Mme [V] [M] a une interprétation contraire des statuts, soutenant qu’en l’absence de majorité sur la poursuite du versement, « la situation est demeurée en l’état » et que les versements d’indemnité se sont poursuivis, la conclusion d’un tel contrat relevant d’ailleurs de la gestion courante.

Sur ce,

L’article 24 des statuts de la SCI stipule que « la gérance est investie des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de la société en vue de la réalisation de l’objet social. / La gérance peut donner toutes délégations de pouvoir à tous tiers pour un ou plusieurs objets déterminés ».

Il résulte de cet article que la gérance ne peut déléguer l’ensemble de ses fonctions à un tiers et qu’elle ne peut déléguer que dans la limite de ses attributions. En particulier, en l’absence de rémunération prévue pour les activités de gestion, Mme [V] [M] n’a pu déléguer tout ou partie de ses attributions à la SARL Transafim contre paiement, sans approbation de l’assemblée générale.

Or, l’article 33 des mêmes statuts prévoit que les décisions de l’assemblée sont prises à la majorité des voies et, dès lors qu’en l’espèce, l’indemnité de gestion à la SARL Transafim n’avait obtenu que ses voix, soit 50% des votes, la résolution n’avait pas obtenu de majorité et ne pouvait être adoptée.

Aussi, les intimées sont fondées à prétendre qu’hormis en 2012, aucune indemnité de gestion ne pouvait être versée à la SARL Transafim.

Ces indemnités ont été regroupées et comptabilisées par l’expert dans un compte non affecté, dont le solde est de 22.106,15 euros (page 209 expertise).

Le jugement ayant condamné Mme [V] [M] à verser à la SCI la somme de 22.106,15 euros au titre des mouvements recensés par l’expert judiciaires comme correspondant à des règlements d’indemnités au profit de la SARL Transafim entre juin 2013 et décembre 2014 doit ainsi être confirmé.

3.c. sur la faute née d’indications fiscales inexactes

Vu l’article 1843-5 du code civil;

Mmes [T] [P] et [D] [M] font grief à Mme [V] [M], ès qualités de gérante de la SCI, de leur avoir transmis des indications inexactes pour leur déclaration de revenus et d’avoir indument déduit des charges non justifiées.

Cependant, et comme le souligne Mme [V] [M], Mmes [T] [P] et [D] [M] ne démontrent pas que les sommes mises à leur charge à raison du redressement fiscal opéré pour les années 2016 et 2017 (pièces 21 à 23 intimées) sont indues à l’égard de l’administration compte tenu des rectifications comptables opérées et non contestées.

Les demandes ainsi formées au titre du préjudice personnel né des fautes de Mme [V] [M] ne peuvent dès lors prospérer.

Sur la demande en remboursement des comptes courant d’associées

Vu l’article 1134 du code civil dans sa version applicable au litige;

Les intimées sollicitent payement du solde positif de leur compte courant créditeur au 1er janvier 2015, reconstitué par l’expert judiciaire.

L’établissement de ces soldes au sommes de 74.955,89 euros pour le compte courant de Mme [D] [M] et de 83.167,88 euros pour le compte courant de Mme [T] [P] ne fait l’objet d’aucune critique précise, chiffrée et circonstanciées dans les conclusions des appelantes de nature à utilement remettre en cause les calculs de l’expert.

Le remboursement de cette avance peut être demandée à tout moment, en l’absence de toute clause contraire dans les statuts, y compris par voie judiciaire.

Par ailleurs, la SCI ne verse aux débats aucun compte récent permettant d’établir le montant actualisé des comptes courant d’associées ou encore de justifier des difficultés de trésorerie pour payer ces sommes, allégués par la SCI.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a condamné la SCI au versement desdites sommes aux associées intimées et la demande de délais de paiement doit être rejetée.

Sur la demande de nouvelle expertise.

Vu l’article 146 du code de procédure civile;

En conséquence de l’ensemble de ce qui précède, la cour relève que le rapport déposé par l’expert judiciaire [K] a pu être critiqué par l’ensemble des parties et que les conclusions du rapport ont pu être adaptées et rectifiées eu égard aux questions de droit tranchées par la cour. Le travail de l’expert est ainsi exploitable en l’état.

Aussi en l’absence de critique étayée et circonstanciée du travail de l’expert, la demande d’expertise nouvelle doit être rejetée.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile;

Mme [V] [M], qui succombe pour l’essentiel, supportera les dépens.

L’équité commande en outre de rejeter les demandes formées au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

Le jugement ayant statué sur le fondement des articles susvisés sera confirmé.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement en dernier ressort, en matiè civile, par sa mise à disposition au greffe conformément à l’article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;

— Écarte la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté de la demande indemnitaire au titre du préjudice personnel de Mmes [T] [P] et [D] [M];

— Rejette la demande de nouvelle expertise;

— Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a :

partiellement fait droit à la fin de non-recevoir tirée de la prescription;

condamné, dans son principe, Mme [V] [M] à paiement au titre des mouvements bancaires non justifiés entre septembre 2011 et décembre 2011;

Condamné Mme [V] [M] à payer à la SCI Azur, à titre de dommages et intérêts, les sommes de :

—  22.106,15 € au titre des sommes versées à la société Transafim,

—  10.500 € correspondant à des versements non affectés au titre des comptes-courants d’associés,

débouté Mmes [T] [P] et [D] [M] de leur demande en indemnisation du préjudice personnel;

Dit que Mme [T] [P] est titulaire au 1er janvier 2015, dans les comptes de la SCI Azur, d’un compte courant d’associés, d’un montant de 83.167,88 euros;

Dit que Mme [D] [M] est titulaire au 1 er janvier 2015, dans les comptes de la SCI Azur, d’un compte courant d’associés, d’un montant de 74.955,89 euros ;

Condamné la SCI Azur à payer à Mme [T] [P] la somme de 83.167,88 euros au titre de son compte courant d’associé au 1er janvier 2015;

Condamné la SCI Azur, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [D] [M] la somme de 74.955,89 euros au titre de son compte courant d’associé au 1er janvier 2015.

Débouté la SCI Azur de sa demande de délais de paiement;

Condamné Mme [V] [Y] [X] [M] épouse [N] à payer à Mme [T] [P] et à Mme [D] [M] la somme de 2000 euros en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile, outre les entiers dépens.

— L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

— Déclare prescrites les demandes formées au titre des fautes de gestion antérieures à 2010, à savoir :

les indemnités de gestion perçues par Mme [V] [M] avant 2010;

les mouvements bancaires non justifiés avant 2010;

le paiement des sommes de :

—  2.000 € au titre du chèque n° 8071156 non justifié,

—  5.335, 75 € au titre de virements injustifiés vers une autre banque,

— Condamne Mme [V] [M] à payer à la SCI Azur, à titre de dommages et intérêts, la somme de 11.567 euros au titre des mouvements bancaires non justifiés entre septembre 2011 et décembre 2011;

— Déboute Mmes [T] [P] et [D] [M] de leur demande en versement d’une indemnité de 33.234, 84 € au titre du compte courant débiteur de Mme [V] [M] intégrant dans sa reconstitution l’imputation des indemnités de gestion perçues par Mme [V] [M] avant 2010, prescrites;

Y ajoutant,

— Dit n’y avoir lieu à l’octroi de frais irrépétibles en appel;

— Condamne Mme [T] [P] et [D] [M] aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Madame Marina BOYER, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE signé LE PRÉSIDENT

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
Extraits similaires à la sélection
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, Chambre civile tgi, 16 décembre 2022, n° 21/00561