Cour d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 8 juillet 2021, n° 20/01384

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

08/07/2021

ARRÊT N° 659/2021

N° RG 20/01384 – N° Portalis DBVI-V-B7E-NSTM

CBB/MB

Décision déférée du 16 Janvier 2020 – TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CASTRES – 16/00493

M. X

E Y

C Y

C/

S.A.S.U. SOCIETE MARGNES ENERGIE

S.A. D’ECONOMIE MIXTE 3D ENERGIE

S.A.S.U. SOCIETE SINGLADOU ENERGIE

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

3e chambre

***

ARRÊT DU HUIT JUILLET DEUX MILLE VINGT ET UN

***

APPELANTS

Madame E Y

La Barbazanié

[…]

Représentée par Me Gilles SOREL, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Alice TERRASSE, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE

Monsieur C Y

La Barbazanié

[…]

Représenté par Me Gilles SOREL, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Alice TERRASSE, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE

INTIMES

S.A.S.U. SOCIETE MARGNES ENERGIE prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité au dit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Joëlle GLOCK de la SCP FOSSAT-GLOCK, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Alexandre BRUGUIERE de la SCP TEN FRANCE, avocat plaidant au barreau de POITIERS

S.A. D’ECONOMIE MIXTE 3D ENERGIE prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité au dit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Joëlle GLOCK de la SCP FOSSAT-GLOCK, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Alexandre BRUGUIERE de la SCP TEN FRANCE, avocat plaidant au barreau de POITIERS

S.A.S.U. SOCIETE SINGLADOU ENERGIE prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité au dit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Joëlle GLOCK de la SCP FOSSAT-GLOCK, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Alexandre BRUGUIERE de la SCP TEN FRANCE, avocat plaidant au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR

Après audition du rapport, l’affaire a été débattue le 26 Mai 2021 en audience publique, devant la Cour composée de :

C. N-O, président

P. POIREL, conseiller

A. MAFFRE, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : M. L

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

— signé par C. N-O, président, et par M. L, greffier de chambre.

FAITS

M. et Mme Y sont propriétaires depuis 2004 d’un ancien corps de ferme composé d’une maison d’habitation et de 3 bâtiments aménagés en 2006 en gîte rural, situé lieu-dit 'Caillé Bas', sur le territoire de la commune de Margnes (nouvelle appellation Fontrieu), au coeur du parc naturel du Haut Languedoc où ils exploitaient trois gîtes.

Ils se plaignent de diverses nuisances visuelles et sonores et de troubles physiques (maux de tête, vertiges, fatigue, tachycardie, acouphène …), occasionnés par un parc éolien composé de 6 éoliennes, implantées en 2008 et 2009 à une distance entre 700 et 1300 mètres de leur propriété, par les sociétés Margnes Énergie et Singladou Énergie dont la SA d’économie mixte 3D serait l’actionnaire principal. Ces nuisances sonores qui les auraient contraints à déménager en mai 2015 sont constitutives selon eux de troubles anormaux de voisinage.

PROCEDURE

Par actes des 30 mars 2016 et 10 janvier 2017, M. et Mme Y ont assigné la Sasu Margnes Énergie, la Sasu Singladou Énergie et la SA d’économie mixte 3D devant le tribunal de grande instance de Castres sur le fondement des articles 1382, 1383, 544 du code civil en responsabilité et réparation de leurs préjudices.

Par ordonnance du 14 juin 2017, le juge de la mise en état a désigné Madame F G-K en qualité d’expert acoustique laquelle s’étant adjoint les compétences d’un sapiteur en la personne du Dr Z, a déposé son rapport le 18 décembre 2018. L’expertise a été réalisée au contradictoire des trois sociétés.

Par jugement du 16 janvier 2020 le tribunal, après s’être rendu sur les lieux le 17 décembre 2019 a :

— débouté M. et Mme Y de l’ensemble de leurs demandes,

— débouté la Sasu Margnes Énergie, la Sasu Singladou Énergie et la SA d’économie mixte 3D de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné M. et Mme Y aux dépens en ce compris les frais d’expertise.

Pour se déterminer ainsi, le tribunal a considéré :

— d’une part, tout en reconnaissant la réalité des troubles invoqués par les demandeurs, que les nuisances imputées aux sociétés ne dépassaient pas les inconvénients normaux du voisinage en ce que les nuisances visuelles et les incidences sonores sont minimes, que le dysfonctionnement du

système de balisage s’est avéré temporaire, alors que les émergences audio relevées ne permettent pas de les qualifier de nuisance ;

— d’autre part, que le lien entre la présence du parc éolien et les troubles de santé des époux Y n’était ni direct, ni certain ; les incidences résultant du 'trouble éolien’ invoqué par les demandeurs leurs sont personnelles et s’inscrivent dans une entité médicale complexe et subjective, qui ne concerne que certains individus.

M. et Mme Y ont relevé appel de la décision par déclaration du 15 juin 2020 en ce qu’elle les a déboutés de l’ensemble de leurs demandes.

MOYENS et PRETENTIONS des PARTIES

M. et Mme Y, dans leurs dernières écritures en date du 30 avril 2021, demandent à la cour au visa des articles 1240, 1241 et 544 du Code civil, la théorie des troubles anormaux du voisinage, de :

— déclarer recevable leur appel,

— réformer le jugement en toutes ses dispositions,

— constater l’existence d’un trouble anormal de voisinage constitué par l’ensemble des nuisances occasionnées par la présence et le fonctionnement de la ferme éolienne de Le Margnes sis à 700 mètres de la maison d’habitation et du gîte de M. et Mme Y;

— déclarer la Sasu Margnes Énergie, la Sasu Singladou Énergie et la SA d’économie mixte 3D responsables in solidum de ce trouble anormal et des préjudices subis en conséquence par les exposants ;

En conséquence de quoi, et statuant a nouveau

— condamner in solidum les Sasu Margnes Énergie, la Sasu Singladou Énergie et la SA d’économie mixte 3D à leur verser :

*249.000,00' au titre de la perte de leur bien, somme à parfaire ;

*40.599,38' au titre du préjudice de jouissance, somme à parfaire ;

*14.912,78' au titre des frais engendrés par le déménagement,somme à parfaire

*4.000,00' à chacun au titre du pretium doloris ;

*2.216,25' à chacun au titre de la réparation de leur déficit fonctionnel temporair

*30.000,00' à chacun au titre de leur préjudice moral respectif.

— condamner in solidum les Sasu Margnes Énergie, la Sasu Singladou Énergie et la SA d’économie mixte 3D à leur verser une somme de 5.000 ' au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise.

Il soutiennent que :

— la SA d’économie mixte 3D ne doit pas être mise hors de cause car en sa qualité de propriétaire des parts des deux autres sociétés, elle est solidairement responsable des troubles anormaux de voisinage qu’elles commettent personnellement ; l’action est recevable contre le propriétaire dont le bien est source de nuisances ;

— ils subissent des nuisances sonores et visuelles ;

— les troubles anormaux de voisinage exigent la preuve d’une nuisance de voisinage, d’un préjudice personnel en relation directe avec les nuisances et la preuve de l’anormalité du dommage, l’anormalité du trouble se confondant avec celle du dommage ; et l’anormalité s’apprécie in concreto en fonction des « circonstances de temps et de lieu, tout en tenant compte de la perception ou de la tolérance des personnes qui s’en plaignent » , de la durée du bruit, de sa répétitivité,

*Sur les nuisances sonores :

— l’article 26 de l’arrêté du 26 août 2011relatif à l’installation de parcs éoliens exige de l’installation qu’elle ne puisse être à l’origine de bruits transmis par la voie aérienne comme par le sol et le texte vise un tableau des niveaux admissibles ; mais il ne tient pas compte ni des très basses fréquences ni des infrasons ;

— cependant la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage n’exigeant pas la preuve d’une faute, le défaut de dépassement des dits seuils ou, le respect des normes règlementaires est sans incidence dès lors qu’il est avéré que la nuisance expose les riverains à une souffrance excessive et constante,

— l’expert a mis en évidence l’existence d’une gêne sonore dans les infrasons, les très basses et basses fréquences quelle que soit la direction du vent, plus importante de nuit par vent portant Nord Ouest et augmentant avec la vitesse du vent ; bruit perceptible depuis le jardin à l’arrière des bâtiments de la propriété ; ces nuisances sonores sont inopinées et discontinues,

— il doit donc en être conclu qu’elles dépassent les inconvénients normaux de voisinage puisque dès lors qu’elles sont discontinues, on ne peut s’y habituer et que l’environnement est rural et isolé, calme sans bruit de fond, sans qu’il soit mis en avant par les experts une quelconque sensibilité particulière des appelants,

— les intimées soutiennent que l’expert a investigué en mode débridage de l’éolienne n°1 qui n’est pas celui des éoliennes depuis 2016, mais l’expert a répondu que cette méthode avait été annoncée sans opposition des parties ; et seule cette méthode pouvait être admise car le bridage qui permet de limiter la vitesse de rotation des pales et l’émergence des nuisances est utilisé de façon discrétionnaire par l’exploitant et les usagers n’ont pas la possibilité de l’exiger ; le mode bridage a été mis en place en 2016 de sorte que les éoliennes ont fonctionné pendant 8 ans sans ce système qui aurait permis pourtant de limiter les nuisances et ils n’en n’ont pas été tenus informés ; ce mode bridage dont le Préfet n’a pas non plus été informé malgré les exigences légales depuis 2017, n’est utilisé que de façon intermittente (de nuit seulement et encore par vent de N-N/O supérieur à 5m/s) ; les mesures devaient donc être effectuées en mode nominal non bridé qui est le mode de fonctionnement connu et reconnu ;

— le transport sur les lieux du tribunal ne permet pas de remettre en cause les conclusions de l’expert ; cette mesure a été décidée puisque la solution dépendait d’une question de haut niveau de technicité portant sur les sons audibles et non audibles, dans diverses conditions d’exploitation (nuit, vent) ; de sorte qu’un transport sur les lieux est insuffisant,

— il ne peut être reproché à M. et Mme Y de ne pas avoir sollicité devant l’autorité administrative un plan de bridage, sachant que les conflits de voisinage ne relèvent pas de sa compétence,

— mais au demeurant, le parc éolien n’est pas conforme aux normes acoustiques quand il fonctionne en mode nominal (sans bridage) ainsi que le révèle le rapport Delhom mandaté par la 3D Energie en 2016 ; et l’étude Gamba de 2018 réalisée avec débridage de l’éolienne n°1confirme les dépassements des émergences règlementaires constatés par vent de secteur SE2 entre 8 et 12m/s particulièrement en période nocturne (la non conformité aux normes conforte donc la démonstration de l’existence d’un troubles anormaux de voisinage, de même que les nombreuses attestations produites) ;

* Sur les nuisances visuelles :

— la première éolienne (E1) se trouve à 700 mètres du domicile des époux Y, la plus éloignée

(E6) se situe à 1300 mètres,

— en 2013 un bois qui servait de rideau visuel a été coupé (1 éolienne mesure 58m de haut et l’envergure des pales est de 35m) : 6 d’entre elles sont visibles en hiver et 3 en été, ainsi que le relève l’expert ;

— le dysfonctionnement du balisage lumineux n’a été traité qu’en 2016 et n’est toujours pas résolu : il clignote toutes les 2 s et est une source de tension nerveuse importante.

* Sur les impacts sur la santé

— le syndrome éolien est reconnu, et la démonstration des troubles anormaux de voisinage est établie : nuisance sonore et visuelle qui constituent une dégradation de leur conditions de vie sont constitutives de l’anormalité du trouble de nature à traduire un inconvénient excessif de voisinage,

— les infrasons aériens ou qui se propagent dans le sol (particulièrement dans les sols rocheux), trop graves pour être perceptibles par l’oreille humaine, sont désormais reconnus médicalement comme ayant des impacts sur la santé comme les basses fréquences audibles et régressent lorsqu’on s’éloigne des éoliennes et le rapport de l’ANSES ou du Dr H I J ne démontent pas l’innocuité des parcs éoliens sur la santé humaine comme animale ; ce qui permet d’écarter la thèse de l’effet nocebo ainsi qu’il est dit au rapport du Dr A de septembre 2020,

— le sapiteur a mis en avant les symptômes décrits par M. et Mme Y; il a conclu qu’ils ont présenté un syndrome éolien (définition de l’ OMS) ; ils ont dû quitter leur maison en 2015,

— or les nuisances visuelles et sonores majorées par un facteur psychologique associé ou provoqué sont les trois facteurs qui concourent à l’apparition du syndrome éolien ; et en l’espèce M. et Mme Y ne présentaient aucun antécédent ; donc l’effet nocebo n’est pas rapporté en l’espèce et le parc éolien est installé sur un sol rocheux qui majore donc les infrasons,

— le lien de causalité est donc rapporté entre l’exposition aux nuisances pendant plus de 7 ans et leur état de santé.

* Sur la réparation des préjudices

— seul le bridage serait de nature à remédier aux nuisances mais c’est l’autorité administrative qui en est maître et le juge judiciaire ne peut donc qu’octroyer des dommages et intérêts,

— perte de valeur des bâtisses (4), jardin potager ; ils ont contracté des prêts pour l’aménagement du site en gîtes ; ils ne peuvent plus réintégrer leur maison ; sans les éoliennes le site a été évalué à 415 000' ; la perte de valeur est généralement estimée entre 20 et 46 % soit un prix moyen de 285000' ;

— mais il est prévu l’agrandissement du parc éolien de sorte que c’est une dévaluation de 40 % qu’il faut compter soit un prix de vente de 249 000',

— perte de jouissance: depuis juin 2015 ils louent un logement à 500'/mois

— frais : déménagement, frais d’entretien du site, multiplication des déplacements,

— les préjudices corporels : souffrances endurées (2/7) et déficit fonctionnel temporaire partiel,

— préjudice moral : abandon du projet d’installation de gîtes dans la configuration initiale en vivant sur place (2500'/an soit 30 000' par personne).

La Sasu Margnes Énergie, la Sasu Singladou Énergie et la SA d’économie mixte 3D, dans leurs dernières écritures en date du 19 octobre 2020, demandent à la cour au visa de l’article 544 du code civil de :

— débouter M. et Mme Y de leur appel le jugeant mal fondé,

— en conséquence confirmer le jugement rendu le 16 janvier 2020 par le Tribunal judiciaire de Castres.

Y ajoutant,

— condamner M. et Mme Y à payer à la Sasu Margnes Énergie, la Sasu Singladou Énergie et la SA d’économie mixte 3D une somme de 10000' au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

— condamner les mêmes en tous dépens.

Elles soutiennent que :

— la SA d’économie Mixte 3D n’est pas concernée par la procédure, n’étant pas propriétaire du parc éolien ; elle n’est que propriétaire de parts sociales des deux autres sociétés ; elle ne détient aucun droit sur les fonds servant d’assiette au parc éolien ; elle n’a donc pas la qualité de voisin ; seules la Sasu Margnes Énergie et la Sasu Singladou Énergie détiennent les autorisations de construction et d’exploitation, et sont locataires des baux emphytéotiques sur les terrains d’assiette des éoliennes ;

— la preuve de troubles anormaux de voisinage n’est pas rapportée : le parc est constitué de 6 éoliennes : celles n°1 à 5 appartiennent au parc de Margnes Energie et l’éolienne n°6 au parc de Singladou Energie ; les 6 éoliennes ne se trouvent pas à la même distance du fonds de M. et Mme Y (entre 700 et 1300m) ce qui a une incidence sur le bruit reproché ; le cas de chaque éolienne doit être pris en considération individuellement,

— Sur les nuisances sonores :

* l’expert a rappelé le cadre règlementaire duquel il ressort que les très basses fréquences et les infrasons ne font actuellement l’objet d’aucune disposition règlementaire ;

* elle a toutefois réalisé son expertise en mode débridage de l’éolienne n°1 (la plus proche de l’habitation de M. et Mme Y ) qui n’est pourtant pas le mode de fonctionnement normal ; or selon le rapport Delhom de 2016, avec le bridage aucune émergence sonore n’a été relevée au delà des seuils règlementaires et l’étude Gamba confirme l’intérêt du bridage sur le niveau sonore ; l’expert n’a donc pas réalisé ses investigations en mode normal ;

* et en mode normal elle ne relève que des infrasons et très basses fréquences non règlementées,

* le fonctionnement des éoliennes en mode bridage pour la première respecte donc les normes règlementaires en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement (rubrique 2980) du décret 2011-984 du 23 août 2011 (même si le bridage ne figure pas à l’arrêté préfectoral d’exploitation) et qui s’imposent à elle de sorte qu’il ne peut être affirmé que le bridage est laissé à la discrétion de l’exploitant ; d’autant qu’il y a eu des campagnes de contrôle acoustique dont celle de 2016,

* or, toute gêne ne constitue pas un trouble anormal de voisinage : il faut qu’elle soit démontrée, caractérisée dans une intensité telle qu’elle dépasse les inconvénients normaux de voisinage ; or, même si l’aspect règlementaire n’est pas déterminant il permet en tout cas de rapporter la preuve flagrante de la matérialité ou non du trouble invoqué ; et la gêne doit être en lien de causalité avec les éoliennes en fonctionnement ;

* sur ce point le transport sur les lieux est édifiant, il complète les appréciations techniques de l’expert : selon le tribunal le bruit est à peine perceptible et se confond avec le bruissement du vent dans les feuilles ; il est donc minime en mode normal (avec le bridage actuel) ;

* l’anormalité doit résulter d’une approche collective, le trouble doit donc être objectivement anormal pour un groupe de personnes de sorte que la seule appréciation des requérants est insuffisante (approche objective du seuil d’anormalité),

— Sur les nuisances visuelles :

* les 6 éoliennes sont alignées sur la zone d’implantation à une distance entre 700 et 1300m de la propriété de M. et Mme Y située en contrebas ; les bâtiments entourent une cour intérieure d’où les éoliennes ne sont pas visibles ni depuis le jardin situé à l’arrière ; seule la façade arrière de la maison qui jouxte la terrasse d’un gîte en location font face au parc mais d’où seules 2 éoliennes situées à 700 et 780m, sont partiellement visibles ;

* la visibilité est donc très faible et ne peut constituer un trouble anormal de voisinage

* quant au balisage, si des dysfonctionnements ont été repérés, ils ont été réparés en 2015 et l’expert n’en mentionne pas ni les juges durant le transport sur les lieux;

— les demandes sont donc infondées en l’absence de preuve d’un trouble (visuel ou auditif), de son caractère anormal et d’un lien avec les préjudices :

* en effet l’impact des infrasons sur la santé est scientifiquement discuté par l’ANSES et, l’académie de médecine par la voix de son rapporteur le Pr H Ba Huy ;

* les troubles ressentis par M. et Mme Y sont donc sans lien avec les infrasons malgré les conclusions du sapiteur qui ne s’est fondé que sur leurs déclarations; d’autant qu’il a relevé leur état d’anxiété alors que l’académie de médecine rappelle que la réalité du syndrome des éoliennes n’est pas attesté au contraire de l’ « effet nocebo » ; or ils ont déclaré que leurs troubles sont apparus à partir de 2013 lorsque le bois (pourtant inscrit dans l’étude d’impact du parc éolien comme mesure d’évitement) qui leur cachait totalement la vue des éoliennes, a été coupé ; et les avis des clients du gîte qu’ils exploitent sont très favorables et ne mentionnent aucun trouble ; d’ailleurs, M. et Mme Y n’ont pas cessé l’exploitation de ces gîtes alors qu’ils dénoncent leur nuisance sur la santé humaine ; donc ils sont les seuls à rencontrer ce phénomène alors qu’on sait que le seuil d’anormalité doit être apprécié objectivement,

— Sur le quantum des préjudices

* sur la valeur du bien immobilier : M. et Mme Y l’estime aujourd’hui à 249 000' sans produire aucun justificatif sérieux établi par des professionnels de l’immobilier ; et l’impact du parc éolien sur l’immobilier n’a fait ressortir aucune moins value (études de 2002 et 2010) ; en outre, il ressort des évaluations que M. et Mme Y produisent qu’au contraire le prix au m² a connu une amélioration importante ce qui fait qu’ils ne demandent pas l’indemnisation d’une perte de valeur vénale,

— ils ne produisent aucune quittance de loyer justifiant leur demande de remboursement ; et ce chef de préjudice est infondé dès lors qu’ils ont quitté les lieux en 2015 et que l’éolienne n°1 a été bridée en 2016.

MOTIVATION

Sur la mise en cause de la SA d’économie mixte 3D

Il est de principe que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».

Ainsi, la victime peut agir directement contre l’auteur du trouble, même s’il n’est pas le propriétaire et contre le propriétaire même s’il n’est pas l’auteur du trouble, dès lors qu’il répond de ses agissements.

Il est constant que les Sasu Margnes Énergie et Sasu Singladou Énergie exploitent le parc éolien litigieux sur des fonds appartenant à la commune de Le Margnes qui a consenti à la Sasu Margnes Énergie un bail emphytéotique le 13 juin 2006 lequel confère un droit réel sur le fonds. Il n’est pas produit un tel bail en faveur de la Sasu Singladou Énergie mais les parties ne contestent pas cette situation juridique à son profit. La Sasu Margnes Énergie exploite 5 éoliennes et la Sasu Singladou Énergie une seule.

Pour soutenir la mise en cause de la SA d’économie mixte 3D, M. et Mme Y invoquent sa qualité de propriétaire du parc éolien dans son ensemble, qui selon eux ressort de :

— de l’extrait des délibérations du syndicat intercommunal d’énergie des deux Sèvres en date du 2 décembre 2014 exposant que la SA d’économie mixte 3D désireuse de développer son activité éolienne a été autorisée à procéder au rachat des Sasu Margnes Énergie et Sasu Singladou Énergie, sociétés de production totalisant 6 éoliennes Enercon,

— d’un courrier du 13 novembre 2018 de la SAS Fontrieu Energie sollicitant du Préfet du Tarn l’autorisation environnementale pour la construction et l’exploitation de trois nouvelles éoliennes sur la commune de Fontrieu (ancienne dénomination de la commune de Margnes) précisant que la SA d’économie mixte 3D est propriétaire des Sasu Margnes Énergie et Sasu Singladou Énergie qui exploitent déjà depuis 2015 le parc existant.

Cependant, ces deux documents émanant de tiers ne constituent pas des actes de propriété et ne peuvent s’y substituer. Si la SA d’économie mixte 3D reconnaît détenir des parts sociales des deux autres sociétés, il n’est justifié d’aucun document démontrant que les sociétés exploitantes ne sont que des filiales de la SA d’économie mixte 3D qui en détiendrait à elle seule le capital social. Et ce alors qu’il ressort de l’extrait Kbis de la Sasu Margnes Énergie que la SA d’économie mixte 3D n’en est que l’organe de direction.

Ainsi, en l’absence d’autres documents probants, l’action dirigée contre la SA d’économie mixte 3D qui n’est ni propriétaire, ni exploitante des éoliennes, qui n’entretient aucune relation de voisinage avec M. et Mme Y lesquels ne justifient pas à quel autre titre elle répondrait des agissements des sociétés exploitantes, ne peut être poursuivie en responsabilité pour les troubles anormaux de voisinage qu’ils invoquent.

La décision sera donc confirmée de ce chef.

Sur les troubles anormaux de voisinage

La mise en oeuvre de la responsabilité sur ce fondement ne nécessite que la démonstration du caractère anormal du trouble invoqué, dont la charge incombe à celui qui s’en plaint.

La faute de l’auteur du trouble n’est pas une condition de sa responsabilité. Et le respect des normes édictées, la licéité de l’activité ou son utilité pour la collectivité ne font pas obstacle à la reconnaissance du caractère anormal du trouble de voisinage.

L’anormalité du trouble s’apprécie in concreto dans sa réalité, sa nature et sa gravité en fonction des circonstances de temps et de lieu, bien souvent eu égard à ses conséquences dommageables pour les voisins le subissant et, en fonction des droits respectifs des parties, le juge devant opérer une balance des intérêts en présence.

En l’espèce M. et Mme Y se plaignent de nuisances sonores et visuelles du fait de l’implantation et l’exploitation du champ éolien. Mais alors qu’il est en exploitation depuis février 2008 pour les 5 premières éoliennes et septembre 2009 pour la 6e (la plus éloignée), ils ne se plaignent des nuisances et des répercussions sur leur santé que depuis mars 2013 date à laquelle le bois servant d’écran visuel a été coupé par son propriétaire et jusqu’à leur déménagement en mai 2015.

La propriété de M. et Mme Y est située dans un environnement rural isolé en contre bas du parc éolien composé de 6 éoliennes tripales de 58 mètres de haut.

L’éolienne la plus proche de leur propriété est située à 700 mètres et la plus éloignée à 1300 mètres.

L’impact sonore

L’ article R 1334-30 du Code de la santé publique dispose que les émissions sonores, par leur intensité ou leur répétition, ne doivent pas porter atteinte à la tranquillité du voisinage et à la santé de l’homme.

L’arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d’électricité utilisant l’énergie

mécanique du vent au sein d’une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) fixe les 'taux d’émergence’ admissibles (différence entre le bruit ambiant avec éolienne et le bruit résiduel dans les zones à émergences réglementées), qui varient selon le jour et la nuit de 5 dB (A) de 7 h à 22 h et de 3 dB (A) de 22 h à 7h, des correctifs étant prévus en fonction du temps de présence cumulé d’un bruit particulier dans la période étudiée.

L’expert a effectué ses contrôles selon la Norme NF S 31-010 et NF S 31-114 avec cette précision que ces textes considèrent uniquement les bandes d’octave de 125Hz à 4000Hz alors que les très basses fréquences sonores (20 Hz à 100 Hz) et les infrasons (inférieures à 20 Hz) ne font actuellement l’objet d’aucune disposition règlementaire applicable.

Les mesurages ont été réalisés hors plan de bridage.

Ses conclusions sont les suivantes :

— l’environnement sonore est calme et rural, sans activité professionnelle, humaine ou agricole ni trafic routier,

— le parc éolien ne présente aucun désordre ou malfaçon,

— les émissions sonores de ce parc sont très majoritairement d’origine aérodynamique ; les bruits d’origine mécanique (bruit des éléments mécaniques dans la nacelle) sont imperceptibles pour le voisinage,

— le bruit aérodynamique semble avoir deux origines : l’écoulement d’air turbulent au niveau des extrémités des pâles, et le cisaillement de l’air lors du passage des pâles devant la tour (mât de l’éolienne) provoquant des changements rapides de la charge aérodynamique,

— en situation de vent dominant contraire (vent de Sud-Est), le parc éolien n’est pas audible,

— en revanche, en situation de vent dominant portant (vent de Nord-Ouest), les éoliennes n°1 et 2 sont audibles ; il s’agit d’un bruit très grave, rythmé par le passage des pales devant le mat (phénomène de cisaillement de l’air). Ce bruit est plus ou moins intense en fonction des conditions de vent. Il est aussi nettement perceptible depuis le jardin situé à l’arrière des bâtiments. Les bruits d’origine mécanique sont ici imperceptibles (bruit des éléments mécaniques dans la nacelle),

— l’énergie sonore émise par ce parc est majoritairement centrée dans les bandes de tiers d’octave allant de 6,3 Hz à 50 Hz, constituant les infrasons et les très basses fréquences. Cette composition spectrale constatée est liée à la rotation à faible vitesse des pâles de grande envergure (vitesse max. constatée = 20 t/mn, soit 1 tour/ 3s),

— les émissions sonores des éoliennes sont à l’origine, en limite de propriété des requérants, d’émergences sonores mesurées dépassant les 6 dB en période diurne et 3dB en période nocturne ;

— les émergences sonores sont constatées dans les infrasons (< 20 Hz) et majoritairement dans les très basses fréquences (< 100 Hz) et basses fréquences (< 200 Hz). L’expert précise que la plage couramment retenue des fréquences audibles pour l’oreille humaine est de 20 à 20 000 Hz.

— les émergences sonores les plus élevées sont toujours observées à 31,5 Hz.

L’expert a précisé que c’est avec l’accord des parties qu’elle a procédé aux mesurages en mode débridage qui est le mode d’exploitation ordinaire d’un parc éolien et qu’en l’espèce, les sociétés exploitantes n’avaient jamais, avant les opérations d’expertise, communiqué sur la possibilité de bridage ni surtout sur le bridage qu’elles avaient effectué en 2016 sur une des éoliennes. Et ce n’est qu’en fin d’opération d’expertise, qu’elles ont fait parvenir une attestation de Enercon (constructeur) du 15 novembre 2018 attestant de la réalité de la mise en place d’un plan de bridage acoustique d’une éolienne du parc depuis le 4 mai 2016 (la plus proche de la propriété). De sorte que les Sasu Margnes Énergie et Sasu Singladou Énergie ne sont pas légitimes ni fondées à contester les mesures de

l’expert effectuées en mode débridage auquel elles ont adhéré et les mesurages de l’expert ayant été globalisés, elles ne l’ont pas mise en mesure d’individualiser l’impact sonore de la seule éolienne bridée par rapport aux autres. Toutefois, l’importance de l’émergence sonore est telle que selon l’expert, il est permis de douter des effets du bridage isolé.

Et elles ne sont pas plus fondées en leur critique, qu’au regard de cette attestation Enercon, il apparaît que non seulement une seule éolienne a été bridée mais encore dans des conditions et circonstances limitées (mode III, tous les jours, de 20h à 5h pour les directions de vent comprises entre 320 et 20 degré) d’où il ressort clairement que le bridage s’effectue à la discrétion des exploitantes comme l’affirment les appelants.

Par ailleurs, l’expert a procédé à l’analyse critique des études Delhom de 2016 et Gamba Acoustique de 2018 opposés par les intimés.

Or si le rapport Dehom vise la conformité avec la règlementation, il ne dit mot des émergences de très basses fréquences et basses fréquences qui ne font pas l’objet de dispositions règlementaires ; et les contrôles ont été opérés avec un plan de bridage dont il n’est donné aucune précision.

Quant à l’étude Gamba, elle conclut à l’existence d’infractions au niveau sonore : « pour la période nocturne par vent de secteur SE2 [130° ; 160°] des dépassements d’émergences règlementaires sont constatées entre 8 et 12m/s … la règlementation acoustique en vigueur n’est pas respectée. '' Et l’expert a noté que ' la grande majorité des valeurs retenues ne correspondent pas à la médiane qui aurait dû être calculée au sens du projet de norme NFS 31-114. Les temps d’observation de la situation acoustique ont certainement été trop courts ne permettant pas d’obtenir 10 échantillons ou plus pour pouvoir calculer la médiane telle que préconisé par le projet de norme NFS 31-114. Les valeurs présentées dans l’étude doivent être considérées comme des estimations de la situation acoustique'.

Et les mesures de ces deux études ont été effectuées conformément à la norme NF S 31-010 et au projet de norme NF S 31-114, alors que ce projet de norme a été annulé depuis (le 17 janvier 2018) par dissolution du groupe AFNOR.

Ainsi, il convient de s’en tenir au rapport d’expertise judiciaire dont la pertinence n’est pas démentie qui conclut 'qu’une réelle gêne sonore peut être ressentie par M. et Mme Y. Cette gêne, caractérisée par l’émergence sonore, est constatée dans les infrasons, les très basses et les basses fréquences (plages de fréquence allant de 6,3 Hz à 200 Hz). La gêne se manifeste quelle que soit la direction du vent. Elle est plus importante en période nocturne, par vent portant de Nord-Ouest et augmente avec la vitesse du vent '. 'Aucune émergence n’est constatée de jour dans les situations de vent contraire'.

Le transport sur les lieux réalisé par le tribunal de Castres le 17 décembre 2019 ne contredit pas ces conclusions quant aux émergences sonores puisqu’en effet, l’expert retient que suivant la direction du vent en période diurne, il est tout à fait possible de ne rien entendre, les infrasons et basses et très basses fréquences n’étant pas audibles et alors que les conditions de vent ne sont pas connues au jour du transport sur les lieux.

L’impact visuel :

Sur le balisage lumineux

M. et Mme Y se sont plaints de dysfonctionnements auprès de l’ancien exploitant (Sarl Valeco Eole en 2005) soit avant la reprise d’exploitation des 5 premières éoliennes par la Sasu Margnes Énergie et de la 6e par la Sasu Singladou Énergie.

Devant l’expert, le représentant d’Enercon (fabricant) a reconnu les défaillances du balisage de nuit (fonctionnement avec éclats blanc réservé au signalement de jour) qui ont été traités fin 2015 soit après le départ des lieux de M. et Mme Y en mai 2015.

Par ailleurs, contrairement à ce qu’indiquent M. et Mme Y, l’expert en page 30 de son rapport, ne conclut pas à la persistance de dysfonctionnements dans le balisage, le tableau qu’elle reproduit

mentionne d’ailleurs que le balisage de la première éolienne est hors service (ce qui n’est d’ailleurs pas normal), et que le balisage des autres éoliennes fonctionne en mode alternatif. La 6e éolienne est équipée de Leds et le représentant du fabricant Enercon a signalé qu’il n’était pas envisagé d’équiper les éoliennes 1 à 5 de première génération par des systèmes à Led.

Il en résulte l’absence de nuisance de ce chef.

Sur la vue des éoliennes

Durant les opérations d’expertise qui se sont déroulées en juillet 2018, étaient seulement visibles depuis la terrasse du gîte la partie supérieure (nacelle et pales) des éoliennes n°1 et 2 et l’extrémité des pales de l’éolienne n°3. L’expert précise que les autres éoliennes ne sont pas visibles depuis leur propriété mais, constatant la présence de nombreux feuillus de hautes tiges, elle considère que l’impact visuel du parc est majoré en hiver.

Durant le transport sur les lieux réalisé en hiver au contraire des opérations d’expertise, le tribunal a confirmé l’impact visuel des éoliennes.

Sachant que le parc éolien est distant de la propriété des époux Y de 700m à 1300m et que trois des premières éoliennes sur six sont visibles mais seulement en partie supérieure et particulièrement au niveau des pales tournantes et depuis l’extérieur, sur la terrasse, ce que confirment par ailleurs les photographies prises sur les lieux en été c’est-à-dire en présence de feuillage occultant, et que, malgré la coupe en 2013 du bois qui, dans l’étude d’impact à l’origine du projet, avait été considéré comme un important écran visuel et une mesure d’évitement, l’impact visuel apparaît certain mais modéré, la vue depuis la propriété sur ce site rural de qualité demeurant partiellement sauvegardée.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les nuisances sonores et visuelles sont avérées et de nature à constituer un trouble du voisinage.

L’anormalité du trouble

Dès lors que l’anormalité du trouble s’apprécie in concreto, il convient de s’attacher à l’environnement du site mais également aux conséquences dommageables pour ceux qui le subissent, sans pour cela occulter que nul n’a un droit acquis à la conservation de son environnement et que le juge doit mettre en balance les intérêts en présence.

Il est constant que le parc éolien est situé dans un environnement protégé de toute pollution, isolé et rural mais sans caractéristique particulière.

M. et Mme Y n’ont jamais été décrits comme des opposants systématiques à l’implantation d’éoliennes à proximité de leur propriété, leur acquisition en 2004 ayant été effectuée en connaissance du projet consacré par arrêté préfectoral du 7 mars 2005 réalisé à la suite d’une étude d’impact.

Le Dr Z désigné en qualité de sapiteur a ainsi décrit les doléances de M. et Mme Y dans son rapport du 25 avril 2018 annexé à celui de Mme G-K.

Les premiers troubles dénoncés par les appelants ont débuté en 2013. Ils ont diminué progressivement à la suite de leur déménagement en mai 2015 pour disparaître totalement début 2016.

Concernant M. Y : il a commencé à consulter à compter d’ avril 2013, jusqu’en 2015 ; il s’est plaint de fatigue, maux de tête persistants, oppressions douloureuses sur les oreilles, vertiges, nausées, troubles du sommeil, tachycardies fréquentes, malaises vagaux, anomalies du rythme cardiaque. Il a été traité par antalgiques et anxiolytiques. Les examens cardiologiques et O.R.L., n’ont révélé aucune anomalie et son médecin traitant n’a dénoncé aucun antécédent. C’est lui qui suspectant la présence des éoliennes pour expliquer cette symptomatologie et alors que les symptômes s’amendaient à chaque déplacement de plusieurs jours, a proposé un déménagement qui a

été bénéfique puisque les symptômes ont régressé pour disparaître complètement à compter de janvier 2016.

Mme Y : a présenté à peu près les mêmes symptômes ; elle a consulté à compter de la même date avril 2013 où elle a été admise en urgence pour des douleurs thoraciques et abdominales subies depuis quelques semaines ; ses doléances sont les mêmes : nausées, oppressions thoraciques et abdominales, oppressions au niveau des oreilles, troubles du sommeil, syndrome dépressif. Le médecin traitant ne note aucun antécédent. Il n’a été décelé aucune anomalie cardiaque et O.R.L. et le bilan gastrique de juin 2013 montrait une gastrite réactive modérée. Elle a été traitée par antalgiques, antibiotiques et anti-inflammatoires depuis 2014.

Afin de vérifier le retentissement de la présence des éoliennes sur la santé et donc le lien de causalité entre ces troubles et les nuisances sonores décrites plus haut, le Docteur Z s’est fondé sur les publications scientifiques de l’académie nationale de médecine (9 mai 2017) et de l’ANSES (mars 2017) concernant l’évaluation des effets sanitaires des basses fréquences sonores et infrasons dus au parc éolien.

Ce rapport reconnaît en ces termes, l’existence d’un « syndrome des éoliennes '' qui altère la qualité de vie de certains riverains : le syndrome des éoliennes réalise une entité complexe et subjective dans l’expression clinique de laquelle interviennent plusieurs facteurs. Certains relèvent de l’éolienne elle-même, d’autres des plaignants, d’autres encore du contexte social, financier, politique, communicationnel… Le syndrome des éoliennes, quelque subjectifs qu’en soient les symptômes, traduit une souffrance existentielle, voire une détresse psychologique, c’est-à-dire une atteinte de la qualité de vie qui, toutefois, ne concerne qu’une partie des riverains.

Le rapport identifie les symptômes relevant du syndrome éolien : il s’agit de symptômes très divers, d’ordre général (troubles du sommeil, fatigue, nausées), neurologiques (céphalées, acouphènes, troubles de l’équilibre, vertige), psychologiques (stress, dépression, irritabilité, anxiété), endocriniens (perturbation de la sécrétion d’hormones stéroïdes), cardio-vasculaires (hypertension artérielle, maladies cardiaques), sociaux comportementaux (perte d’intérêt pour autrui, agressivité, déménagement, dépréciation immobilière). Ces symptômes sont majoritairement de type subjectif ayant pour point commun les notions de stress, de contrariété, de fatigue. Trois facteurs concourent aux doléances exprimées : les nuisances visuelles, les nuisances sonores (qui est le grief le plus souvent allégué dû essentiellement aux basses fréquences et infrasons lesquels bien que inaudibles à l’oreille humaine peuvent valablement être ressentis), facteurs psychologiques associés ou non aux nuisances visuelles et sonores, ils jouent un rôle dans leur ressenti.

C’est dans le cadre de ces facteurs que l’on retrouve l’effet « nocebo » qui consiste en l’induction psychologique d’une doléance, d’une douleur, effet qui peut s’appliquer aux infrasons (la crainte de la nuisance sonore majore l’effet de la nuisance elle-même), mais également les facteurs individuels puisque chaque personne manifeste des profils émotifs différents, générateurs de symptômes psychosomatiques fragilisant l’individu et encore les facteurs sociaux et financiers qui suscitent des contrariétés, insatisfactions voire révolte.

En l’espèce, selon le Dr Z, eu égard au délai d’exposition, 2008 à 2015, à la symptomatologie décrite pour chacun d’eux (douleurs épigastriques, acouphènes, palpitations, troubles du sommeil, retentissement psychologique), atténuée puis disparue avec l’éloignement du site, sans antécédent recensé, on peut considérer que M. et Mme Y ont présenté un « syndrome des éoliennes » entraînant une altération de leur santé au sens de la définition de l’OMS cité dans le rapport de l’Académie Nationale de Médecine comme un « état de bien être physique, mental et social ».

Pour rapporter la preuve contraire et l’absence de conséquences sanitaires des émissions sonores des éoliennes, les intimées ne produisent qu’un article du journal Le Figaro du 19 janvier 2015 signé du Pr H Ba Huy, ce qui ne constitue pas une preuve scientifique sérieuse et actualisée publiée dans une revue idoine. De même doit être écarté l’argument suivant lequel les clients du gîte ne sont pas affectés par le fonctionnement des éoliennes dès lors que le Dr Z a précisé que la durée d’exposition était un facteur important dans l’apparition du syndrome des éoliennes. Et alors qu’elles soulignent que la situation a radicalement évolué depuis le bridage de l’éolienne n°1 en 2016 elles n’en fournissent aucune justification.

L’expert a fixé la date de consolidation au 1er janvier 2016, sans persistance d’aucune séquelle.

Ses conclusions sont les suivantes

*déficit fonctionnel temporaire personnel partiel :

— à 10 %, correspondant à la période pendant laquelle M. et Mme Y ont présenté une symptomatologie en relation avec le « syndrome des éoliennes '' : du 01.04.13 au 06.05.15,

— à 5 %, correspondant à la période, après le déménagement, pendant laquelle M. et Mme Y ont présenté une amélioration progressive de la symptomatologie en relation avec le « syndrome des éoliennes '' : du 07.05.15 au 31.12.15.

*Souffrances endurées souffrances endurées avant consolidation: 2/7 tenant compte de l’hospitalisation en urgence, du suivi médical, de la réalisation d’examens complémentaires, de la prise de traitements ponctuels et du retentissement psychologique.

Il s’avère ainsi que si les atteintes à la santé subies par M. et Mme Y en lien avec la présence des éoliennes ont aujourd’hui disparu, c’est bien en raison non pas de l’attitude des intimées mais bien en raison du déménagement de M. et Mme Y puisqu’en effet, le bridage d’une éolienne sur 6 n’a été opéré qu’après leur départ en 2016 de même que la cessation du dysfonctionnement du balisage lumineux en octobre 2015 alors qu’ils se sont plaints des nuisances bien antérieurement, jusqu’à saisir le Préfet du Tarn par la voix de leur avocat le 7 juillet 2015 (réponse du Préfet du 14 août 2015).

Puisque l’anormalité du trouble s’apprécie in concreto, qu’il se mesure à ses conséquences dommageables pour les voisins le subissant et, en fonction des droits respectifs des parties, dès lors que les intimés ne donnent aucune indication sur l’ intérêt énergétique de ce site éolien ainsi que sur l’impact du bridage de l’éolienne n°1, elles ne mettent pas la cour en capacité d’opérer une balance des intérêts en présence.

Dans ces conditions, le trouble créé par la présence du parc éolien exploité par la Sasu Margnes Énergie et la Sasu Singladou Énergie constitue un trouble anormal de voisinage qu’il convient, à défaut de faire cesser puisqu’il n’est proposé aucune mesure alternative en ce sens, de réparer par l’allocation de dommages et intérêts. La décision sera donc infirmée.

Les préjudices

M. et Mme Y sollicitent l’allocation des sommes suivantes :

*249.000,00' au titre de la perte de leur bien, somme à parfaire ;

*40.599,38 ' au titre du préjudice de jouissance, somme à parfaire;

*14.912,78 ' au titre des frais engendrés par le déménagement, somme à parfaire (déménagement : 500 ' TTC, mise hors gel des canalisations : 1336,25 euros; déplacement entre la location et leurs propriétés de juin 2015 à décembre 2016:11 713,17 euros correspondant à 34 kmX 579 joursX 0,595 ' ) ;

*4.000,00 ' à chacun au titre du pretium doloris ;

*2.216,25 ' à chacun au titre de la réparation de leur déficit fonctionnel temporaire à hauteur de 25 ' par jour à 10 % soit du 1er avril 2013 au 6 mai 2015 soit 767 jours X2,5'= 1917,50 euros ; et du 7 mai 2015 au 31 décembre 2015 à 5 % soit 239 jours X 1,25%X 239 jours = 298,75 euros

*30.000,00 ' à chacun au titre de leur préjudice moral respectif.

Les intimées s’y opposent considérant l’absence de pièces justificatives notamment de la location, des estimations immobilières, les calculs erronés proposés pour la perte de valeur, l’absence de préjudice

depuis le bridage en 2016, l’exploitation du gîte malgré les impacts supposés sur la santé humaine, les témoignages pourtant positifs des résidents.

La perte de leur bien

M. et Mme Y font état d’une perte de chance de vendre l’immeuble à sa valeur, actualisée à la somme de 415 000' hors présence d’éoliennes, selon l’estimation d’une agence immobilière. Ils estiment qu’en raison de la présence du parc éolien leur immeuble a perdu 40 % de sa valeur de sorte qu’ils sollicitent l’allocation de la somme de 249 000' représentant 60 % de sa valeur actualisée.

La réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée. La perte de chance ne recouvre donc pas la totalité du préjudice dans la mesure où même si elle est certaine, le fait d’échapper au préjudice est loin d’être acquis. L’indemnisation ne peut donc représenter qu’une fraction du préjudice subi.

Or M. et Mme Y ne justifient pas qu’après avoir mis en vente leur propriété au prix actuel du marché ils ont dû se résoudre à vendre à un prix moindre en raison de la présence des éoliennes ce qui leur auraient donc fait perdre une chance évaluée à 40 %, de vendre au prix du marché. En effet, la seule attestation produite d’un agent immobilier ne vise que des visites du site et aucune proposition de prix.

D’autre part, à travers un préjudice qualifié de perte de chance de vendre au prix du marché, en produisant des estimations de valeurs immobilières, ils invoquent en réalité une perte de valeur du bien affecté de la nuisance résultant de la proximité du parc éolien.

Et en effet, comparativement à ce qu’ils ont investi pour l’achat et la rénovation du site (313 650') par rapport à la valeur moyenne de ce bien en l’état, estimée par deux professionnels de l’immobilier (285 000') la perte de valeur s’établit à 28 650'.

Le préjudice de jouissance

M. et Mme Y ont dû déménager pour préserver leur santé.

Ils évaluent le coût de leur relogement à 500' par mois pendant 6 ans et 7 mois depuis juin 2015 correspondant à la location d’un autre logement en sus des prêts immobiliers restant encore à courir au jour de leur départ des lieux.

Ils en justifient par la production d’une attestation de la SCI La Barbazanie à Fontrieu, soit une somme de 39 500' qui n’est pas utilement contestée.

Les frais d’assurance dont ils justifient correspondent à ceux de la propriété litigieuse qu’ils auraient dû engager de toute façon même s’ils n’avaient pas quitté les lieux. Il en est de même des frais d’entretien de la propriété. En revanche, ils ne justifient ni d’une assurance locative ni de frais engendrés par leur nouvelle situation. Aucune somme ne peut donc leur être allouée de ces chefs.

Les frais

L’obligation dans laquelle ils se sont trouvés de quitter les lieux a engendré des frais de déménagement puis des frais de déplacement pour l’entretien et la surveillance du site qui doivent en conséquence être indemnisés durant la seule période réclamée de juin 2015 à décembre 2016 (579 jours = 19 mois) à hauteur de la somme de (500' pour le déménagement et 500'/mois X 19 mois =) 10 000'.

Le pretium doloris

Ce poste de préjudice indemnise les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, ainsi que les traitements, interventions, hospitalisations qu’elle a subies depuis l’accident jusqu’à la consolidation fixée en l’espèce au 1er janvier 2016.

Evalué par l’expert à 2/7 pour tenir compte de l’hospitalisation en urgence, du suivi médical, de la réalisation d’examens complémentaires, de la prise de traitements ponctuels et du retentissement psychologique, ce poste de préjudice sera indemnisé à hauteur de 4000' pour chaque époux.

Le déficit fonctionnel temporaire

S’agissant d’indemniser l’aspect non économique de l’incapacité temporaire, l’indemnité forfaitaire de 25'/jour (moitié du SMIC) réclamée par M. et Mme Y peut être accordée pour réparer la gêne dans les actes de la vie courante diminuée en l’espèce puisque selon l’expert l’incapacité temporaire n’a été que partielle à 10 % du 1er avril 2013 au 6 mai 2015 soit 767 jours et à 5 % du 7 mai 2015 au 31 décembre 2015 soit 239 jours : Soit 2.216,25' pour chaque victime.

Le préjudice moral

Ce poste de préjudice ne se confond pas avec le pretium doloris subi jusqu’à la consolidation déjà indemnisé.

M. et Mme Y avaient investi dans ce lieu pour y résider à l’année et pour Mme Y y exploiter 3 gîtes ruraux : il s’agissait donc non seulement de leur lieu de vie mais également du domicile professionnel de cette dernière. Ils ont dû renoncer à ce projet dans sa configuration initiale. Ils subissent donc un préjudice moral lié à la perte de leur lieu de vie qu’il convient d’indemniser à hauteur de 10 000' pour chacun d’eux.

PAR CES MOTIFS

La cour

— Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Castres en date du 16 janvier 2020 sauf en ce qu’il a débouté M. et Mme Y de leurs demandes à l’encontre de la SA d’économie mixte 3D.

Statuant à nouveau

— Dit que la Sasu Margnes Énergie et la Sasu Singladou Énergie sont responsables des troubles anormaux de voisinage subis par M. et Mme Y du fait de l’exploitation du parc éolien situé sur la commune de Margnes Fontrieu.

— Condamne in solidum la Sasu Margnes Énergie et la Sasu Singladou Énergie à verser à M. et Mme Y en réparation de leur préjudices les sommes de :

*28 650' au titre de la perte de valeur du bien,

*39 500' au titre du trouble de la jouissance,

*10 000' en remboursement des frais induits,

*4000' au titre des souffrances endurées par M. Y,

*4000' au titre des souffrances endurées par Mme Y,

*2.216,25 ' au titre du déficit fonctionnel temporaire subi par M. Y

*2.216,25 ' au titre du déficit fonctionnel temporaire subi par Mme Y,

*10 000' au titre du préjudice moral subi par M. Y,

*10 000' au titre du préjudice moral subi par Mme. Y.

— Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum la Sasu Margnes Énergie et la Sasu Singladou Énergie à verser à M. et Mme Y la somme de 5000' au titre de frais

irrépétibles de première instance et d’appel.

— Condamne in solidum la Sasu Margnes Énergie et la Sasu Singladou Énergie aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

M. L C. N-O

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Cour d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 8 juillet 2021, n° 20/01384