Cour d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 9 février 2022, n° 21/00990

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Toulouse, 2e ch., 9 févr. 2022, n° 21/00990
Juridiction : Cour d'appel de Toulouse
Numéro(s) : 21/00990
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Toulouse, 3 février 2021, N° 20/01138
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

09/02/2022

ARRÊT N°69

N° RG 21/00990 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OAJE


IMM – AC


Décision déférée du 04 Février 2021 – Juge de la mise en état de TOULOUSE – 20/01138

Madame X

D A

I K L A

Y-H A


C/

B Z

S.A.R.L. SOCIETE D’ANALYSE ET DE DIFFUSION PAR COURTAGE

Société CNA INSURANCE COMPANY (EUROPE) S.A.


Infirmation


Grosse délivrée

le

à


REPUBLIQUE FRANCAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

2ème chambre

***


ARRÊT DU NEUF FEVRIER DEUX MILLE VINGT DEUX

***

APPELANTS

Monsieur D A […]

[…]


Représenté par Me Sandrine NEFF, avocat au barreau de TOULOUSE


Assisté par Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS

Madame I K L A

[…]

[…]


Représentée par Me Sandrine NEFF, avocat au barreau de TOULOUSE


Assistée par Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS

Monsieur Y-H A

[…]

[…]


Représenté par Me Sandrine NEFF, avocat au barreau de TOULOUSE


Assisté par Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

Monsieur B Z

4, rue Y Pomier

[…]


Représenté par Me Ludovic RIVIERE de la SELARL LUDOVIC RIVIERE, avocat au barreau de TOULOUSE

S.A.R.L. SOCIETE D’ANALYSE ET DE DIFFUSION PAR COURTAGE prise en la personne de représentant légal Monsieur F G domicilié ès qualité audit siège

[…]

[…]

Société CNA INSURANCE COMPANY (EUROPE) S.A. société anonyme de droit étranger dont le siège social est situé au Luxembourg, et dont la succursale française est sis

[…], venant aux droits de la SOCIETE CNA INSURANCE COMPANY LIMITED, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit

siège […]

[…]


Représentée par Me Ingrid CANTALOUBE-FERRIEU, avocat au barreau de TOULOUSE


Assistée par Me Claire-marie QUETTIER, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR


En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Novembre 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant P.DELMOTTE et I MARTIN DE LA MOUTTE, Conseillers, chargés du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :


V. SALMERON, présidente


P. DELMOTTE, conseiller


I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère

Greffier, lors des débats : C. OULIE

ARRET :


- réputée contradictoire


- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties


- signé par V. SALMERON, présidente, et par C.OULIE, greffier de chambre

EXPOSE DU LITIGE :


À la fin des années 2000, la société Aristophil a proposé à un réseau de courtiers en assurance et de conseillers en gestion de patrimoine de commercialiser un produit dénommé Aristophil permettant l’acquisition en pleine propriété ou en indivision de diverses collections de lettres et manuscrits anciens.


La distribution du produit Aristophil était principalement assurée par la société Art Courtage, laquelle a souscrit plusieurs partenariats afin d’organiser la commercialisation de ce produit, mission qu’elle a notamment confiée à la Sarl société d’analyse diffusion par courtage (la SADC) qui a elle même donné mandat à cette fin Monsieur Z, agent commercial.


Le 28 octobre 2005, M. Y-H A a acquis de la société Aristophil pour la somme de 30.000 € la pleine propriété d’une collection d''uvres d’arts dans le cadre d’un contrat Valexco ;


Le 28 novembre 2008, il a acquis 10 parts en indivision dans la collection « Les grands manuscrits de l’Empereur » pour un montant de 50.000 €


Le 20 mars 2010, Monsieur D A a acquis par l’intermédiaire de la SADC, 13 parts de 1.500€ chacune dans une indivision portant sur un ensemble de lettres, manuscrits, dessins et objets, dénommée Gustave Flaubert.


Le 3 août 2011, Madame I J L A a acquis par l’intermédiaire de la SADC, 20 parts en indivision de la collection « Espace et Grandeur du Génie Littéraire II » pour un montant de 100.000 €.
Par conventions concomitantes aux acquisitions, les acquéreurs ont confié pour cinq années à la SAS Aristophil, la garde, la conservation et les expositions de leurs collections.


En novembre 2014, à l’issue d’une enquête menée par la DGCCRF, les locaux de la SAS Aristophil ont été perquisitionné et les collections conservées ont été mises sous scellés.


Le 5 mars 2015, une information judiciaire a été ouverte à l’encontre de la SAS Aristophil, pour des faits d’escroquerie en bande organisée, de pratiques commerciales trompeuses et d’abus de confiance.


Le tribunal de commerce de Paris a ouvert le redressement judiciaire de la SAS Aristophil le 16 février 2015 et a prononcé sa liquidation judiciaire le 5 août 2015.


Par actes d’huissier des 13 et 18 mars 2020, Monsieur Y-H A, Madame I J et Monsieur D A ont fait assigner Monsieur B Z, la Sarl société d’analyse diffusion par courtage et la SA CNA Insurance company (Europe) devant le tribunal judiciaire de Toulouse aux fins notamment de voir condamner in solidum Monsieur B Z et la SADC sous la garantie de la SA CNA Insurance company (Europe) à réparer leur préjudice consistant en une perte de chance de ne pas souscrire les contrats litigieux et de faire fructifier le capital investi dans un produit d’épargne plus avantageux,


La SA CNA Insurance company (Europe) a sollicité du juge de la mise en état, au visa des articles 122 et 789 du code de procédure civile et 2224 du code civil, qu’il constate la prescription de l’action de Monsieur et Madame A et déclare leurs demandes irrecevables.


Par ordonnance du 4 février 2021, le juge de la mise en état a :


Déclaré Monsieur Y-H A, Madame I J L A et Monsieur D A irrecevables comme prescrits, en leurs prétentions indemnitaires fondées sur un manquement à l’obligation d’information et de conseil de Monsieur B Z et de la Sarl SADC ;


Condamné Monsieur Y-H A, Madame I J L A et Monsieur D A à verser à la SA CNA Insurance company (Europe) une indemnité totale de 800 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;


Rejeté toutes demandes autres des parties ;


Condamné Monsieur Y-H A, Madame I J L A et Monsieur D A aux entiers dépens ;


Le premier juge a estimé que s’agissant du grief résultant de la surévaluation des biens acquis, le point de départ du délai de prescription se situait à la date de conclusion du contrat et ne pouvait être reporté à la date à laquelle des ventes aux enchères ont été réalisées et pour les autres griefs, que les investisseurs ont eu connaissance des éléments nécessaires à leur action, selon les manquements invoqués, soit à la date de conclusion du contrat, soit à la date de publication des premiers articles de presse dénonçant l’escroquerie Aristophil.


Par déclaration en date du 2 mars 2021, Monsieur Y-H A, Madame I J L A et Monsieur D A ont relevé appel de cette ordonnance.


Par conclusions signifiées le 27 octobre 2021, auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de leur argumentation, ils demandent à la cour de :


Infirmer dans toutes ses dispositions l’ordonnance rendue par le Juge de la mise en état de Toulouse en date du 4 février 2021,


Et, statuant à nouveau,


Les déclarer recevables en leur action dirigée contre Monsieur B Z et les sociétés SADC et CNA,


Condamner Monsieur B Z et la société CNA à leur verser la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel sur la fin de non-recevoir,


Condamner la société CNA aux dépens occasionnés par la fin de non-recevoir,


Débouter Monsieur B Z et la société CNA de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,


Inviter les parties à conclure sur l’action en responsabilité intentée à l’encontre de Monsieur B Z et de la société SADC et sur la garantie de l’assureur CNA afin de donner une solution définitive au litige.


Ils soutiennent que l’opération s’analyse comme une tromperie, que le point de départ du délai de prescription se situe à l’expiration du délai de cinq années suivant la conclusion du contrat puisque c’est à cette date qu’ils avaient vocation à se rendre compte que les biens acquis étaient invendables, et que pour tenir compte de l’intervention de la procédure collective, le juge de la mise en état aurait dû fixer le point de départ de la prescription a minima au 24 mars 2015, date à laquelle il est établi qu’ils ont été informés de l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de la société Aristophil par le courrier reçu de l’administrateur judiciaire les invitant à déclarer leur créance au passif de cette société Aristophil


Par conclusions notifiées le 27 octobre 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, la société CNA INSURANCE COMPANY demande à la cour au visa des articles 122, 568 et 789 du Code de procédure civile et 2224 du Code civil, de :


Confirmer l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse le 4 février 2021 en toutes ses dispositions et plus précisément en ce qu’il

a :


Déclaré Monsieur Y-H A, Madame I J L A et Monsieur D A irrecevables comme prescrits, en leurs prétentions indemnitaires fondées sur un manquement à l’obligation d’information et de conseil de Monsieur B Z et la Sarl SADC;


Condamné Monsieur Y-H A, Madame I J L A et Monsieur D A à verser à la SA CNA Insurance company (Europe) une indemnité totale de 800 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;


Rejeté toutes demandes autres des parties ;


Condamné Monsieur Y-H A, Madame I J L A et Monsieur D A aux entiers dépens ;


Rappelé que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.


Débouter les consorts A de l’ensemble de leurs demandes formulées à l’encontre de la société CNA Insurance company (Europe) SA ;


En tout état de cause,


Débouter les consorts A de leur demande d’évocation par la cour;


Elle soutient que le dommage consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste au jour de la conclusion du contrat, que la jurisprudence admet certes que le point de départ du délai de prescription peut être repoussé, mais qu’il s’agit alors d’une exception et qu’il appartient alors à celui qui se prévaut du point de départ retardé de prouver les faits justifiant son application.
Elle estime qu’en l’espèce, le point de départ du délai de prescription ne peut se situer qu’à la date de conclusion du contrat.


Par conclusions notifiées le 28 mai 2021auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, Monsieur B Z demande à la cour au visa des articles 122, 568 et 789 du Code de procédure civile, 2224 du Code civil, de :


A titre principal,


Confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance du Juge de la mise en état de Tribunal judiciaire de Toulouse en date du 4 février 2021.


Débouter les consorts A de l’ensemble de leurs demandes formulées à l’encontre de M. B Z.


Subsidiairement,


Débouter les consorts A de leur demande d’évocation par la Cour


Les débouter encore de leur demande d’indemnisation de leurs frais de défense sur le fondement de l’article 700 du CPC

Reconventionnellement,


Condamner les consorts A à payer à M. B Z la somme de 2.000 € par application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens de l’instance.


La Sarl société d’analyse diffusion par courtage, assignée par exploit du 29 avril 2021 déposé en l’étude, n’a pas constitué avocat.


L’instruction de la procédure a été clôturée par ordonnance du 2 novembre 2021

MOTIFS DE LA DÉCISION :


Selon l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour ou le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.


A l’appui de leurs demandes formées contre B Z et la SADC, les investisseurs soutiennent que le montage réalisé par la société Aristophil s’apparentait à un système dit de Ponzi, consistant à rémunérer les investisseurs initiaux par les fonds apportés par les nouveaux entrants, la valeur alléguée des collections étant fantaisiste et largement surévaluée; Ils invoquent des pratiques commerciales trompeuses de la part du vendeur de nature à laisser croire à une possibilité de rachat de la part du vendeur à l’issue d’un délai de cinq années.


Ils reprochent en conséquences aux commercialisateurs dont la responsabilité est recherchée, en premier lieu d’avoir manqué à leurs obligations professionnelles en s’abstenant de vérifier préalablement, outre la composition exacte des collections, la corrélation entre les valeurs des oeuvres allégués par la société Aristophil et la valeur réelle des biens vendus, et en second lieu de s’être abstenus de leur fournir une information claire et circonstanciée sur le mécanisme complexe de l’opération et notamment sur celui du rachat par Aristophil à l’issue d’une période de cinq années.


Si le dommage résultant d’un manquement à une obligation d’information de mise en garde ou de conseil consistant en la perte d’une chance de ne pas contracter ou de contracter dans de meilleures conditions se réalise lors de la conclusion du contrat, le délai de prescription de l’action engagée contre l’auteur de ce manquement ne court que du jour ou le dommage s’est révélé au contractant lorsque ce dernier ne pouvait en avoir connaissance au jour du contrat.


Ainsi, indépendamment du bien fondé des moyens invoqués au fond qu’il n’appartient pas à la cour, statuant avec les pouvoirs du juge de la mise en état, d’apprécier dans le cadre de la présente instance, il convient de retenir, que dès lors que les acquéreurs invoquent une tromperie, tant sur la valeur des biens que sur la portée du contrat les liant à Aristophil, le point de départ du délai de prescription ne peut être fixé à la date de la convention puisque les acquéreurs ne pouvaient avoir conscience à cette date de la surévaluation qu’ils allèguent et que le préjudice né de l’impossibilité de mettre en oeuvre la clause de rachat demeurait purement hypothétique avant l’expiration d’un délai de 5 années après la conclusion du contrat compte tenu des stipulations contractuelles.


Aucun des éléments débattus ne permet d’affirmer que les appelants ont eu connaissance d’articles parus à la fin de l’année 2014 dans Charlie hebdo, puis dans plusieurs autres média nationaux faisant état de l’ouverture d’une enquête préliminaire du chef d’escroquerie et c’est à tort que le premier juge a retenu que le dommage leur avait été révélé à cette date.


Ni l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, qui permettait l’adoption d’un plan de redressement, ni le courrier en date du 24 mars 2014 émanant de Me Philippot désigné en qualité d’administrateur, par lequel les acquéreurs ont été avisés de cette procédure, n’ont révélé aux appelants la surévaluation des biens et les pratiques commerciales qu’ils estiment trompeuses, et par conséquent les manquements qu’ils imputent désormais aux commercialisateurs.


Seule l’information pénale, ouverte par réquisitoire introductif du 5 mars 2015 visant des faits d’escroquerie en bande organisée, de pratiques commerciales trompeuses et d’abus de confiance, leur a permis de prendre connaissance des faits qu’ils reprochent désormais aux commercialisateurs ; Néanmoins, ni la date à laquelle ils ont été informés de l’ouverture de cette information judiciaire, ni celle de leur convocation dans le cadre de l’enquête en qualité de victime ou témoins ou encore celle de leur constitution de partie civile ne sont connues de sorte qu’il n’est pas établi que les consorts A ont été en mesure d’exercer l’action introduite par actes des 13 et 18 mars 2020 antérieurement au 13 mars 2015.


L''ordonnance déférée doit donc être infirmée et les consorts A déclarés recevables en leur action.


Partie perdante, la société CNA Insurance company qui est à l’origine de la saisine du juge de la mise en état supportera les dépens de première instance et d’appel.


Elles devront indemniser les consorts A des frais irrépétibles qu’ils ont été contraints d’exposer.

PAR CES MOTIFS :


Infirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions,


Statuant à nouveau et y ajoutant,


Déclare recevable l’action de Monsieur Y-H A, Madame I J L A et Monsieur D A,


Condamne la SA CNA Insurance Company (Europe) à payer à Monsieur Y-H A, Madame I J L A et Monsieur D A la somme globale de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;


Condamne la SA CNA Insurance Company (Europe) aux dépens de première instance et d’appel.


Le greffier, La Présidente,

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
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